Dans les archives : en Asie
De la pêche au Balouchistan au ginseng coréen en passant par les Talibans
Chère lectrice, cher lecteur,
la série archivistique se poursuit et, avec elle, mes décisions géographiques parfaitement arbitraires. Ainsi, si l’on parle aujourd’hui du continent asiatique, on va le faire sans l’Inde qui pourtant —je n’ai même pas vérifié sur Wikipédia— est en Inde, c’est presque sûr.
Mais enfin —et ce sera ma deuxième leçon de géographie pour aujourd’hui— l’Asie, c’est grand. Alors, il a fallu un peu élaguer (il manque déjà quelques pays, pourtant traités dans ces colonnes, n’est-ce-pas). L’Inde bordant l’un des deux océans qui a donné son nom au continent de la semaine prochaine (vous aurez reconnu l’Océanie), et surtout étant intégrée à cette partie du globe par les stratèges contemporains très préoccupés par “la zone Indo-Pacifique”, la voici bien au frais pour la semaine prochaine. Moi ça m’arrange et, je crois, Modi s’en remettra.
Attaquons donc car l’Asie, c’est grand (point de bonne pédagogie sans répétition).
Bonne lecture !
Des pêcheuses sachant pêcher

Au Pakistan, au sud-est du pays, les femmes s'y mettent. À quoi ? Aux sit-ins, aux manifestations et aux chants de protestation.
La crise de Gwadar, où la pêche est une activité historique, à la fois économique et de subsistance, remonte à 2021. La loi locale est assez précise : près des côtes, on obéit aux réglementations de la province (ici le Balouchistan) ; au-delà de 200 milles nautiques, aux principes fédéraux du pays et, entre les deux, entre 20 et 200 milles, c'est une zone tampon. Un système qui ne fonctionnait pas si mal, jusqu'au développement d'un nouveau port en eaux profondes facilitant le chalutage —cette manie de racler les fonds marins qui capture tout forme de vie dans ses rets. Pratiqué toujours plus près des côtes, le chalutage épuise les ressources des petits pêcheurs, "parmi les groupes les plus pauvres et les plus marginalisés de cette région conservatrice du Pakistan", précise le toujours excellent The Diplomat dans son enquête sur le Haq Do Tehreek, un mouvement social qui dure depuis plus d'un an maintenant.
Le problème de Gwadar, c'est que son port appartient au CPEC, le Corridor Économique Chine-Pakistan. Un ensemble d'infrastructures destinées à sécuriser les imports énergétiques de la Chine venus du Proche-Orient, autant que l'export de ses propres biens, en lui permettant d'éviter le détroit de Malacca (qui peut être facilement bloqué par la marine américaine en cas de guerre). Le CPEC comprend une Zone Économique Exclusive, l'implantation d'un aéroport flambant neuf, la construction et la modernisation d'autoroutes et de lignes de chemin de fer et, donc, la création récente d'un port en eaux profondes. Un afflux de cash et d'investissements pour le Pakistan, souvent comparé dans la presse au Plan Marshall, lancé par les États-Unis pour aider la reconstruction de l'Europe après-guerre.
“Les gens vivent dans deux mondes différents à Gwadar", explique une manifestante à la publication américaine. "L'un de ces mondes se développe rapidement, se connecte au globe, grâce au port en eaux profondes et au CPEC ; le second n'a toujours pas accès aux premières nécessités, comme l'eau et les égouts".
Les pêcheurs demandent que soit sanctionné le chalutage dans les zones qui lui sont en principe interdites, mais réclame aussi plus de justice et d'équité dans le développement renouvelé de la ville côtière. En novembre 2021, une tentative de blocage du port a conduit le leader du mouvement “Haq Do Thereek”, le Maulana (un terme désignant les érudits musulmans) Hidayat-ur-Rehman Baloch, à demander, tout simplement si l'on ose dire, le départ des travailleurs chinois. Le CPEC pesant 50 milliards de dollars d'investissement, les autorités n'ont guère apprécié. La foule a été dispersée à coups de flashballs et gaz lacrymogène. Le Maulana est désormais en prison. En janvier dernier, quand il a été arrêté, The Diplomat racontait déjà : "Un sit-in devant l'entrée principale du port a duré cinquante jours, avant que commencent les violences, la dernière semaine de décembre, entre manifestants et policiers. […] Gwadar est vantée comme le cœur du CPEC, et généralement vue comme l'atout maître des nouvelles routes de la soie, mais les habitants se sentent depuis longtemps privés des bénéfices générés par leur ville natale."
