Chère lectrice, cher lecteur,
permettez-moi de vous souhaiter un très bon week-end en compagnie, cette semaine, de bibliothèques publiques, de bugs, de Préhistoire, de la doyenne du jeu vidéo, des Évangiles, de rayons gamma et de bière.
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La céréale de la semaine
Grand gros grain d’orge
Depuis 12 000 ans, l'orge est utilisée par l'être humain pour se soûler la tête après le travail. Une activité ancestrale répertoriée dans toutes les régions du monde, que voici —air connu— mise en danger par le changement climatique et ses conséquences bien identifiées : saisons plus extrêmes, sécheresses plus longues, tempêtes plus fréquentes et plus brutales. Or l'orge est fragile. Elle est caractérisée par une fenêtre de floraison très courte. Trop tôt, elle gèle. Trop tard, la chaleur la fait mourir de soif.
Mais l'orge sait aussi s'adapter. Incroyablement vite et bien, même. C'est pourquoi on la trouve partout sur Terre. C'est pourquoi la consommation de bière est nettement plus répandue que celle du vin (ou du Perrier-menthe, même s'il avait bon goût). Le tout est d'identifier à temps les spécimens qui conviennent.
Heureusement, Dan Koenig, généticien à l'université de Riverside en Californie, a pu mettre la main sur "l'une des expériences biologiques les plus vieilles du monde", comme il l'écrit lui-même en introduction d'une récente étude parue dans Science (et vulgarisée avec rigueur par Futurity). Car en 1929 a été lancé le programme Barley Composite Cross II (BCCII). Le but était, à l'époque, d'identifier les variétés d'orge les plus susceptibles de s'épanouir en Californie : un État où il fait chaud, où il ne pleut pratiquement jamais et où il fait soif (surtout en 1929, histoire de fêter les scores enthousiasmants de la Bourse, puis d'oublier son krach dévastateur). Des milliers de variétés ont ainsi été mises en compétition dans la ville californienne de Davis, jusqu'à ce que s'imposent les plus durables d'entre elles, en dépit du climat sec et ensoleillé. Or le BCCII ne s'est jamais arrêté. Ses cultures sont toujours vivaces. Ce qui en fait un échantillon unique, une chance inouïe pour la recherche : "L'une des difficultés pour comprendre les adaptations génétiques, c'est que cela peut prendre des décennies, puisque l'on ne peut faire pousser qu'une génération par an", rappelle Koenig. Mais là, tout est à disposition. Il n'y a qu'à se baisser.
"L'équipe de Koenig a réalisé que les graines de cette expérience pouvaient être utilisées comme une machine à remonter le temps, afin d'observer le processus d'adaptation et d'identifier les gènes qui ont assuré leur survie", écrit Futurity. "Au fil des 58 saisons de croissance", rappelle de son côté le chercheur, "le champ a évolué de 15 000 pousses génétiquement distinctes à une seule lignée, qui domine à 60 %. Or les trois quarts de cette sélection se sont produits sans intervention humaine". Et qu'est-ce que ça donne ? "On a vraiment été surpris par la quantité de modifications qui se sont opérées sur une courte période évolutive", s'enthousiasme Koenig. "La sélection naturelle a complètement transformé la diversité génétique, dans tout le génome, en un temps comparable à une vie humaine".
Autre découverte : dans le cas de l'orge, plusieurs dizaines de gènes semblent impliquées, certains retardant la floraison, d'autres la précipitant. On connaît maintenant ceux que la plante peut réveiller et activer à loisir, en fonction de ses besoins et du contexte météorologique. Comme tout le vivant repose sur la sélection naturelle, les mêmes processus sont à l'œuvre pour le blé, le riz, le maïs : l'étude de Riverside n'aidera pas seulement à faire perdurer la bière, mais aussi ces réserves de protéines considérables et mondiales que sont toutes les autres céréales. Car tel était bien son but : permettre à l'humanité de continuer à manger. Le choix de l'orge ne témoigne pas d'un rapport coupable à l'alcool de l'université locale, mais bien de sa disponibilité par le biais du BCCII, (lui par contre pleinement dû à la passion des hommes d'affaire de l'époque pour l'alcoolisme et ses chiffres d'affaires vertigineux).
Quoique. "La capacité d'acclimatation de l'orge a servi de pierre angulaire au développement de la civilisation", remarque tout de même Koenig. "La comprendre est important, pas seulement pour continuer à produire des boissons alcoolisées, mais aussi pour notre faculté à développer les cultures de l'avenir, et les rendre plus adaptables à un monde qui change".
