L'Édition du week-end du 20 juillet 2024
Une semaine sur Terre : ventilateurs, trous et écholocalisation
Chère lectrice, cher lecteur,
permettez-moi de vous souhaiter un très bon week-end en compagnie, cette semaine, d’élections Législatives (au Pakistan), de punk-attitude, de méga-paquebots, de pingouins macaronis, de mode africaine, d’écholocalisation, de confettis et d’une armée de ventilateurs.
Très bonne lecture,
la conscience artificielle de votre téléscripteur favori.
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Le son de la semaine
Du bruit à en mourir
Il y avait les mines et maintenant, il y a les mines. Oublions les premières pour l'instant —ces sous-sols emplis de charbon, d'or ou de lithium— pour nous intéresser aux secondes : les mines de cryptomonnaies.
Vous avez entendu parler des cryptomonnaies, dont la plus célèbre (et la première historiquement) est le bitcoin. Leur fonctionnement est, pour employer un euphémisme, un peu obscur pour qui n'a pas fait d'études en ingénierie informatique. Mais il n'est pas nécessaire d'en saisir toutes les subtilités pour s'enrager devant cette (très) longue enquête de Time intitulée "Nous vivons dans un cauchemar" : au cœur de la crise sanitaire d'une ville texane touchée par le bitcoin. Laissons d'ailleurs au magazine américain la tâche ingrate de nous en résumer le principe. Après tout, il s'est mis tout seul dans ce pétrin :
"Plutôt qu'à l'aide d'une banque centrale ou d’une agence gouvernementale, le bitcoin est créé, maintenu et surveillé par des sentinelles surnommées des "mineurs". Ce sont ces "mineurs" qui, par un processus complexe de cryptographie, empêchent les fraudes. Ils sont récompensés de leur travail en bitcoins. Les premiers partisans du bitcoin espéraient que cette nouvelle méthode pourrait servir de pilier à un système monétaire numérique mondial susceptible d’apporter la liberté et l'équité financière tout en enrichissant ses utilisateurs".
Opérer ce "processus cryptographiques complexe", donc devenir mineur de bitcoins, est en soi une carrière prometteuse : il suffit pour cela de faire tourner un ordinateur en permanence, qui se livrera tout seul aux calculs nécessaires. Comme cela génère son propre lot de bitcoins, il n'y a plus qu'à poser les pieds sur le bureau et regarder gonfler son porte-monnaie virtuel pour s'enrichir sans rien faire.
Au début, c'est ce qui s'est passé. Puis le bitcoin est devenu célèbre. L'activité s'est avérée plus rentable encore. Alors, le minage de bitcoin est devenu une industrie : il suffit pour gagner de l'argent d'empiler ordinateurs sur ordinateurs, réduits à leur plus pure expression, c'est-à-dire leur simple capacité de calcul, pour s'assurer un revenu constant et profitable : "Si les premiers mineurs de bitcoins opéraient en solitaire, souvent dans leur propre chambre à coucher", poursuit Time, "c'est un secteur dorénavant dominé par une poignées de multinationales. Capitalisées à hauteur de milliards de dollars, elles exploitent des fermes de serveurs à l'échelle industrielle, dans le monde entier. Au total, le seul mois de mars 2024 a généré 2 milliards de dollars de bénéfices". De quoi ajouter du beurre dans les épinards (et de la truffe par-dessus, pour relever le goût).
Malgré les hauts et les bas du cours du bitcoin et les arnaques régulièrement mises au jour par les médias ou les tribunaux, cela n'est pas près de s'arrêter. Le magazine conservateur The Atlantic le rappelait l'an dernier. Or il faut beaucoup, beaucoup d'énergie pour faire tourner toutes ces machines occupées à créer de l'argent : "L'université de Cambridge estime qu'au rythme de minage actuel [en mars 2023], le bitcoin émettra à lui seul environ 62 mégatonnes d'équivalent CO2 par an. À peu près le niveau de toute la Serbie en 2019. En décembre 2022, ce n'était que 43 mégatonnes par an".
Mais le changement climatique n'est pas du tout le problème ici. Time a observé au plus près une conséquence bien plus insidieuse de l'équation.
Car tous ces ordinateurs doivent être refroidis en permanence. Le plus souvent, c'est le travail de ventilateurs. Mais les ventilateurs font du bruit. Beaucoup de ventilateurs font donc beaucoup de bruit. Or beaucoup de bruit, ça bousille la santé. Parce que le stress généré augmente le taux de cortisol dans le sang ce qui, à long-terme, déglingue le système cardiovasculaire —et pas seulement.
