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De la Floride à à la Corée en passant par le futur

Et un sandwich berlinois

mai 17, 2025
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Chère lectrice, cher lecteur,

permettez-moi de vous souhaiter un très bon week-end en compagnie, cette semaine, des malades de la Tech, des taxis grecs, de vieux coréens, de grosses bêtes avec de grandes dents et du meilleur guide du sandwich depuis la guerre (de 1870).

NB : si le mail apparaît tronqué par votre boîte, vous pouvez le “Lire dans le navigateur” en cliquant sur le lien haut à droite.

Communiqué de santé publique

Des boules Quiès sont disponibles dans votre pharmacie la plus proche

Les géants de la Tech ne sont pas bêtes comme des pieds puisque, nous rappelait Jacques Prévert, "C'est très intelligent les pieds / Ils vous emmènent très loin / Quand vous voulez aller très loin / Et quand vous ne voulez pas sortir / Ils restent là ils vous tiennent compagnie".

Les géants de la Tech sont donc plus bêtes que mes pieds puisqu'ils font exactement le contraire, nous maintenant enfermés quand nous voulons nous envoler, et voulant nous faire décoller quand nous n'avions pas prévu de bouger. Ce n'est pas moi qui le dis mais Adam Becker, astrophysicien, journaliste scientifique et auteur du livre dont la couverture s'épanouit un peu partout ces jours-ci : More Everything Forever, soit Plus de tout pour toujours… Ou Toujours plus de tout, mon cœur balance. Un de ces titres si lumineux qu'on a l'impression de ne même plus avoir besoin d'ouvrir le livre pour en tirer la substantifique moelle. Toujours plus de tout… Tout est dit, non ?

La couverture du livre More Everything Forever

Becker a choisi de prendre les géants de la Tech au mot et de regarder de plus près leurs promesses technologiques. Ce sont elles qui les ont enrichis, qui les motivent (disent-ils, en tout cas), qui les rendent populaires. Et c'est pour aider à les réaliser qu'il faudrait leur confier, justement, toujours plus de pouvoir. Les délivrer de toute contrainte pour leur permettre, pêle-mêle, de nous faire vivre pour toujours, de faire essaimer la civilisation sur Mars puis dans le reste de la galaxie, de créer une intelligence artificielle susceptible de nous guérir de tous nos maux (dont celui du réchauffement climatique), de peupler nos appartements de robots et d'appareils connectés qui précéderaient nos désirs, d'augmenter nos corps, nos cerveaux, au-delà des limites physiques.

Au-delà des limites physiques : c'est bien le problème, nous dit le physicien. Ce sont bien ces limites auxquelles vont se heurter tous ces délires —car ce ne sont parfois hélas (le voyage interstellaire, moi je veux bien) et parfois pas, que des délires.

Dans ces délires, il y a d'abord une vision du monde, racontait-il récemment dans un podcast de Tech Policy. D'un monde où tout serait "quantifiable". "Un puits de ressources" où tout devrait être utilisé le plus efficacement possible. Une vision du monde "qui passe à côté de tout ce qui rend la vie pleine de sens, et bonne, et importante". Un monde dont ont rêvé nos antihéros en lisant de la science-fiction… Sans la comprendre puisque, quand la littérature imaginait ce genre d'inventions, c'était pour nous apprendre à nous en méfier. Ou, plus prosaïquement, pour nous rappeler la propension de l'égoïsme à corrompre le progrès même. Si, manifestement, certains entrepreneurs ont refermé 1984 en se disant "cool…", toutes ces dystopies décrivent un futur pour lequel personne n'a voté et que pas grand monde ne réclame, quand on tend l'oreille.

Mais là on est dans la politique. Le rappeler ne fait pas de mal, et Becker ne s'en prive pas, mais ce qu'il tient surtout à faire, c'est poser la question, avant tout, sur le terrain de la science. Car ici, l'os : rien de tout ça, souhaitable ou pas, n’est possible.