Et évidemment, pas un de ces grands esprits ne s'est demandé au passage comment modifier génétiquement la bibine pour éviter qu'elle vous emmène aux toilettes toutes les trente secondes. Il doit s'agir d'un complot remontant aux anciens Égyptiens. Mais Big Binouze n'est pas encore prêt à le révéler.
Votre horoscope tribal
Le signe de la semaine : Pauvre
J'ai un nouvel homme politique préféré ! Il s'appelle Ken Wood. C'est le maire de Birmingham en Angleterre. N'a-t-il pas l'air sympathique ?
La photographie vient de sa biographie sur le site officiel de la ville. C'est donc lui qui a choisi de se représenter ainsi plutôt que, par exemple, en visite dans un hôpital pour enfants malades.
Une image d'autant plus mauvais goût que Ken a pris son poste en mai dernier dans une ville —la deuxième du pays— en faillite. Littéralement : le conseil municipal de Birmingham a déclaré la banqueroute en septembre 2023.
Deux raisons à cela. D'abord, la mise en place d'un nouveau système informatique au printemps 2022. Celui-ci n'avait pas été mis à jour depuis quasiment 25 ans. Il était donc peut-être temps… Ou il aurait été temps, si celui-ci avait été au point. Ce qui n'était pas le cas, comme en témoignent les messages d'alerte adressés en leur temps par les développeurs à leurs responsables. Ces derniers ont malgré tout décidé d'ordonner sa mise en route. Résultat : une gestion des employés et employées défaillante, et une large paralysie des opérations financières.
La deuxième raison, je vous en préviens, c'est du bonheur à tous les étages.
C'est une série de procès que la ville traîne depuis un quart de siècle. Tous dus à sa façon bien à elle de gérer ses équipes. Une méthode que l'on peut qualifier de "politique de l'autruche", en reprenant les mots de l'avocat de plusieurs plaignantes. "Plaignantes" avec un "e". C'est important parce qu'il était question d'égalité de traitement (dans les deux sens de ce terme) entre hommes et femmes. Et avec un "s" car elles étaient nombreuses. Vraiment nombreuses.
Pour mesurer l'ampleur du problème, je ne peux faire l'économie de citer en longueur le résumé de l'affaire qu'en dressent les spécialistes du journal joyeusement titré RH Magazine (enfin, "HR", plus exactement, puisque c'est une publication londonienne) :
"Le sujet est devenu public autour des années 2000.
Un nombre significatif de demandes d'égalité des salaires a alors commencé à arriver sur le bureau du conseil municipal. L'une d'entre elle concernait 4 000 femmes salariées par celui-ci, représentant 49 métiers. Elles s'estimaient exclues des bonus en vigueur dans les branches traditionnellement masculines, comme celles des collecteurs de déchets ou des travailleurs routiers.
Depuis, les cas n'ont cessé d'émerger, et les dossiers de s'empiler pour Birmingham.
[…].
[Mais] plutôt que chercher à résoudre la question —et plutôt que payer à ses employées leur dû— la ville s'est tournée vers les tribunaux pour tenter de fuir ses responsabilités. En 2012, plus de 170 anciennes employées municipales, dont des cuisinières, des techniciennes de surface, du personnel de restauration et de soins, se sont portées jusqu'à la Cour Suprême du Royaume-Uni [et ont gagné] , tandis que Birmingham continuait de faire appel de toutes les décisions qui lui étaient défavorables.
[…]
La décennie suivante a vu le conseil municipal payer plus de 1,1 milliard de Livres de dommages et intérêts… Sans pour autant s'attaquer au problème de l'égalité des salaires".
Résultat : la dernière note adressée par la Justice au plus rapiat des Boys' Clubs au nord et au sud de la Tamise s'élève à 760 millions de Livres, soit environ 915 millions d'euros. C'est l'avalanche qui a fait déborder le vase et achevé de ruiner la ville. La voici en cessation de paiement. Une conclusion d'autant plus scandaleuse que, comme le révélait la BBC l'année dernière, l'agglomération aurait pu s'en tirer pour six fois moins :
"On a récemment appris que le conseil municipal de Birmingham aurait pu opter pour un accord à l'amiable de seulement 120 millions de Livres.
Cela se serait produit par l'intermédiaire d'un "mémorandum d'entente" signé avec les syndicats et le personnel.
Mais cet accord s'est écroulé quand le syndicat GMB a dit détenir des preuves que la mairie avait dérogé à sa parole en ne mettant pas en place un système crucial d'évaluation, qui était censé assurer l'égalité des salaires entre hommes et femmes.
Le syndicat a également fait part de son inquiétude concernant la poursuite de la pratique du "Task and Finish" ("Fais ta tâche et termine"), grâce à laquelle les employés peuvent quitter le travail avant la fin du service, s'ils ont rempli leurs missions de la journée. Une pratique répandue dans le secteur très masculin de la collecte des déchets, et dans d'autres branches de la ville, mais refusé à un grand nombre d'employées féminines".
