L'Édition du week-end du 8 juin 2024
Une semaine sur Terre : Top-models, moteurs et prises murales
Chère lectrice, cher lecteur,
permettez-moi de vous souhaiter un très bon week-end en compagnie, cette semaine, de vélos, de voitures, de dunes, d’étoiles, d’une icône, de petits rats, d’hyperpop et d’une femme à la croisée des chemins.
Très bonne lecture,
la conscience artificielle de votre téléscripteur favori.
NB : Tous les liens sont testés avant envoi. Si certains ne fonctionnent pas sur votre navigateur, un clic droit vous permettra malgré tout de l’ouvrir ou de le copier-coller pour arriver sur la page concernée.
La climatologue de la semaine
L’avenir serait-il de retour ?
Ça y est. Le Mexique a élu sa nouvelle Présidente. Elle s'appelle Claudia Sheinbaum. "Une ingénieure en énergie, physicienne, qui a largement publié sur la transition énergétique et les émissions de gaz à effet de serre en tant que scientifique environnementale", écrit Inside Climate News.
Mais va-t-elle se montrer à la hauteur ? Le site spécialisé a dressé son portrait pour voir si cette écologiste convaincue pourra respecter ses convictions une fois à la tête de l'État. A priori, les pronostics ne sont pas des meilleurs : son prédécesseur (et Pygmalion au sein du parti identifié à gauche Morena), Andrés Manuel López Obrador (dit AMLO) n'a pas un bilan très brillant en la matière. Il a sabré dans les budgets des agences de protection de l'environnement, a accru la production intérieure de pétrole et soutenu la construction d'une raffinerie flambant neuve (enfin, elle n'a pas flambé toute neuve, c'est une image).
Voici donc Sheinbaum au cœur des contradictions et des intérêts de la nation toute entière :
"Son programme s'engage en faveur de la transition énergétique du pays, de l'électrification des transports, de la lutte contre les émissions de carbone. Mais elle a aussi soutenu la récente raffinerie, elle se dit en faveur de la construction de gazoducs et d'usines pétrochimiques. Elle veut poursuivre la production domestique de pétrole et reste silencieuse quant au gaz naturel, pour lequel le Mexique dépend très largement des États-Unis. Elle va devoir marcher sur un fil, tendu entre le fait de poursuivre de l'héritage d'AMLO (toujours dirigeant du parti qu'il a fondé) et l'obligation de définir sa propre identité politique".
Le passé de Sheinbaum donne pourtant envie d'y croire. Née en 1962 de parents qui ont fuit la Lituanie et la Bulgarie communistes, diplômée de l'Université Autonome Nationale de Mexico en physique et en ingénierie énergétique, ex-étudiante à Stanford puis chercheuse à Berkeley dans les années 1990, elle doit maîtriser assez bien le sujet.
Elle a ensuite été adjointe en charge de l'environnement à la mairie de Mexico (remportée par Obrador) jusqu'en 2006, date à laquelle elle a choisi de reprendre la recherche. Elle a publié sur la réforme du secteur électrique ainsi que sur les émissions de dioxyde de carbone et la consommation énergétique de l'industrie mexicaine. Ah, elle a aussi travaillé sur les quatrième et cinquième rapports du GIEC. Ensuite… Attendez, je m'absente une seconde, le temps d'accrocher son poster dans ma chambre, à la place de celui de Kurt Cobain.
On continue la belle histoire ? En 2018, Obrador crée le parti Morena et se lance dans la course pour la présidentielle mexicaine. Elle s'engage à ses côtés en se portant candidate à la mairie de Mexico. Tous deux remportent leurs scrutins. Elle fait passer la flotte de bus à l'électrique et agrandit le réseau du tramway. Elle lance un programme de collecte des eaux de pluie dans les quartiers pauvres.
Mais pendant ce temps-là, le Président accroît la dépendance du pays au gaz naturel américain (produit en larges quantités juste à côté, au Texas), quitte à retarder d'autant la transition énergétique. Il multiplie les pipelines à la frontière et construit la raffinerie qui lui tenait à cœur. Certes, le pays signe les Accords de Paris et s'engage ainsi à réduire ses émissions de 35 % d'ici 2030. Mais on demeure très, très loin du compte. Notamment à cause du soutien constamment renouvelé à leur Total à eux, la compagnie pétrolière PEMEX, qui dégage des quantités massives de méthane par le biais de ses multiples plateformes offshores.