En ce mois de mars, donc, les femmes ont pris le relais des manifestations. D'abord parce que, souvent, leurs époux sont emprisonnés. Ensuite parce qu'elles se sentent plus protégées des violences en raison du "concept traditionnel "Tu respecteras les femmes quoi qu'il arrive"", précise une activiste, directrice d'une école publique à Pishukan, un petit village de pêcheurs de la région. Même si hélas, "elles n'ont pas été épargnées par l'usage de la force", ajoute-t-elle.
Un geste d'autant plus courageux qu'il s'oppose aux forces gouvernementales, mais aussi aux mafias locales, soupçonnées d'être couvertes par les pouvoirs pakistanais comme chinois, tous deux connus pour être assez conciliants avec la corruption. "La mafia du chalut, [comme on l'appelle ici], est équipée d'armes à feu sur ses bateaux, et n'hésite pas à enlever les filets de pêche précédemment déposés par les pêcheurs locaux", se lamente une manifestante.
Tintin nous manque.
Fun Fact : depuis la publication de ce numéro, le mouvement du Haq Do Thereek a grandi. Désormais doté d’un site internet, il a envoyé ses propres candidats d’abord à la mairie de Gwadar, emportant 28 sièges sur 34, puis à l’élection de l’Assemblée Provinciale du Balouchistan lors des élections générales de 2024. Avec 20 000 et quelques voix, il a obtenu moins d’un Pour cent de suffrages. Juste ce qu’il lui fallait, cependant, pour obtenir un siège… désormais occupé par le Maulana Hidayatur Rehman Baloch, sorti de prison. En octobre dernier, il condamnait les violences des protestataires, mais assurait que les actions pacifiques d'occupations et de sit-ins se poursuivraient “tant que le gouvernement ignorera les problèmes de la population”. Ce 15 août, le Pakistan demandait officiellement à la Chine d’intensifier ses investissements dans la région. Une poignée de Yens, c’est mieux que pas de Yens du tout.
The Diplomat Chronique parue dans l’édition du 1er avril 2023..
Décollage en cours pour Bikini Airline
La vie est faite de plaisirs simples : une coupe de champagne dans son jacuzzi, un nouveau bar en marbre dans son jet privé, ce genre de choses. La vie de Thi Phuong Thao Nguyen en tout cas, cinquantenaire et première femme d'entreprise milliardaire au Vietnam, se réjouit Forbes.

Le magazine des grandes fortunes en pleurerait de joie : la compagnie aérienne low-cost VietJet Aviation, qu'elle dirige, vient en effet de lever 100 nouveaux millions de dollars pour agrandir sa flotte, "dans le contexte d'une solide reprise post-Covid." VietJet, qui affiche sur les 9 premiers mois de l'année une croissance de 30 % par rapport à la même période de 2022, profite de son élan pour s'internationaliser : la Corée du Sud, Taïwan, Hong Kong, mais aussi Adelaide, Brisbane, Melbourne, Perth et Sydney, en Australie, se sont récemment ajoutées à la liste de des destinations.
"Pour soutenir cette croissance", décrypte Forbes, "VietJet —également connue sous le nom de "Bikini Airline" en raison de ses fréquentes opérations de communication impliquant, en guise d'hôtesses de l'air, des mannequins en maillots de bain deux-pièces— a commandé 200 Boeing 737 MAX sur 5 ans, pour un total de 25 milliards de dollars […] Nguyen, qui a débuté comme négociante en matières premières, a lancé VietJet en 2011, et l'a fait entrer en bourse 6 ans plus tard. Forte d'un patrimoine net de 2,1 milliards de dollars, elle a depuis investi dans la banque d'affaires HD Bank et dans l'immobilier, dont trois stations balnéaires."
Elle a raison : allongée sur une plage du Vietnam, c'est la meilleure façon d'admirer les longues traînées célestes dessinées par sa flotte de 737 envoyées de par le monde, tout en feuilletant un magazine de mode à la recherche du prochain maillot sexy à faire porter à son armée de jeunes filles pour sa pub.
Vous voyez, je ne mentais pas : la vie est faite de plaisirs simples, en 2023.
Forbes Chronique parue dans l’édition du 4 novembre 2023.