La faillite est finalement prononcée en septembre 2023. Les conséquences, résumées par le Guardian, sont évidemment dramatiques. Il est décidé "de supprimer 600 emplois municipaux, d'abandonner presque tout financement culturel, de vendre 11 centre sociaux, de diminuer l'éclairage public et de ne plus procéder à la collecte des déchets que tous les quinze jours. La taxe d'habitation devant, elle, augmenter de 21 % en deux ans".
Des mesures alors présentées par le maire du parti Labour nommé Chaman Lal. Pas de bol pour lui : arrivé en mai 2023 après avoir ravi la municipalité aux conservateurs en place depuis 2017, il a tout juste eu le temps d'ouvrir le tiroir-caisse et de pleurer un bon coup avant de se faire éjecter pile un an plus tard par le retour des Tories. Cela dit, avec 22 "Lord-Mayors" depuis 2000, ça a pas mal tourné, à l'Hôtel de Ville. Les responsabilités du désastre semblent assez partagées. Tout comme, finalement, la misogynie.
Et la lâcheté, puisque de plus récentes analyses tendent à rappeler le poids de la débâcle d'Oracle —le nouveau système informatique et son plantage magistral— dans la ruine de la ville. Mais ça, ce sera pour une autre fois. Car l'histoire continue plus bas.
(On peut tout de même en mesurer l'ampleur sur The Conversation).
Poète
Avec tout ça, j'allais complètement oublier de vous parler de Ken Wood. Car à Birmingham, la catastrophe ne s'arrête pas là.
À cette ambiance "de retour aux années Dickens", comme le résume une mère de famille, les équipes de Ken Wood, tout juste arrivées au pouvoir, ont eu en prime la grande idée d'annoncer la fermeture de 8 à 18 des 35 bibliothèques municipales (le nombre exact étant laissé à l'appréciation des citoyennes et citoyens —comme c'est généreux— par une consultation publique qui s'est clôturée ce vendredi 27 septembre).
Or les bibliothèques municipales ne sont pas seulement vitales aux passionnés et passionnées de littérature, comme le souligne le romancier birminghamois Mike Gayle, par le biais de la BBC :
"[Pour lui], elles servent de "soutien à celles et ceux qui n'ont rien". Il dit y avoir vu des bibliothécaires aider des réfugiés à remplir des formulaires administratifs, et des enfants y étudier, pour profiter des ordinateurs ou du calme dont ils ne disposent pas à la maison. Les équipes lui ont aussi raconté recevoir des visites régulières de personnes isolées, pour simplement discuter. "Si vous ne pensez qu'aux livres… C'est tellement plus que ça. L'idée que le conseil municipal de Birmingham n'accorde pas de valeur à ces lieux m'est insupportable", dit-il. Depuis 2016, au Royaume-Uni, plus de 180 bibliothèques municipales soit ont fermé, soit ont été cédées à des associations de bénévoles."
C'est la raison pour laquelle, avec 34 autres auteurs et autrices (pour correspondre aux 35 bibliothèques actuelles de la ville) dont, pour citer le plus célèbre en France, Jonathan Coe, il a rejoint un dernier acte, certes désespéré mais, j'ose le mot, historique. Pour sauver ces lieux de culture, d'entraide et d'accueil, ces 35 artistes ont ainsi créé un fanzine éphémère et combatif, le Brum Library Zine ("Brum" est le surnom donné aux habitants de Birmingham).
L'idée, conçue et dirigée par la poétesse Liz Berry et la romancière Catherine O’Flynn, a associé un écrivain à une bibliothèque, pour y tenir autant de "micro-résidences" destinées à produire une œuvre originale. On trouve donc dans ce fanzine aux accents punks toutes sortes de travaux. De la poésie, des nouvelles, des récits personnels et même, nous dit le Guardian, une courte pièce de théâtre. Le tout a été financé par une collecte participative qui a recueilli 1 000 Livres Sterling en une semaine. Le lancement officiel a été fixé au 30 septembre, pendant le Festival de Littérature annuel, à la bibliothèque Kings Heath. L'une des plus grandes du monde, et l'une des seules à ne pas être menacées de fermeture. Même Ken Wood n'a pas osé annoncer la mort de ce monument historique, toujours en activité, qui fait la fierté de la ville depuis le début du vingtième siècle.
J'aimerais vous en citer plein d'extraits, du Brum Library Zine… Mais il n'est pas disponible en ligne. C'est que voyez-vous, c'est là l'astuce, il n'est distribué que dans les bibliothèques municipales, justement. Pour le lire, ou en récupérer un exemplaire gratuit, il faut y aller.