Pour la petite ville de Granbury au Texas et ses 12 000 âmes, le cauchemar a commencé en 2021. À ce moment-là, l'usine à gaz (oui, une vraie usine à gaz) de Wolf Hollow II, à un quart d'heure environ du centre-ville, signe un contrat avec un opérateur géant de bitcoins, Marathon Digital. Il s'agit d'installer sur l'usine elle-même, pour profiter directement de son énergie, 153 containers en métal qui renferment au total 30 000 ordinateurs, allumés nuit et jour. Et avec eux des ventilateurs. Des tas de ventilateurs. Des milliers de ventilateurs "qui tournent constamment, en produisant un bourdonnement infernal. […] Le bruit s'est d'abord apparenté à celui d'un ventilateur de plafond, puis d'un souffleur à feuilles, puis d'un moteur à réaction. Il a mis un terme aux promenades de l'après-midi avec le chien. Il persiste dans les nuits sans nuage et fait vibrer les caravanes voisines dans lesquelles vivent les familles pauvres du coin".
[…]
Au début, les habitants ont réagi en délaissant leurs porches, en se retirant dans leurs maisons, en allumant à fond leurs propres ventilateurs et climatiseurs. Mais ils étaient nombreux à ressentir encore les tremblements, jusque celui de leur lit. C'est le cas de Larry Potts, par exemple, un pasteur à la retraite de 77 ans, dont la maison se trouve en bordure de la route qui conduit à l'usine. Il dit qu'il a perdu le sommeil, puis l'audition de ses deux oreilles. En février, son cœur s'est avoué vaincu après une énième nuit d'insomnie. Il a été amené en urgence à l'hôpital. Il vit désormais à l'aide d'un pacemaker externe. On lui a diagnostiqué un bloc auriculoventriculaire, de l'hypertension et une dépression".
Ça fait du bruit, une masse de ventilos. Entre 60 et 90 décibels continuels, selon les chiffres constatés par la population comme par Time. Entre la tondeuse à gazon et la tronçonneuse. On ne parle pas ici du bruit à la source, hein, mais de celui entendu dans les habitations."L'Agence Européenne de l'Environnement nous dit que plus de 55 décibels rendent malades", rappelle le docteur Thomas Münzel, qui a consacré sa vie de chercheur aux conséquences des sons industriels et urbains sur la santé humaine. Aux niveaux constatés à Granbury, "c'est de la torture", dit-il. L'exposition constante au bruit détruit tout : l'esprit et le corps, le cœur et le cerveau, les oreilles et les artères. Aux yeux des autorités sanitaires américaines, 2 heures d'exposition à 90 Db suffisent à endommager l'audition. Pour les professionnels, il est strictement interdit de travailler dans ce type d'environnement plus de huit heures d'affilée, avec casque anti-bruit obligatoire.
Sarah Rosenkranz, 43 ans, a été amenée aux urgences pour une migraine de choc. Un cœur à 200 battements par minute, un début sanguin en hypertension, "la sensation qu'un étau broyait ma tête, une douleur pire que l'enfantement". Des symptômes qui rappellent ceux de sa fille de 5 ans, elle aussi hospitalisée plus tôt dans l'année, avec l'impression d'avoir "un rayon rouge derrière les oreilles". Deux cas aigus dans une série d'attaques chroniques partout autour d'elles : des surdités qui se développent, des fluides qui s'écoulent du tympan, des pertes de connaissances, des vertiges, des nausées. Time a rencontré une quarantaine de ces victimes, dont une dizaine ont fini à l'hôpital. Des personnes sans antécédent médical, dont les douleurs se sont déclarées quelques temps après que le vrombissement des ventilateurs à bitcoins se fut installé dans leur vie, nuit et jour, du soir au matin. "Jenna Hornbuckle, 38 ans, est devenue sourde de l'oreille droite et souffre désormais d'insuffisance cardiaque, d'après son dossier hospitalier. Celui de sa fille de 8 ans fait également le constat d'une perte d'audition, et d'une infection auriculaire qui a contraint les médecins à implanter un tube dans l'un de ses tympans. Avari Burns, une jeune femme de 19 ans atteinte d'un cancer, se plaint de migraines invalidantes lorsqu'elle se repose chez elle, mais qui disparaissent dès qu'elle se rend à Fort Worth pour ses séances de chimiothérapie. Virginia Browning, 81 ans, qui peut voir la mine depuis sa cour, a elle aussi été hospitalisée en urgence : elle s'est réveillée soudainement une nuit, pour constater qu'elle était en train de vomir dans son sommeil, souffrant d'un intense vertige".