Les chaussures les plus classes du monde
J'ai failli rater cet anniversaire, mais j'ai des excuses.
Il faut commémorer le 14 décembre 2008, lorsque le journaliste irakien Muntadhar al-Zaidi a exprimé la pensée profonde du monde entier, en balançant sa paire de chaussures à la gueule de George Bush lors d'une conférence de presse à Bagdad. Geste accompagné d’une vigoureuse affirmation, "T'as le bonjour du peuple irakien !" (la traduction exacte semble plutôt mentionner un "baiser d'adieu", mais j'ai toujours préféré les interprétations poétiques aux traductions littérales).
J’ai des excuses, disais-je, pour n'avoir pas célébré les 15 ans de cet événement le mois dernier. C'est dû au fait que le journaliste Sahid Daud, du Middle East Monitor, qui souhaitait rencontrer al-Zaidi, a lui-même mis un peu de temps à retrouver sa trace :
J'ai passé des jours à errer de cafés en salons de thé, en espérant que quelqu'un saurait où il se trouve aujourd'hui […] avant de réaliser qu'il avait un profil Facebook. Je lui ai écrit en dernier recours, doutant qu'il me réponde et certain que s'il le faisait, avec ma chance, ce serait après mon départ. À ma grande surprise, j'ai reçu deux jours plus tard ce message : "Ahlan wa Sahlan, habbibi —bienvenue, mon ami."
On comprend mieux pourquoi l'auteur ne pensait pas retrouver le jeteur de chaussures si facilement : au fil des années, ce dernier a choisi la voie de l’effacement et a emménagé en banlieue, lassé des menaces de mort constantes et, dit-il, poussé à bout par 7 tentatives de meurtre.
Les années qui suivirent l'incident n'ont pas été faciles pour lui. Condamné à trois ans de prison pour s'être attaqué à un chef d'État, il a passé neuf mois derrière les barreaux. Il n'a plus jamais travaillé comme journaliste. Je lui ai demandé s'il regrettait son geste. Il a paru se sentir insulté. Mais l'incomparable hospitalité irakienne a vite repris le dessus, et il s'est adouci : "Je suis content de mon geste".
Tout au long de l'article, Al-Zaidi semble d'une étonnante discrétion, répondant en peu de mots aux questions qui lui sont posées :
Je lui ai dit qu'il me semble au fond normal que ses chaussures aient raté leur cible. Il m'a regardé, étonné. D'une certaine manière, l'Amérique semble toujours échapper à ses responsabilités, ai-je suggéré, sans bien savoir si je pensais à voix haute, ou si je lui posais vraiment une question. Une expression mêlant la surprise à une triste prise de conscience a traversé son visage. "Je n'avais jamais vu les choses comme ça avant." Après quelques minutes d'un silence lourd de part et d'autre, il a pointé du doigt ma tasse vide : "un autre thé ?"
Pour moi, Muntadhar al-Zaidi a toujours représenté le dernier fragment d'espoir, l'ultime symbole de résistance. Même quand tout est perdu, on trouve des hommes (et des femmes) ordinaires pour se dresser face au pouvoir. Bien sûr, ils ne pourront pas effacer les atrocités du passé, mais ils pourraient pousser les dirigeants futurs à penser à deux fois avant d'en commettre à l'avenir, particulièrement s'ils doivent faire face aux milliers d'Al-Zaidi prêts à défier leur autorité.
Les deux journalistes ont parlé de Gaza (""L'Occident n'est pas l'ami des droits de l'homme", me dit-il comme s'il constatait un simple fait"), de masgouf (un plat traditionnel d'Irak, de la carpe grillée), et du fascinant lapsus de Bush qui, en 2022, dénonça l'attaque de l'Ukraine en ces termes : "Cette invasion brutale et totalement injustifiée de l'Irak —euh, de l'Ukraine…"
"Si Bush vous entend, avez-vous un message pour lui ?
- Oui : vous avez fui la justice terrestre, mais vous ne pourrez échapper à la justice divine. Vous passerez l'éternité en enfer."
Je ne crois pas en Dieu mais Bush, oui. C’est pourquoi j’ose lui espérer de réguliers cauchemars collants de sueur.
Middle East Monitor Chronique parue dans l’édition du 20 janvier 2024.