Mais de toute façon, il y a plus important. Car l'initiative pourrait bien avoir atteint son objectif, au moins partiellement. C'est en tout cas, alors que vient de se conclure la consultation publique, le message que veut faire passer Saima Suleman, "membre du Cabinet en charge du numérique, de la culture, du patrimoine et du tourisme", citée par The Bookseller :
"Je remercie les milliers d'habitantes et d'habitants qui, dans tout Birmingham, se sont exprimés sur le futur de notre service de bibliothèques, durant cette première phase de consultation.
Nous avons souhaité intégrer les suggestions de celles et ceux qui vivent, travaillent, étudient ou simplement s'intéressent à la ville dans une proposition révisée.
L'option privilégiée est de faire financer 28 bibliothèques par la Chambre Britannique du Commerce […] dont une par comté. Il est également possible de financer jusqu'à 34 d'entre elles, par un système de partenariat.
Surtout, nos bibliothèques, qui sont aussi des lieux de rendez-vous et d'entraide pour notre communauté, fourniront au public le soutien dont ils ont besoin. Des conseils sur les aides sociales ou au logement, par exemple. Cela pour faire en sorte d'aider les gens à ne pas sombrer dans la crise. Pour nous assurer qu'ils puissent bénéficier de l'accompagnement nécessaire, dans leur quartier"
Vous voyez : Ken Wood a un bon fond.
Il fallait simplement lui lire un peu de poésie.
Sapiens (Ascendant Sapiens)
Sombre histoire, si vous voulez mon avis, que la bataille de la Tollense. Sombre histoire qui s'éclaircit néanmoins cette semaine. L'on peut remercier pour cela un doctorant en archéologie à l'université de Berlin, Leif Inselmann.
La bataille de la Tollense est la première trace que l'on ait d'un conflit armé à large échelle en Europe. La première bataille au sens strict, donc. Sur notre sol du moins : La nécropole de Djebel Sahabah par exemple, dans le Soudan actuel, présente des signes de violence qui laissent penser qu'à la préhistoire (en l'occurrence quelques 15 000 ans avant notre Ère), on ne rechignait déjà pas à se taper dessus en groupe, salement.
De ce qui s'est passé à Tollense, on sait peu de choses. On a une date approximative : vers 1250 avant notre Ère. Un lieu, précis : la vallée de la rivière éponyme, à environ 120 kilomètres au nord de Berlin. Et des victimes, plein . À savoir les restes de 150 personnes, entre 20 et 40 ans, parmi lesquelles deux femmes. Et des armes, des armes, des armes. Vous voyez la scène, dans Matrix, quand Néo réclame des "Guns. Lots of guns." ? Eh bien c'est pareil, mais avec des lances, des gourdins et des couteaux. Ainsi que, et surtout, des pointes de flèche (qui sont, petit spoiler, la véritable star du jour). La recherche estime à 2 000 le nombre de combattants impliqués et le nombre total de morts à un bon millier. Mais qui, pourquoi, comment ? Nul ne le sait. Les squelettes de Tollense sont muets.
Les armes sont, elles, plus bavardes. Du moins Leif Inselmann les a-t-il fait parler. Pour cela, il lui a fallu analyser rien moins que 4 743 pointes de flèche retrouvées dans toute l'Europe, afin de les comparer à celles exhumées à Tollense. Le soir, pour s'endormir, certains comptent les moutons mais Inselmann, son truc, ce sont les pluies de flèches. Chacun son délire, on ne juge pas. Sauf que le sien a de quoi procurer de nouvelles nuits de travail à des générations de paléontologues. Car il s'avère qu'à Tollense, on a utilisé deux types de flèche —en silex ou en bronze. Et il n'y a pas photo : les armes en silex, dans la région, on maîtrisait. Mais en bronze, non.
Enfin, si, il y a une photo :
Là où le mystère s'épaissit c'est que les projectiles de bronze sont similaires à celles employées bien loin de là, en Bavière et en Moravie. Elles ont d'ailleurs bénéficié des mêmes méthodes de fabrication. De plus, on n'en trouve aucun spécimen dans les tombes de la région, alors que celles en silex y sont monnaie courante. On ne savait donc pas les produire mais, en plus, le commerce ne les avait pas amenées jusqu'ici. Une seule explication tient la route : la mort serait venue du sud, sous la forme d'une armée qui se serait déplacée toute équipée jusqu'à Tollense (une bonne semaine de trajet, m'indique pour information Google Maps). C'est une longue marche, mais le jeu en valait la chandelle : régler leur compte à ces bâtards de Tollense, qui ne sont pas comme nous. Enfin, comme eux. Bref : il y avait des envahisseurs… et des envahis.
