L'Édition du week-end du 25 mai 2024
Une semaine sur Terre : belles lois, gentils toutous et gros trous
Chère lectrice, cher lecteur,
permettez-moi de vous souhaiter un très bon week-end en compagnie, cette semaine, d’oiseaux chanteurs, d’un dresseur mal dressé, d’un trou de l’espace, d’une nouvelle milice, d’un photographe sans peur ni reproches, d’un nouveau beau journal, d’un saumon qui ne plaisante pas et de la loi du siècle.
Très bonne lecture,
la conscience artificielle de votre téléscripteur favori.
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La loi de la semaine
Et si nous sauvions notre environnement ?
Pour Rodrigo Lledó, la fin avril 2024 fut particulièrement émouvante. Du 22 au 24 avril plus exactement, quand se tint la COP 3 de l'Accord d'Escazú. Ah super mais c'est quoi, ça ?
Ce sera déjà un peu plus clair une fois mentionné le nom complet de l'Accord d'Escazú, à savoir : "l'accord régional sur l'accès à l'information, sur la participation du public et sur la justice en matière d'environnement en Amérique Latine et dans les Caraïbes". Il a été adopté au Costa Rica en 2018. Il est signé par 24 pays et ratifié par 14 d'entre eux, dont l'Argentine, le Chili, la Colombie, l'Équateur, le Guyana ou le Mexique. Entré en vigueur en 2021, il a donc force de loi dans ces pays, puisqu’ainsi se sont-ils engagés à le transcrire dans leur législation nationale. Il s'ouvre par ces mots :
"L'objectif du présent accord est de garantir la mise en œuvre pleine et effective en Amérique Latine et dans les Caraïbes des droits d'accès à l'information environnementale, à la participation publique dans les processus de prises de décisions relatives à l'environnement, ainsi qu'à l'accès à la justice en matière environnementale ; de garantir la création et le renforcement des capacités comme de la coopération des États, afin de contribuer à la protection du droit de chaque personne des générations présentes et futures à un environnement sain et au développement durable".
C'est un texte essentiel en matière de protection écologique, de débat démocratique mais aussi de sécurité des lanceurs d'alerte, particulièrement menacés dans ces régions. Depuis, de COP en COP (COP signifiant "Conference Of the Parties"), les États signataires continuent à se réunir pour veiller à sa mise en place, que ce soit par l'introduction des lois qu'il implique ou par l'établissement d'autorités et d'administrations à même d'en assurer l'application. La 3° COP de l'Accord d'Escazú avait donc lieu cette fin avril à Santiago du Chili… Ce qui nous ramène à l'émotion de Rodrigo Lledó, Chilien lui-même et avocat. Il est temps de lui laisser la parole :
"Avant de quitter le pouvoir en 1990, le général et dictateur chilien Augusto Pinochet a créé un cadre légal qui lui garantissait une impunité totale. Ça n'a pas marché. Accusé de génocide et de terrorisme, il a été arrêté à Londres en 1998 sur ordre de la justice espagnole et, de retour au Chili, il a finalement dû comparaître devant les tribunaux.
Des années plus tard, j'ai pu diriger une équipe d'avocats impliqués dans près de 900 procès pour crimes contre l'humanité commis durant la dictature. Pinochet était déjà mort, mais ses complices devaient encore être jugés. Cependant, des décennies après son régime, les droits humains sont toujours régulièrement violés en Amérique Latine, souvent à l'encontre des défenseurs de l'environnement.
Près de 90 % des meurtres liés à la défense de la nature sont commis dans la région selon Global Witness, une organisation internationale qui suit de près les droits humains tout comme les atteintes à l'environnement. Un cinquième de ces cas —et l'on ne compte que ceux qui font l'objet d'un rapport, le nombre total est vraisemblablement bien plus important— se produisent en Amazonie, une région qui recouvre la Bolivie, le Brésil, la Colombie, le Pérou, l'Équateur, le Surinam et le Vénézuéla."
