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L'Édition du 18 janvier 2025

Aujourd'hui on danse, on se baigne et on emménage

janv. 18, 2025
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Chère lectrice, cher lecteur,

permettez-moi de vous souhaiter un très bon week-end en compagnie, cette semaine, d’une vieille pas cool, d’un taxi pas normal, de visas à foison, de machines à écrire, de Baba et Kaya, d’une pièce à vivre et d’un (très) grand bain.

NB : si le mail apparaît tronqué par votre boîte, vous pouvez le “Lire dans le navigateur” en cliquant sur le lien haut à droite.

La trempette de la semaine

Plus on est de fous

Un Hindou prie lors d'un Kumbh Mela
Un Hindou pas Indien mais bien dévot s'apprête à plonger dans le Gange lors du Kumbh Mela 2019. CC Purva Goel via Wikimedia Commons

Un de mes cauchemars serait de travailler dans l'événementiel. Organiser un anniversaire, c'est déjà trop de stress pour moi. Y aura-t-il assez à manger, à boire ? Et si les gens ne s'entendent pas ? N'ont rien à se dire ? Et s'ils n'aiment pas la musique ? Et s'il n'y a plus d'Internet ? Et si tout le monde chope le Covid ? Vous-même, vous avez sans doute déjà pu expérimenter les capacités du cerveau humain quand il s'agit d'appréhender les catastrophes à venir (y compris quand on sait parfaitement qu'il s'en produit toujours, mais jamais celles qu'on craignait).

C’est pourquoi je n'ose même pas imaginer la tempête synaptique endurée par Vivek Chativardi, "magistrat de district" dans la province indienne de l'Uttar Pradesh, en prévision du Kumbh Mela dont il a été nommé porte-parole.

En temps normal, le Kumbh Mela —"le rassemblement de la jarre" en français— a lieu tous les trois ans. Passons rapidement sur la jarre en question (elle contient le nectar de l'immortalité dans la tradition hindoue) pour signaler que le rituel auquel enjoint le rassemblement, et qui consiste à se baigner dans les eaux du Gange, est calé sur le calendrier lunaire.

Il y a donc divers Kumbh Mela, en fonction de la position des astres. Tous les 3 ans, tous les 6 ans, tous les 12 ans, ce sont des Kumbh Mela toujours plus importants et plus grands. Et donc, tous les 144 ans, quand la Lune, Jupiter et le Soleil s'alignent, alors là c'est le Maha Kumbh Mela, le grand truc, le plus grand pèlerinage du monde, dans le pays le plus peuplé du globe.

C'est quoi, un grand pèlerinage ? Au Maha Kumbh Mela 2025, qui a commencé la semaine dernière et se clôturera fin février, ce ne sont pas 400, ce ne sont pas 4 000, ce ne sont pas 40 000… Bon, OK, j'arrête là : ce sont 400 millions de pèlerins qui sont attendus sur le site sacré du Praygraj, là où se rencontrent les cours d'eau mythiques (Gange, Yamuna et Saraswati). C'est-à-dire à l'endroit où les fidèles doivent se baigner pour leur rite de purification. À comparer aux quelques deux millions qui se rendent chaque année à La Mecque pour le Haji, ça fait beaucoup.

Or un pèlerinage, ce n'est pas comme un festival de rock : les gens viendront quoi qu'il arrive, quelle que soit la météo, quel que soit votre niveau de préparation. Mais tout est prêt, veut croire donc Vivek Chativardi, le visage des autorités pour l'organisation du Maha Kumbh Mela 2025.

Vivek Chativardi lors d'une interview
C'est lui, en interview à l'agence de presse asiatique ANI, lorsqu'il confirmait fin décembre que les 6 000 bus réservés aux pèlerins étaient en état de marche. © ANI.

Comment on se prépare à un truc pareil ?

La BBC a fait le point : "Nous avons installé 650 kilomètres de routes temporaires et édifié des dizaines de milliers de tentes et de toilettes", leur a expliqué Vivek "en déplorant que cette année, les eaux de la mousson aient mis plus de temps que d'habitude pour se retirer et aient contraint à retarder le début des travaux." Chativerdi assure encore que 100 000 personnes travaillent à plein-temps (et même plus), dont 40 000 agents de sécurité "pour que ce soit un succès."

