Chère lectrice, cher lecteur,
permettez-moi de vous souhaiter un très bon week-end en compagnie, cette semaine, de drogue, de riz, de girafes, de flamants roses, de cinéma, de céramiques, de musique et du salaire minimum.
Très bonne lecture,
la conscience artificielle de votre téléscripteur favori.
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Le billet de la semaine
À quoi sert l’argent ?
Alors celle-là, elle est bien bonne. Le coup est parti d'où on ne le voyait pas venir. Les résultats d'une nouvelle expérimentation sur le revenu minimum universel viennent de tomber. Pendant 3 ans, 3 000 personnes ont touché 1 000 dollars chaque mois, sans condition. Qui les a payées ? La start-up nation.
Plus précisément : OpenAI, la firme d'intelligence artificielle (IA) à l'origine de Chat GPT. C'est un projet personnel de son médiatique (et cupide, et mégalomane) Président, Sam Altman. Il croit dur comme fer —dur comme si son salaire mirobolant en dépendait, du moins— que le développement de l'IA mènera à une telle raréfaction des emplois qu'il faudra bien payer les gens, non pas à rien faire, mais à faire ce qu'ils veulent. Une idée jusque là surtout défendue par la gauche de la gauche, Bernard Friot en tête. Une rencontre improbable entre la terreur d'Emmanuel Macron et l'une de ses idoles qui ne le fera sûrement pas réfléchir… Mais d'autres, oui.
Alors, qu'ont fait tous ces gens de cet "unconditional cash" ? Comment ont-ils répondu, en actes, aux questions initialement soulevées par Altman ? Il formulait ainsi ses propres interrogations dans un billet de blog qui annonçait son projet en 2016 : "Est-ce que les gens vont rester assis toute la journée en jouant aux jeux vidéo, ou est-ce qu'ils vont créer de nouvelles choses ? Seront-ils heureux et épanouis ?". Avant de regarder les résultats, rappelons le cadre précis de l'étude, relayée par Open Research (un institut indépendant statutairement mais, c'est important, largement financé par OpenAI).
3 000 participants, dans le Texas et l'Illinois (deux régions sociologiquement très différentes des États-Unis) se sont vus verser 1 000 dollars par mois pendant trois ans, à partir de 2020. Une augmentation de 40 % de leurs revenus, dont le maximum devait être de 29 000 dollars par an (soit environ autant d'euros, soit pas beaucoup). Dans le même temps, un groupe de contrôle de 2 000 personnes n'a reçu que 50 dollars mensuels : le minimum, aux yeux des chercheurs, pour qu'ils acceptent de faire état de leurs dépenses au long de l'expérimentation.
Alors, qu'ont-ils fait ? Eh bien, pas grand chose. Je veux dire : rien de franchement surprenant. Ils ont vécu.
Il faut l'entendre assez littéralement : d'une manière générale, leurs dépenses de santé ont été accrues de 20 %, tandis que les addictions à l'alcool ont diminué d'autant. Avec des effets de bord intéressant, relevés par 19th News : "l'une des bénéficiaires a expliqué aux chercheurs que, durant l'étude, son enfant a été diagnostiqué autiste et que ces revenus supplémentaires lui ont donné la possibilité de quitter son travail pour prendre en charge son éducation à domicile. D'autres, surtout des femmes, rapportent qu'elles ont pu accepter des emplois plus flexibles, quoique moins rémunérateurs, pour pouvoir passer plus de temps avec leurs enfants".
Et sinon ? Sinon, pareil. Vivre, encore : en moyenne, 67 dollars sont partis dans l'alimentation, 52 dollars dans le loyer, 50 dollars dans les transports. "Certains volontaires ont dit que l'argent leur a permis de ne plus vivre au jour le jour et de commencer à imaginer ce qu'ils pourraient faire avec un peu plus de liberté financière. Karina Dotson, l'une des chercheuses, les a souvent entendus dire que le revenu leur avait donné "la sensation d'être soi" ("a sense of self"). Elle ajoute que cela "leur donnait la place, dans leur tête, pour rêver, croire, espérer et envisager un avenir auparavant inimaginable"". Ils et elles ont aussi donné, toujours en moyenne, 22 dollars par mois pour soutenir leur cercle amical ou familial.
