Dans les archives : en Asie
De la pêche au Balouchistan au ginseng coréen en passant par les Talibans
Chère lectrice, cher lecteur,
la série archivistique se poursuit et, avec elle, mes décisions géographiques parfaitement arbitraires. Ainsi, si l’on parle aujourd’hui du continent asiatique, on va le faire sans l’Inde qui pourtant —je n’ai même pas vérifié sur Wikipédia— est en Inde, c’est presque sûr.
Mais enfin —et ce sera ma deuxième leçon de géographie pour aujourd’hui— l’Asie, c’est grand. Alors, il a fallu un peu élaguer (il manque déjà quelques pays, pourtant traités dans ces colonnes, n’est-ce-pas). L’Inde bordant l’un des deux océans qui a donné son nom au continent de la semaine prochaine (vous aurez reconnu l’Océanie), et surtout étant intégrée à cette partie du globe par les stratèges contemporains très préoccupés par “la zone Indo-Pacifique”, la voici bien au frais pour la semaine prochaine. Moi ça m’arrange et, je crois, Modi s’en remettra.
Attaquons donc car l’Asie, c’est grand (point de bonne pédagogie sans répétition).
Bonne lecture !
Des pêcheuses sachant pêcher

Au Pakistan, au sud-est du pays, les femmes s'y mettent. À quoi ? Aux sit-ins, aux manifestations et aux chants de protestation.
La crise de Gwadar, où la pêche est une activité historique, à la fois économique et de subsistance, remonte à 2021. La loi locale est assez précise : près des côtes, on obéit aux réglementations de la province (ici le Balouchistan) ; au-delà de 200 milles nautiques, aux principes fédéraux du pays et, entre les deux, entre 20 et 200 milles, c'est une zone tampon. Un système qui ne fonctionnait pas si mal, jusqu'au développement d'un nouveau port en eaux profondes facilitant le chalutage —cette manie de racler les fonds marins qui capture tout forme de vie dans ses rets. Pratiqué toujours plus près des côtes, le chalutage épuise les ressources des petits pêcheurs, "parmi les groupes les plus pauvres et les plus marginalisés de cette région conservatrice du Pakistan", précise le toujours excellent The Diplomat dans son enquête sur le Haq Do Tehreek, un mouvement social qui dure depuis plus d'un an maintenant.
Le problème de Gwadar, c'est que son port appartient au CPEC, le Corridor Économique Chine-Pakistan. Un ensemble d'infrastructures destinées à sécuriser les imports énergétiques de la Chine venus du Proche-Orient, autant que l'export de ses propres biens, en lui permettant d'éviter le détroit de Malacca (qui peut être facilement bloqué par la marine américaine en cas de guerre). Le CPEC comprend une Zone Économique Exclusive, l'implantation d'un aéroport flambant neuf, la construction et la modernisation d'autoroutes et de lignes de chemin de fer et, donc, la création récente d'un port en eaux profondes. Un afflux de cash et d'investissements pour le Pakistan, souvent comparé dans la presse au Plan Marshall, lancé par les États-Unis pour aider la reconstruction de l'Europe après-guerre.
“Les gens vivent dans deux mondes différents à Gwadar", explique une manifestante à la publication américaine. "L'un de ces mondes se développe rapidement, se connecte au globe, grâce au port en eaux profondes et au CPEC ; le second n'a toujours pas accès aux premières nécessités, comme l'eau et les égouts".
Les pêcheurs demandent que soit sanctionné le chalutage dans les zones qui lui sont en principe interdites, mais réclame aussi plus de justice et d'équité dans le développement renouvelé de la ville côtière. En novembre 2021, une tentative de blocage du port a conduit le leader du mouvement “Haq Do Thereek”, le Maulana (un terme désignant les érudits musulmans) Hidayat-ur-Rehman Baloch, à demander, tout simplement si l'on ose dire, le départ des travailleurs chinois. Le CPEC pesant 50 milliards de dollars d'investissement, les autorités n'ont guère apprécié. La foule a été dispersée à coups de flashballs et gaz lacrymogène. Le Maulana est désormais en prison. En janvier dernier, quand il a été arrêté, The Diplomat racontait déjà : "Un sit-in devant l'entrée principale du port a duré cinquante jours, avant que commencent les violences, la dernière semaine de décembre, entre manifestants et policiers. […] Gwadar est vantée comme le cœur du CPEC, et généralement vue comme l'atout maître des nouvelles routes de la soie, mais les habitants se sentent depuis longtemps privés des bénéfices générés par leur ville natale."
En ce mois de mars, donc, les femmes ont pris le relais des manifestations. D'abord parce que, souvent, leurs époux sont emprisonnés. Ensuite parce qu'elles se sentent plus protégées des violences en raison du "concept traditionnel "Tu respecteras les femmes quoi qu'il arrive"", précise une activiste, directrice d'une école publique à Pishukan, un petit village de pêcheurs de la région. Même si hélas, "elles n'ont pas été épargnées par l'usage de la force", ajoute-t-elle.
Un geste d'autant plus courageux qu'il s'oppose aux forces gouvernementales, mais aussi aux mafias locales, soupçonnées d'être couvertes par les pouvoirs pakistanais comme chinois, tous deux connus pour être assez conciliants avec la corruption. "La mafia du chalut, [comme on l'appelle ici], est équipée d'armes à feu sur ses bateaux, et n'hésite pas à enlever les filets de pêche précédemment déposés par les pêcheurs locaux", se lamente une manifestante.
Tintin nous manque.
Fun Fact : depuis la publication de ce numéro, le mouvement du Haq Do Thereek a grandi. Désormais doté d’un site internet, il a envoyé ses propres candidats d’abord à la mairie de Gwadar, emportant 28 sièges sur 34, puis à l’élection de l’Assemblée Provinciale du Balouchistan lors des élections générales de 2024. Avec 20 000 et quelques voix, il a obtenu moins d’un Pour cent de suffrages. Juste ce qu’il lui fallait, cependant, pour obtenir un siège… désormais occupé par le Maulana Hidayatur Rehman Baloch, sorti de prison. En octobre dernier, il condamnait les violences des protestataires, mais assurait que les actions pacifiques d'occupations et de sit-ins se poursuivraient “tant que le gouvernement ignorera les problèmes de la population”. Ce 15 août, le Pakistan demandait officiellement à la Chine d’intensifier ses investissements dans la région. Une poignée de Yens, c’est mieux que pas de Yens du tout.
The Diplomat Chronique parue dans l’édition du 1er avril 2023..
Continuez votre lecture avec un essai gratuit de 7 jours
Abonnez-vous à Un Jour En Plus pour continuer à lire ce post et obtenir 7 jours d'accès gratuit aux archives complètes des posts.