Bonjour,
un petit coucou spécial à celles et ceux qui ont choisi l’option Gratuit et ont donc exceptionnellement accès à cette publication vacancière.
Et à celles et ceux qui me soutiennent, un grand merci renouvelé, du fond du cœur, pour cet encouragement permanent. Je vous donne rendez-vous samedi pour la prochaine publication !
Joyeux printemps à tout le monde, en tout cas. Il est à l’heure.
Au Ghana, la cathédrale a du retard
C'est beau, hein ? Ben vous emballez pas, c'est pas pour maintenant.
C'est le projet de cathédrale nationale du Ghana, voulu par l'ex-Président Nana Akufo-Addo "en 2016, après avoir attribué sa victoire à Dieu", rapporte la BBC.
Hélas, certaines voies sont impénétrables. Dont celles de Dieu justement, c'est ballot : Akufo-Addo a à son tour perdu les élections de décembre dernier, au profit de John Mahama. Ce dernier est lui aussi un croyant dévoué, chose assez courante dans un pays chrétien à 70 %. Il n'a donc rien à reprocher à l'idée d'une cathédrale nationale. Il aimerait juste comprendre quelques petites choses à son sujet, comme il l'a expliqué en annonçant cette semaine la suspension des travaux et le lancement d'une enquête gouvernementale sur ce projet dispendieux.
Par exemple, le coût total prévu, à savoir 400 millions de dollars, n'est-il pas un peu exagéré ? (C'est plus que ce qu'a coûté le stade de France, certes il y a trente ans, mais tout de même).
Ensuite, pourquoi, alors que son prédécesseur a assuré que le budget serait entièrement constitué de fonds privés, 58 millions de dollars du Trésor Public ont-ils déjà été investis dans le chantier ? Question corollaire : pourquoi ces 58 millions de dollars n'ont-ils mené à rien d'autre qu'à un grand trou —dans la caisse, certes, mais aussi au beau milieu de la capitale, Accra ? "Il n'y a rien à voir pour cette somme, si ce n'est un énorme cratère, au beau milieu d'un terrain de grande valeur en centre-ville qui était auparavant occupé par des bâtiments publics, des groupes financiers et des résidences destinées aux magistrats", constate le correspondant sur place de la radio britannique.
Il faudrait peut-être faire quelque chose, en effet. Surtout que le pays, longtemps vu comme l'une des économies les plus dynamiques du continent, a plongé dans une terrible crise à partir de 2022, dont il n'est toujours pas remis. L'inflation affiche 23,8 % (toujours selon la BBC). Elle a même grimpé jusqu'à 40 % en octobre et 50 % en novembre 2022. Le FMI vient de prêter 3 milliards de dollars à la nation anglophone. La promesse phare du Président bâtisseur (promesse qui avait peut-être plus fait pour son élection qu'une intervention divine, mais ça n'est que mon hypothèse), à savoir permettre à son pays de se passer totalement d'aide internationale, a finalement débouché sur l'effet inverse, en particulier en raison de sa faible capacité à lever et collecter des impôts.
Pour l'instant, le chantier de la cathédrale est interrompu sine die. Sans attendre les résultats de l'enquête, le gouvernement a déjà annoncé être prêt à tout changer : l'enveloppe budgétaire, la taille du bâtiment et même sa localisation.
Le Seigneur ne S'est pas exprimé sur ces fâcheux retournements de situation. Ou alors, si l'on se fie à Ses interprètes ici-bas, Il a Lui aussi Ses petites contradictions. D'un côté, l'ex-Président affirmait L'avoir avec lui quand, début 2023, au cœur de la crise, il renouvelait son engagement —en faisant un don personnel, royal, de 8 000 dollars parce que"la cathédrale nationale est un acte de gratitude envers le Tout-Puissant pour Ses bénédictions, Sa faveur, Sa grâce et Sa miséricorde envers notre nation".