Ce monde-là aurait besoin d'une chose en priorité : d'énergie. Or celle-ci a une fin. C'est comme ça. Quand on a pris toute celle disponible, on peut toujours chercher ailleurs, mais pour cela il faut aussi de l'énergie, et là-bas aussi, elle s'épuise. Ça fait ça, l'énergie. C'est le principe. Becker l'explique à gros traits dans un interview pour Ars Technica :

La seule chose qui soit toujours et absolument vraie d'une croissance exponentielle, c'est qu'elle a une fin. Si quelque chose croît de façon exponentielle, tout ce que vous pouvez dire, c'est : "Bon, ben ça va pas durer". L'exemple classique de la nature, c'est la croissance d'une colonie de bactéries. SI vous avez deux bactéries et un lieu sympa, bien adapté à leur développement, dans une boîte de Petri par exemple, elles vont se multiplier de façon exponentielle, jusqu'à remplir la boîte, manger toute la substance nutritive, mourir, et ça s'arrête.

D'ailleurs, c'est un concept utilisé dans la vie quotidienne. C'est comme ça qu'on fait de la bière et du vin. Vous mettez la levure dans un endroit approprié à sa croissance, elle va manger tout le sucre, croître en excrétant de l'alcool, et puis après elle meurt, autant étouffée par ses propres déchets que tuée par le manque de nourriture. Alors, on la boit.

Je pense qu'on avait bien compris le propos avec le premier paragraphe, mais ça aurait été triste de se priver de cette image. Or c'est sur ce système que repose la logique toute entière des mondes rêvés par les industriels de la Tech. C'est cet espoir d'une croissance exponentielle et infinie qui les pousse à rêver de "sphères de Dyson" (des structures hypothétiques qui, bâties autour d'une étoile, pourraient en reconvertir l'énergie) ou même, s'amuse encore notre auteur, à s'inquiéter de la mort thermique de l'univers (l'une des fins possibles de celui-ci, par épuisement total, dans bien plus de milliards d'années que son âge actuel, déjà vénérable).

Sans aller jusque là, précise-t-il, si l'on veut ne serait-ce que se maintenir à 3 % de croissance annuelle de l'énergie consommée, soit à peu près ce à quoi nous sommes habitués, il faudra, selon ses calculs, en gros deux siècles pour épuiser tout ce qui est disponible sur Terre. Puis un millénaire pour absorber le soleil et "en quelques milliers d'années, vous vous retrouvez à utiliser la totalité de l'énergie de l'univers observable."

Portrait de Adam Becker, jeune homme aux cheveux bouclés
Adam Becker © Basic Books

Comment peut-on raisonnablement croire à truc pareil, et le désirer ? D'une part parce que cela correspond aux intérêts immédiats des milliardaires concernés… Mais aussi parce que de l'énergie, il en faudra beaucoup, beaucoup, pour accoucher de ce qui, à les en croire, véritablement nous sauvera, enfin. Nous apportera le bonheur tant promis et tant repoussé. La solution aux maladies, aux guerres, à la faim, à la pollution, au changement climatique et aux mystères de l'existence : vous avez reconnu, bien sûr, l'intelligence artificielle. Becker s'en amusait dans une tribune récente pour le Guardian :

Les milliardaires de la Tech parient la planète elle-même sur l'arrivée imminente de l'Intelligence Artificielle Générale [IAG, soit une IA qui équivaudrait à l'intelligence humaine, puis la surpasserait]. Eric Schmidt, l'ancien PDG de Google, désormais milliardaire et capital-risqueur, affirme que la poursuite de l'IAG est le meilleur chemin pour résoudre la crise climatique, et cela malgré l'énorme empreinte carbone des serveurs de données impliquée par son développement, parce qu’il est certain que celle-ci réglera le problème pour nous, quand elle sera là. Sam Altman [le PDG de Open AI, la firme derrière ChatGPT] ne dit pas autre chose. Il a d'ailleurs expliqué comment il voyait la chose : "Je pense que quand on aura une super-intelligence vraiment puissante, résoudre le changement climatique, ça ne sera pas vraiment un problème pour un système comme celui-là", dit il. "Si l'on conçoit un système à qui on peut demander "dis-moi comment produire beaucoup d'énergie bon marché", "dis-moi comment capturer le carbone efficacement" et, enfin, "dis-moi comment construire une usine qui le fasse à l'échelle planétaire"… si vous pouvez faire ça, alors vous pouvez faire bien des choses".