On perçoit bien dès lors l'importance de l'Accord d'Escazú pour la région. Il n'a certes pas résolu tous les problèmes en trois ans d'existence, mais il contraint les pays signataires à le suivre et surtout, surtout, il renverse le problème, donc le remet à l'endroit : il fait du bien-être et de la survie des humains, présents et à venir, une priorité sur tout autre enjeu, y compris économique et politique.
Lledó, encore :
"Nous avons fait du progrès à Santiago. Les participants à la COP 3 se sont entendus sur un nouveau Plan d'Action qui établit des stratégies à suivre pour les États en matière de protection des défenseurs de l'environnement. Il inclut des mesures pour empêcher de nuire celles et ceux qui ciblent ces derniers autant que pour les punir. Parmi ces mesures, on peut relever l’instauration d'assistances légales gratuites et des formations pour les juges et les procureurs.
Encourager les États à rejoindre l'Accord d'Escazú implique que nous devons désormais sérieusement envisager d'introduire des traités similaires dans d'autres régions du globe riches en ressources qui ont connu la colonisation, et son histoire caractérisée par l'inégalité dans les échanges, la dégradation écologique à grande échelle, la répression violente contre les partisans des droits humains ou de la protection de la nature. Cela recouvre de larges parts de l'Afrique et de nombreuses nations insulaires du Pacifique, qui se trouvent par ailleurs au cœur de la ruée vers les "minéraux de transition" indispensables aux énergies renouvelables, comme le cobalt et le lithium".
Vaut-il mieux vivre en cette période, où le mouvement, quel que soit son aboutissement, est lancé ? Ou dans les années 1970, 80, 90, 2000, quand les appels pressants à ce type de traités ne recevaient en écho qu'une surdité totale ou, au mieux, un rire moqueur ?
Inutile de répondre à la question puisque, de toute façon, c'est bien en ces temps-ci que nous vivons, même si ce sont les catastrophes qui nous obsèdent (ce qui est logique après tout : pour survivre, nous avons évolué en restant attentifs aux menaces bien plus qu'au réconfort).
Oui, c’est aussi en ces temps que nous vivons… y compris en Europe où, "après une longue bataille" comme l'écrit Reporterre, le crime d'écocide a été introduit dans le droit pénal.
Cette reconnaissance des atteintes gaves à l'environnement et de la nécessité de les punir sérieusement a d'abord été votée par le Parlement Européen. Elle a ensuite été négociée, selon l'usage, avec le Conseil et la Commission. Le terme d'écocide n'est par repris en tant que tel dans le texte final (que les États-Membres doivent donc désormais légalement transcrire dans leur droit national) mais tout ce qu'il recouvre est pris en compte. Le texte (détaillé ici par le site du Parlement Européen) précise par exemple :
"Les négociateurs du Parlement et du Conseil se sont […] mis d’accord sur des sanctions plus strictes pour les infractions dites qualifiées, c’est-à-dire à l’origine de la destruction d’un écosystème ou d’un habitat à l’intérieur d’un site protégé ou de dommages à la qualité de l’air, du sol ou de l’eau. Il s'agirait notamment d'infractions comparables à l'écocide avec des conséquences catastrophiques telles qu’une pollution généralisée ou des incendies de forêt à grande échelle.
Les personnes, y compris les représentants d’entreprises, qui commettent des infractions environnementales entraînant la mort peuvent être condamnées à une peine d’emprisonnement de dix ans. Les infractions qualifiées seraient passibles de huit ans de prison, tandis que pour d’autres infractions pénales, en fonction de facteurs tels que la durabilité, la gravité ou la réversibilité du dommage, la peine serait de cinq ans d’emprisonnement.
Les contrevenants peuvent également faire face à d’autres sanctions, comme des amendes et l’obligation de restaurer l’environnement endommagé ou d’indemniser les dommages causés. Les mêmes sanctions peuvent être attendues pour les entreprises, en plus du retrait des licences, de l’interdiction d’accès au financement public ou d’une fermeture. Après transposition, les États membres pourront choisir de prélever des amendes correspondant à 3 ou 5 % du chiffre d’affaires annuel mondial, en fonction de la nature de l’infraction, ou de prélever des montants fixes de 24 ou 40 millions d’euros."