D'une manière générale —et c'est sans doute là le plus intéressant—, comme le craignent les détracteurs du revenu universel, les bénéficiaires ont aussi moins travaillé. 1,3 heures de moins par semaine en moyenne que les membres du groupe de contrôle. Pas de quoi faire chuter la civilisation, si ?
Non : "La plus grande partie de cette baisse est observée chez les participants de moins de 30 ans, qui ont le plus souvent profité de cette opportunité pour reprendre leurs études ou avoir recours à la formation […] D'autres, qui devaient cumuler les emplois, ont pu se concentrer sur un seul. Ou encore choisir leur travail, plutôt que sauter sur la première offre venue. L'une raconte par exemple qu'elle a pu se permettre d'accepter un poste mal payé mais qui présentait de véritables possibilités de promotion. Un choix qui s'est avéré payant deux ans plus tard, quand son nouvel emploi lui a permis de toucher un salaire à six chiffres […].
Pour d'autres encore, c'est l'entrepreneuriat qui a été choisi. En troisième année du programme, on constate une augmentation de 26 % de probabilité d'une création d'entreprise dans la population noire (et de 15 % chez les femmes quelle que soit leur couleur de peau)."
Selon Eva Vivalt, l'une des chercheuses (et professeure assistante d'économie à l'université de Toronto) interviewée par CBS, "en fait, les gens font plus de choses. Et si l'on interprète les résultats en disant que, pour les gens, le temps de loisir a une valeur, c'est signifier que cela améliore leur bien-être. Parce que cela leur redonne le choix, la possibilité de décider par eux-mêmes de ce qu'ils veulent faire."
Newsweek reprend aussi quelques propos des bénéficiaires : "Ça m'a aidé à payer un bout de mes frais de voiture. Ça m'a aidé à payer un bout de mon loyer. Ça m'a aidé à payer des bouts de ma vie", dit l'une. "C'était plus une question d'indépendance que de quoi que ce soit d'autre. Le pouvoir de ne plus avoir à dire "Hum, maman, peux-tu m'aider à payer ma note de téléphone ?". Le pouvoir ne plus appeler au secours."
D'autres études ont eu lieu ou sont encore en cours dans divers États, villes et comtés (j'en ai déjà relayé ici). Ce qui est une bonne nouvelle car, comme le rappelle Vox dans un texte intitulé "L'Intelligence Artificielle n'est pas un argument en faveur du revenu de base" (et par ailleurs bourré de liens et de ressources) :
"Raccrocher la défense du revenu de base à la peur des progrès rapides de l'IA le rend bien plus vulnérable que nécessaire. S'il n'y a pas de grandes vagues de licenciement dues à l'IA, si la bulle de l'IA explose, et que cette invention ne s'avère pas différente des cycles précédents d'innovation et de chômage, le soutien en faveur de cette solution s'écroulera aussi […].
Le mouvement pour le revenu de base ferait mieux de couper ses liens avec les spéculations sur l'IA. Alors, la conversation pourrait tourner autour de ce qu'il est réellement : un outil efficace de lutte contre la pauvreté. Il ne nous protégera pas de la dystopie. Il n'enfantera pas un paradis de temps perdu. Il créera simplement un monde avec moins de misère".
Si je vois ce monde de mon vivant, je pourrai toujours me dire que nous n'aurons mis que 4 ou 5 millénaires à comprendre ce que permet vraiment la vie en commun, et le sens du mot solidarité. Pas si mal pour une espèce qui a d'abord dû apprendre à vivre en proie, accrochée aux branches, attentive à chaque souffle de la forêt. Dans un monde hostile et indifférent. Dans un monde dont le sens ne dépend que de nous.
Votre horoscope tribal
Le signe de la semaine : Chimiste
C'est une histoire qui commence bien et qui finit mal, mais qui n'est pas encore finie. Elle débute en Birmanie en 2020. Par la victoire électorale de la Ligue nationale pour la Démocratie menée par Aung San Suu Kyi —qui a des défauts mais parmi ses qualités celle, justement, de mener la Ligue Nationale pour la Démocratie.
Vous vous souvenez sans doute que, presque aussitôt, l'armée a décidé d'annuler purement et simplement ce résultat. De reprendre le pouvoir en contraignant le gouvernement d'union nationale à fuir (sans plusieurs de ses dirigeants mis aux arrêts à l'aube) et à poursuivre son action de manière clandestine. Le coup de force de la junte s'est avéré un peu hâtif : nul n'avait anticipé que les aspirations démocratiques de la population allaient se greffer avec succès sur les revendications ethniques qui secouaient déjà le pays. Depuis, la Birmanie vit dans la guerre civile.