Comme souvent, la question en fait aussitôt surgir d'autres : "Peut-être s'agissait-il d'un seigneur de guerre, ou d'un leader charismatique, accompagné de sa suite et agissant en tant que mercenaire", s'interroge le chercheur. "Ou bien y avait-il déjà un royaume, avec une dynastie ? Ou encore une coalition de tribus ?".
Pour Thomas Terbeger, enseignant à l'université George Auguste de Gottingen et découvreur du site de Tollense, cette nouvelle recherche confirme ce que des études génétiques parcellaires laissaient déjà présager : "la nature du conflit reposait sur des puissances régionales", résume le National Geographic. "Le fait que d'aussi grandes armées puissent refléter l'organisation de leurs société l'intéresse également. D'autres lieux d'inhumation en Allemagne tendent eux aussi à indiquer que "guerrier" était déjà une classe sociale à ce moment de l'histoire […] En tout état de cause, le site de Tollense démontre que "les conflits violents de grande ampleur faisaient pleinement partie de l'Âge de Bronze". L'Europe de l'époque est marquée par des changements culturels significatifs, qui ont probablement contribué à ces affrontements."
À ce moment de la discussion, vous savez comment ça se passe : Inselmann est toujours là pour pointer sa tête et causer pointes de flèche. Il relève en effet, toujours d'après le National Geographic, que "d'autres sites archéologiques allemands abritent plus de pointes de flèches que ceux qui les précèdent, ce qui suggère également que les rencontres violentes aient été plus fréquentes. On ignore pourquoi mais il remarque que l'époque correspond à celle de "l'effondrement de l'Âge de Bronze tardif", quand les empires méditerranéens se sont disloqués."
C'est en effet l'époque des toujours mystérieux "Peuples de la Mer", que redoutaient aussi bien l'Empire Égyptien de Ramsès II que sa principale adversaire, la puissance hittite, et dont on ignore presque tout. Peut-on voir dans les troubles européens la source de ces raids venus dévaster l'ensemble du pourtour méditerranéen de l'époque ?
Je vote Oui, parce que ce mystère historique m'obsède et que j'aimerais bien passer à une activité plus fun que me gratter la tête, comme compter des pointes de flèches à Berlin.
Antiquity via National Geographic
Économiste
Pour les banquiers, la période est indiscutablement à la plaisanterie. En France, voir la Macronie expliquer que les caisses du pays sont vides après avoir passé 7 ans à exercer le pouvoir en donnant des leçons d'économie à tout le monde, c'est déjà assez drôle (on rira sans doute moins lors de la présentation du budget, donc profitons-en).
Mais en Allemagne, pas la dernière nation donneuse de leçons en matière de gestion, il y a de quoi franchement se taper sur les cuisses. Et pleurer de rire jusqu'à s'en étouffer : le journal économique de référence, j'ai bien sûr nommé le Financial Times, nous apprend en effet que sa situation économique s'avère… largement inconnue. Depuis, mais oui, pas moins que le mois de mai. "Il y avait certains aspects de la vie auxquels on pouvait tout simplement se fier, et le fait que les statistiques officielles soient publiées à l'heure en faisait partie. Ce n'est plus le cas", déplore ainsi l'économiste en chef de la banque d'affaires Commerzbank.
Le coupable de cette entorse à la vie allemande, c'est le Bureau Fédéral de la Statistique, Destatis —l'équivalent de notre INSEE— et une mise à jour ratée. Le FT détaille :
"L'autorité, basée à Wiesbaden et fondée en 1948, a déclaré que les pannes ont été causées par des problèmes numériques consécutifs à un changement méthodologique complexe souhaité par l'UE, dans un effort d'amélioration de la précision des données. Un projet sur lequel Destatis travaille depuis 2019, date de la directive européenne. La date limite pour implanter ces modifications était en décembre dernier. Mais une série de bugs, de problèmes de données et de retards informatiques ont plongé l'institut dans l'incapacité de publier les chiffres de la vente au détail, et d'autres relevés du secteur des services, depuis maintenant 4 mois".
Des indicateurs en principe mensuels et "des composants essentiels du PIB, cruciaux pour mesurer l'état de la demande en matière de consommation dans ce qui reste la plus grande économie de l'Union". À un moment où, justement, celle-ci se contracte sensiblement : les ventes au détail, soit 28 % de la consommation privée dans le pays, ont diminué de 3,4 % l'année précédente.
Et maintenant ? On n'en sait rien : "On vole à l'aveugle depuis des mois et on n'a pas une bonne compréhension de ce qui se passe dans le secteur des services", résume, un peu las, le chef économiste pour l'Allemagne de la Deutsche Bank, Robin Winkler.