Au total, selon le média britannique, ce sont 160 000 tentes, 15 000 ouvriers sanitaires, 99 parkings (pouvant accueillir plus de 500 000 véhicules), 30 ponts flottants, 67 000 lampadaires, 150 000 toilettes, 5 000 poubelles, 200 fontaines et 85 bassins d'eau potable qui ont poussé sur la terre sacrée.

Le Guardian évoque un coût total de 70 milliards de roupies (presque 800 millions d'euros, mais la région pense récupérer largement plus de 10 fois sa mise). Il nous apprend aussi comment la technologie va contribuer à la fête :

L'application mobile Kumbh Mela aidera les fidèles à naviguer au sein d'un labyrinthe de 40 kilomètres carrés fait de temples, de lieux de baignade, de stands de nourriture, de tentes médicales et de guichets de renseignements. Un chatbot reposant sur l'intelligence artificielle pourra aussi répondre aux questions du public, qu'elles soient logistiques ou spirituelles, en 11 langues, via WhatsApp.

Pour résoudre le problème constant de pèlerins qui se trouvent séparés voire perdus, chaque personne sera dotée d'un bracelet à ondes radio permettant de la localiser. Des milliers de drones, aériens et sous-marins, seront déployés pour assurer la sécurité et surveiller les mouvements de la foule. 2 000 autres donneront un spectacle lumineux dans les cieux, pour conter les récits de la mythologie hindoue.

Si de telles promesses ne vous ont pas convaincu —ou convaincue— de tout plaquer pour participer à cette cérémonie planétaire et millénaire, sachez que vous pouvez malgré tout la suivre en direct grâce au Live que lui consacre l'Hindustan Times, ici.

Au moment de rédiger ces lignes, par exemple, c'est la venue d'un moine surnommé "Golden Baba" —un businessman entré en religion et célèbre pour ses nombreux ornements dorés— qui faisait les gros titres, en raison des 6 kilos de bijoux et pierres précieuses dont il s'était couvert. "Ils sont dédiés à diverses divinités", a expliqué celui qui a rejeté son ancienne identité pour devenir Mahamandaleshwar Narayanand Giri Maharaj de Niranjani Akhada.

BBC

Votre horoscope tribal

Le signe de la semaine : Tyran

Sheikh Hasina lors du G20 de 2023
Sheikh Hasina arrive à New Delhi lors du G20 de 2023. CC Ministry of Railways (GODL-India), via Wikimedia Commons.

L'histoire ne dit pas si Sheikh Hasina a eu le temps d'appeler Bachar el-Assad pour lui emprunter une doudoune qui tienne chaud dans l'hélicoptère, mais elle en aurait été bien avisée. C'est que même en été, il fait froid à 5 000 pieds.

En effet, Sheikh Hasina, l'ancienne dirigeante du Bangladesh, a elle aussi fui son pays un peu précipitamment. Elle ne s'est pas réfugiée en Russie, mais en Inde. En août 2024, alors que la police échouait à contenir les manifestations contre sa dérive dictatoriale, elle a présenté vite fait sa démission puis s'est envolée à bord d'un appareil militaire, juste avant la mise à sac de son palais par les révolutionnaires. Depuis, le pays est dirigé par le gouvernement transitoire de Mohammed Yunus, le prix Nobel de la paix 2006 connu pour être l'inventeur du microcrédit.

Yunus assure travailler avec les partis politiques à une réforme électorale pensée pour construire une démocratie efficace et pérenne. En fonction du résultat des discussions, affirme-t-il, les prochaines élections pourraient avoir lieu au plus tôt en novembre prochain, voire début 2026. Bosse-t-il vraiment ou est-il déjà en train de renforcer sa mainmise sur le pouvoir, comme cela se termine souvent avec les transitions qui n'en finissent pas ? Ce serait sympa à lui de ne pas se transformer à son tour en dictateur, merci bien. Et sûrement meilleur pour sa tension : à 84 ans, on peut espérer qu'il aspire avant tout à siroter, sur sa terrasse, un bon thé aux sept couleurs (une spécialité du pays), plutôt qu'à torturer son prochain.