La rébellion progresse. En janvier dernier, elle s'est emparée de la ville de Laukkai, près de la frontière chinoise (une capitale régionale, mais aussi "un havre du jeu et des escroqueries", nous dit Reuters). Le 6 avril, de Myawwady, côté Thaïlande ("une réussite contre un régime militaire au moral déjà en berne", selon le Financial Times) avant, malgré tout, de devoir s'en retirer face à une puissante contre-offensive décidée en raison du nœud commercial vital de la position. Le 18 mai, c'est au tour du district de Buthidaung, limitrophe du Bangladesh, de tomber. Le chaos sur place n'a pas permis de confirmer un contrôle effectif, mais il témoigne a minima que l'armée doit se battre sur de multiples fronts. En raison, précisément, de la nature en partie ethnique du conflit : chaque minorité a sa propre armée de guérilla, dans un territoire où elle manœuvre depuis parfois des décennies. Le 25 juin, les rebelles se cassaient tout de même les dents sur Lashio, 200 000 habitants perchés à 800 mètres d'altitude… Mais au moment d'écrire ces lignes, les rebelles affirment avoir enfin emporté la victoire, ce 26 juillet à 4 heures du matin ("la chute du centre de commandement régional du nord-est serait un tournant" écrit, prudent, The Diplomat ; "les difficultés s'accroissent pour la junte, confrontée à l'intensification des attaques et à une hausse rapide des désertions", observe The Borderlens). Le pays semble pour l'instant tenu à moitié par l'alliance entre les pro-démocraties et les rébellions ethniques. Et à moitié par la junte, toujours en possession des villes les plus importantes et de la capitale.
Les combats sont évidemment accompagnés de leur lot de morts civils, d'exodes et d'exactions. Mais un autre problème, endémique en Birmanie, vient s'adjoindre à tout cela, à mesure que se dissout toute forme d'autorité dans l'ensemble du pays.
Ainsi, le média économie asiatique Nikkei s'alarme d'une explosion du trafic de drogue. Explosion qui rejaillit bien au-delà des champs de bataille. La méthamphétamine, surtout, tombe en pluie sur toute la région. Ce stimulant, qui provoque une addiction très rapide, très solide, et sans pitié pour le corps de celle ou celui qui en dépend, est hélas remarquablement bon marché et facile à fabriquer.
De fait, le conflit a lieu dans le Triangle d'Or. Une zone qui s'étale sur trois pays (le Laos, la Birmanie et la Thaïlande) et qui est déjà réputée, si l'on peut dire, pour ses capacités de fabrication et d'export de drogues en tous genres. Un moyen de financement accessible et rentable pour la guérilla ou pour certains civils livrés à l'effondrement de l'État et à la misère.
190 tonnes de méth' —comme disent les quadras un peu trop excités par la série Breaking Bad— ont été saisies en 2023 dans le sud-est asiatique (selon l'ONU) : c'est 30 % de plus que l'année précédente et "la quantité la plus spectaculaire depuis 2002, année où l'on a commencé à tenir le compte", relaie Nikkei. À quoi il convient d'ajouter la production d'opium, estimée à 1 000 tonnes l'an dernier, là aussi du jamais-vu, de mémoire d'archiviste. Deux records qui devraient être brisés en 2024, selon le représentant sur place de l'ONUDC (Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime). L’offre a fait baisser de moitié le coût de la pilule de l'excitant, qui coûte désormais autant qu'une tasse de café. Le problème concerne toute la planète, puisque les pays voisins (surtout la Thaïlande, le Cambodge et la Malaisie) sont ensuite utilisés par les trafiquants comme point de départ de l'export international, avec le Japon et l'Australie en ligne de mire.