Mais de l'autre, les religieux présents au conseil d'administration de l'édifice ont démissionné les uns après les autres. Deux d'entre eux, l'archevêque Nicholas Duncan-Williams et le révérend (mégalomane) Joseph Eastwood Anaba, expliquaient ainsi leur geste, dans une lettre ouverte il y a un peu plus d'un an :
"En dépit de nos prières, de nos sincères espoirs et de nos souhaits, aucun audit n'a à ce jour été commandé pour restaurer la confiance du public dans ce projet conséquent. Nous le déplorons. Par conséquent, nous avons le regret de vous soumettre notre démission […] C'est une question de conscience et de foi."
Le site internet de la cathédrale est, lui, toujours en ligne. Avec toutes ses promesses (un auditorium permanent de 5 000 places pouvant tripler sa capacité d'accueil, plusieurs chapelles dont une baptismale, un centre de conférence, un restaurant, une salle de bal [sic], une aire dédiée aux chœurs et à la musique, une crypte nationale et un musée religieux, le tout enclos dans un parc ou, plus exactement, dans des "jardins bibliques" de 3,5 hectares).
Mais surtout —bonne nouvelle si vous allez à l'église plus pour la quête que pour la communion— avec une page d'accueil entièrement dédiée à faciliter les donations.
Après tout, "vos dons nous aident à montrer l'importance des Africains dans la Bible. Ils participent à honorer Dieu et à créer un monument à la liberté religieuse, qui est aussi une infrastructure iconique pour la cohésion nationale".
La somme suggérée est de 250 $, renouvelables mensuellement.
Une chronique initialement parue dans l’édition du 1er février.
Argentine : non, tu ne chanteras pas
Nous sommes toujours à quelques pas seulement de l'enfer. De l'horreur. Du cauchemar. Tenez, Roni Bandini par exemple.
C'est un écrivain argentin (qui se définit sur son Instagram d'abord comme un "maker contre-culturel" —un "maker", c'est un type doué pour le bricolage et l'impression 3D, capable de réparer ou de créer les objets indispensables à nos sociétés présentes et futures). Hélas, son voisin d'immeuble a une toute autre passion dans la vie : le reggaeton. Un genre musical qui, "né à Porto Rico, s'est ensuite diffusé dans toute la région", nous explique le Latin America Post. "Il mélange les rythmes latins, le hip hop et le son des Caraïbes pour toucher des millions de fans. Mais son immense succès a vite saturé le marché, divisant le public".
Toquer chez le voisin pour lui demander de baisser un peu le son est, hélas pour Roni mais heureusement pour nous, une tâche au-delà des capacités sociales de ce grand timide. Il lui a fallu trouver une autre solution. Il explique :
"J'ai un voisin qui passe cette musique enthousiaste et syncopée toute la journée, avec une grosse enceinte Bluetooth accrochée au mur […] Étant donné mes faibles aptitudes sociales, j'ai pensé à fabriquer une machine qui, grâce à l'intelligence artificielle, pourrait reconnaître quand on diffuse du reggaeton, et s'attaquer à l'enceinte grâce au Bluetooth."
Aussitôt dit, aussitôt fait. Ainsi naquit le Reggaeton Be Gone, qui fait exactement ce qui était prévu : il détecte le reggeaton, grâce à son intelligence artificielle, et envoie des signaux à l'appareil Bluetooth qui le diffuse pour l'éteindre ou, à défaut, le submerger de bruits parasites et de grésillements, afin de pousser son propriétaire à couper le son de lui-même.
Bandini a programmé méticuleusement sa machine pour qu'elle puisse identifier des centaines de chansons de reggaeton en analysant leur schéma sonore. "Il surveille les musiques diffusées et les compare à un modèle reposant sur l'intelligence artificielle pour déterminer si elle appartient à ce genre".
[…]
Mais il reconnaît que le Reggaeton Be Gone n'est pas parfait. Durant ses tests, les interférences produites ont été suffisantes pour pousser son voisin à changer son enceinte de place, ce qui indique le potentiel de l'engin, mais aussi ses limites.
Il y a encore du progrès à faire pour venir à bout du reggaeton, mais la révolution est en marche. Roni a attiré l'attention de pas mal de clients. Puisque le monde se divise en deux catégories —ceux qui aiment le reggeaton, et les autres— et qu'en Amérique du Sud, à en croire le Latin American Post, ce genre musical est omniprésent au point de l'écœurement, quelques fans lui ont même demandé de passer à un stade de production industrielle.
