Chère lectrice, cher lecteur,
voici une édition légèrement différente cette semaine.
En effet, en écriture, le plus important à mes yeux est de ne pas se répéter. Il me paraît donc bon de varier un peu les formats à l'occasion, pour nous aérer, vous et moi (c'est quelque chose qui ne vous surprendra pas, si vous me suivez depuis quelques temps).
D'ailleurs, entre nous, je réfléchis sans cesse à de nouveaux formats, sans délaisser celui de la revue de presse bien sûr, pour occasionnellement casser la routine. Des éditos, des parodies, peut-être de la fiction… On aura l'occasion d'en reparler !
En attendant ces futures expérimentations, voici un premier essai, avec une newsletter essentiellement faite de recommandations culturelles. Une sélection de ce que j'ai pu trouver, au fil de mes recherches et aventures, sans pouvoir le relayer dans un numéro, parce que ça ne collait pas forcément bien ici, parce qu'il n'y avait pas forcément d'actu là… Mais que je voulais vraiment promouvoir et faire connaître. En deux mots : une sélection de podcasts et de vidéos à mon goût et, je l'espère, au vôtre. De quoi apprendre, découvrir ou redécouvrir et peut-être, toujours, respirer.
Bons visionnages, bonnes écoutes… En attendant de vous retrouver avec un nouveau Jour en Plus au retour des vacances, le 9 novembre prochain !
Gardons les pieds sur Terre pendant que ça tourne,
Lu.
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Le podcast de la semaine
Dans l’histoire avec Peter Watkins
On commence avec Peter Watkins. Que vous connaissiez ou pas Watkins et son travail, ces deux épisodes (près de deux heures chacun) du podcast de cinéma Dis-Cor-Dia devraient bien vous remplir les oreilles. Le journaliste et auteur François Cau, avec sa complice Hélène Godin, docteure en études cinématographiques (et co-animatrice d'un autre podcast qui n'a rien à voir, K-Potes, sur la pop coréenne) y retracent avec minutie et passion l'intégralité de la carrière du réalisateur britannique.
Le premier film que j'ai vu de Peter Watkins, La Bombe, fait partie des rares œuvres à avoir vraiment changé ma vie. À l'époque, et j'avais pourtant déjà 23 ou 24 ans, je croyais que la bombe atomique était une (très) grosse bombe. Je ne m'étais jamais posé trop de questions à son sujet. Si on m'avait demandé, j'aurais sans doute répondu que c'était bien triste d'avoir dû l'employer en 1945 mais que si on l'avait fait, c'est sûrement qu'on n'avait pas eu le choix. Et que si un jour l'un de ces jouets nous tombait dessus, notre seule priorité devrait être de renvoyer la politesse à l'expéditeur.
C'est sans doute plus ou moins ce qu'il y avait aussi dans la tête du producteur de la BBC qui, au milieu des années 1960, donc en pleine guerre froide, a commandé à Watkins un documentaire pour expliquer à la population anglaise ce que c'était, la bombe atomique. Le jeune homme a si bien travaillé que le film n'a jamais été diffusé. Trop précis, donc trop atroce. On en sort —quelle horreur— effroyablement pacifiste, à vie probablement. Enfin, antiBombe. La Bombe ? Jamais, nulle part jamais. Enterrez-moi ça au plus profond, et battons-nous avec tout le reste mais pas ça, jamais.
Dans ces deux épisodes, François Cau et Hélène Godin nous aident à comprendre d'où vient la si redoutable efficacité du cinéaste Watkins. Et pourquoi c'est un génie.
Parce que oui, Watkins est un génie, plus encore qu'Hitchcock est un génie. Hitchcock, comme les autres cinéastes les plus doués, font remarquablement bien du cinéma. Mais Watkins ne veut pas faire du cinéma, ni de la télé. Il veut utiliser la caméra à faire autre chose. Son obsession, il l'a baptisée la monoforme. C'est le constat selon lequel tous les films ont la même forme, la même manière de raconter des histoires. Il ne veut pas faire ça. Il veut faire autrement. Mais il ne veut pas non plus faire de l'expérimental. La recherche purement esthétique ne l'intéresse absolument pas. Son truc, c'est le documentaire. Son truc, c'est la politique. Son truc, c'est de faire des films qui puissent changer les gens, et participer d'un combat politique orienté vers la justice et la tolérance, vers la liberté, l'égalité et la fraternité.
La grande idée de Watkins, qu'il expérimente dès Culloden en 1964 (du nom d'une bataille qui opposa, au XVII° siècle, Anglais et Écossais en consacrant la défaite de ces derniers), c'est de filmer l'histoire comme du réel. Comme notre réel, celui auquel nous sommes habitués. Ainsi, la bataille est suivie de manière absolument réaliste et, pourtant, dans une forme totalement anachronique, comme si elle était couverte en direct par une chaîne télévisée. Il y a un journaliste, il y a des commentaires, des interviews, des plans volés. Et tout à coup, nous y sommes. Toute la brutalité, toute la sauvagerie qui se cachent derrière une bataille fondatrice de l'identité nationale nous apparaissent aussi crûment que possible.
Le même procédé est à l'œuvre dans La Bombe, où Watkins a mis en scène une explosion atomique dans une ville de Grande-Bretagne (non sans préciser dans son introduction que, vu le nombre de bases militaires et de sites industriels stratégiques sur l'île, à peu près toutes les agglomérations sont à portée de Bombe, même si celle-ci ne vise pas une cible civile). Il en va de même dans La Commune, 375 minutes tournées dans un entrepôt de Montreuil en 2000. Une actrice, participante à cette aventure inoubliable, apparaît d'ailleurs en fin de l'épisode 2 —c'est le dernier film de Watkins. Elle raconte les coulisses du tournage. Notamment comment comédiennes et comédiens se sont pris au jeu, emportés par leurs propres convictions. Ce n'est pas la seule réussite du film, qui reproduit le Paris du XIX° par la seule force de ses interprètes. Les Communards sont joués par des hommes et des femmes de gauche, mais les Versaillais par leurs opposants d'aujourd'hui, recrutés par petites annonces dans Le Figaro. Là aussi, une chaîne de télévision conservatrice puis, rapidement, un média indépendant qui s'invente au jour le jour, fabriqué par les révoltés, suit les événements de 1871 comme s'ils avaient lieu en ce moment. Un délirant tour de force.
Mais Watkins n'a pas fait que des récits historiques. Il s'est aussi attaqué à la biographie (Strindberg, Munch), au faux documentaire (Punishment Park), ou aux trames plus classiques, comme dans Privilège où, dès 1967, il révèle comment les pop-stars peuvent être construites à des fins purement mercantiles, quitte à détruire leur vie.
Film après film, les deux complices érudits de Dis-Cor-Dia nous racontent la genèse de l'œuvre, la manière de travailler de l'auteur, ses évolutions au fil des projets, ses réussites comme ses ratés. Le parcours est si singulier qu'il s'écoute avec délice, même sans avoir vu les films.
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