Tout cela a été discuté puis décidé entre novembre et février dernier. Il est certes absolument fascinant de constater que ce sujet est totalement absent du débat des élections européennes —peut-être parce que les prétendants à la future Présidence de la République ne sont pas pressés-pressés de mettre en place ces décisions. Mais passons, pour laisser Rodrigo Lledó nous rappeler :
"La liste d'États qui ont fait des avancées concrètes vers la criminalisation de l'écocide s'accroit. Récemment, les Pays-bas, l'Écosse, le Mexique, le Brésil, le Royaume-Uni, l'Italie et l'Espagne l'ont rejointe. Le Chili a amendé son code pénal en août dernier, pour y faire figurer de nouveaux crimes économiques et écologiques, qui recouvrent des infractions comparables à l'écocide. De façon remarquable, en mars de cette année, le Parlement Fédéral de Belgique a voté en faveur d'un nouveau code pénal qui reconnaît le crime d'écocide.
Le but final du mouvement pour la reconnaissance du crime d'écocide est d'inscrire celui-ci comme le 5° crime contre la paix ressortant de la juridiction de la Cour Pénale Internationale. Il se trouverait ainsi aux côtés des forfaits que l'humanité considère comme les plus cruels : le génocide, les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre et les crimes d'agression.
Quand Pinochet a été interpellé au Royaume-Uni en 1998, l'un des aspects les plus étonnants de l'arrestation fut qu'un juge espagnol eût l'autorité nécessaire pour l'ordonner, et cela pour sanctionner des actes commis au Chili, majoritairement contre des Chiliennes et des Chiliens.
En principe, la capacité légale de poursuivre une infraction revient à une autorité qui est reliée à cette dernière. C'est le plus souvent un lien géographique. Mais comme l'a observé un avocat de premier plan à l'époque, "en matière de crimes contre l'humanité, ce lien peut être établi par le simple fait que nous sommes toutes et tous des êtres humains.""
Une dernière remarque : il m'arrive comme tout le monde de désespérer, de penser que tout est foutu, que c'est trop tard. Mais bien entendu, rien n'est jamais certain et, quand bien même, je préfèrerais assister à la détresse généralisée en voyant au moins que notre espèce s’est montrée capable de réagir, de se donner les moyens de faire ce qui était juste et vital, plutôt que simplement baisser les bras et s'entre-déchirer dans la nuit.
Après tout, nous mourrons toutes et tous, n'est-ce-pas ? Et la seule vraie question, la seule peur, c'est bien de savoir comment nous mourrons ?
Dans mon cas, ce serait préférablement de vieillesse. Mais surtout sur une planète qui nous sourirait de nouveau.
Votre horoscope tribal
Le signe de la semaine : Oiseau
L'autre jour, une vidéo fascinante est apparue sur mon fil Facebook. On y voyait un tout jeune homme, 25 ans à peine, réaliser ce que, faute de mots, je qualifie de tour de magie. On l'y voyait planter dans un pot plein de terre un morceau de gingembre acheté dans le commerce puis, se filmant en accéléré, parfois l'arroser d'eau. Quelques temps plus tard, miracle ! Le gingembre s'était comme multiplié, sous la terre. Le vidéaste recommençait ensuite l'expérience avec des fruits et des légumes dont il déposait aussi les noyaux et pépins sous la terre, au lieu de les jeter, et bim ! Au bout de quelques semaines, une espèce de gros câble vert se mettait à surgir, à se couvrir de genres de feuilles de papier tout aussi vertes, et —tenez-vous bien— des citrons, des oranges, même des pastèques, des courgettes, de la salade, là aussi se multipliaient, poussaient, grandissaient et mûrissaient. Ça paraissait presque simple, naturel. Il incitait ensuite les internautes à faire de même chez eux.
Cette recette incroyable a été appliquée dans les prairies du mont Môco en Angola, avec des résultats encore plus sensationnels.