Contactée par Time, Marathon Digital a fait savoir par e-mail qu'elle prévoyait des solutions plus douces de refroidissement de leurs machines, sans répondre aux questions du journal sur le bruit actuel et ses conséquences. De fait, il est possible de maintenir les ordinateurs à la bonne température en les immergeant dans des fluides froids, ce qui est en effet nettement plus calme. Mais du point de vue du propriétaire, c'est une solution loin d'être idéale. Elle est plus chère, bien sûr, mais elle complique aussi considérablement la maintenance des machines. Peut-être une des raisons qui explique leur lobbying agressif pour échapper aux réglementations en vigueur :
"Le nombre d'opérations de minage de bitcoins à l'échelle commerciale a rapidement augmenté aux États-Unis ces dernières années. On en dénombre aujourd'hui 137. Avec des situations médicales similaires observées près d'installations dans l'Arkansas et le Dakota du nord. L'industrie travaille d'arrache-pied pour faire voter des législations dédiées au niveau des États, comme dans l'Indiana et au Missouri, qui leur permettraient d'être exemptées des décrets locaux sur le bruit". Depuis les années Reagan, chaque ville, comté et État peut promulguer les limites qui lui chantent. Pas plus de 42 décibels à New York, mais 85 maximum au Texas.
On a malgré tout la chance de rencontrer, dans cette folie, un improbable héros. Le connétable de Hood County John Shirley ("Constable", en anglais. J'aurais pu traduire par shérif mais connétable, c'est mieux). C'est un ancien membre des Oath Keepers, une milice d'extrême-droite dont le leader a récemment été condamné à 18 ans de prison pour sédition, suite à son implication dans les émeutes du Capitole consécutives à la défaite de Donald Trump en 2020. Il a fait de la mine à bitcoins le nouveau combat de sa vie. Il ne passe pas une journée sans effectuer quelques relevés sonores à différents endroits de la ville. Dès qu'il observe un dépassement des 85 Db réglementaires (c'est-à-dire souvent), il envoie une amende de 500 dollars à Marathon Digital. La somme atteint déjà 17 500 dollars. Une goutte d'eau pour une entreprise qui affichait, sur le seul premier trimestre 2024, 165 millions de bénéfices. Elle refuse malgré tout de payer, attendant d'être traînée au tribunal local pour plaider sa cause.
Peu à peu, les résidents relèvent tout de même la tête. Une pétition de 800 signatures a été adressée aux représentants locaux du Parti Républicain, qui ont cependant fait savoir que pour l'instant, la réglementation, c'était pas leur truc.
Le connétable Shirley continue envers et contre tout de dresser ses constats et ses amendes restées lettre morte. Il s'étonne lui-même :
"C'est quand, la dernière fois qu'on a vu des gens de Greenpeace et un ancien membre des Oath Keepers s'unir derrière une cause commune ? Dans La Quatrième Dimension ?"
Votre horoscope tribal
Le signe de la semaine : Électeur
Françaises, Français. La situation politique vous enrage, vous écœure ? On l'entend. Au point de songer à vous expatrier ? Ça se comprend. Un seul conseil cependant : évitez le Pakistan.
La démocratie au Pakistan… comment dire ? Ça change tous les jours. En 2018, dans un scrutin libre et contrôlé par l'armée (enfin, librement contrôlé par l’armée, quoi), le Mouvement du Pakistan pour la Justice (Pakistan Tehreek-e-Insaf, PTI) a remporté les Législatives mais est passé à côté de la majorité absolue. Il a bâti une coalition avec des élus divers, faisant sécession de 4 autres grands partis. L'attelage a duré 4 ans. En 2022, les députés quittent un à un l'alliance, au point de rendre le PTI minoritaire.
Suite logique : une motion de censure est présentée. Les débats commencent sous la direction du vice-président de l'Assemblée, qui appartient au camp du Premier Ministre. Il décide de la déclarer anticonstitutionnelle, parce que ça l'arrange. Selon lui, elle serait pilotée par une puissance étrangère (les États-Unis, mécontents de la posture de neutralité affichée par le Premier Ministre Imran Kahn dans le cadre de la guerre russo-ukrainienne, et même particulièrement agacés par une récente visite d'État au Kremlin). Une accusation pas tout à fait sans fondements : une série d'échanges diplomatiques publiés par The Intercept témoignent en effet d'une pression du Département d'État, le ministère des Affaires Étrangères américain, auprès de politiques du pays. On y trouve même la "suggestion" d'une destitution. Mais de telles manœuvres, en principe, ne suffisent pas pour empêcher un gouvernement minoritaire de tomber.