Un afflux de drogues qui n'arrange pas les affaires du gouvernement thaïlandais, déjà empêtré dans une valse-hésitation autour de la question du cannabis. Celui-ci avait été légalisé il y a deux ans sans qu'ait été complètement prévue l'augmentation faramineuse des échoppes consacrées à la vente du produit que cela allait déclencher, dans cette destination touristique majeure (et le seul pays du sud-est asiatique où la substance est désormais libre). Les deux partis au pouvoir, en gouvernement de coalition depuis l'année dernière, s'opposent radicalement sur le sujet. L'un a fait du retour de la marijuana dans la liste des narcotiques de catégorie 5 une promesse de campagne. L'autre, à l'origine de la légalisation, reconnaît la nécessité d'encadrer plus fermement la commercialisation mais se refuse à revenir aussi brutalement sur une décision phare de son mandat précédent (le secteur devrait représenter 1,2 milliards de dollars en 2025).
Aux dernières nouvelles, le ministre de l'Intérieur (pro-légalisation) affirmait que le Premier Ministre (pro-interdiction) aurait accepté de ne proposer qu'un projet de loi de régulation de ce commerce pas encore complètement comme les autres. Un Premier Ministre conservateur mais pas trop : il laisse aussi flotter l'idée d'autoriser à nouveau la vente d'alcool l'après-midi, alors que celle-ci est strictement interdite entre 14H et 17H00, depuis 52 ans.
Bref, si vous partez dans le coin en vacances, n'oubliez pas votre playlist de Jefferson Airplane. Ni de consommer avec modération.
Grain (Ascendant : Riz)
C'est un grand jour pour l'Irak : la culture du riz va pouvoir reprendre. Elle avait été suspendue sur tout le territoire pendant deux ans, mais la voici de retour. Timidement pour l'instant : seuls 150 kilomètres carrés lui seront dédiés pour un rendement prévisionnel de 150 000 tonnes, a annoncé cette semaine le secrétaire d'État à l'Agriculture, Mahdi Sahar al-Jubouri.
150 000 tonnes, c'est rien : le pays est contraint d'en importer 1,25 millions annuellement pour répondre à sa demande intérieure. C'est que les complications se sont précipitées comme la misère sur le monde (enfin, comme sur l'Irak, quoi) pour obliger le gouvernement à interdire complètement la riziculture. Le changement climatique est évidemment le coupable principal d'une mesure qui avait réduit les cultures à seulement 10 kilomètres carrés (mais pas pour recueillir le grain, seulement les graines). Le réchauffement accroît bien sûr les sécheresses mais il salinise aussi les sols, à mesure que l'eau de mer s'infiltre dans des fleuves au débit affaibli. En prime, les voisins iranien et turc s'empressent de construire des barrages qui limitent encore l'apport d'eau dans le pays, qui est de surcroît trop mal géré pour entretenir comme il le faudrait son système d'irrigation. Un cocktail meurtrier.
L'interdiction a été levée, même sur une petite surface et à titre expérimental, en raison des lourdes pluies tombées tout l'hiver. Un temps que l'on appelait autrefois "pourri" mais qui a aussi gâté la Turquie, suffisamment pour qu'Erdogan promette d'ouvrir un peu plus grand les débits de ses barrages, à destination de l'Irak. De plus, les scientifiques du pays ont développé une nouvelle variété, le Ghiri. "Un hybride entre le riz ambre et le riz jasmin qui peut pousser sans être complètement immergé. Il suffit de l'humidifier à l'aide d'arroseurs fixes", décrit le Middle East Monitor. Une espèce "déjà plantée cette saison à petite échelle, après avoir été testée un an durant au centre de recherche Al-Mishkab".
L'idée du gouvernement est d'ailleurs de mettre en place définitivement des pratiques "modernes" : les riziculteurs qui auront recours à l'arrosage automatique et aux semailles mécanisées bénéficieront de subventions pour assurer la transition vers ces nouvelles méthodes. Le président du syndicat de paysans de la province de Najaf se réjouit que 80 kilomètres carrés aient déjà été plantés, dont des parcelles dédiées aux riz jasmin, ambre et d'Euphrate, fiertés du pays. La commission de l'Eau, de l'Agriculture et des Marais a confirmé de son côté que tout semble en place pour aller progressivement plus loin, avec en tête l'objectif d'atteindre à terme les 1 000 kilomètres carrés dédiés à la riziculture.
Tout est en place, donc. Il est sans doute temps d'envahir le pays pour leur expliquer à coup de rangers dans la tête comment on fait, chez nous.