Voyez-vous, sur les pentes de cette montagne, la plus haute de l'Angola, il y avait autrefois une épaisse forêt. Des photos des années 1970 le prouvent. Mais désormais, il n'y a plus rien. Que des souches d'arbres rasés et de rares bosquets encore debout, éparpillés autour du petit village de Kanjonde. C'est là que MongaBay a suivi les efforts de restauration menés par ses habitants et habitants, encouragés par un ornithologue sud-africain, Michael Mills. Au milieu de l'écosystème dévasté par l'exploitation forestière, où il a mis les pieds pour la première fois en 2005, il raconte combien le silence le chagrine. Les oiseaux, autrefois nombreux, n'ont plus nulle part où nidifier, percher et chanter. Alors ils sont partis. "La dernière fois qu'il a entendu un pouillot de Laura, c'était en 2008. Le dernier trogon à queue barrée qu'il a aperçu, en 2010. Depuis, il n'a pas cessé d'essayer d'inverser le cours des choses".
Mais le truc, c'est qu'il a réussi.
Le projet de restauration, financé par une ONG anglaise sous contrat avec une fondation locale, a été lancé en 2014. Il est organisé autour d'une pépinière arboricole qui emploie à temps partiel 12 villageois (ou plutôt des villageoises, on y compte 8 femmes et 4 hommes). Mais les effectifs se renforcent quand vient le temps des semailles :
"Depuis 2011, plus de 4 000 arbres ont été plantés. MongaBay était présent quand, tôt ce matin de février, des dizaines d'ouvriers agricoles à temps partiel de Kanjonde —dont un bon nombre de mères transportant leurs bébés attachés à leur dos— ont amené 420 pots de terre ensemencée depuis la pépinière jusqu'à un endroit de la forêt dégradée, cible de la restauration du jour.
Bien qu'il faille 40 à 50 ans à ces arbres pour atteindre leur maturité, les jeunes pousses renforcent rapidement la "biomasse boisée". C'est ce qui permet de relier, à nouveau, les fragments forestiers qui subsistaient. Et ainsi de recréer l'habitat vital aux oiseaux. Des espèces longtemps absentes sont déjà de retour." En l'occurrence, des rouge-gorges de bocage et des fauvettes d'Abyssinie, "qui chantent en torrents de notes rappelant les bips de R2D2, le droïd de Star Wars". Même si Mills, lui, veut surtout assister au retour du pririt de Boulton, un genre de gobemouche. C'est là même, sur les pentes du Mont Môco, que cet oiseau blanc au ventre barré de noir fut observé pour la première fois, en 1931, par Wolfrid Rudyerd Boulton (qui aurait pu lui trouver un nom un peu plus poétique, mais ça ira pour cette fois).
Le travail ne s'arrête pas là. En collaboration avec des professionnels sud-africains, les villageoises et les villageois ont également dû réapprendre à maîtriser l'art ancestral des feux contrôlés, indispensables pour éviter que les incendies accidentels ne se propagent trop rapidement et ruinent leurs efforts. Il faut aussi veiller à l'état de l'eau.
Car le retour de la forêt assure à la fois une plus grande quantité et une plus grande pureté de l'eau, qui s’écoule dans une rivière toute proche. Celle-ci est enfin redevenue potable… Même s'il convient de surveiller régulièrement qu'elle n'abrite pas de parasites indésirables. Une autre discipline désormais maîtrisée à Kanjonde. Elle ne nécessite guère plus qu'apprendre à se servir d'un tube testeur de turbidité, qui mesure la clarté de l'eau et permet d'en déceler, le cas échéant, tout type de saloperie mal venue (Photo).
À l'image du TikTokeur cité au début de cet article, MongaBay conclut son reportage en décrivant un autre miracle, venu tout droit d'un autre temps :
"Aujourd'hui, la turbidité de l'eau est jugée "acceptable" par Mona Bunga, l'un des coordonateurs du projet qui, sur place, expliquent comment utiliser cet instrument.
"Vous pouvez boire directement", annonce-t-il.
Et il se penche pour boire un peu d'eau, dans ses mains rassemblées en coupe."