Quelques péripéties plus tard (dissolution, invalidation de la dissolution par la Cour Suprême, démission de la Présidence de l'Assemblée, retour de la motion de censure, chute du gouvernement, arrivée au pouvoir de l'ex-Opposition devenue majoritaire), Imran Khan finit derrière les barreaux. Il est accusé de corruption, puis de divulgation de secrets d'État (peine maximale : 14 ans à l'ombre), puis de mariage illégal. Je passe les détails non sans vous conseiller la lecture de la page Wikipédia consacrée à l'affaire, ici. Elle séduira tous les amateurs de théâtre de l'absurde et de Charlie Chaplin. Mais il faut faire vite, pour en arriver au sujet du jour : fatigué de la popularité toujours bien réelle d'Imran Khan, dans tout le pays, le gouvernement du PML-N vient de faire part de son intention d'interdire son parti, le PTI. Et ce, alors même que la Cour Suprême venait de confirmer sa victoire aux élections de février dernier. La décision a été annoncée le lendemain de l'avis de la Haute Cour par le ministre de l'Information (sic), le sympathique Atta Tarar (Photo).
Une mesure "ridicule et désespérée", écrit le quotidien pakistanais The Dawn en résumant l'état d'esprit général de la classe politique, mais aussi du monde judiciaire, des constitutionnalistes et des journalistes. Asa Rahim, célèbre avocat et ancien Haut Fonctionnaire au ministère de la Justice, évoque "une fraude constitutionnelle", "une trahison du système parlementaire" et "une insulte à la volonté populaire". Semblant viser le mélange de militaires et de professionnels du renseignement qui, en sous-main, tiennent les rênes du pouvoir, le juriste Jibran Nasir estime que l'interdiction du parti de Khan "ne montre pas seulement la faiblesse du PML-N (le parti au pouvoir), mais aussi à quel point l'establishment est frustré et désespéré”, ajoutant : "les élites n'ont pas plus réussi à convaincre les gens de préférer le PLM-N au PTI qu'elles ne sont parvenues, malgré les arrestations, les perquisitions, les enlèvements et les tortures, à en terroriser suffisamment les militants et membres-clés pour les débaucher à leur profit".
L'inquiétude gagne même certains membres, respectés, du PML-N. Comme l'a résumé assez clairement l'ancien sénateur Mushahid Hussain, "Au revoir la stabilité politique, au revoir les investissements, au revoir la reprise économique !".
Ou encore l'ex Vice-Président du parti lui-même qui constate : "Imran nous met en prison, nous le mettons en prison, et après tout le monde essaie de mettre quelqu'un en prison". Désabusé mais philosophe, il remarque : "Ce n'est pas parce qu'il a fait des erreurs que nous devons les répéter".
Une sage parole à graver au fronton des écoles, des mairies, de l'Élysée et du Palais-Bourbon.
Punk
Mi-figue mi-raisin. Sur le papier, l'expression convient assez mal pour décrire un punk. C'est pourtant bien l'état d'esprit de Paul Johnson, 55 ans et toujours révolté, à la fois amusé et chagriné par la récente décision de la société historique de Bury St Edmunds, dans le Suffolk.
L'histoire commence en 1978. Les Clash sont alors en pleine explosion. Ils sont pour la première fois apparus sur une BBC qu'on va dire sceptique. Certes, leur prestation au Victoria Park de Londres a contribué à marquer les esprits, aux côtés d'autres groupes populaires de l'époque (devant 100 000 personnes qui avaient traversé la ville pour protester contre la montée du National Front —pas besoin de traduire, je crois— et la hausse des crimes racistes, dans le cadre d'une journée Rock Against Racism qui rend un tantinet nostalgique). Mais pas à les rendre respectables. Ni respectés. Les journaux se grattent encore la tête pour comprendre la popularité de ce mouvement rebelle et rageur, alors que la politique d'austérité menée par le gouvernement socialiste de l'époque ne peut qu'améliorer le sort de la jeunesse.
C'est dans ce contexte que, en pleine tournée "Out on Parole" ("Libérés sur Parole"), le groupe devenu culte s'arrête un soir dans l'ancienne halle aux blés de Bury. Un concert électrisant qui a laissé des souvenirs mitigés. Les autorités n'étaient pas très contentes. Pourtant, le public avait exprimé sa satisfaction d'une manière tout à fait appropriée, mêlant "vandalisme, ivresse et miction sur la voie publique". Outré, le conseil municipal fit carrément interdire tous les concerts dans la ville, hors musique classique… Pendant rien moins que deux décennies.