Mais pour Roni Bandini, ce n'est pas l'esprit. "Je pense qu'il y a un réelle opportunité commerciale pour fabriquer cet appareil et le vendre en gros mais, comme disait Bartelby, "je préférerais ne pas"".
En revanche, il explique volontiers comment faire, notamment lors d'ateliers publics. À l'en croire, ça n'est pas compliqué mais, surtout, pas cher. Réduire les composants au minimum et identifier les plus abordables possibles fait entièrement partie du projet. Tous les héros ne portent pas de capes.
Certains se contentent d'une télécommande.
Une chronique initialement parue dans l’édition du 25 janvier.
France : les grands et petits voyages de Corinne Vionnet
Imaginez. Vous visitez la Tour de Pise. Vous êtes en bas, vous la voyez, toute penchée, là, et puis au bout d'un moment vous rentrez à l'hôtel. Et vous n'avez pas pris de photo. Vous n'avez pas pris la photo, celle de la tour penchée qui penche.
Corinne Vionnet n'est pas une héroïne : elle a pris la photo. Mais elle est artiste, et elle a aussi réfléchi, puis créé. C'est ce qu'elle explique à la RTBF : "Je me suis demandée pourquoi on a besoin de faire ces images. Pourquoi ces images se ressemblent ? Et pourquoi on tente de faire une image que tout le monde connaît ? Puis de les partager sur les réseaux ?".
Pour percer le mystère, elle le reproduit, encore et encore. Elle fait le tour des réseaux sociaux, en quête de ces photos prises, et prises, et prises, prises des milliers de fois. L'Arc de Triomphe au soleil. L'entrée du Taj Mahal. Le Mont Fuji. Ou (comme sur l'image d'illustration) la Pointe de Pen-Hir, sur la presqu'île de Crozon en Bretagne. Fascinée par leurs similitudes autant que par leurs subtiles différences, elle agrège, superpose ces reproductions infinies de lieux uniques. Et réalise bientôt que cela donne à ces images un caractère autre, plus proche de la peinture impressionniste, voire de la tapisserie, que du cliché numérique.
C'est cet aspect presque pointilliste de son œuvre qui a donné envie au musée de Pont-Aven, fondé pour célébrer l'école du même nom (incarnée par Paul Gauguin, Émile Bernard ou Paul Sérusier), de lui dédier sa première exposition d'art contemporain.
Entre visions claires et pourtant démultipliées des paysages et architectures les plus célèbres du monde, on trouve aussi une série consacrée à photographier les photographes. "On fait des photos sans même le voir, ça fait une sorte de masque ou de barrière entre le lieu et nous. On n’interagit plus avec le lieu mais avec une image du lieu", commente Vionnet. Mais aussi, plus perturbant :
Née d’un "sentiment d’usure du regard", une série de photos géantes baptisée "Total Palm Tree" reproduit la même image de palmier, scannée puis photographiée à de multiples reprises, jusqu’à ce qu’il ne reste de l’image qu’un tronc calciné, comme en écho à l’incendie des forêts californiennes.
La société du spectacle brûle. Regardons ailleurs.
RTBF - Infos et réservations sur le site du Musée de Pont-Aven.
Une chronique initialement parue dans l’édition du 15 février.
Japon : l’appétit vient en mangeant
Il y a une mauvaise nouvelle dans cette bonne nouvelle, mais c'est une bonne nouvelle : il y a désormais plus de 10 000 cafétérias pour enfants au Japon.
Le concept a un peu plus de dix ans. Il est né de l'arrivée de données économiques pas jouasses pour l'archipel, quand le gouvernement a communiqué qu'en 2012, le nombre d'enfants en-dessous du seuil de pauvreté avait dépassé les 16 %. Ce chiffre, le plus mauvais qu'ait eu à connaître le pays depuis qu'on comptabilise cette triste donnée, inspire pourtant une association caritative (le Toshima Children’s Wakuwaku Network), qui opérait déjà des garderies de plein-air (les "Plays Parks") et assurait des cours particuliers communautaires. Elle ouvre alors la première "kodomo shokudo", une cafétéria pour enfants où ces derniers peuvent manger gratuitement grâce aux dons d'entreprises et de particuliers.