Allons en paix
"Nous demandons à tous nos voisins, dont l'Iran, de résoudre les conflits par la voie diplomatique. L'Émirat Islamique d'Afghanistan n'est jamais en faveur de l'escalade", a affirmé cette semaine le porte-parole du Ministère des Affaires Étrangères afghan, avec peut-être un soupçon de mauvaise foi.
Il y a une raison à cet hypocrite appel à l’entente entre les peuples. C’est la fusillade qui a éclaté ce 27 mai à un poste-frontière avec l'Iran, et qui a fait trois morts —un officier taliban et deux gardes-frontière iraniens. Personne ne sait exactement ce qui s'est passé, mais Arab News nous rappelle que les tensions entre les deux dictatures ont cru récemment, après que la "république” islamique d’Iran a accusé son voisin de s'approprier la rivière Helmand, laquelle traverse les deux pays (nous vous avions raconté dans une précédente édition que le pays tentait également, par la construction d'un canal illégal, de s'approprier les eaux de l'Amu-Darya qui, lui, alimente l'Ouzbékistan, au nord. Mais il s'agit bien d'un autre cours d'eau, d'une autre frontière et d'une autre tyrannie).
Début mai, le président iranien Ebrahim Raisi avait rappelé à son voisin, à toutes fins utiles, l'existence d'un traité bilatéral de 1973 affirmant que la précieuse ressource de la rivière Helmand doit être partagée entre les deux pays. Un traité qui vaut ce qu'il vaut, l'Afghanistan étant situé en amont du cours d’eau, et donc en position de force, comme le rappelle The Diplomat : "L’accord stipule que l’Afghanistan doit fournir à l’Iran […] une moyenne annuelle de 820 millions de mètres cubes. Autrement dit, bien que le traité exige que le second ait accès à la rivière, il donne au premier un contrôle total sur le débit. Plus important, il n'a jamais été ratifié par Kaboul, qui n'a donc pas à lui obéir."
Une guerre ouverte entre les deux nations demeure cependant improbable. Elles ont autant besoin l’une de l’autre pour échanger biens, services et pétrole. De plus, l’Iran ne peut prendre le risque de déstabiliser son voisin, dans une région qui lui donne déjà, même à à ses dirigeants parierais-je volontiers, quelques maux de tête récurrents. Et puis l’eau c’est cool, mais est-ce aussi indispensable qu’opprimer sa population ? Ça reste à prouver (mais ça le sera bientôt).
Arab News Chronique parue dans l’édition du 3 juin 2023.
Tourisme
Si ce n'est pas trop demander, Phuket aimerait bien avoir un avenir. Cette province du sud de la Thaïlande, constituée d'une grosse trentaine d'îles, est un authentique paradis. Certes, l'humour du moment (et les carnets de voyage de Michel Houellebecq) l'associent principalement au tourisme sexuel, voire pédocriminel. Mais Dieu merci, ce n'est pas la seule raison pour laquelle on s'y rend. Espérons-le du moins : avec 11,3 millions de visiteurs en 2023 (le double de l'année précédente), on peut supposer que l'on y trouve aussi de simples amateurs et amatrices de soleil, de sable fin et de culture locale.
Ces chiffres vertigineux mettent pourtant, à leur manière, la province en péril. Car elle en étouffe. C'est du moins l'avis du gouvernement thaïlandais, et la raison pour laquelle il organisait ce 15 septembre un séminaire au nom éloquent : Transformer le futur du Phuket. Réunissant "des représentants du gouvernement, du secteur privé et de la société civile", nous dit le journal local Thaiger, la rencontre a exploré comment rendre cette industrie soutenable, tout en diversifiant les revenus économiques de la zone. Parce que pour l'instant, Phuket n'est guère plus qu'une méga résidence vacancière à ciel ouvert, à en croire les données livrées en ouverture du séminaire par un vice-gouverneur visiblement inquiet.
Songez donc : on trouve à Phuket 1,2 millions d'habitants… dont seulement 417 891 sont recensés, le reste étant constitué d'étrangers en balade et de saisonniers. "L'économie de Phuket dépend du tourisme d'une manière écrasante", résume Thaiger. "Le secteur génère 92,9 % de ses revenus […] Son aéroport international gère des vols directs de 18 pays, réunissant 65 villes, en plus des trajets nationaux. En moyenne, on compte 1 900 vols par semaine, ou 270 par jour". Rien qu'à écrire cette phrase, je tousse.