Paul Johnson estime désormais qu'il est temps de préserver la mémoire de cette soirée si choquante et si punk. Il a donc demandé à la Société Historique de la ville d'apposer une plaque commémorative sur le bâtiment (devenu un simple pub de la chaîne Wetherspoon). Mais ce petit plaisir lui a été refusé, la Bury Society ne semblant pas voir en quoi une soirée qui "a causé le chaos" au point de faire interdire pendant vingt ans tout concert dans la ville "mérite" un tel honneur. Une réponse qui laisse Johnson partagé. D'un côté, il n'accepte pas "un non en guise de réponse" et s'affiche décidé à continuer le combat. De l'autre, il ajoute : "C'est encore mieux qu'ils aient répondu non, je pense que n'importe quelle personne impliquée dans le mouvement punk doit adorer ça" et se réjouit que "presque 50 ans après, il y a encore des gens qui ont des griefs contre le punk rock". Malgré tout, c'est la déception qui l'emporte : "Il y a eu un grand vide dans l'histoire de Bury, parce que les groupes n'étaient pas autorisés. On aurait pu avoir du bon temps, mais il nous a été refusé. Le conseil municipal a réagi comme dans Footloose : ils ont interdit le rock'n'roll."
L'argument qu'il s'agit d'un événement historique a son poids. Il est au minimum emblématique d'une époque et précurseur. Quelques mois plus tard seulement, l'Angleterre s'enfonçait dans "L'Hiver du Mécontentement" et ses grèves, multiples et radicales. Margaret Thatcher en sortirait triomphante. Elle et sa politique néolibérale à laquelle, selon son mot resté célèbre, "il n'y a pas d'alternative". Un cauchemar européen toujours en cours qui, déjà, avait convaincu les rebelles que de futur, pour le pays, il n'y aurait point.
Touriste
Inquiet des effets de la surpopulation, sur la planète comme sur nos sociétés, l'humoriste Bull Burr défend de longue date une idée de bon sens : régler le problème "en torpillant au hasard des bateaux de croisière." Après tout, "c'est un bon échantillon de gens dont on peut se passer et, du coup, il faudrait reconstruire plein de bateaux, donc ça donnerait du travail à ceux qui restent". Une solution gagnant-gagnant qui ne figure pourtant dans aucun programme politique.
La CLIA, l'Association Internationale des Lignes de Croisière, vient de faire un pas dans la bonne direction, dévoile cette semaine Fortune. Certaines destinations seront désormais exclues des circuits, pour le bien-être des passagers, comme l'a expliqué cette semaine Marie-Caroline Laurent, directrice pour la zone Europe. Ce n'est pas un hasard : c'est en Europe que les entrées de gigantesques paquebots dans des zones touristiques historiques, souvent petites et appréciées pour leur calme, sont le plus contestées.
On l'a vu à Barcelone, la destination la plus privilégiée, dont le maire a annoncé en 2023 qu'il n'accepterait pas un passager de plus que les 3,5 millions annuels déjà atteints. Dernièrement, les habitants excédés par les débarquements en foule de touristes pressés de consommer ont pris l'habitude de les asperger à l'aide de discrets pistolets à eau —une forme de résistance réjouissante. On l'a vu aussi à Venise, qui a purement et simplement interdit les croisières dans son centre, après que l'UNESCO a menacé d'inscrire la cité sur la liste des villes en péril. On l'a vu à Amsterdam, qui veut en diminuer le chiffre de moitié d'ici 2026 et interdire totalement les bateaux de croisière en 2035. On l'a vu encore à Douarnenez où, parfois déguisés en ours polaires et en otaries, des manifestants ont reçu ces visiteurs et visiteuses avec des pancartes aux slogans peu équivoques : "Honte sur vous", "Vous n'êtes pas les bienvenus, on n'a pas besoin de votre argent", "Quand la croisière s'amuse, le climat trinque". Le tout en anglais pour bien se faire comprendre. "Ces bateaux passent leur temps à faire des allers-retours entre les pôles pour faire du tourisme de la dernière chance : voir les derniers manchots, les derniers ours blancs, les derniers icebergs. C’est indécent", expliquait alors Alice, 25 ans, à la presse locale. On l'a vu, enfin, aux îles Canaries (au large de l'Afrique mais appartenant à l'Espagne), où la population s'est soulevée massivement, certains contestataires ayant même entamé une grève de la faim.