Girafe
Les girafes de la réserve de Ruko au Kenya vont bien. C'est une vétérinaire de l'agence locale de protection de la nature qui l'affirme à l'AFP (relayée par Sciences et Avenir). C'est une très bonne nouvelle pour elles, mais aussi pour les humains établis sur ces terres à l'ouest du pays et qui vont donc pouvoir maintenir leur cessez-le-feu.
Car la création de la réserve au milieu des années 2000 n'avait pas pour seul but de réintroduire cette espèce dans un coin qu'elle avait fui. L'objectif était également de "ramener la paix entre les deux ethnies locales, les Pokot et les Ilchamus, qui se sont opposées durant des décennies dans de violents affrontements, parfois armés".
La cause de cette guerre interne semble avoir été le mécanisme bien connu du cercle vicieux : appauvrissement des populations menant à des vols de bétails, menant à des représailles, menant au conflit, menant à l'appauvrissement des populations. "Les gens ont été forcés de quitter leurs terres. Cet endroit était devenu un désert, un terrain d'affrontement de bandits", raconte à l'agence de presse la responsable de la réserve.
L'espoir était que la constitution d'une réserve naturelle fasse venir des touristes —donc des revenus. Mais aussi qu'elle oblige les habitants à vivre en paix, voire à coopérer pour l'entretenir. "Maintenant nous vivons comme une seule communauté, nous pouvons nous déplacer librement sans aucune crainte", témoigne l'un. "Je pense [que le conflit] est derrière nous maintenant car nous avons des interactions", abonde l'autre. "Avant l'arrivée des [nouvelles] girafes dans la réserve, les deux communautés tiennent même une cérémonie commune, dansent et chantent ensemble, une scène inconcevable au milieu des années 2000", s'extasie le reporter. Les girafes, une vingtaine pour l'instant, ont l'air tout aussi satisfaites de retrouver un peu de tranquillité dans un territoire où la chasse est illégale. Elles contribuent même à la science, puisqu'elles peuvent être observées en toute liberté, notamment sur les questions de cohabitation entre les deux espèces réintégrées, la Massaï et la de Rothschild, ainsi nommée en hommage à Walter de Rothschild (oui, de la famille).
Un drôle de bonhomme, celui-là. Un souvenir d'une époque où les barons se divertissaient en créant une revue de zoologie, en fondant un musée d'histoire naturelle, en finançant des expéditions de découverte partout dans le monde et en organisant à Buckingham Palace, en 1895, une balade en chariot tiré par 4 zèbres pour prouver qu'on peut les apprivoiser.
"Une vie étrange", résume la page consacrée à sa bio sur le site de son ancienne propriété où sont exposés 4 900 spécimens et squelettes d’animaux "dont certains exactement à l'endroit où les a posés Walter il y a bien des années".
Flamant rose
Il vaut mieux être une girafe du Kenya qu'un flamant rose d'Algérie. Mais même dans cette situation dramatique, il reste encore de l'espoir grâce à ce truc fréquemment sous-estimé, la bonté humaine.
Elle s'est illustrée cette fois aux abords du lac Tinsilt, à 450 kilomètres à l'est d'Alger, "l’une des plus grandes zones humides du pays avec une superficie de plus de 20 kilomètres carrés" nous apprend de nouveau l'AFP, cette fois par l'entremise du site GoodPlanet.
Une zone totalement asséchée cet été. Or, avant que les vagues de chaleur ne fassent leur effet, les flamants roses, comme chaque année, sont venus y nicher et pondre. Puis, face à la désertification, ils ont dû fuir pour ne pas mourir de faim et de soif, abandonnant sur place des centaines de poussins et d'œufs non éclos. C'est alors que la population des villages voisins s'est retroussée les manches pour les transporter bénévolement à une cinquantaine de kilomètres de là, vers le lac Mahidiya "préservé grâce aux oueds qui s’y déversent". Ils ont pu en récupérer presque 300. Une opération initiée par Tarek Kawajilia, un photographe amateur "qui documente la faune de sa région et a été le premier à constater la diminution de la taille du lac et la fuite des oiseaux". Ce dernier raconte comment les volontaires patrouillent "matin et soir pour suivre les poussins jusqu’à ce qu’ils se rétablissent et soient capables de voler, afin qu’ils puissent revenir l’année prochaine dans la sabkha (marais) et que la vie reprenne son cours normal".