"Or les conséquences du changement climatique se font de plus en plus manifestes sur le territoire. L'ouragan Otis a ravagé Acapulco l'année dernière, tuant 52 personnes. La chaleur de l'océan en surface a conduit le cyclone à gagner rapidement en intensité, prenant les prévisionnistes en défaut. Les températures extrêmes du mois de mai ont fait atteindre des records à la consommation électrique. Des sécheresses ont diminué les ressources en eau des grandes villes, dont Mexico et Monterey".
Inside Climate News rappelle que certains scientifiques déplorent un mandat littéralement "perdu" dans le combat climatique, sans nier que le Président a tenu ses autres engagements, en particulier de lutte contre la pauvreté, avec de vrais succès qui expliquent pour une large part la victoire de sa successrice à la tête de l'État.
Comme le résume Claudia Campero, une activiste écologiste de longue date au sein de l'ONG Conexiones Climáticas : "Quelle part de sa personnalité va l'emporter ? L'ordre du jour tel que l'a défini López Obrador ? Ou celui de la scientifique informée, qui comprend parfaitement les enjeux de la crise climatique ?".
Une partie de la réponse sera apportée par les élections sénatoriales de septembre prochain, où il n'est pas dit qu'elle dispose d'une majorité bien solide, voire d'une majorité tout court (même si elle dispose d'une avance confortable à la Chambre Basse, dont les Législatives ont eu lieu en même temps que les Présidentielles).
Ce n'est que le mois d'après, en octobre, qu'elle prêtera serment sur la Constitution et entrera véritablement en fonction.
Ce jour-là, vous pourrez résilier votre abonnement Netflix : aucune série ne sera à la hauteur d'un suspense qui va concerner l'humanité toute entière.
Votre horoscope tribal
Le signe de la semaine : Cycliste
Le vélo reviendra-t-il aux États-Unis ? C'est le vœu le plus cher d'un Représentant Démocrate de l'Oregon au Congrès, Earl Blumenauer, 75 ans. Un nom de méchant de cinéma, mais qui aurait un cœur d'or et des mollets d'acier. Sa cause ? La bicyclette. Celle-ci est en péril, qu'elle soit traditionnelle ou électrique. La voici prise dans un imbroglio absurde, alors que les États-Unis vont toujours plus avant dans la lutte contre le bouleversement climatique.
La première chose à savoir, que m'apprend le magazine de high-tech intelligent The Verge, c'est qu'on ne fabrique plus de vélo là-bas, mais alors genre plus du tout. En 30 ans, nous dit-il, tout le secteur a été éradiqué : 97 % des achats sont des imports. Parmi eux, 86,3 % viennent de Chine. Et, à moins que Blumenauer remporte sa croisade finale, ce n'est pas parti pour s'arranger. C'est un effet inattendu des efforts de Joe Biden pour lutter contre le changement climatique.
En effet, son administration a annoncé, le mois dernier, une augmentation substantielle des droits de douane sur de nombreux produits chinois, précisément pour protéger —entre autres— l'industrie des énergies renouvelables naissante sur le territoire. Les voitures électriques ou les cellules photovoltaïques sont visées en priorité mais aussi les batteries qui équipent les vélos électriques. Celles-ci seront soumises, en 2026, à une taxe d'importation de 25 %, contre 7,5 actuellement.
Or les vélos électriques sont la nouvelle passion du pays. La pandémie de Covid et le très long confinement qu'elle a causé ont poussé nombre de citadins à découvrir leurs vertus. Nationalement, les ventes ont presque doublé en 2019 et, dans certains États —les mieux équipés en pistes cyclables, en infrastructures de protection ou en parking dédiés— cela a pu aller bien plus loin. La marque californienne Aventon Bikes, par exemple, se vante de faire +298 % dans le Massachusetts ou +164 % dans l'État de New York.
