Chère lectrice, cher lecteur,
bienvenue dans ce deuxième volet de la série d’été d’Un Jour En Plus. La balade entre les archives et les continents se poursuit, avec cette fois-ci l’Amérique latine à l’honneur.
En attendant l’Europe la semaine prochaine, découvrons donc d’un peu plus près des nouvelles du Mexique, de l’Équateur, du Pérou et des autres nations du continent. Avec une bonne dose de musique, de cinéma et de tortues.
Bonne lecture et bel été !
Sortie ciné
Voilà mon genre d'info préférée, les découvertes pour lesquelles je fais ce travail. Elle est belle au début mais, quand on regarde derrière, plus belle encore.
Pour raconter l'histoire de ce festival de cinéma très spécial qui vient de clore sa première édition, il faut d'abord narrer celle de Kara Solar.
Cette fondation est née en 2018, en Équateur, grâce aux efforts conjoints de la population Achuar et d’un petit groupe d'anthropologues et d'ingénieurs. Le but initial était d’apporter l'énergie solaire au territoire de cette communauté autochtone. Pour "la libérer de la dépendance à l'essence" et pour relier ses tribus, éparpillées entre l'Équateur et le Pérou. Pour, en fait, l’aider à retrouver le plein usage de "ses autoroutes ancestrales, les fleuves".
Tout commence avec des pirogues modernes alimentées à l'énergie solaire (cinq à ce jour), qui vont peu à peu former un véritable réseau de transport sans perturber ni la nature, ni le mode de vie des Achuars. Trois ans plus tard, en 2021, le modèle commence à s'exporter (avec un petit coup de pouce de la pandémie de Covid, qui rend l'essence rare et chère) : "maintenant que nous savons que notre modèle est viable, nous aidons des communautés indigènes, au Brésil, au Pérou, aux îles Salomon et au Surinam à le reproduire", se félicite Karua Solar sur son site. En 2022, une première salle communale fonctionnant à l'énergie solaire a également été inaugurée.
Les ingénieurs ont ensuite fait la connaissance de cinéphiles, en la présence du collectif Tawna qui depuis 2017 défend la production et la diffusion de films réalisés par des indigènes d'Amazonie, sur des sujets qui les concernent. Pour reprendre leurs mots : "Nous cherchons à rendre visibles les principes de défense des territoires indigènes, à solidifier les héritages culturels de l'Amazonie, et à accompagner la jeunesse dans l'apprentissage de la communication audiovisuelle. Une "tawna" ["Pagaie", en français], c'est l'outil qui permet à un canoë d'avancer sur les cours d'eau. C'est notre symbole, car nous jouons le même rôle : connecter, unir, créer des liens entre les communautés et les territoires".
Peut-être faut-il le préciser : les tribus d'Amazonie ne vivent plus complètement à l'extérieur du monde. L'arrivée assez fracassante, dans les années 1990, du Chef Raoni (un Kayapo, lui) sur la scène internationale rappelle que les contacts et les échanges —mais aussi les combats, les invasions et les résistances— remontent à loin. Celles et ceux qui quittent leur village pour apprendre, pour travailler, pour découvrir, ont souvent à cœur de faire connaître leurs façons d'être, comme les menaces qui pèsent sur elles. C'est le cas par exemple, au sein de Tawna, de Enoc Merino Santi, devenue docteure en Anthropologie sociale à l'université de Rio, de Tatiana Lopez, une photographe Quechua, ou de Nixon Andy, documentariste et coordinateur de la Guardia Indegenia, un groupe militant "qui surveille son territoire ancestral".
Quand l'équipe de Kara Solar (et ses pirogues écolos) sympathise avec le collectif Tawna (et ses films venus d'ailleurs, enfin, vu de là-bas, d'ici), la seule conséquence logique est la création de Kanua : le premier festival de cinéma itinérant intégralement dédié aux peuples d'Amazonie.
Concrètement, le mois dernier, l'un des bateaux à énergie solaire de Kara Solar a traversé "377 kilomètres à travers les terres indigènes, s'arrêtant dans les villages qui jalonnent le fleuve, sur les territoires Kochwa, Shiwiar et Achuar, en suivant les rivières Bonanza, Pastaza et Capahuari". À son bord, un projecteur, un écran de cinéma et 29 films issus de neuf pays d'Amérique latine.
Des films comme Mari Hi, "une expérience onirique guidée par un chaman Yanomami". Comme Un dia de Cumbia, "voyage candide dans les souvenirs d'une femme Awajun". Ou Guanuna, l'enquête sur le meurtre d'un jeune villageois de 16 ans par 3 policiers brésiliens, depuis condamnés à 20 ans de prison.
La radio états-unienne The World s'est entretenue avec un membre de l'équipe, le soir de la dernière. La réalisatrice Elizabeth Swanson Andi Napu Kichwa, de la communauté Santu Urku, a raconté à l'animateur, en direct :
"Il pleut. Je suis entourée des toits de chaume, magnifiques, avec leurs motifs élaborés. Quand je les vois, je pense aux gens, aux membres de cette communauté, qui les ont fabriqués ensemble, et à leurs histoires tout aussi élaborées. Il y a un feu près de moi. C'est le dernier soir, notre dernier moment tous ensemble.
Le plus souvent, le chef de village souffle dans un cor en terre cuite pour prévenir les habitants que la projection va commencer. Les enfants se précipitent. Beaucoup de femmes, des grand-mères pour la plupart, ont préparé une boisson traditionnelle à partager. On rit beaucoup.
L'un des films qui a le mieux marché, c'est Allpamanda, ce qui veut dire "pour la terre" en Quechua. C'est sur la rébellion indigène de 1992. Beaucoup des plus âgés ont reconnu des proches dans des scènes. Ils disaient "Oh oui, je me souviens, j'y étais".
Ils parlent de celles et ceux qui sont décédés depuis, qui se sont battus, qui ont aussi accompli un travail remarquable. Beaucoup de papas et de mamans qui ont traversé, souvent pieds nus, la forêt amazonienne, la Cordillière des Andes, jusqu'à la capitale Quito, pour défendre leurs droits.
C'était très beau, de voir les enfants découvrir cette histoire".
The World (Chronique parue dans l’édition du 16 décembre 2023).
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