La première ou presque : une précurseuse, Hiroko Kondo, maraîchère dans le civil, avait inauguré un système similaire l'été précédent. Dès le début, elle avait d'ailleurs remarqué ce que les futurs établissements de réseaux allaient aussi constater : qu'il y a là un moyen non seulement de remplir les ventres vides, mais aussi de renforcer le lien social.
En 2016, la porte-parole du réseau Wakuwaku le racontait ainsi :
"Nos parcs de jeux nous avaient déjà montré que certains enfants ont des problèmes et que ceux-ci sont d'origines diverses. Certains ne vont pas à l'école et n'ont nulle part où aller, en dehors du foyer. Certains sont harcelés et n'ont pas d'amis avec qui jouer. Certains sont élevés par un parent célibataire qui rentre tard à la maison, alors ils doivent manger seuls et finissent par acheter eux-mêmes leur dîner, dans une épicerie ou un supermarché. C'est pour ces enfants-là que l'on cuisine, c'est avec ces enfants-là que l'on mange. Nous voulions utiliser la nourriture comme un moyen, pour eux, de connaître la chaleur d'un environnement familial et joyeux".
Le concept s'est rapidement dupliqué et a poussé un peu partout. Jusqu'à, donc, dépasser les 10 000 récemment. C'est plus que le nombre d'écoles maternelles publiques (environ 9 200), relève le quotidien japonais Mainichi. Un succès que le journal attribue en partie aux efforts politiques pour en faciliter la création :
Auparavant, afin d'ouvrir une cafétéria pour enfants, il était nécessaire d'obtenir une permission du centre de santé publique local, puisqu'il s'agissait de vendre de la nourriture. Les réglementations imposées pour une adresse dédiée à la restauration concernaient aussi bien le nombre d'éviers que le système de ventilation, entre autres choses. Mais en mars 2022, ces exigences ont été assouplies.
Autre cause de ce succès inattendu : les "shokudo" se sont rapidement avérées adaptées à répondre à l'une des autres plaies du pays, la solitude. Des personnes âgées en premier lieu, mais pas seulement. Chaque cafétéria a inventé ses propres règles, en fonction de sa localisation et de ses moyens, mais il est courant que celles-ci servent aussi les adultes (parfois pour un prix symbolique) et accueille les seniors pour papoter. Ces derniers peuvent aussi aider, que ce soit à la cuisine, pour veiller sur les enfants ou pour les devoirs. Des étudiants passent également donner un coup de main et, au final, les parents y trouvent aussi un peu d'apaisement. En 2018, quand le nombre de ces établissements intergénérationnels et communautaires dépassait les 2 000 sur tout le territoire, le Mainichi racontait déjà :
Michiko Yamamoto, 70 ans, membre du conseil d'administration de l'organisation à but non lucratif [Wakuwaku, toujours], explique : "nous aimerions que la cafétéria devienne aussi un endroit où celles et ceux épuisés par la tâche d'élever un enfant, par le travail, puissent se sentir bien".
Les kodomo shokudo font maintenant partie du paysage. Le Japan Times relève, en se fondant sur une étude publiée par la chaîne Musubie que, avec 1 737 ouvertures sur la seule année dernière, la couverture nationale atteint les 34,7 % : un district scolaire sur trois en accueille une. Dans la préfecture d'Okinawa, ce taux est de 62 %. Là-bas, rappelle le Asahi Shimbun, "une étude de 2015 révélait que le taux de pauvreté dans la préfecture était de 29,9 %, à peu près le double de la moyenne nationale". Les autorités de la province avaient alors débloqué un fonds de 3 milliards de yens (environ 20 millions d'euros) pour soutenir les programmes de repas pour enfants. Au niveau national, le ministère de l'agriculture distribue, quant à lui, des réserves de riz gouvernementales depuis 2020, "et les Ministères des Affaires Sociales, tout comme l'Agence des Enfants et des Familles, apportent aussi leurs contributions".