Chien
C'est l'histoire d'une star qui avait la tête à l'envers : elle traitait les chiens comme des hommes (ce qui est cool) mais aussi les hommes comme des chiens (ce qui ne l'est pas).
Kang Hyung-wook est un dresseur de chiens expert, qui s'est fait connaître à partir de 2015 grâce au programme télévisé "There is no bad dog in the world". Le principe est d'aller à la rencontre des chiens les plus intelligents ou les mieux dressés de son pays, la Corée du Sud. C'est beau, c'est mignon, c'est sympa. C'est riche en regards plein d'amour et ça a valu à Kang le surnom de "Président des Chiens". Il a ensuite créé "Dog is Great" sur la chaîne KBS, autour de la même idée.
Sa célébrité s'est doublée d'une belle opération financière : ses centres d'entraînement canin, Bodeum, sont également devenu populaires. Avec près de 5,5 millions de chiens domestiques sur le territoire, il y a de la pâtée sur la planche. Le jeune homme a aussi fait fructifier son image de marque : sa chaîne YouTube, Bodeum TV, compte 2,1 millions d'abonnements et son profil Instagram 689 000. Le Korea Times précise d’ailleurs que "plusieurs stars de K-pop et d'autres célébrités, dont Jennie de BLACKPINK, sont apparues sur sa chaîne avec leurs animaux pour lui demander des conseils de dressage".
Et puis mardi dernier, patatras. Il est arrivé ce truc terrible qu'on appelle "la libération de la parole". Un flot, que dis-je, un torrent de témoignages d'employés et employées sont sortis en ligne, révélant que le jeune homme, mais aussi son épouse, directrice exécutive du groupe, pratiquent le harcèlement moral avec plus de professionnalisme que le dressage. Et ce ne sont pas trois posts Twitter qui le disent, mais aussi des commentaires par dizaines sous ses vidéos, voire sur les sites d'emploi :
"Sur la plateforme en ligne de recrutement et de recherche d'emploi JobPlanet, Bodeum a la note 1,8 sur 5", relève le Korea Times. "17 des 27 avis laissés sur le site n'affichaient qu'une seule étoile. La majorité des témoignages contiennent des plaintes relatives aux pratiques de management.
Un utilisateur qui affirme avoir travaillé dans l'entreprise de Kang écrit : "N'allez y travailler que si vous êtes prêt à être abandonné après avoir été mis en esclavage pour le reste de votre vie". Il ajoute : "Le montant du paiement est le salaire minimum, mais ça n'empêche pas Kang et sa femme de nous signifier que "[nous] payer, c'est gâcher de l'argent"".
Un autre employé raconte que ce lundi, lors d'un tournage, Kang lui a balancé : "Tu as moins de valeur qu'un insecte, rampe hors d'ici et va mourir". Un autre explique n'avoir reçu que 7 dollars de paiement pour son dernier mois suite à sa démission (il a finalement touché l'intégralité de son salaire et "un généreux montant d'indemnités" après avoir déposé plainte auprès du Ministère de l'Emploi et du Travail).
Dernière anecdote pour la route : pour les fêtes automnales de Chuseok, Kang a offert à un employé 6 boîtes de Spam, emballées dans un sachet destiné à contenir des déjections canines (le Spam, c'est ce mélange industriel d'épaule de porc et de jambon haché qui a donné son nom aux e-mails tout pourris qu'on reçoit à la tonne, via un sketch des Monty Python).
Face à ces allégations, la chaîne KBS a interrompu la diffusion du programme "Dog is Great" et confié envisager son annulation définitive. Au moment d'écrire ces lignes, ni Kang ni son épouse ne se sont exprimés sur la situation. Les publications du compte Instagram de Bodeum se sont brutalement interrompues.
Un employeur de plus qui jouit sadiquement de son pouvoir et détruit des vies. Un jour, au #MeToo du harcèlement sexuel succédera celui du harcèlement moral et ça fera très, très mal. Qui commence ?