C'est pourquoi Blumenauer se désole à l'idée que les futurs tarifs douaniers puissent tuer dans l'œuf cette nouvelle pratique au pays du tout auto. Il a donc rédigé une proposition de loi demandant un moratoire de dix ans sur les hausses prévues, du moins pour les secteurs spécifiques liés au vélo, afin que son industrie puisse renaître et se mettre en ordre de bataille. La proposition contient aussi une baisse des taxes intérieures de 20 % pour l'achat d'un vélo produit aux USA, ainsi qu'un prêt à taux réduit (1 % sur 12 ans) destiné aux fabricants, lorsqu'ils achètent l'équipement nécessaire à leur développement.
Ce n'est pas trop demander. Après tout, note The Verge, l'équipe de Joe Biden "dépense avec joie des milliards de dollars pour installer et soutenir la production de voitures électriques, sous prétexte de lutter contre le changement climatique. Mais le Président n'a pas étendu ces avantages au vélo ou, plus important encore, aux vélos électriques, malgré l'atout qu'ils représentent dans ce combat.
On comprend assez bien pourquoi. Les États-Unis sont une nation profondément marquée par la culture automobile. L'arrivée de ce véhicule a inauguré une campagne de constructions d'autoroutes qui s'est étalée sur des décennies —subventionnant indirectement le secteur— quitte à détruire de la terre ou à étrangler les modes de circulation plus petits et plus économiques, dont les transports publics. Les voitures nous ont remboursé à leur manière : en ravageant la nature, les villes et notre santé. Et maintenant c'est à nous de gérer ce désastre."
Évidemment, un tel projet ne suscite pas que l'enthousiasme dans un Congrès aussi divisé qu'il l'est aujourd'hui. À tel point que Blumenauer, lucide, cherche déjà un successeur à sa cause pour poursuivre le combat après son départ : il quittera son siège à la fin de l'année. Pour lui, cette cause n'est rien moins que son "testament politique".
Qu'on puisse se battre à ce sujet dans une assemblée d'élus et d'élues, c'est quand même absurde. Le vélo c'est pas cher, c'est pratique, ça prend pas de place et c'est bon pour la santé… de qui le pratique ou de qui respire à ses côtés. Le fait que l'essor de la bicyclette suscite tant d'oppositions, quasiment une guerre culturelle, ne lasse pas de me fasciner.
D'autant que l'on retrouve souvent, parmi ses plus féroces contempteurs, les réactionnaires, les conservateurs, les nostalgiques, qui ne cessent de vanter le monde d'antan… quand tout le monde faisait du vélo justement (et mangeait moins de viande, mais ne poussons pas trop loin la provocation).
Les mêmes qui, entre deux diatribes contre les cyclistes inconscients, n'auront aucun problème à poster sur Facebook, émus, une vidéo de Michel Audiard : c'était ça, la France qu'on aimait ! Il était pourtant la fière incarnation de la passion du vélo, dont il ne perdait pas une occasion de vanter les mérites. Comprenne qui pourra.
Mécano
Pas une semaine ne passe sans que l'Arabie Saoudite fasse une annonce, dans un domaine ou dans un autre, qui témoigne de son volontarisme incontestable pour installer son "soft-power" à l'égal des grandes puissances de la planète. Ce pourrait être autant de nouvelles sans grande importance, n'était sa ligne idéologique peu reluisante et, disons-le, plutôt inamicale à notre égard. Mais en même temps, ça fait plein de gros deals avec plein de gros sous, comment résister ?
Cette semaine encore, le Royaume a célébré un nouveau partenariat qui va, un peu plus, promouvoir son image dans le monde entier et dans le grand public. Cela de façon aussi insensible que spectaculaire. Le pays rejoint en effet la liste des pays hôtes du championnat du monde de rallye (WRC), dès l'an prochain et pour dix ans. Il pourra ainsi proposer aux mains expertes des pilotes de se confronter "à ses paysages divers et exigeants, sur des surfaces qui vont de la roche volcanique aux déserts de sable", s'enthousiasme le communiqué officiel.
Dès novembre 2025, la monarchie accueillera une épreuve du championnat (la dernière de la saison) sur les routes désertiques et dans les montagnes autour de Jeddah. L'accord a été rendu public durant le rallye de Sardaigne (remporté de justesse par l'Estonien Ott Tänak, à deux dixièmes devant Sébastien Ogier, victime d'une crevaison à trois kilomètres de la ligne d'arrivée —ce qui a inspiré à L'Équipe un nouvel axiome digne d'Hegel ("Rien n'est jamais joué jusqu'à la fin d'un rallye") et au pilote français le constat, plus proche de Marc Aurèle, que "Je ne pouvais pas faire grand-chose".