Ne reste qu'un problème : ce genre d'organismes caritatifs, là-bas comme ici, reste toujours sur la brèche financièrement. Et l'inflation menace. 88,5 % des établissements (sur un échantillon d'un bon millier) disaient, l'été dernier, en sentir les effets. Une part non négligeable —près de 13 %— regrettait même d'avoir dû diminuer les portions ou les couverts. "Ces initiatives", explique le Japan Times, "reposent souvent sur le bénévolat et agissent sur une base limitée, par exemple en tenant des événements mensuels. Malgré ces contraintes, les kodomo shokudo reçoivent, selon les estimations, 18,85 millions de visiteurs annuels dont 12,99 millions d'enfants. En 2023, un sondage de la préfecture d'Osaka révélait que 11,6 % des élèves de cours moyen y avaient eu recours".
Les affaires continuent, malgré tout. Les fonds publics arrivent encore et les acteurs privés contribuent toujours, par les dons ou par l'ouverture de leurs propres structures, comme celles qui ont trouvé place dans les supermarchés de la chaîne Family Mart et où "après manger, les enfants peuvent aussi participer à des expériences professionnelles, comme tenir une caisse ou placer des produits en rayons [sic]". Il y en a qui ne perdent pas le nord.
Et il y en a, comme Kazuo Yamada, 76 ans et tenancier depuis 2013 à Tokyo d'une de ces cantines, qui n'oublient pas, au détour d'un reportage, de nous rappeler l'essentiel :
"Je fais toujours les choses à 70 %, plutôt qu’à 100", dit-il avec un petit rire. "Je pense que c'est ce qui m'a permis de tenir aussi longtemps. C'est important d'aimer ce que l'on fait, et de ne pas prendre les choses au sérieux."
Amen, et mangez en paix.
Une chronique initialement parue dans l’édition du 8 février.
États-Unis : touche pas au grizzli
Fini de terroriser les braves gens ! Ça nous aura pris quelques millénaires mais, enfin, l'humain sait maintenant vous faire comprendre que non, franchement, nos poubelles ne sont pas votre fast-food.
Notre bienfaiteur a un nom : Wesley Sarmento, chercheur au Département de la Pêche, de la Vie Sauvage et des Parcs du Montana. Chercheur dévoué, ajouterais-je : il a passé les six dernières années de sa vie à tester les meilleures méthodes pour tenir les grizzlis éloignés des populations humaines. Pour mémoire, ces derniers sont des ours bruns qui dépassent les 60 km/h à la course et le mètre trente au garrot : ils sont mignons mais terrifiants.
Trêve de suspense : la solution miracle, c'est le drone. En examinant plus de 160 escapades de grizzlis sur des terrains accaparés par l'humain, Sarmento a pu tester l'efficacité des diverses méthodes connues (soit, outre le drone, "les chiens, les projectiles et les poursuites en véhicule"). Il relaye ses découvertes dans le magazine scientifique Frontiers in Conservation.
On apprend ainsi que les chiens ont 57 % de succès pour faire fuir les grizzlis alors que les drones, c'est 91 %. C'est plus. Pas significativement plus, note cependant Sarmento, que les poursuites en voiture (85 %) ou les projectiles (74 %). Mais le drone reste supérieur parce que bien moins dangereux (je ne sais pas si vous avez déjà essayé de poursuivre en pick-up un grizzli du Montana pour l'effrayer mais, si ça vous tente, ce sera sans moi), tout en coûtant bien moins cher à l'entretien que les chiens, par exemple. Enfin bref, le drone, c'est que du bon. Même s'il faudra tout de même vérifier sur le long-terme car, remarque encore notre vénérable protecteur des parcs, poubelles et forêts, le grizzli apprend et, jusqu'à présent, chaque méthode utilisée pour le faire fuir décroît en efficacité avec le temps.
En tout cas, Sarmento est fan :
"Avec les drones, je peux poursuivre les grizzlis à travers les canaux, les champs boueux, les terrains ensemencés, et autres clôtures qui auraient autrement pénalisé mes efforts. De plus, ils sont incroyablement utiles pour repérer les ours en amont, bien que je n'aie pas collecté de données sur cette faculté particulière. Comme ils volent haut dans le ciel, ils permettent de localiser rapidement les spécimens dans la zone, particulièrement en utilisant des caméras thermiques par temps froid. À plusieurs reprises, j'ai même pu en trouver cachés dans des broussailles, alors qu'ils auraient sinon échappé à ma vigilance".