Même si nombre de flamants roses avaient déjà péri, les bénévoles ont pu retrouver le sourire :
"Quelques heures après l’arrivée des poussins dans leur nouvel habitat, certains oiseaux adultes les ont rejoints. "L’opération a été couronnée de succès et les parents ont retrouvé leurs petits dans une scène magnifique", s’émerveille Tarek en commentaire de ses photos sur Facebook".
Hélas, malgré mes recherches, impossible de mettre la main sur la page Facebook ou Instagram, ou même sur un site du photographe écolo. Voici à la place un extrait de Pink Flamingos, le groupe punk trash allemand, qui nous interprète "Under the Surface" en public à la Kukturfabrik de Francfort en 1995.
Attention : le comportement du punk allemand des années 1990 étant légèrement plus agité que l'oiseau dont ils ont emprunté le nom, il peut être préférable de baisser le son avant d'appuyer sur Play.
Mode
Ça eût payé
Le cinéma sud-africain mourra-t-il à son plus bel âge ? Pour le savoir, Variety s'est rendu à Durban, où vient de s'ouvrir la 15° édition du FilmMart, le marché du film qui réunit chaque année acheteurs et producteurs du continent tout entier.
Eh bien, ça va pas fort. Les réalisateurs rencontrés sont assez unanimes : en termes de sorties et de popularité, le cinéma sud-africain va bien. Mais si l'on parle d'argent, c'est catastrophique. Tous les regards se portent vers le ministère du Commerce, de l'Industrie et de la Compétition (Department of Trade, Industry and Competition, DTIC), qui a l'avantage de proposer des avances à la création et l'inconvénient de ne pas les verser, mettant en péril l'ensemble du marché. "Un problème gigantesque qui décime notre secteur", résume le producteur Marc Schwinges. "Les commissions du film, les diffuseurs, tout le monde doit s'en occuper, et urgemment. C'est le sujet capital en ce moment. Nous sommes incapables d'avoir de la trésorerie pour quoi que ce soit. Comment produire du contenu de qualité ?".
"Le DTIC nous met tous en faillite", abonde la cinéaste Cati Weinek (The Letter Reader). "Nous devons leur demander des comptes. Nous ne pouvons plus dire que nous avons un formidable système de soutien : il est tellement dysfonctionnel que c'est comme s'il n'existait pas."
Les finances sont basses dans le pays en général, en raison de l'économie compliquée du pays ("un taux de criminalité qui reste très haut, comme celui du chômage, et des pannes de courant régulières qui affectent la vie des citoyens quelle que soit leur classe sociale ou leur couleur de peau", résume Variety —à qui le DTIC, soit dit en passant, n’a pas souhaité répondre). Mais ce n'est pas parce qu'on est en difficulté qu'on est obligé de se moquer du monde. Citant plusieurs sources de l'industrie, le magazine de cinéma reconnaît que certains paiements commencent à être réglés. Mais au compte-goutte, qui n’est pas l'ustensile le plus approprié pour remplir l'océan : "les retards sont tels que certains producteurs attendent depuis plus de deux ans les remboursements de frais engagés".
Le relais est pour l'instant assuré par Netflix et son équivalent sur le continent, ShowMax (c'est d'ailleurs Netflix qui a produit Blood & Water, la série à suspens adolescente dont l'image sert ici d'illustration). Mais cela fait trop peu de nouveaux financiers. Et leur futur ne dépend ni de choix politiques, ni des initiatives locales, ni même uniquement de leur profitabilité. L'économie mondiale joue d'abord son rôle. Ainsi, le propriétaire de ShowMax, MultiChoice, est en train d'être racheté par ce démon de rage et de sang qu'est devenu Canal +, et la plateforme Prime d'Amazon a choisi récemment de quitter le pays. "Au bout du compte", déplore la productrice Layla Swart, (par ailleurs invitée à parler lors du FilmMart), "nous ne cultivons pas les jeunes générations. Les voix nouvelles. À un moment, on va se rendre compte qu'on n'a plus personne. Il est crucial de commencer à développer les talents."
Seul espoir entraperçu par Variety : le pays a connu pire. Après tout, il y a trente ans, avant la fin de l'apartheid (oui, il y a trente ans à peine), l'idée même d'un cinéaste noir tenait du rêve fou. Et l'industrie bredouillait à peine ses premiers mots : "Ce vendredi à Durban, beaucoup prenaient le temps de méditer sur le parcours incroyable accompli par la jeune nation. Un voyage qui se poursuit toujours, malgré les pronostics les plus défavorables".