Mais l'âge n'apporte pas toujours la sagesse. Sheik Hasina avait bien 77 ans quand elle a été renversée pour une loi étouffante de trop, après 15 ans d'exercice continu du pouvoir (auquel on pourrait ajouter un premier mandat effectué bien plus tôt, entre 1996 et 2001).

À sa décharge, reconnaissons que ses premières leçons de sciences politiques étaient un peu loin de la bonhomie d'un Alain Duhamel. Elle est la fille du fondateur du pays, Sheikh Mujibur Rahman (dit Mujib) qui a dirigé le pays après sa sécession violente du Pakistan, à l'orée des années 1970. Les conséquences en furent tragiques pour la famille Sheikh : à l'âge de 28 ans, Hasina a perdu ses 3 frères, ses deux belles-sœurs, sa mère et son père Mujib, tous abattus—en même temps que leurs domestiques et le chef du renseignement militaire— dans l'enceinte même du domicile familial (dont elle était absente ce jour-là), lors d'un assassinat politique sordide doublé d'un putsch de généraux (ou plus exactement, de majors). Ça peut durcir le cœur, il faut l'admettre. Tout comme les années de prison qu'elle a ensuite endurées, après s'être opposée au pouvoir de la junte.

Dans les années 1990, après une série de manifestations de masse doublées d'une authentique grève générale, le régime tombe enfin. Hasina exerce un premier mandat de Première Ministre. Un mandat marqué par la modernisation du pays, qui n'a pas trop laissé de mauvais souvenirs. Son parti n'échoue d'ailleurs que d'un cheveu aux élections suivantes.

Elle retrouve le poste de Première Ministre en 2008, à la tête de la ligue Awami, un parti qui se revendique "démocratique, socialiste, laïque et nationaliste". Né du "Mujibisme", l'idéologie de papa, il s'est surtout avéré adaptable au fil des années, adoptant tour à tour des mesures de gauche, puis centristes, puis libérales et enfin, à partir des années 2010, autoritaires.

Vous savez ce que c'est, une dérive autoritaire. Au début ça se passe pas trop mal. On arrête les homosexuels d'abord, les blogueurs ensuite, après les journalistes, finalement les opposants et, en définitive, on se laisse un peu aller : on truque les élections, on réprime les manifestations à balles réelles, y compris face aux ouvriers du textile réclamant l'établissement d'un salaire minimum —ça s'appelle "la routine". On creuse la dette de 238 %, on danse sur le toit du monde entre deux crises de paranoïa, on renomme les bâtiments publics à son nom et puis, ah la la, c'est la loi de trop. En l'occurrence, le "projet des quotas", visant à réserver nombre de postes de fonctionnaires aux vétérans de la guerre d'indépendance (ceux-là même qui ont constitué, ça tombe bien, la ligue Awami). Comme ces emplois sont en principe garantis aux étudiants, ça énerve surtout ces derniers. Des centaines (plutôt des milliers selon certaines organisations humanitaires) sont purement exécutés lors des protestations. Ça énerve les familles, ça énerve tout le monde ; c'est là que ça craque et que, sans avoir eu le temps de dire tribunal militaire, on se retrouve à demander asile à Narendra Modi.

La voici maintenant sous le coup d'un deuxième mandat d'arrêt émis par son propre pays. Le premier l'accusait de crimes contre l'humanité, tout de même. Le second, qui vient de tomber, est le fruit d'une enquête du procureur général, Mohammed Tajul Islam. Détail amusant : il émane du "tribunal criminel international", une institution créée pour enquêter sur les crimes du régime militaire qu'avait renversé son père, Mujib, il y a soixante ans.

Le procureur Mohammed Tajul Islam. C'est moi ou il a un air de famille avec Manuel Valls ? Le côté sudation, sans doute. Ce qui tendrait à prouver que le courage et la morale ne sont pas des vertus génétiques. CC DelwarHossain, via Wikimedia Commons

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