Plus bas, il s'extasie sur leur maniabilité "qui me permet de guider un individu exactement là où je veux qu'il aille" et "leur vitesse et dextérité, grâce auxquelles je peux modifier les chemins de fuite empruntés par l'ours, pour faire en sorte qu'il passe par le plus sûr possible". Seul inconvénient : s'il vente à plus de 40 kilomètre par heure, l'engin doit rester cloué au sol.
Mais, bonus supplémentaire rappelé par Petapixel : "ils peuvent également être équipés de hauts-parleurs capables de diffuser la voix humaine, ou des bruits puissants, comme des airs de heavy metal, pour renforcer leur capacité à effrayer".
J'ai quelques idées de chansons en tête qui devraient vraiment pas donner envie aux grizzlis de revenir se frotter à mon champ mais je vais encore me faire engueuler, si je dis du mal de Michel Sardou.
Une chronique initialement parue dans l’édition du 1er février.
Inde : voyants au vert pour le plus grand pèlerinage du monde

Un de mes cauchemars serait de travailler dans l'événementiel. Organiser un anniversaire, c'est déjà trop de stress pour moi. Y aura-t-il assez à manger, à boire ? Et si les gens ne s'entendent pas ? N'ont rien à se dire ? Et s'ils n'aiment pas la musique ? Et s'il n'y a plus d'Internet ? Et si tout le monde chope le Covid ? Vous-même, vous avez sans doute déjà pu expérimenter les capacités du cerveau humain quand il s'agit d'appréhender les catastrophes à venir (y compris quand on sait parfaitement qu'il s'en produit toujours, mais jamais celles qu'on craignait).
C’est pourquoi je n'ose même pas imaginer la tempête synaptique endurée par Vivek Chativardi, "magistrat de district" dans la province indienne de l'Uttar Pradesh, en prévision du Kumbh Mela dont il a été nommé porte-parole.
En temps normal, le Kumbh Mela —"le rassemblement de la jarre" en français— a lieu tous les trois ans. Passons rapidement sur la jarre en question (elle contient le nectar de l'immortalité dans la tradition hindoue) pour signaler que le rituel auquel enjoint le rassemblement, et qui consiste à se baigner dans les eaux du Gange, est calé sur le calendrier lunaire.
Il y a donc divers Kumbh Mela, en fonction de la position des astres. Tous les 3 ans, tous les 6 ans, tous les 12 ans, ce sont des Kumbh Mela toujours plus importants et plus grands. Et donc, tous les 144 ans, quand la Lune, Jupiter et le Soleil s'alignent, alors là c'est le Maha Kumbh Mela, le grand truc, le plus grand pèlerinage du monde, dans le pays le plus peuplé du globe.
C'est quoi, un grand pèlerinage ? Au Maha Kumbh Mela 2025, qui a commencé la semaine dernière et se clôturera fin février, ce ne sont pas 400, ce ne sont pas 4 000, ce ne sont pas 40 000… Bon, OK, j'arrête là : ce sont 400 millions de pèlerins qui sont attendus sur le site sacré du Praygraj, là où se rencontrent les cours d'eau mythiques (Gange, Yamuna et Saraswati). C'est-à-dire à l'endroit où les fidèles doivent se baigner pour leur rite de purification. À comparer aux quelques deux millions qui se rendent chaque année à La Mecque pour le Haji, ça fait beaucoup.
Or un pèlerinage, ce n'est pas comme un festival de rock : les gens viendront quoi qu'il arrive, quelle que soit la météo, quel que soit votre niveau de préparation. Mais tout est prêt, veut croire donc Vivek Chativardi, le visage des autorités pour l'organisation du Maha Kumbh Mela 2025.

Comment on se prépare à un truc pareil ?