Le projet consiste à engager dans la région un plan de développement sur 20 ans qui permette de préserver l'environnement, de garantir le développement économique et de lutter contre les inégalités sociales. Cette nouvelle politique de développement pour Phuket, "plus équilibrée et résiliente" selon les mots du vice-gouverneur Norasak Suksomboon, trotte depuis quelques temps dans la tête du gouvernement thaïlandais. Ainsi, l'an dernier, The Nation évoquait déjà un plan sur 5 ans listant "7 objectifs clés". À savoir : "devenir une capitale gastronomique, devenir une capitale de la santé et du tourisme médical, développer le tourisme sportif, devenir un centre éducatif international, créer de la valeur grâce aux technologies numériques et aux villes intelligentes, devenir un centre du tourisme maritime, s'imposer comme marché majeur de la pêche dans la région, mais aussi comme un leader des activités liées aux événements, aux conférences, aux rencontres professionnelles".
Une stratégie aussi connue sous le nom de "on met un peu tout", qui pourrait bien fonctionner. Ou pas du tout. A minima, ça pourrait servir, je pense, de feuille de route un peu consensuelle pour Michel Barnier, qui a je crois besoin d'un petit coup de main programmatique en ce moment. Je l'ai envoyée à l'Élysée pour information. Je vous tiendrai au courant.
Thaiger Cette chronique est parue dans l’édition du 21 septembre 2024, et Michel Barnier ne m’a toujours pas répondu.
Quand ça montait
L'ascenseur social n'est pas en panne partout. Il marche par exemple très bien en Chine… À condition de faire un petit bond dans le temps vers le Moyen-Âge. Plus précisément à l'époque de la dynastie Tang (entre 618 et 907 de notre Ère).

Car à l'époque, on pratiquait une sympathique coutume. Sur les tombes, les inscriptions retraçaient l'histoire du défunt, en listant ses titres officiels, mais aussi ceux de son père et de son grand-père. C'est une mine d'or pour l'université de New York, dont un groupe de chercheurs et chercheuses observe la mobilité sociale à travers les âges. Et, surprise —enfin, pas pour vous qui avez lu le début—, il était fréquent alors de s'extirper de sa condition, même très pauvre, et de gravir les échelons. C'était aussi répandu, nous dit l'étude, qu'aux États-Unis dans les années 1960 et 70.
En examinant plus de 3 400 épitaphes, mais aussi documents généalogiques et archives dynastiques de l'époque, "les chercheurs et chercheuses ont relevé un déclin de l'aristocratie chinoise médiévale, et une croissance de la méritocratie, il y a 1 300 ans", résume Futurity.
Ce n'est pas arrivé par hasard, précise le magazine en ligne. La raison en est l'instauration du Keju, l'examen impérial, "développé à l'époque pour sélectionner les fonctionnaires. Le Keju, qui a existé jusqu'aux débuts du vingtième siècle, a servi de catalyseur pour la mobilité sociale —comme l'a fait le système universitaire dans l'Amérique depuis au moins les années 1960.
"Notre analyse statistique démontre qu'après 650, être issu d'une grande famille ou d'une maison dynastique comptait moins, pour s'imposer dans le système bureaucratique, que réussir son Keju", écrivent les auteurs et autrices."
Consultée par Futurity, Fangqi Wen, professeure de sociologie à l'université d'Ohio, rappelle à quel point les épitaphes de la dynastie Tang fourmillent d'informations : "Elles incluaient généralement des descriptions détaillées de la vie de la personne, sous forme de poèmes ou de prose stylisée. On y trouve quantités d'informations sur ses origines ancestrales, son arrière-plan familial et sa carrière professionnelle", explique-t-elle.
Une tradition que l'on pourrait faire revivre avec profit dans notre beau pays. On pourrait se contenter, dans bien des cas, d'un simple "Fils de" et ça ferait gagner du temps à tout le monde.
Stop au chlore dans l’eau des crocos
En 1973, le Népal a créé son premier parc national : plus de 900 kilomètres carrés de végétation dense. Un sanctuaire pour les espèces menacées que sont le tigre du Bengale, le rhinocéros unicorne et le gavial du Gange, un crocodile reconnaissable à son museau allongé, presque en forme d'épée. Classé en 1984 au Patrimoine Mondial de l'UNESCO, le Chitwan s'étend aux pieds de la chaîne himalayenne. Il a accueilli l'an dernier près de 200 000 touristes, dont 81 % de Népalais.