À part Ogier, donc, tout le monde était content, à commencer par le Président de la Fédération Internationale de l'Automobile, l'Émirati Mohammed Ben Sulayem (ancien pilote et collectionneur de voitures de luxe). Le Prince al-Faisal, Président de la Saudi Motorsport Company et de la Fédération saoudienne de l'Automobile et de la Moto, a commenté : "Cela confirme notre transformation en carrefour majeur des sports mécaniques de la région, en accord avec Vision 2030". En Arabie Saoudite il faut toujours ajouter "en accord avec Vision 2030" (le plan de développement imaginé par le prince héritier Mohammed Ben Salmane), après n'importe quelle phrase. Notez-le bien avant d'aller y faire un tour, c'est plus prudent.
Touriste
Avec un poil plus de retard et beaucoup moins d'argent que l'Arabie Saoudite, l'Algérie se réveille elle aussi. Et elle aussi, songe à diversifier ses sources de revenus au-delà des seules énergies fossiles. Il serait temps. Elle vient par exemple de réaliser que le tourisme est, sur ses terres, un atout dramatiquement sous-exploité. Après tout, le pays, comme l'écrit Reuters, "a en réserve des sites romains et islamiques, des plages, des montagnes et les inoubliables paysages du Sahara, où, à une heure d'avion de l'Europe, on peut dormir sur les dunes à la belle étoile, et voyager à dos de chameau avec les nomades touaregs".
Pour réaliser le retard à rattraper, il suffit de comparer la situation avec celle de son voisin marocain : ce dernier a accueilli plus de 14 millions de voyageurs en 2023… contre seulement 3 et quelques pour l'Algérie. Dont quasiment la moitié s'avèrent des nationaux de la diaspora venus visiter leurs familles. Pourquoi cela ? Reuters explique que le gouvernement s'est totalement désintéressé de ce business dans les années 1960 et 70 face à l'ivresse qu'ont provoqué les lucratives exploitations pétrolifère et gazière. À quoi sont venues s'ajouter les terribles années 1990 et la guerre civile connue sous le nom de Décennie noire. "Mais bien que la sécurité se soit considérablement améliorée", note l'agence de presse, "le pays doit maintenant réformer son système de visas, inflexible, et un médiocre réseau de transport".
Il va falloir faire vite car les ambitions sont colossales. La directrice de l'Office National du Tourisme, Salilah Nacer Bey, veut faire venir 12 millions de personnes, 4 fois plus qu'aujourd'hui, d'ici 2030 —dans six ans, donc. Le ministère du Tourisme annonce la création de 2 000 projets touristiques (constructions d'hôtels et aménagements), dont 800 seraient déjà lancés. 249 sites historiques doivent également être restaurés.
C'est ambitieux. Je suppose également que pour arriver à ses fins, le pays va se lancer dans une lutte sans merci contre la corruption, notamment dans le secteur du BTP. Voire dans une série de réformes pour rendre l'espoir à la jeunesse du pays, révoltée et désabusée, histoire d'éviter qu'elle ne renforce les rangs d'un islam radical, terroriste et volontiers preneur d'otages quand il s'agit d'améliorer les fins de mois (les randonnées dans le Sahara à dos de chameau tant vantée par Reuters, personnellement, ce sera pas pour tout de suite).
Heureusement que l'on peut compter sur la fougue du successeur de Bouteflika, Abdelmajid Tebboune (78 ans dont 55 en tant que politicien professionnel au sein du FLN).
Rêveur
Tout le monde trimballe un peu ses casseroles, son sac plein de souvenirs, bien lourd parfois. Tout le monde devrait donc, ou devrait pouvoir, chacun son tour, le jeter au sol et s'allonger pour admirer les étoiles.
C'est ce à quoi nous invite cet été le Smithsonian Mag et, par son biais, les parcs nationaux américains. Le journal culturel a recensé tous les festivals d'astronomie à venir dans ces immenses territoires préservés de la civilisation. Les paysages y sont magnifiques et la pollution lumineuse y est moindre : il n'y a qu'à ouvrir les yeux pour se laisser envahir et bercer par un spectacle enchanteur.