Le plan d'Altman pour résoudre le changement climatique, qui consiste à demander à une machine qui n'existe pas de réaliser pour nous trois vœux, n'est pas quelque chose que notre civilisation peut se permettre. Les oligarques de la Tech sont confiants dans l'idée que leur divinité va bientôt arriver et nous donner les clés du paradis. Cela leur donne l'absolution morale en même temps qu'un sens à leur vie. Mais leur foi n'a rien à offrir au reste d'entre nous, qui ne pouvons pas vivre ailleurs que dans le vrai monde.

Becker nous recommande donc, pour notre bien, pour notre avenir, de cesser de les écouter et de les croire, même et surtout dans ce qui est sensé être leur domaine de compétence. Il n'est pas dans un discours naïf (ni anti-progrès). Il ne nous invite pas à nous boucher les oreilles en chantant "la-la-la, je n'entends rien". Mais à ne jamais oublier que leurs promesses scientifiques n'ont, justement, rien de scientifique. C'est du vent.

Ils disent qu'ils atteindront leur but, mais ils ne l'atteindront jamais. Vous savez… Il y a cette histoire, qui sonne comme une anecdote pas très bien sourcée, mais qui en fait est très bien vérifiée. J'ai failli la mettre dans mon livre. C'est une conversation entre Kurt Vonnegut [auteur, entre autres, de Abattoir 5 ou La Croisade des Enfants] et Joseph Heller, qui a écrit Catch 22. Ils étaient amis. C'est une histoire racontée par Vonnegut dans, je crois, le New-Yorker, à la mort de Heller. Il se rappelle : "Nous étions dans une fête, organisée par une personne immensément riche, vers Long Island. On était là pour être exposés, en fait, en tant qu'artistes, pour pouvoir montrer qu'en plus de leur fortune, ces gens avaient même des amis artistes. On était là, à se balader dans cette fête, on s'émerveillait devant tout ce luxe. J'ai dit à Heller : "Wow, tu as vu tout ça ?". Et il m'a répondu : "oui… Mais nous, on a quelque chose qu'ils ne pourront jamais posséder.

-Quoi donc ?
-On en a assez
"".

Tech Policy

Communiqué de santé publique, bis

Un verre, ça va. Trois verres, c'est le ministère.

"Je ne comprends pas pourquoi il a dit ça. Est-ce qu'il veut subventionner et promouvoir l'alcool auprès des jeunes ? Dire une chose pareille, pour un ministre, c'est inconcevable. Ces problèmes ne peuvent pas être résolus à coups de subventions. Il ridiculise le mot "subvention". Il me ridiculise en tant que professionnel."

Qui parle ? Thymios Lymberopoulos, président du SATA, le Syndicat des Conducteurs de Taxi de l'Attique (la région d'Athènes). De qui parle-t-il ? De Konstantinos Kyranakis, ministre délégué à l'Infrastructure et aux Transports de Grèce. Après 4 ans d'études de droit, celui-ci s'est spécialisé dans un master en communication stratégique. Un bon indice de son sens des priorités. Parmi ses faits d'armes, il a dirigé la campagne numérique de Jean-Claude Juncker pour la tête de la Commission Européenne. Ensuite, il a géré celle de Kyriakos Mitsotakis (fils du Premier Ministre du même nom) lorsque ce dernier a voulu s'emparer du parti de droite, Nouvelle Démocratie. Avec succès : il dirige dorénavant le pays. En retour, il a donc nommé aux Transports son ancien lieutenant, maître ès-communication (et accessoirement sosie de Louis Sarkozy).

Portrait du ministre Kyranakis qui ressemble en effet, beaucoup, à Louis Sarkozy
Je vous avais prévenus. CC Panagiwtis / Wikimedia Commons.

Une personnalité qui transpire l'humilité et la sympathie. Comment ce jeune homme de 38 ans a-t-il pu irriter à ce point le représentant des taximen de l'Attique ?

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