Trou
Je vous dirais bien de faire attention à ne pas tomber dans le trou mais là, malheureusement, ça ne servirait pas à grand chose : si vous passez à moins de quelques années-lumière de celui-ci, vous n'aurez guère d'autres possibilités que numéroter vos abattis.
Mais commençons par les présentations : MAXI J1820+070 (mais je vais l'appeler "Bob") est un système binaire, constitué d'un trou noir ("Bobby") et, pour sa malchance, d'une étoile ("Jean-Patrick"), situé à environ 10 000 années-lumière de la Terre. Au cours de sa longue existence, Bobby a trop mangé : il pèse environ 8 fois la masse de notre soleil. Sa gravité est telle qu'il arrache son étoile voisine la matière qui la compose, à la vitesse prodigieuse de 80 % de celle de la lumière. Vous connaissez la suite de l'histoire : le mélange de plasma et de gaz ionisé se met alors en orbite autour de Bobby, constituant un disque d'accrétion (la seule trace visible d'un trou noir, parfaitement reproduite par les équipes de Christopher Nolan dans Interstellar).
Jusqu'ici donc, que du classique. Sauf que, en combinant les observations de rayons X recueillies par deux super méga télescopes (le NuSTAR de la NASA et le NICER de la Station Spatiale Internationale), une équipe d'Oxford a remarqué qu'au-delà d'un point précis, le disque perd son équilibre. Au lieu de se rapprocher doucement du trou noir orbite après orbite la matière se précipite subitement vers lui en ligne droite. Du jamais vu, littéralement, avant cette étude. Son directeur résume : "Imaginez une rivière qui à un moment donné se transforme en cascade. Jusqu'à présent, nous n'avions pu voir que la rivière. Pour la première fois, nous avons aperçu la cascade".
C'est assez plaisant en soi. Mais le plus beau dans toute cette histoire, c'est que cette observation vient confirmer une prédiction faite par Einstein dans sa théorie de le relativité générale de 1915. Une fois de plus, après la détection d'ondes gravitationnelles, plus de 100 ans après la finalisation de sa nouvelle manière de penser la gravité et l'espace-temps, les calculs du physicien le plus génial de l'histoire sont confirmés par l'observation.
De mon côté, l'une de mes prédictions scientifiques s'est aussi réalisée très récemment : une minute dix à 800 Watts, c'est la combinaison idéale pour réchauffer un café au micro-ondes. Je suis en recherche de contacts à Oxford pour publication et examen par mes pairs.
Milicien
Il y a des jours comme ça où l'on croit tomber sur une bonne nouvelle (ou au moins une nouvelle qui a de la gueule) et puis en fait, non. En l'espèce : la création d'une nouvelle alliance, regroupant 30 tribus bédouines dans la région orientale de l'Égypte, qui s'est baptisée l'Union des Tribus Arabes.
Un début de résistance à l'oppression du maréchal al-Sissi ? Que nenni. Comme l'écrit pudiquement The New Arab, cette annonce "pose des questions sur son timing, son but et sa création."
Plusieurs détails ont mis la puce à l'oreille de la publication. D'abord, son Président d'Honneur, al-Sissi lui-même. Ensuite et surtout, l'identité du leader réel de cette nouvelle organisation, à savoir "l'homme d'affaires controversé" Ibrahim al-Organi. Décrit par Le Monde comme "un ancien contrebandier" "sulfureux", "proche des services de renseignement", "qui a fait main basse sur le juteux business des entrées et des sorties de la bande de Gaza", al-Organi s'enrichit, nous dit L'Orient-Le Jour "en profitant de la misère des Palestiniens". Sa méthode, comme l'écrit encore L'Humanité dans un article titré "Le lucre d'un profiteur de guerre" : "faire flamber sans scrupule le prix des transferts vers Le Caire des Palestiniens fuyant l'enclave bombardée par Israël". (Je cite L'Humanité pas tellement pour citer L'Humanité, mais surtout pour l'aider à remettre à la mode le mot "lucre" qu'on avait perdu de vue, bonjour à lui).