Pour ne rien arranger, on sait tout de même une chose : que ça va mal. En se basant sur les déclarations d'impôts anticipées des commerces, elles-mêmes fondées sur les chiffres d'affaires prévisionnels établis par les entreprises au vu de leurs performances, les statisticiens jugent que la baisse de la consommation se serait prolongée de 0,2 % sur le premier trimestre 2024, entraînant dans sa chute le PIB qui baisse avec régularité, de 0,1 % tous les trois mois. Autrement dit, les instruments de navigation sont tombés en panne juste à l'approche de la tempête, et ce alors que la coalition au pouvoir est largement discréditée par ses atermoiements et volte-face sur à peu près tous les sujets. De plus, la gestion de Destatis est éclatée dans plusieurs ministères (principalement celui de l'Intérieur pour les questions administratives et celui de l'Économie pour la publication des données), ce qui ne facilite en rien la résolution du problème.
Vous voyez : finalement en France, on n'a pas de pétrole, on n'a plus d'idées mais nous, au moins, on a des chiffres. C'est un début.
Mode
La gameuse la plus aimée du monde raccroche les gants
Si j'ai deux pays, mon pays et Paris, j'ai aussi deux amis, toi qui me lis et Shirley Curry.
Pour comprendre pourquoi elle, il faut d'abord parler de Skyrim, l'un des cinq jeux vidéo les plus vendus de l'histoire. Un jeu magnifique et virtuellement sans fin. C'est un jeu de rôles : on crée son personnage. On choisit son nom, son genre, ses compétences, son visage… Et l'on se retrouve propulsé dans un monde médiéval-fantastique à la Tolkien. À partir de là, le monde est à nous.
Skyrim est un monde virtuel immense, séparé en 5 ou 6 provinces, chacune avec sa capitale, ses lois, ses tavernes, ses croyances, ses grottes, ses fermes et ses aventures qui ouvrent les bras. On peut y devenir ce que l'on veut : il est tout à fait possible de gagner sa vie comme bûcheron, chasseur ou forgeron… Mais, rapidement, l'on risque de céder à l'appel de l'aventure. Traquer le bandit. Liquider les vampires. Rejoindre la rébellion contre l'empire, ou aider celui-ci à maintenir l'ordre. Le tout, comme de juste, tout en sauvant le monde. Mais sans oublier de se marier, de se faire des copines et des copains en chemin, de s'acheter une maison et de prendre soin de son cheval. Une aventure totale, dans un monde imaginaire immense, avec une liberté de choix gigantesque. Et un succès critique et populaire inouï.
Skyrim a aussi généré son lot de vidéos YouTube : joueurs et joueuses (mais plutôt joueurs, soyons francs), aiment à s'y filmer tout en narrant leurs pérégrinations, pour le plaisir d'autres joueuses (et joueurs) qui n'auront le temps de vivre cette aventure que d'une ou deux façons (une seule partie dure dans les 150 heures, si l'on se presse).
Voilà le contexte dans lequel sont arrivées, il y a neuf ans, les vidéos de Shirley Curry, aussi connue sous le nom de "Skyrim Grandma". Celle-ci se présente aujourd'hui ainsi sur sa page : "Je suis une grand-mère de 88 ans qui aime joue et enregistrer ses parties ! Je vis dans l'OHIO, USA. J'adore jouer à Skyrim. Je suis veuve. J'ai 4 fils, 9 petits-enfants et 3 arrières-petits-enfants. Mon anniversaire est le 2 avril."
Comme des milliers d'adolescents, Shirley filme ses parties presque quotidiennement, tout en les commentant. Sa bienveillance et son humour jovial lui ont permis de se tailler un vif succès en ligne : elle cumule à ce jour 1,3 millions d'abonnés, et —tout de même— 2 300 vidéos. Tout le monde aime Shirley.
Mais elle arrête. Définitivement ? Il semblerait, oui. Skyrim, ça paraît certain. YouTube, ça n'est pas complètement sûr.
Comme elle l'explique dans sa dernière vidéo, elle doit subir une opération chirurgicale prochainement et veut se concentrer là-dessus. Mais aussi, dit-elle, "Je n'en ai plus envie. Je le fais pour m'amuser, mais ça ne m'amuse plus. Ça me fatigue. Ça m'ennuie d'avoir à m'en occuper".
Elle décrit ainsi, ingénument, un phénomène dont elle est loin d'être la seule victime. Des YouTubeurs bien plus jeunes ont craqué devant l'obligation algorithmique de devoir produire, produire, produire, pour faire des Vues, des Vues, des Vues. La pression du travail s'avère de fait codée dans votre métier même. Qui, pour ne rien arranger, est souvent aussi votre passion. Mais si les stars de l'Internet doivent continuer pour simplement gagner leur vie, Shirley, elle, est libre de penser à autre chose.