La saison a été lancée au Grand Canyon la première semaine de juin. Au programme côté sud, une rencontre avec la poétesse du Nouveau-Mexique Lauren Camp et une conférence sur la formation des planètes par l'astronome Taylor Kutra. Côté nord, c'était plutôt discussions autour des éclipses, de l'art de photographier la Voie Lactée ou des façons de se lancer dans l'observation céleste même avec un petit budget. On file ensuite dans l'Utah au milieu des cheminées de fées, ces grandes colonnes rocheuses naturelles qui émaillent le parc national de Bryce Canyon, tout d'ocres, d'oranges et de rouges, pour écouter des experts de la NASA ou tester des télescopes qui permettent d'admirer le soleil de près, en plein jour, sans danger.
Dans les Badlands, au Dakota du Sud, "vous pourrez oublier les feux d'artifices : les étoiles, les planètes, les nébuleuses, les météores et autres spectacles célestes éblouissants vous suffiront pour célébrer le long week-end du 4 juillet". Au Colorado, au cœur des Montagnes Rocheuses, les bénévoles mettent le point final à un programme prévu pour durer tout l'été. Dans le Minnesota, préparez-vous pour la "star party" de début août, quand nous croisons les Perséides, cet essaim de météores qui chaque année, à cette période, en pluie d'étoiles filantes se désintègrent dans notre atmosphère. De là, prévoyez 25 heures de voiture (ou 6 jours de vélo) pour arriver à temps au Grand Bassin, Nevada, "300 kilomètres carrés de cavernes taillées dans le calcaire, de pins de Balfour 5 fois millénaires, de sommets démesurés et de panoramas dessinés par les glaciers". On y parlera constellations et galaxies. Puis achevez votre été au vénérable Joshua Tree près de Los Angeles, porte d'entrée vers le désert du Mojave. Mais attention : les tickets d'entrée pour son Festival Annuel du Ciel Nocturne partent vite. "Tenez-vous prêt pour la mise en vente, le 15 juin". Et j'en oublie, comme l'AstroFest au Gunnison (Colorado) ou celui qui unira, dans l'Utah, les Arches, Canyonlands et Dead Horse Point.
Pendant toute son existence, chaque nuit —chaque nuit, tout le temps, toutes les nuits— l'humanité fut surplombée par le ballet magistral et doux de la voûte céleste se dévoilant à nos yeux. Cela n'a cessé qu'il y a quelques décennies, quand nous avons commencé à éclairer les villes. Parfois, je me dis que c'est ce manque-là qui nous rend dingues et nous déconnecte jour après jour du sens et des joies de l'existence. Cet été, en France aussi, en Europe, là où vous le voulez, là où vous le pouvez, plongez dans la nature et allez voir les étoiles.
Mode
Le droit du travail désormais appliqué aux mannequins dans l'État de New York
C'est une révolution dans le domaine de la mode. Et non, je ne parle pas du crop-top ou du burkini, mais du "Fashion Workers Act", tout juste voté par l'État de New York et qui n'attend plus que la signature de la gouverneure pour entrer en application.
Quand il s'agit des mannequins, hommes ou femmes, on a tendance à voir le haut du panier : les top-models richissimes à la vie de rêve, adorées (ou adorés) et enviés (ou enviées) par la planète entière. Mais pour ce 0,1 % d'icônes internationales (dont l'existence n'est pas pour autant de tout repos), il y a des milliers et des milliers de modèles moins célèbres, qui cachetonnent dans les séries des magazines, les publicités et les catalogues de vente à distance. Dans un milieu où le syndicalisme n'est pas l'activité la plus à l'honneur.
Comme dans tous les métiers qui attirent en grand nombre candidats et candidates, souvent jeunes, pour des carrières forcément solos et censément prestigieuses, les directions n'hésitent pas à exploiter le temps, l'énergie et la bonne volonté de leurs recrues. Salaires à la baisse, paiements en retard et, surtout, horaires de travail bien au-dessus de la norme, de la décence, ou de ce qu'autoriserait le respect de la santé mentale, sont monnaie courante.