La BBC a fait le point : "Nous avons installé 650 kilomètres de routes temporaires et édifié des dizaines de milliers de tentes et de toilettes", leur a expliqué Vivek "en déplorant que cette année, les eaux de la mousson aient mis plus de temps que d'habitude pour se retirer et aient contraint à retarder le début des travaux." Chativerdi assure encore que 100 000 personnes travaillent à plein-temps (et même plus), dont 40 000 agents de sécurité "pour que ce soit un succès."
Au total, selon le média britannique, ce sont 160 000 tentes, 15 000 ouvriers sanitaires, 99 parkings (pouvant accueillir plus de 500 000 véhicules), 30 ponts flottants, 67 000 lampadaires, 150 000 toilettes, 5 000 poubelles, 200 fontaines et 85 bassins d'eau potable qui ont poussé sur la terre sacrée.
Le Guardian évoque un coût total de 70 milliards de roupies (presque 800 millions d'euros, mais la région pense récupérer largement plus de 10 fois sa mise). Il nous apprend aussi comment la technologie va contribuer à la fête :
L'application mobile Kumbh Mela aidera les fidèles à naviguer au sein d'un labyrinthe de 40 kilomètres carrés fait de temples, de lieux de baignade, de stands de nourriture, de tentes médicales et de guichets de renseignements. Un chatbot reposant sur l'intelligence artificielle pourra aussi répondre aux questions du public, qu'elles soient logistiques ou spirituelles, en 11 langues, via WhatsApp.
Pour résoudre le problème constant de pèlerins qui se trouvent séparés voire perdus, chaque personne sera dotée d'un bracelet à ondes radio permettant de la localiser. Des milliers de drones, aériens et sous-marins, seront déployés pour assurer la sécurité et surveiller les mouvements de la foule. 2 000 autres donneront un spectacle lumineux dans les cieux, pour conter les récits de la mythologie hindoue.
Si de telles promesses ne vous ont pas convaincu —ou convaincue— de tout plaquer pour participer à cette cérémonie planétaire et millénaire, sachez que vous pouvez malgré tout la suivre en direct grâce au Live que lui consacre l'Hindustan Times, ici.
Au moment de rédiger ces lignes, par exemple, c'est la venue d'un moine surnommé "Golden Baba" —un businessman entré en religion et célèbre pour ses nombreux ornements dorés— qui faisait les gros titres, en raison des 6 kilos de bijoux et pierres précieuses dont il s'était couvert. "Ils sont dédiés à diverses divinités", a expliqué celui qui a rejeté son ancienne identité pour devenir Mahamandaleshwar Narayanand Giri Maharaj de Niranjani Akhada.
Une chronique initialement parue dans l’édition du 18 janvier.
Scandinavie : ça fait clic
"Ça a fait clic, comme une boucle de ceinture", résume Kaya Wilkins. Comparaison étrange (et, d'après mes recherches, même pas idiomatique de son pays) mais elle a bien le droit, après tout.
Elle décrit ainsi sa rencontre, arrangée par un ami commun, avec Baba Stiltz, un compositeur de musique électronique norvégien. Comme, pour sa part, elle vient de Suède et, sous le pseudonyme Okay Kaya, chante et écrit ses textes, le rendez-vous n'était pas amoureux, mais artistique. Il a eu lieu dans un pub de Stockholm. Et clairement, ça a cliqué, comme un bracelet électronique sur la cheville d'un ancien Président.
Ça a fait clic, et do-ré-mi-fa-sol, et Blurb (qu'on pourrait traduire par "mot d'intro", "descriptif" ou encore "notice publicitaire"). Ainsi les deux musiciens ont-ils choisi de titrer leur album à paraître fin janvier. Ça a fait, aussi, "I Believe in Love", du nom du morceau là-haut, paru sur la chaîne YouTube de Baba, et encore "Let me Know", pour celui sorti sur celle de Okay Kaya.
Autre point commun : tous deux ont, aussi vite que possible, quitté leurs terres. Lui pour la Californie, où il vit toujours. Elle pour New York. Décidément, la rencontre n'était pas gagnée d'avance. Raison de plus pour se réjouir de son fruit, une pop délicate, éthérée et sensible qui —c'est curieux la vie, des fois— réchauffe le cœur. On doit cet aspect précieux à la magie d'un producteur… ou plutôt, pour une fois, à son absence, selon le Guardian :
Ils se sont revus rapidement, à Londres cette fois. C'est là qu'ensemble ils ont écrit toutes les chansons de Blurb. Puis ils sont allés à Stockholm où un ami de Stiltz, Daniel Fageström (des Viagra Boys) devait produire leur EP. "Mais Daniel a alors réalisé qu'il était censé partir au ski avec sa famille", dit Stiltz.