Ce chiffre a connu ces derniers temps une augmentation vertigineuse : selon les données citées par le site écolo MongaBay, ces mêmes touristes n'étaient que 61 000 au total sur la saison 2017-2018 (dont seulement 54 % de Népalais). C’est un résultat encourageant pour l'économie de la région bien entendu, pour la prospérité du parc aussi. Et presque sans risque pour sa préservation : le principe d'un parc national, c'est qu'il ne se visite pas sans suivre des directives scrupuleuses, pensées pour le bien de sa vie sauvage et sa pérennité écologique.
À un détail près, qui inquiète le magazine spécialisé sur l'environnement : les piscines.
Parce que plus de touristes, ça fait plus d'hôtels, mais aussi plus de concurrence entre les hôtels. Et comme le résume un visiteur : "si je peux loger dans un endroit avec une piscine sans payer plus, pourquoi pas ?". Une logique imparable. Un bon sens tel qu'on a envie de lui proposer un boulot de ministre, à cet homme-là, dès qu'il aura terminé sa longueur de brasse.
Pour appâter le chaland, au moins 15 des structures d'hébergement sur les 140 de la région proposent désormais leur bassin, qu'elles désinfectent au chlore évidemment. Hélas, malgré les efforts des hébergeurs (qui recyclent l'eau utilisée, en partie pour des raisons économiques, plutôt que de la rejeter régulièrement dans la nature), cette quantité devient suffisamment importante pour réveiller les inquiétudes des défenseurs de l’environnement dans la région. Car le chlore est ravageur pour les insectes et les petits animaux —c'est un peu son boulot et il le fait bien. Ces proies constituant le repas principal des animaux de plus grande taille, y compris des espèces protégées du Chitwan, il faut agir dès maintenant si l'on veut éviter de commencer à ravager ce lieu paradisiaque et décimer ses quadrupèdes les plus emblématiques.
"On ne vide la piscine dans le fleuve voisin qu'une fois tous les deux ou trois ans, donc on ne peut pas polluer", explique Ganga Giri, président de l'association des hôteliers du Chitwan. "D'un point de vue individuel, il a raison. Les pratiques en elles-mêmes ne présentent pas de danger environnemental, à cette échelle", concède le directeur du programme "Eau douce" à WWF Népal. Il ajoute cependant : "Mais si l'on regarde le nombre total de bassins, lequel augmente chaque année à la fois en quantité absolue et en rythme de croissance, ça commence à poser problème". "Le fleuve Rapti [auprès duquel se construisent la majorité des installations], c'est l'épine dorsale du Chitwan", abonde un ancien officier de l'Agence des Parcs Nationaux et de la Préservation de la Vie Sauvage, devenu biologiste indépendant. "Si la situation tourne mal pour les crocodiles, alors les tigres et les rhinocéros seront les prochains sur la liste".
Interrogé par MongaBay, le responsable "Environnement" du Parc avoue benoîtement : "On n'a pas du tout prêté attention à ce problème jusqu'à maintenant. Mais merci pour la question, on va regarder ça de près".
Un problème pris en amont, des autorités alertées, un véritable enjeu écologique et donc, pour un parc national en pleine croissance, économique : on peut espérer pour une fois que quelqu'un, quelque part, soit en train d'agir pour le bien commun. C'est le point de vue, d'ailleurs, du très pragmatique directeur de la chaîne hôtelière Tiger Mountains, dont la tête fourmille d'idées et de solutions à en croire le mail qu'il a envoyé au journaliste en charge de l'enquête. Voici ses conseils éclairés :
"Ne construisez pas de piscine, mais expliquez pourquoi avec enthousiasme. Si vous acquérez un hôtel qui a déjà une piscine, désinfectez-la sans chlore, avec du sel par exemple, et imaginez des expériences plus riches, plus immersives -désolé pour le jeu de mots. Par exemple, faites un étang sauvage, avec des cobras et des pythons en liberté".
Il faut souffler l'idée aux hôtels Ibis. Je leur conseillerais même de se passer de bassin, pour se contenter des pythons et cobras en liberté. Ce serait de toute façon un spectacle plus inoffensif que le petit-déjeuner avec le téléviseur branché sur BFM, et sa ménagerie carnassière et rampante.
MongaBay Chronique parue dans l’édition du 3 février 2024.