Mais la bamboche, c'est terminé. Dans l'État de New York en tout cas… donc au cœur de la presse et de la publicité de mode, là où rayonnent les plus prestigieuses rédactions et agences de publicité comme de mannequinat. Dorénavant, c'est voté, les heures supplémentaires seront payées. Les commissions seront limitées. Les jobs devront être contractualisés (ce n'est pas toujours le cas, tu comprends ma choute, c'est la mode ici, il faut aller vite). Les pauses-repas deviennent obligatoires (oui oui, on en était là). Cerise sur le gâteau : les plaintes pour harcèlement devront désormais faire l'objet d'une enquête exhaustive. Je vous le dis : une révolution.
Une révolution qui a un visage. Celui de Sarah Ziff. Le magazine féminin et féministe The Cut lui consacre un portrait cette semaine pour célébrer cette belle victoire. Une deuxième belle victoire, d'ailleurs : cette ancienne mannequin new-yorkaise de 41 ans est déjà parvenue à faire voter, après avoir fondé l'ONG Model Alliance, le Adults Survivor Act après MeToo : cette loi accordait un délai exceptionnel d'un an (de novembre 2022 à Novembre 2023) aux victimes d'abus sexuels pour porter plainte contre leur violeur ou harceleur en cas de crimes déjà prescrits. C'est ce qui a permis entre autres à E. Jean Carroll de porter plainte pour viol contre Donald Trump (elle a gagné son procès). Mais aussi de traîner devant les tribunaux l'ancien maire de la ville, Eric Adams, le rappeur Sean "Diddy" Combs ou l'ancien comédien, pseudo influenceur et authentique mégalo Russell Brand.
L'histoire de Ziff n'est pas commune : repérée dans la rue par un agent de casting sauvage (un "scout talent"), elle se lance dans la carrière à 14 ans, malgré les objections de ses parents intellos (une mère avocate et un père universitaire). On la voit dans le magazine pour ado Seventeen ou le catalogue de la marque Delia. L'équivalent de son bac en poche, elle décide de prendre une année sabbatique pour exercer à plein-temps… Une année qui deviendra six ans de travail dans l'industrie. Elle défile pour Prada, Chanel, Dior. S'achète à 20 ans un loft dans le quartier ultra-branché de Tribeca.
"Elle se sentait aussi profondément malheureuse. Elle n'avait aucun contrôle sur son emploi du temps, entièrement fixé par son agence, souvent à la dernière minute. Elle était souvent payée en retard, parfois moins qu'elle était censée l'être. Elle s'est souvent sentie forcée de poser nue, dès son jeune âge. Elle parcourait la planète, elle posait pour les plus grands magazines et, pourtant, elle se sentait impuissante. Un jour, en se voyant exposée sur deux panneaux en même temps, des deux côtés d'une rue de Soho, elle a pensé : "Si c'est ça être au sommet, alors quelque chose ne va pas chez moi, je me sens tellement vide et déprimée"".
En 2006, elle s'inscrit à l'université de Columbia pour étudier le droit du travail et l'organisation militante. "Je me revois assise en classe à dire "on travaille pas à la mine, mais on travaille", même si ça me gênait de le dire comme ça. Mais il était très clair pour moi que dans mon secteur, comme d'ailleurs dans de très nombreux secteurs, nous étions simplement coupés du droit du travail. J'avais la rage au cœur."
Un parcours où, c'est hélas attendu, elle a aussi fait la connaissance du pire : elle affirme avoir été violée à 19 ans dans une chambre d'hôtel par le représentant en Italie de Miramax —le studio des frères Weinstein. Elle refuse cependant de s'attarder sur le sujet, le procès étant toujours en cours. "Mais elle dit qu'elle peut en voir les conséquences sur sa vie tout au long des vingt années qui ont suivi, guidant silencieusement ses choix et l'amenant jusque là où elle est aujourd'hui. "Personne ne veut être une victime", me dit-elle. "C'est juste de la merde et ça peut manger des années de ta vie… Et puis, genre, tu préfères t'attarder sur ton passé, ou aller de l'avant ? Et pourtant, quand on y songe, c'est l'éléphant dans la pièce".
Le reste de son histoire n'est pas simple non plus. Décider de se lancer dans l'action politique contre des boîtes richissimes et habituées à danser sur le toit du monde n'est pas de tout repos. Il faut créer, faire vivre et diriger une ONG, avec ses dissensions internes, faire du lobbying, rencontrer les politiques, organiser des événements pour accélérer la prise de conscience, représenter ses collègues réduits au silence, travailler sur les cas de harcèlement sexuel et de viol, voire de pédocriminalité… Des années et des années d'engagement qui justifient le titre du portrait de The Cut, qu'il me paraît juste de traduire littéralement : "Sarah Ziff a fait exploser sa vie pour réformer l'industrie de la mode".