Ces révoltes ne sont pas qu'une demande de tranquillité. C'est aussi une question de survie. Pour les paysages, pour les écosystèmes, pour les gens. Les compagnies ont beau régulièrement se targuer de faire des efforts pour réduire la pollution émise par leurs monstres marins, l'activité en elle-même est insoutenable. Aujourd'hui, un voyage en paquebot dégage à peu près deux fois plus de gaz à effet de serre que le même périple réalisé en avion. Sans parler des déchets, des eaux usées, ni de l'émission d'oxydes de soufre, une famille de gaz redoutable à la santé et responsable de pluies acides : 10 fois plus seraient envoyés dans l'air, en un an, que ce qui est produit par l'ensemble des 260 millions d'automobiles circulant en Europe… pour la seule compagnie Carnival Corporation (94 navires dont la moitié en Europe), selon une étude de l'ONG Transport et Environnement qui remonte à 2019.
Tout difficile qu'il puisse être de renoncer à ce mode de transport, il est temps de rappeler aux amateurs et amatrices que, si ça continue, les prochains voyages pourraient bien se faire en radeau.
Pingouin
C'était passé inaperçu mais, avant le Brésil, le Royaume-Uni, le Mexique ou la France (enfin non, pas la France, mais si un peu, mais non, mais si), la gauche a emporté les élections en Australie. Le gouvernement travailliste mené par Anthony Albanese s'est engagé, notamment, à accélérer le pas dans la lutte contre le changement climatique —une démarche qui ne manque pas de courage dans un pays dont la grande passion demeure la mine de charbon, juste après le cricket (ce sont des gens bizarres, les Australiens).
Cette semaine, le Premier Ministre a en plus choisi de faire un cadeau de taille aux défenseurs de l'environnement. Enfin, surtout aux pingouins, phoques, baleines et albatros qui s'ébattent en leur petit paradis des îles Heard et MacDonald, à 4 000 kilomètres au sud-ouest du pays (soit à 1 700 au nord de l'Antarctique). Une petite zone protégée qui va devenir grande : le projet gouvernemental, soumis à la consultation publique jusqu'au 5 septembre, est de multiplier par 4 son étendue et de la pérenniser en parc national. Une arme pour lutter contre la pêche illégale (la pêche y est possible, mais elle est strictement surveillée et réglementée) et pour protéger les animaux, les poissons et les oiseaux qui ont fait de ces cailloux frisquets une terre d'abondance mais aussi un lieu de reproduction. Assez littéralement donc, un endroit où l'on peut vivre d'amour et d'eau fraîche.
Les chercheurs et écologistes espèrent que ce n'est qu'un début, qui pourrait présager de protections similaires autour des nombreuses autres îles subantarctiques qui appartiennent à l'Australie. Comme les Macquarie, l'habitat naturel des gorfous dorés (Photo), ces pingouins que des observateurs cruels ont jugé bon de surnommer "macaronis", en raison de leur crête jaune en forme de pâtes aux œufs frais. En prime, les éthologues pourront s'assurer de l'efficacité de la mesure, grâce à une expédition financée par les autorités australiennes à hauteur de 17,6 millions de dollars et prévue pour l'année prochaine —ou 2026 au plus tard.
Ça me fera de la visite puisque, j'en profite pour vous le dire, je viens justement d'emménager là-bas. Il y fait présentement zéro degrés tout pile d'après le site AccuWeather, avec un ressenti à -10 en raison des vents d'une quarantaine de kilomètres heure qui soufflent en ce moment même sur ces presque 400 kilomètres carrés à mille milles de toute terre habitée.
Mode
L’Afrique, terre de style
Personne ne voit l'Afrique comme un temple de la mode, parce que tout le monde a tort. C'est ce que veut prouver l'exposition Africa Fashion, créée au Victoria and Albert Museum de Londres et qui se déplace désormais à Melbourne, sous le patronage de la National Gallery of Victoria.