Hashtag Sport, Hashtag Santé, Hashtag Carnet mondain
Peut-être vous tracassez-vous parce que vous n'avez pas de quoi payer votre loyer ou parce que votre patron vous harcèle mais, pendant ce temps-là, il y en a qui ont de vrais problèmes.
Prenez An Bin par exemple, tout juste nommé PDG de la Korea Ginseng Corporation. Son boulot, c’est de vendre du ginseng et lui a de vrais soucis. En particulier : comment vendre plus de ginseng ? C'est son problème, vous me direz. Certes mais ça ne répond pas à la question : comment vendre plus de ginseng ?
Heureusement, les miracles existent et, depuis ce week-end, c'est la fête à la Korea Ginseng Corporation —que l’on appellera dorénavant KGC. La bonne nouvelle a 24 ans. Elle est indonésienne et s'appelle Megawati Hangestri Pertiwi. C'est une volleyeuse brillante qui cumule les titres depuis son entrée dans le circuit professionnel et qui surtout sait parler au jeune public. Or elle vient d'intégrer une équipe coréenne, les Red Sparks, qui appartient précisément à KGC. Elle a aussitôt été promue égérie de la marque (une égérie, en termes marketing, c'est le visage d'un produit, comme lorsque Natalie Portman s'affiche pour Dior, Chris Hemsworth pour Boss ou Jo-Wilfried Tsonga pour Kinder Bueno).

Afin de présenter au public les nouvelles responsabilités de la jeune femme, KGC a fait les choses en grand. La grande première a eu lieu à l'occasion d'un match amical à Jakarta, opposant les Red Sparks à l'équipe nationale d'Indonésie (le pays natal de la joueuse), match qui a inspiré au Korea Times les mots justes pour nous faire partager l'ambiance festive du moment… vraisemblablement en recopiant le communiqué de presse qui lui a précédemment été envoyé. Le style ne trompe pas :
"À la Indonesia Arena, où s'est déroulée la rencontre samedi dernier, l'entreprise y est allée à fond pour promouvoir ses produits auprès des 16 000 fans de volley-ball qui avaient rempli le stade. De longues files d'attente se sont formées devant le stand de KGC, à l'extérieur de la salle, où étaient distribués gratuitement des flacons aux extraits de ginseng rouge et des échantillons d'autres compléments de santé.
KGC n'a pas ménagé non plus la publicité dans sa boutique du centre commercial luxueux de Jakarta, le Lotte Shopping Avenue. Pendant 5 jours, depuis le mercredi précédent, elle a offert à la clientèle des coffrets d'échantillons et proposé des réductions sur l'ensemble de la gamme. À partir d'une certaine quantité d'achats, on pouvait même repartir avec du merchandising aux couleurs de Megawati, comme son maillot ou une poupée."
Il ne fallait rien négliger, vu que l'on compte plus de 275 millions d'habitants dans le pays musulman, dont un grand nombre ne consomme pas (encore) de ginseng. "Megawati est une force immense pour la promotion de KGC en Indonésie", s'est réjoui un représentant de la marque, manifestement entre deux sanglots de joie et avec une syntaxe douteuse : "Tout comme elle tire vers le haut la ligue de volley-ball dans son ensemble, on peut espérer que la KGC popularisera le ginseng rouge coréen auprès des marchés mondiaux des compléments alimentaires".
Ce n'est pas qu'un fantasme. Megawati est une vraie star et par conséquent une authentique force de frappe publicitaire : en un an, le compte Instagram de KGC est passé de 20 000 à plus de 280 000 followers. Sa chaîne YouTube a dépassé les 230 000 abonnements, une première dans l'histoire du volley-ball coréen. Et "86 % des followers du club sur les médias sociaux sont indonésiens", précise le Korea Times.
Le ginseng est censé n'avoir pas son pareil pour donner la patate. Je gage pourtant que les courbes de croissance d'un bon chiffre d'affaires peuvent facilement faire autant d'effet.
The Korea Times Chronique parue dans l’édition du 27 avril 2024.
Aujourd’hui, hélas, les beaux jours du ginseng rouge sont passés : Megawati vient de signer pour un club turc qui l’accueillera dès la saisons 2025-2026 (le Manisa Büyükşehir Belediyespor Kulübü, puisque vous voulez tout savoir). Une annonce rendue publique quelques jours à peine après son mariage avec Dio Novandra, champion natation palmée et “amour de sa vie”, selon l’Independent Observer.

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