Aujourd'hui, elle n'est plus top-model. Elle est un modèle.
Beauté
Petit rat deviendra grand
Avis à la population : le Ballet de l'Opéra de Paris va créer une nouvelle compagnie destinée aux juniors. Elle sera menée par son directeur de la danse, José Martinez, né en Espagne puis formé à Cannes par José Ferran.
Ça vous tente ? Le recrutement a commencé ! Il est largement ouvert puisque, comme l'écrit le communiqué, "le Junior Ballet de l’Opéra national de Paris répond à plusieurs enjeux : diversifier les profils des danseurs, favoriser leur insertion professionnelle, renforcer l'ouverture aux publics grâce à des tournées et actions de médiation, tout en perpétuant le savoir-faire tricentenaire de l’Opéra de Paris". Toutes les nationalités, toutes les formations, tous les horizons sont permis. Il faut juste savoir danser. À, disons, un certain niveau d'excellence : la compagnie ne cherche que 18 artistes, de 17 à 23 ans (et six de plus en 2025).
Le contrat de professionnalisation dure ensuite deux saisons. Le premier spectacle, La Belle au Bois Dormant, est déjà programmé à l'Opéra Bastille. Bonus : en indiquant votre genre, vous pourrez opter pour "Monsieur", "Madame" ou "Non-Binaire" et choisir ensuite si vous postulez pour un rôle Homme ou Femme… Il faut aussi prévoir un CV (enfin, un bon CV) ainsi qu'une vidéo "présentant une variation" et deux-trois photos (pas grand chose : un portrait, un retiré au genou de face et —cela va de soi— un piqué arabesque).
Mais dépêchez-vous : les inscriptions (en ligne, ici) se closent ce dimanche 9 juin à 23H59. Les auditions auront lieu le 2 et 3 juillet au Palais Garnier. Allez ! On saute, on bondit, on vole !
Bizarre
Quand la musique est bonne et qu’elle ne triche pas
Ayons de la compassion pour Ella Sterland. Cette journaliste et musicienne australienne a voulu écrire un article pour nous faire connaître le travail de la compositrice américano-philippine qui signe sous le nom underscores (oui, sans majuscule, zéro, nada). Cette dernière se produisait en effet ce 5 juin au festival "de lumière, de musique et d'idées" VIVID à Sydney. C'est l'occasion d'inciter ses contemporains à découvrir son travail, disons, étrange. Ou carrément dérangé.
J'ai évidemment pris le temps d'écouter quelques morceaux avant d'en parler ici. J'adore. Toutefois, plutôt que tenter de décrire son travail, je vais lâchement laisser la journaliste de Junkee se dépatouiller avec son projet. Alors, Ella, ça ressemble à quoi, le son d'underscores ?
"C'est comme la première fois où j'ai mangé de la glace aux algues.
"Wow, c'est bizarre", me suis-je exclamée dès ma deuxième bouchée.
"Ouais, pas franchement convaincue", ai-je conclu en finissant mon bol.
Je connaissais pourtant ces goûts. Mais jamais comme ça, jamais sous cette forme.
Et maintenant je ne peux plus m'en passer".
Très bien, mais encore ?
"Je ne veux pas prétendre avoir tout entendu dans ma vie, mais ce curieux état, se sentir à la fois confuse et inspirée à la lumière de quelque chose de véritablement unique, m'est tout de même largement étranger. J'avais oublié que la musique pouvait être surprenante.
[…]
En général, écouter cinq titres mis en avant ne donne qu'un aperçu très superficiel de ce qui distingue un ou une artiste. Dans le cas de ce nouvel album pourtant, ils ont en commun non seulement d'être parmi mes favoris mais aussi de capturer l'essence du son d'underscores : une sorte dimension parallèle où la géométrie est en mouvement perpétuel, comme un Rubik's Cube".