Beauté
Un autre Tour de France
Pour nous occuper cet été, Connaissance des Arts a fait le tour de sa rédaction et nous a préparé une sélection de 20 expositions toutes plus tentantes les unes que les autres. Elles ont trois points communs : de se passer en France, d'être consacrées à l'artisanat et d'être chacune accompagnée d'une photo pour donner une idée de ce que l'on pourra voir.
Paris est bien sûr largement représentée. Cela va des bijoux de scène de la Comédie Française aux porcelaines de Chine du Musée Guimet, d'une broderie géante d'Éva Jospin aux menus bijoux du siècle des Lumières (tabatières, bonbonnières, boîtes à mouches) "que l'on exhibait de sa poche pour montrer son rang", en passant par la très intrigante Naissance des grands magasins. Mode, design, jouets, publicité, 1852-1925 au musée des Arts Décoratifs de la rue de Rivoli, qu'il faut avoir fait une fois dans sa vie.
Le reste de l'Hexagone n'est pas oublié. En témoignent Aubusson tisse Tolkien, où la Cité Internationale de la Tapisserie a reconstitué des illustrations de la main de l'auteur du Seigneur des Anneaux, reproduisant les paysages et les aventures de la Terre du Milieu ; la Biennale internationale de la céramique de Vallauris (06), où se présentent 25 artistes de 14 nationalités différentes —dont, ici en photo, Tania Antoshina ; Habiller le merveilleux, où costumes de théâtre, d'opéra et de ballet s'exposent au château d'Azay-le-Rideau (37) ; ou encore Trop Plein, au musée du verre de Sars-Poteries (59), qui unit aux travaux inédits d'une vingtaine d'artistes du monde entier invités à s'exprimer sur le thème de la surconsommation, les 3 000 pièces historiques et 900 œuvres contemporaines de sa collection.
À Toulon, le Mobilier National présentera son programme expérimental de réinterprétation des meubles de sa collection. À Moulins, 200 costumes, clips et vidéos permettent de mieux s'étonner de l'imagination de Philippe Découflé. À Troyes, Notre-Dame de Paris : la querelle des vitraux (1935-1965) "met en lumière un ensemble de vitraux oubliés, conçus pour l’Exposition universelle de Paris de 1937 [et] redécouverts en 2019 dans l’arrière tribune sud de la nef de la cathédrale. [Des] prototypes d’exposition [qui] ont été imaginés par douze maîtres-verriers pour remplacer des grisailles de Viollet-le-Duc".
Largement de quoi donner le tournis. Faites attention quand même à rien casser.
Bizarre
Un petit tour et puis revient
Il n'y aura pas de newsletter de tout le mois d'août ! En effet, un gros travail m'attend pour offrir à cette Édition du Week-end un chouïa de rentabilité.
Pour cela, je dois créer les réseaux sociaux appropriés, changer de fournisseur d'e-mail (notamment pour des histoires de gestion des abonnements), peut-être changer le nom de ce qui s'est avéré au final un média bien différent de PostAp Magazine, et créer un site dédié dans l'espoir d'élargir mon lectorat. C'est un travail que j'ai essayé de faire en parallèle de l'écriture tout au long de l'année… Mais je l'avoue : c'est trop pour une seule personne, si je veux faire les deux bien.
Comme il y a toujours des surprises dans ce genre de choses (sans parler de l'administratif, car il faut aussi finaliser la création d’une nouvelle structure plus appropriée), j'ignore si tout sera prêt pour le samedi 7 ou le 14… Mais je vous en préviendrai un peu en amont (notamment afin d'éviter que la newsletter de rentrée, envoyée via un nouveau service e-mail, n'arrive dans vos spams).
Les paiements seront bien sûr interrompus en août, et les abonnements annuels prolongés d'un mois. N'hésitez pas à boire un café à ma santé, cette fois c'est moi qui vous l'offre : ).
Mais bon. Tout cela n'est pas si bizarre au fond, et je ne vais pas vous laisser sans une dernière news, si ? Non.