Africa Fashion présente pas moins de 200 œuvres des années 1950 à nos jours, signées de 50 stylistes et issues de 20 pays du continent. Elle est organisée autour de 7 thèmes : Renaissance Culturelle (le temps de la décolonisation et du panafricanisme), Politiques et Poétiques du Tissu (ou comment les motifs et les étoffes traditionnelles peuvent trouver une nouvelle vie dans le monde contemporain), Expérimentations (lorsque l'inventivité prend le pas et met les designers africains sur le radar des maisons américaines ou européennes), Saisir le changement (des portraits photographiques "qui capturent l'humeur des nations africaines à la découverte de leur autonomie, quand l'euphorie de l'indépendance coïncide avec la démocratisation de la photographie"), L'Œil du Photographe (où "les expressions de l'individualité explorent les questions du genre ou de son absence, ce qui est visible et invisible, la représentation de soi et les fausses représentations"), Avant-Garde (les audaces créatives actuelles) et, enfin, Afrique Globale (quand la révolution numérique permet la diffusion de la créativité du continent, et l'influence en retour, en reliant les pays entre eux mais aussi à la diaspora).
Le musée a fort bien fait les choses sur son site, en proposant une multitude d'images (réparties selon les thèmes retenus) qui donnent une idée assez juste de la richesse, de la diversité et de la beauté des œuvres présentées (qu'il s'agisse de vêtements, de croquis, de photos, de textiles, de vidéos ou de musique).
ABC, la chaîne publique australienne, s'est elle aussi sentie inspirée : elle présente ainsi les pièces qui lui ont tapé dans l'œil et qui lui semblent représentatives des multiples domaines explorés par la mode africaine : un costume iridescent, rose et gris, imaginé par le Sud-Africain Neo Serati Mofammere "typique de cette marque unisexe, c'est-à-dire chaotique, joyeuse, audacieuse, excitante, jeune et socio-politiquement optimiste". Ou, plus anciennes mais tout aussi radicales à leur manière, les tenues de cocktail féminines de Chris Seydoux, tailleur malien expatrié à Paris dans les années 1970. Un pionnier quand il s'agit d'intégrer les tissus et thèmes traditionnels au luxe international de l'après-guerre. Ici, des robes de bal qui, souligne la docteure Christine Checinska, curatrice de l'exposition, "montrent l'élégance persistante des femmes africaines, qu'elles exprimaient dans cet habit de soirée".
National Gallery of Victoria via ABC
Beauté
Un son qui cherche
La notion de résilience est parfois employée à tort et à travers. Mais elle décrit parfaitement l'histoire de Daniel Kish, un Californien aujourd'hui âgé de 58 ans qui a fait beaucoup, beaucoup de bien autour de lui.
À l'âge de 13 mois, Kish développa un cancer des yeux. Il fallut, pour le sauver, le priver à jamais et totalement de la vue, en les lui retirant. Il est, depuis, devenu expérimentateur et formateur professionnel en écholocalisation.
C'est un truc de dingue. L'écholocalisation, c'est le système par lequel une chauve-souris se repère dans l'espace : elle émet des ultra-sons, qui se dispersent dans l'air… à moins de heurter un obstacle. Alors ils rebondissent. Le délai avec lequel ils reviennent au chiroptère, et leur altération éventuelle, renseigne ainsi l'animal sur son environnement et lui permet d'éviter les murs ou les arbres, comme de se nourrir.
C'est la même capacité que, à force de patience et de conviction, Kish est parvenu à développer. Il ne projette pas (encore ?) d'ultra-sons mais, avec des claquements de langue, ou en tapant sa cane sur le sol, il peut se faire instantanément une représentation mentale de son environnement, grâce à des échos pour nous imperceptibles, et naviguer sans heurts. Il arrive même à deviner, dans certains cas, la matière des objets qui l'entourent. Le processus est géré dans son cerveau, d'après les études neurologiques qui se sont penchées sur le sujet, par la zone normalement dévolue, justement, à la vision. Je vais me répéter mais oui, c'est un truc de dingue.
Pour le New Yorker, deux réalisateurs ont suivi Kish dans sa vie quotidienne et ses séances d'enseignement, dans lesquelles il aide d'autres aveugles à utiliser l'écholocalisation. On le voit faire du vélo. On le voit dispenser un cours à un adolescent dans une caverne ensoleillée (il a, au cours de sa vie, formé des milliers d'élèves). On voit un gamin apprendre le skate-board. Et c'est magnifique.
On le voit aussi, en ouverture de ce court-métrage documentaire d'une quinzaine de minutes, retirer ses yeux de céramique pour les prêter à des enfants… Et je préfère vous en prévenir car ça peut faire mal, si vous avez la chance d'être voyant mais que vous êtes un peu sensible des yeux ou, simplement, affligé d'empathie. Cela dit, si c'est le cas, cet autre super-pouvoir vous récompensera plus d'une fois au fil de ce film disponible gratuitement sur Vimeo.