L'album en question s'appelle Wallsocket, c'est-à-dire Prise Murale. Parce que pourquoi pas ? Au risque de vous décevoir, sachez pourtant qu’il ne s'intéresse pas tellement aux connecteurs isolants de courant électrique monophasé. Plutôt à l'Amérique contemporaine, "vue comme un endroit bien réel ou des individus tout aussi réels et brisés vivent, toutes et tous, dans un magnifique biome". Ce qui, d'un point de vue musical, peut donner quelque chose comme ça :
"Je trouve qu'un assaut de vagues sonores industrielles à fort indice d'octane peut, à la longue, s'avérer un peu fatiguant pour les oreilles. Mais l'équilibre qui découle de l'union entre ce chaos et la simplicité d'instruments emblématiques de la culture américaine, comme la steel guitar ou l'harmonica, est quelque chose à quoi je ne m'attendais pas. Je pense en particulier à la chanson "Duhhhhhhhhhhhhhhhhh", dont le chagrin apathique atteint son point culminant avec l'instrument le plus triste de l'histoire de l'humanité : l'harmonica. Rien ne dit "désespoir" comme les sifflements solitaires d'un harmonica".
Je plussoie.
"Il faut goûter la glace aux algues, il faut aussi écouter les accents nasillards d'une steel guitar émaillant les percussions industrielles au fil d'une chanson sur la fin de l'enfance."
Ou pas, d'ailleurs, mais si ça vous tente, la tournée a commencé. La glace aux algues se produira en particulier le 13 juin à Manchester. Elle avait déjà fait un tour au Point Éphémère à Paris en 2023. On peut donc garder espoir de la voir à nouveau en France parce que c'est exactement ce qu'il va nous falloir pour nous remettre de l'overdose surexcitée et survitaminée qui va nous frapper cet été à l'occasion des J.O.
Mais aussi, mais encore
En bref : les news auxquelles vous avez échappé
Pendant ce temps-là, ici, ailleurs et à côté…
Des fuites chez Google montrent une piètre gestion des données confidentielles de ses utilisateurs (Business Insider) — La loi contre le tabagisme votée en début d'année au Sénégal est peu et mal appliquée : la ligue anti-tabac locale interpelle les autorités et conseille au nouveau ministre de la santé de "ne pas se fier à ceux qui s’agitent dans un activisme suspect et qui ne sont en réalité que des affairistes, des rentiers, des capteurs de financements à la recherche de prébendes tout simplement" (Sud Quotidien) — L'Arabie Saoudite et le Brésil signent un accord mutuel de défense (Arab News) — Sur fond de tensions internationales, l'Australie ouvre les portes de son recrutement militaire aux résidents permanents (Nikkei Asia) — Le Japon lance un programme national pour remplacer les cèdres par des arbres moins susceptibles de causer des allergies, dans un pays où 40 % de la population serait sensible à leur pollen (The Mainichi) — Pas de hausse des cours des champions de l'énergie en Corée du Sud malgré la découverte de gisements de pétrole au large du pays (The Korea Herald) — Préparez les mouchoirs : un film allemand racontant la dernière année de la vie de Kafka, durant laquelle il a rencontré et est tombé fou amoureux de Dora Diamant, arrive sur les écrans du monde (LitHub) — Une start-up lève 6 millions de dollars pour créer des bornes automatisées qui, fonctionnant à l'intelligence artificielle, permettraient de passer des examens de la vue en 90 secondes sans avoir à passer par un ophtalmologue (TechCrunch) — Cara, l'application de partage d'images et d'hébergement de portofolios qui refuse tout travail généré par l'intelligence artificielle (et l'empêche de pirater les œuvres postées) arrive dans le Top 5 des ventes de l'Apple Store, passant subitement de quelques milliers de comptes à 300 000, alors qu'Instagram annonce officiellement accorder son accès aux robots pirates (This is Colossal) — Inauguration en Côte d'Ivoire de la première centrale solaire du pays (Sciences et Avenir) — Le Cambodge, le Laos et Singapour signent un accord de partage de l'énergie : l'objectif est de parvenir à un réseau électrique transfrontalier unissant tous les pays de l'Association des Nations de l'Asie du Sud-Est (Asean) (Khmer Times).
Prochaine Édition du Week-end : samedi 16 juin.
Gardons les pieds sur Terre pendant que ça tourne.
Un grand merci à Marjorie Risacher pour sa relecture attentive, et ses coquillicides impitoyables.
© 2024 PostAp Mag.