Il a donc pris la poudre d'escampette, mais pas sans avoir installé tout le matériel d'enregistrement. Un vrai miracle, inattendu. "Sans producteur par-dessus notre épaule", ajoute Stiltz, "on ne se prenait pas la tête. L'immédiateté et l'intimité du moment ont pris le dessus".
Et cette intimité est un des éléments clés qui font le charme de cet EP. Comme si on écoutait à la porte, tandis que Wilkins et Stiltz travaillent leurs harmonies, s'échangent les parties chantées et de guitare, tels une Nancy Sinatra et un Lee Hazlewood en version bobo. "Kaya est une personne très adulte. Elle a déjà vécu sa Bataille avec l'Ego. Moi par contre, je suis en plein dedans", grimace Stiltz. "Elle offre une forme de compréhension spirituelle, verbale aussi. Moi, j'apporte ma perspective pleine d'amertume".
Une chronique initialement parue dans l’édition du 18 janvier.
Allô, t’es là ?
C'est grand, une galaxie ? Ça dépend. La nôtre s'étend sur environ 50 000 années-lumières. C'est grand. Mais Inkathazo, elle, crache des jets de plasma qui à eux seuls mesurent 3,3 millions d'années-lumières. C'est très grand.
Inkhatazo signifie "trouble" en langues xhosa et zoulou. Elle a en effet été repérée en Afrique du Sud, et elle est en effet assez troublante.
Elle appartient à la famille des galaxies radio géantes. "Des structures cosmiques massives", explique Techno-Science, "propulsant des jets de plasma à travers l'espace intergalactique. Ces jets, visibles aux fréquences radio, sont alimentés par des trous noirs supermassifs situés au cœur des galaxies". Mais voilà : "La découverte d'Inkathazo remet en question les modèles existants sur la formation et l'évolution de ces géantes cosmiques".
Ah bon et pourquoi cela, me direz-vous ? Parce qu'elle se trouve au beau milieu d'un amas de galaxies. Selon nos théories, cela devrait limiter la croissance des jets de plasma (c'est eux qui le disent, hein, mes connaissances en matière d'interactions entre amas de galaxie, jets de plasma et trous noirs supermassifs demeurent assez limitées, même si j'ai vu Interstellar deux fois).
"Cette découverte offre une occasion unique d'étudier en détail la physique [des galaxies radio géantes]. Les résultats suggèrent que les modèles actuels ne capturent pas toute la complexité des processus physiques en jeu dans ces galaxies extrêmes", poursuit le magazine scientifique qui, heureusement, nous gratifie d'un schéma qui rendra tout de suite les choses plus claires —pour les deux du fond qui n'ont pas suivi :

Ça laisse songeur, je sais… Cela dit, si je vous parle de tout cela, ce n'est pas simplement parce que l'existence d'une supergalaxie qui émet des jets de plasma 66 fois plus grands que notre propre galaxie suffit en soi à me faire rêver.
C'est aussi parce que cette grosse découverte a été faite par un télescope qui à lui seul vaut le détour. Composé de 64 radiotélescopes (des antennes paraboliques de 13,5 mètres de diamètre), situé dans le parc national du Meerkat en Afrique du Sud, il n'est qu'un précurseur du Square Kilometre Array (SKA). Cet ensemble sera au final composé de milliers d'antennes, réparties entre le pays d'Afrique et l'Australie. Il unit déjà 14 pays, dont la France (via le CNRS), et devrait être achevé en 2030.
Ses initiales, SKA, rappelleront à point nommé que la recherche et les trouvailles, c'est aussi bon que les rythmes syncopés, dans la vie.
Une chronique initialement parue dans l’édition du 8 février.
C’est tout pour aujourd’hui, mais sûrement pas pour ce mois.
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