Bizarre
Des petits trous
C'est une performance artistique intitulée L'Éléphant dans la Pièce. Une énième tentative pour éveiller les consciences, pour rappeler l'urgence climatique, pour dénoncer l'inaction politique et, surtout, celle du monde des affaires, bref pour secouer le cocotier, si possible avant qu'il ne pousse dans la Creuse.
20 jours durant, tous les jours, l'artiste néerlandais Johannes-Harm Hovinga s'est rendu au musée d'Arnhem. Puis, toute la journée, sans manger (il boit de l'eau), sans autre pause que pour aller aux toilettes, il a troué méticuleusement, à l'aide d'une perforeuse, chaque ligne sur chacune des 7 705 pages du dernier rapport du GIEC sur le climat. 120 heures d'une tâche absurde et pourtant pleine de colère, au détriment de sa santé comme il l'a expliqué au Guardian : "C'est à chaque fois plus dur, de rester assis sans rien dire, à se concentrer sur le même mouvement répétitif. Je ne pensais pas que ce serait si intense. Au bout de deux jours, mon dos, mon cou, mes coudes et mes poignets ont tous commencé à me faire souffrir. J'ai pris des antidouleurs quotidiennement à partir de la deuxième semaine".
Une manifestation silencieuse. Une obsession qui n'a d'égale que celle avec laquelle notre espèce semble déterminée à ignorer l'ampleur d'un réchauffement qui menace les fondements de nos civilisations, et nos vies. Une insouciance mortifère, une peur trop grande peut-être, aussi incarnée par le gigantesque tas de confettis qu'est devenu le document de l'ONU —tas qui restera exposé quelques semaines encore dans le musée.
"Pour moi", explique-t-il encore "l'art et l'activisme sont une symbiose. Cette performance nous met au défi, chacun et chacune d'entre nous, de nous confronter à notre rôle dans la crise climatique. Mais elle vise aussi à encourager l'engagement, à le renouveler encore et encore, en faveur de changements majeurs".
Sisyphe de tous les pays, imaginons-nous heureux.
Mais aussi, mais encore
En bref : les news auxquelles vous avez échappé
Pendant ce temps-là, ici, ailleurs et à côté…
La Russie maintient l'enferment sous contrainte en hôpital psychiatrique d'Alexander Gabyshev, un chaman sibérien de 55 ans qui, en janvier 2021, avait traversé le pays à pied jusqu'à Moscou pour "exorciser" Vladimir Poutine du Kremlin (The Moscow Times) — Vaste campagne de démoustication à Abidjan, en particulier pour lutter contre la dengue (PressAfrik) — En Libye, le directeur commercial d'une compagnie aérienne arrêté : il aurait embarqué en secret des centaines d'immigrants illégaux pour les faire entrer au Nicaragua, d'où ils pouvaient ensuite rejoindre les États-Unis (Middle East Monitor) — La police kényane met la main sur Collins Jumaisi Khalusha, un tueur en série de 33 ans qui a avoué avoir tué 42 femmes à Nairobi en moins de deux ans (Jeune Afrique) —Ouverture à Pékin du Forum de la Culture Ming, où seront exposées jusqu'à la fin de l'année plus d'une centaine de reliques de cette dynastie qui, du XIV° au XVII° siècle, a marqué l'histoire et l'esthétique du pays (China Daily) — Une start-up française, Sweetch Energy, croit possible de générer de l'électricité à partir de simple eau de mer (Enerzine) — Des chercheurs de l'Institut Océanographique de Woods Hole demandent l'autorisation de déverser 25 000 litres de soude caustique au large de la Floride pour voir si ça pourrait freiner le changement climatique, en accroissant la capacité océanique d'absorption du CO2 (Futurism) — En un an, 50 jets privés français ont fait 270 fois le tour de la Terre, l'équivalent de 4 siècles d'empreinte carbone du Français moyen (on trouve en tête du peloton les avions privés d’Axa, de Total et d'Artémis, la holding de la famille Pinault) (Mediapart via La Relève et la Peste) —Après 3 mois de mobilisation des mouvements pour les droits des femmes, l'Assemblée Nationale de Gambie décide finalement de maintenir l'interdiction de l'excision, en vigueur depuis 2015 et sur laquelle elle était d'abord revenue en mars dernier (The New York Times).
Prochaine Édition du Week-end : samedi 27 juillet.
Gardons les pieds sur Terre pendant que ça tourne !
Un grand merci à Marjorie Risacher pour sa relecture attentive, et coquillicides impitoyables.
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