Un Jour En Plus

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La guerre aux coucous et les sons du Sahara

Avec la recette d'une sécession réussie, façon XXIème siècle

oct. 13, 2025
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Bonjour,

permettez-moi de vous souhaiter une excellente semaine en compagnie, aujourd’hui, du coucou, de la Californie, du Sahara et des bouts du monde.

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Bonne lecture !

Gare au coucou

Voir un troupeau de bovins sans s’écrier “Oh, des vaches !”, c’est comme entendre un coucou sans clamer “Oh, un coucou !”. Ça n’existe pas. Ce n’est pas du domaine de l’expérience humaine. On a pourtant bien tort de se réjouir. Car autant les vaches sont attachantes, avec leur bon air calme et leurs beaux yeux doux, autant les coucous sont, rappelons-le, une bande de sacrés salopards.

Coucou gris perché sur une branche d'arbre
Un salopard. Cuculus Canorus, ou coucou gris. CC Rainbirder / Steve Garvie / Wikimedia Commons.

On sait en effet que le coucou se reproduit en pratiquant le “parasitisme de couvée”, qui consiste à pondre ses œufs dans le nid d’un autre (ce qui est encore pire que les mettre tous dans le même panier). Raffinement suprême : la génétique assure que ses petits éclosent avant les autres, pour que les oisillons poussent les autres œufs du nid, afin d’être les seuls à profiter de la nourriture apportée ensuite par leurs parents “adoptifs”.

C’est connu des humains, mais est-ce connu des animaux ? Oui et pas qu’un peu, dévoile l’équipe du docteur Will Feeney à l’institut biologique Doñana en Espagne. En effet, les oiseaux pratiquent un chant spécial pour avertir leurs congénères qu’un coucou a été vu dans les parages. Mieux : ses copains sont susceptibles de débarquer à la rescousse pour dissuader le parasite de traîner dans le coin, physiquement s’il le faut. Plus étonnant encore : ce chant est compris par les autres espèces victimes du coucou. Elles aussi sont donc susceptibles, en cas d’appel au secours, de rejoindre la bagarre.

Ce trait commun a été mis au jour chez au moins 21 espèces aviaires, aussi différentes et éloignées que le mérion superbe d’Australasie (Malurus cyaneus), le prinia modeste d’Afrique (Prinia subflava), le pouillot de Hume d’Asie (Phylloscopus humei ; il me faudrait une infolettre entière pour vous raconter l’histoire dudit Hume, mais sa page Wikipédia vaut le détour) et le pouillot verdâtre d’Europe (Phylloscopus trochiloides). Toutes ces créatures savent dire et comprendre “Attention, coucou !” et s’appeler à l’aide. À l’inverse, le même cri diffusé auprès d’autres espèces également victimes de parasitisme de couvée, mais du fait d’autres oiseaux, réagissent à cet appel comme à un cri de détresse. Se redressant, écoutant, retournant ensuite rapidement au calme, n’étant pas menacées.

2 oiseaux clairement amoureux, sans aucun anthropomorphisme. Le mâle est tout bleu, la femelle grise, mais d'un gris plus beau que celui du coucou
Un couple de mérions superbes. Superbes. CC benjamint44 / Wikimedia Commons.

Ce chant d’alarme commun serait vieux de 53 millions d’années, époque à laquelle vivait l’ancêtre commun à toutes les espèces étudiées. Les chercheurs écrivent, en résumé de leur article paru dans Nature Ecology and Evolution :

Les espèces qui produisent ces vocalisations existent souvent dans des aires denses en réseaux parasitaires, ce qui suggère que leur émanation facilite les interactions entre les espèces hôtes. Des expériences menées sur trois continents démontrent que cette vocalisation fait référence aux parasites au sein de multiples espèces hôtes, que les entendre suscite une réponse innée rapide de recrutement, et que les espèces hôtes de différents continents répondent également aux vocalisations des autres, ce qui indique un usage convergent facilitant les défenses coopératives entre les espèces.

Or, remarque Will Feeney, ce chant —pardon, cette “vocalisation de plainte”— s’apprend. Sa réponse serait à l’inverse, selon son étude, instinctive. Innée. Car le sujet qui l’intéresse, ce n’est pas tellement, en réalité, le sort des mérions superbes ou des pouillots verdâtres. Il tente plutôt de contribuer à notre compréhension des origines du langage humain. Il s’agit de tester une hypothèse de Charles Darwin selon laquelle, dans les mots de Feeney, “les signaux innés et acquis, dans les systèmes de communication vocale, ne seraient pas indépendants mais liés par l’évolution, les premiers étant les fondations des seconds, y compris dans notre propre système de communication, le langage“.

Le chercheur Will Feeny, un jeune homme aux cheveux courts, regarde à travers des jumelles. Sur sa tête, un oiseau rouge, genre perruche, se penche come pour regarder, lui aussi, à travers les jumelles
Le chercheur Will Feeney, et un copain curieux. © Origins and Adaptations Lab.

Le New Scientist nous explique :

Dans son livre de 1871 La Filiation de l’Homme, Charles Darwin a supposé que les origines du langage parlé pourraient remonter à l’imitation et à la modification des sons instinctifs produits aussi bien par les humains que par les autres animaux. Par exemple, un couinement quand on est effrayé ou un cri en réponse à la douleur. “Les oiseaux adaptant leurs cris innés pour un nouvel usage pourraient témoigner de ces premières marches vers le langage”, dit Feeney. Rob Magrath, de l’université nationale australienne, relève que “les chants ont souvent des sens bien précis. Parfois, ils se réfèrent à des objets extérieurs, ou à des événements, en plus de servir à communiquer un état intérieur (comme la peur), ou des caractéristiques (comme son sexe ou son espèce). Cet aspect référentiel est similaire aux mots humains, qui souvent désignent des objets ou des événements externes. Ainsi, la communication animale et le langage humain se manifestent dans un continuum, plutôt que comme des phénomènes distincts, dont l’un appartiendrait aux seuls humains.”

Il a donc fallu des millions d’années d’évolution pour aboutir à la fameuse apostrophe “Bonjour ma colère, salut ma hargne, et mon courroux… coucou” de l’un des procureurs les plus sévères, mais les plus justes, de notre longue histoire judiciaire.

New Scientist

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