J'ai pas mal hésité (et dansé, comme vous allez le comprendre) sur cette dernière. Il aurait été amusant de reprendre cet article de la BBC qui, à la faveur d'une sortie d'un concert largement inédit de Louis Armstrong (à la BBC en 1968, une année comme une autre), revient sur les contradictions du personnage. Comme son positionnement sur le combat pour les droits civiques (impliqué en privé mais en paraissant détaché en public) ou sa façon de concevoir son art (livrer à Disney "The Bare Necessities" pour son adaptation du Livre de la Jungle et, un an plus tard, sortir le transcendant "What a Wonderful World"). Armstrong, semble-t-il, était double. Un mélange de "pureté et de pacotille, d'un clown et d'un artiste, d'un dieu et d'un bouffon", résumait en son temps le prix Pulitzer new-yorkais Murray Kempton.
Puis j'ai failli relayer cette news de Rolling Stone, au sujet d'un groupe certes encore un peu amateur mais qui, tout de même, a du souffle (et qui s'appelle —tiens c'est marrant ça— comme le magazine musical : The Rolling Stones). J'y apprenais qu’une grosse partie de leur dernière tournée en date, qui vient de s'achever, est disponible en vidéo et en haute qualité sur YouTube. Sur la chaîne, comme de juste, de Matt Lee, un fan qui a si obsessionnellement suivi le groupe et répertorié ses prestations qu'il en est devenu l'archiviste officiel. L'article est ici mais la chaîne (et les chansons, des petits trucs comme "Sympathy for the Devil", "You can't always get what you want" ou "Gimme Shelter") ), là.
Mais cette semaine, un autre concert m'a donné la pêche. Le jeune Clermontois Thomas Kahn, 36 ans, tourne en France en ce moment pour présenter son troisième album. C'est de la soul pure : donc ça fait du bien à l'âme. Pour l'instant, de ses nouveaux titres, on ne peut apercevoir qu'une petite session live enregistrée en studio. Elle ne rend pas tout à fait justice à la vigueur de ses spectacles, mais c'est déjà une dose de soleil assurée. "It won’t be so long", "More than Sunshine", "Hope", "Out of the Blue"… Que des titres inspirants pour accompagner un été que j'espère apaisant (pas que pour moi, pas que pour vous, mais pour bien du monde —au minimum les fans de soul music, ce n'est pas grand chose mais ce serait toujours ça de pris).
Je vous souhaite donc de profiter dans la mesure du possible d'un repos évidemment mérité, et musical. Je continue à préparer le retour en septembre de L’Édition du Week-end, qui n'existerait pas sans vous, sans votre confiance et sans vos retours si encourageants. Je tiens à vous en remercier ici, encore. Et j'appuie sur "Envoyer".
N'oubliez pas :
"It's more than sunshine
To hear your heart beating".
Mais aussi, mais encore
En bref : les news auxquelles vous avez échappé
Pendant ce temps-là, ici, ailleurs et à côté…
L'Ukraine évite le défaut de paiement grâce à l'émission d'un généreux Bon du Trésor sur 12 ans (Intellinews) — La Californie noie volontairement des terres cultivées pour lutter contre l'épuisement de l'eau (Grist) — Pandora VIII, l'opération annuelle coordonnée entre 25 pays contre le trafic d'art, mène à l'arrestation de 85 receleurs et permet de retrouver 6 400 œuvres (Artnews) — Après avoir limogé la quasi-totalité de son gouvernement et retiré son projet de loi de hausses d'impôts face aux manifestations monstres de la jeunesse kényane, le président Ruto supplie les protestataires de rentrer à la maison. Ils demandent désormais son départ (Jeune Afrique) — Tensions au sein des coalitions parlementaires bulgares : le pays va-t-il connaître sa septième élection générale en trois ans ? (Balkan Insight) — Les géants de l'alimentaire étranglent paysans et consommateurs : brisons-les (Tribune, The Guardian) — "Il ne s'agit pas d'un hôtel, mais d'une maison de cinq chambres en tout" qui "appartient en réalité à ma femme" : DSK adresse un démenti sévère à Jeune Afrique sur son projet de construction près de Tanger (Jeune Afrique).
Prochaine Édition du Week-end : aussi vite que possible en septembre, comme expliqué plus haut… Gardons les pieds sur Terre pendant que ça tourne !
Un grand merci à Marjorie Risacher pour sa relecture attentive, et ses coquillicides impitoyables.
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