Quoi qu'il arrive, elle restera dans le jeu lui-même. Des fans ont créé un mod —un programme informatique amateur— qui en fait un personnage à part entière (elle a assez parlé dans ses vidéos pour que le personnage en question puisse s'exprimer avec sa voix et ses mots). L'éditeur du jeu lui-même a récemment annoncé qu'elle serait intégrée, là aussi en tant que personnage, dans l'épisode suivant de la saga The Elder Scrolls, dont Skyrim était le cinquième opus..
Je me joins donc au magazine spécialisé Kotaku quand il écrit :
"Grand-mère Shirley, nous vous souhaitons le meilleur pour votre chirurgie, et nous vous implorons de ne pas vous sentir coupable de quitter la scène. Vous avez créé un trésor de vidéos merveilleuses qui dureront toujours, et nous vous en remercions."
En descriptif de sa vidéo d'adieu, Shirley a simplement indiqué son adresse. On a donc aussi le droit de lui écrire combien on l'aime :
"Shirley Curry
PO Box 1605
Liban, OH 45036 USA"
À bon entendeur.
Beauté
Plus près de toi, mon Dieu
Nous sommes en l'an de grâce 806. On ne sait pas exactement où. Vraisemblablement sur l'île d'Iona, au large de l'Écosse. Ou peut-être en Irlande, voire dans le nord de l'Angleterre. Une seule certitude, donc : la pluie régulière sur le toit du scriptorium, qui contribue à la concentration des moines enluminant les Évangiles.
Hélas pour eux, c'est aussi l'époque des raids vikings. Raison pour laquelle il a fallu soudainement évacuer un manuscrit destiné selon les paléographes à être admiré par les croyants (plutôt que lu), tant de labeur ayant été investi dans sa beauté. Aussi a-t-il été transmis à l'abbaye irlandaise de Kells, où il aura été conservé des siècles durant. Ce "Manuscrit de Kells" est désormais exposé au Trinity College de Dublin, où les visiteurs peuvent admirer deux pages constamment exposées (elles sont tournées tous les deux mois). C'est, de l'avis de tous les connaisseurs, un vestige splendide de l'art médiéval. Un chef d'œuvre qui fascine encore aujourd'hui les fidèles comme les athées, les universitaires comme les touristes.
Il est désormais ouvert au monde entier, grâce au travail de deux enseignantes-chercheuses, les docteures Fáynche Ryan et Rachel Moss. Ces dernières ont en effet supervisé une numérisation intégrale de l'objet, en très haute définition. Vous aussi, vous pouvez donc, là, maintenant, l'admirer dans tous ses détails, zoomer, prendre du recul, aller de l'avant, de l'arrière et le parcourir à votre rythme. Il suffit pour cela de se rendre sur le site du Trinity College. Et, si vous maîtrisez aussi bien l'anglais que le latin, il est même possible de suivre ici le cours en ligne gratuit des deux spécialistes.
En cas d'illumination soudaine, cependant, veillez bien à ne pas céder aux sirènes de l'intégrisme religieux qui, s'il peut vous mener au ministère de l'Intérieur de la République Française, a l'immense inconvénient de déroger aux paroles d'un certain Jésus de Nazareth et à sa bienveillance proverbiale envers les malades, les prostituées, les étrangers et les pauvres.
Trinity College Library via Open Culture
Bizarre
La nécropole des étoiles
Le ciel est plein d'étoiles. Il est donc empli de sursauts de rayons gamma. Ceux-ci se produisent lorsque, s'effondrant sur elle-même, une étoile géante implose pour devenir un trou noir (ou, plus fun pour elle, une étoile à neutrons). Parfois aussi, après des millénaires à danser ensemble en systèmes binaires, de tels astres finissent par céder aux lois de l'attraction gravitationnelle et fusionnent. C'est une autre cause possible des sursauts gamma. Des événements cataclysmiques qui émettent un lot compact de photons, fort brièvement, l'espace de quelques secondes ou dizaines de secondes.
C'est sûrement très beau mais ne vous en approchez pas trop près, tout de même : un sursaut gamma dans notre voisinage, à moins de 1 000 années-lumières, détruirait en un instant, irrémédiablement, toute vie sur Terre —les rayons gamma sont parmi les plus puissantes des émissions radioactives. Mais il y a peu de chances : le plus proche observé à ce jour est 77 000 fois plus loin que ça. Et puis notre galaxie est jeune et fringante, non ?
Ces sursauts de lumière demeurent largement mystérieux. Ils sont donc autant de sources potentielles de recherche en cosmologie. Un travail qui sera dorénavant facilité par les efforts de la professeure Maria Giovanna Dainotti, de l'Observatoire Astronomique National du Japon… Non sans l'aide d'une "armée mondiale de 530 astronomes [qu'elle a dirigés], et des données de 450 télescopes répartis partout dans le monde", nous explique cette semaine Space.
Le résultat, c'est-à-dire le tout premier catalogue exhaustif des sursauts gamma, répertorie et décrit plus de 500 de ces flashs cosmiques. Il a fallu pour cela éplucher 64 000 observations et des poussières, étalées sur 26 ans. "Une ressource considérable qui aidera à déplacer les frontières du savoir", selon les mots d'Alan Watson, l'un des co-auteurs, que j'encouragerai un autre jour à la modestie vu que, d'une part, il a raison et que, d'autre part, moi-même, quand j'ai fini la vaisselle, je m'autorise un peu d'autosatisfaction. C'est important pour le bien-être psychique.
D'ailleurs, les découvertes rendues possibles par ce prodige scientifique ont déjà commencé. Par exemple, s'étonne le professeur Bruce Gendre dans le bulletin de la Royal Astronomical Society (où est accueillie l'étude), "nous observons un plasma en expansion composé d'électrons et de positrons, qui se refroidit avec le temps et qui, comme une barre métallique chauffée, émet une lumière toujours plus rouge à mesure du refroidissement ; nous observons de fait une transition vers un mécanisme d'émission qui, s'il se confirmait, pourrait être relié à l'énergie magnétique qui l'alimente".
Il m'ôte les mots de la bouche. Ce qui tombe bien, car l'horizon éternel de ces espaces infinis s'admire mieux, vous en conviendrez je crois, dans le silence.
Monthly Notices of the Royal Astronomical Society via Space
Mais aussi, mais encore
En bref : les news auxquelles vous avez échappé
Pendant ce temps-là, ici, ailleurs et à côté…
Une nouvelle espèce de caméléon malgache, aux individus longs d'à peine 3 centimètres, découverte grâce à des photos de touristes, est décrite pour la première fois dans une revue d'éthologie (Zootaxa, via Sciences et Avenir) — Avec 4 000 spécimens à ce jour, la population de rhinocéros unicornes indiens a presque triplé en 40 ans, laissant présager sa possible survie après avoir été menacée d'extinction (Goodplanet) — De 225 000 à 600 000 won (soit d'environ 170 à 450 euros) par chien : la Corée du Sud présente son plan de compensation aux éleveurs de canidés à manger, en vue de l'interdiction définitive de la consommation de viande de chien fixée à 2027 (The Korea Times) — Au Gabon, dans la perspective du retour à la démocratie promis par la junte après le coup d'État qui a destitué la famille Bongo en 2023, le projet de Constitution est bouclé : il prévoit un régime présidentiel sans Premier Ministre, autorisant deux mandats de 7 ans, rend inéligible toute personne qui ne serait pas née de deux parents Gabonais, instaure le service militaire obligatoire et définit le mariage comme l'union entre deux personnes de sexe différent (Jeune Afrique) — Kidnappings, arrestations et assassinats : la Tanzanie ne veut plus entendre parler d'opposant politique (The Guardian) — L'Égypte, qui soutient la Somalie face à la tentative de sécession de la province du Somaliland, conseille à ses ressortissants de quitter la région "aussi vite que possible" (Middle East Eye) — Avec l'appui du Centre Européen pour les Droits Constitutionnels et les Droits Humains, un groupe de réfugiés syriens porte plainte en Allemagne contre cinq dignitaires du régime de Bachar el-Assad pour meurtres, détention arbitraires, enlèvements et tortures. Ces victimes de la dictature ont pu identifier des personnes de leurs familles dans le "dossier César", surnom donné à un transfuge qui a fait fuiter 45 000 photographies de sévices prises dans les geôles de la police militaire. Les accusés sont Jamil Hassan, ancien directeur du renseignement de l'armée de l'air ; Ghassan Jaoudat Ismail, son successeur ; Abd Al-Fatah Qudsiyah et Rafiq Shahadah, deux ex-directeurs du Renseignement Militaire, le premier étant également vice-président du Bureau de Sécurité National ; et Ali Mamlouk, ex-responsable du Renseignement et conseiller d'Assad. Deux d'entre eux ont déjà été condamnés par contumace à la perpétuité pour complicité de crimes contre l'humanité et complicité de délits de guerre en mai dernier à Paris et font l'objet d'un mandat d'arrêt international (The New Arab).
Prochain jour en plus : samedi 5 octobre.
Gardons les pieds sur Terre pendant que ça tourne !
Un grand merci à Marjorie Risacher pour sa relecture attentive, et ses coquillicides impitoyables.
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