C'est donc de l'argent généré par ce trafic d'êtres humains qu'est née, dans la province du Nord Sinaï, l'Union des Tribus Arabes —avec en plus, on le suppose, un coup de pouce de l'État. Son but n'est pas, contrairement aux Fremen de Dune, de se dresser face à la dictature et à l'exploitation mais, plus banalement, de servir de force paramilitaire pour délester l'armée et la police de la sécurisation des zones frontalières instables (l'Égypte est voisine de Gaza, mais aussi de la Libye et du Soudan). Elle a du travail, en raison de la crise en Israël mais aussi d'une insurrection qui agite la région depuis le coup d'État de 2013.
The New Arab rappelle non sans malice que la Constitution interdit explicitement la création de groupes armés informels. "Une interdiction qui ne peut pas être appliquée aux tribus du Sinaï, étant donné que leur influence s'est notablement accrue depuis qu'Organi s'en est emparé", explique une source anonyme au sein des services de sécurité. Un paradoxe qui serait presque comique. La naissance de l'alliance s'est même faite "en présence de représentants de l'État, de parlementaires, de leaders tribaux, d'hommes d'affaires et de figures publiques".
Pas de panique cependant : The New Arab ne croit pas à la crainte selon laquelle la nouvelle milice pourrait, à terme, constituer un État dans l'État, "à l'image de ce qui s'est passé au Soudan ou en Libye". Selon un fin connaisseur du dossier, par ailleurs enseignant en sociologie à l'université d'Alexandrie, "bien entendu, cela inquiète ceux qui pensaient le tribalisme en déclin […] Mais le pouvoir de l'union tribale est limité aux régions frontalières, où les tribus sont actives, et il repose en partie sur l'armée, bien plus qu'il ne s'oppose à elle."
Au fond, il s'agit simplement de donner à un homme fort, dépourvu de morale mais à la fortune toujours plus considérable, une milice personnelle équipée d'armes de guerre. Rien d'alarmant en effet, comme le prouve l'histoire de Napoléon à Prigojine en passant par Hitler.
Mais je suis mauvaise langue : le porte-parole du groupe, par ailleurs député et "journaliste" (les guillemets sont de moi), Mostafa Bakry "également controversé pour avoir été autant loyal à Sissi qu'à ses prédécesseurs", a expliqué au New Arab que l'Alliance avait été reconnue par le Ministère de la Solidarité Sociale comme une ONG qui se limiterait strictement à des activités sociales et de développement, qui ne seront liées "ni à la sécurité ni à la politique". Avant, je suppose, d'aller donner un petit coup de polish à sa Kalachnikov.
Mode
L’homme qui photographia la Mort
"A Harvest of Death", "La Moisson de la Mort", est une photographie célèbre aux États-Unis. Prise durant la guerre de Sécession, elle montre nombre de cadavres jonchant le champ où se déroula la bataille de Gettysburg. Elle est trop morbide pour être reproduite ici (mais vous pourrez la trouver là).
Elle est signée de Timothy O'Sullivan, un jeune homme d'origine irlandaise (23 ans à l'époque), engagé volontaire dans l'armée du nord pour témoigner du conflit. Après la guerre, il rejoignit le Service National de Géologie, et parcourut avec ses experts des terres encore mystérieuses et inconnues —du moins pour les immigrants. Cela lui permit d'être le premier à photographier les ruines préhistoriques du sud-est des États-Unis. Il mourut de la tuberculose à 42 ans.
Le reste de son existence est peu connu. Il n'a laissé aucun écrit. Pourtant, nous dit le site Petapixel, un homme a relevé le défi "intimidant même pour le plus obstiné des universitaires" de lui dédier une biographie, Double Exposure : Resurveying the West with Timothy O’Sullivan, America’s Most Mysterious War Photographer (Éditions Macmillan).
Journaliste indépendant qui émarge au New-Yorker, Sullivan s'est lancé sur les traces de son quasi homonyme dans un road-trip au sein de l'Ouest des États-Unis. Il a ainsi retrouvé les lieux où s'est aventuré le photographe, avec le sentiment de voyager dans l'âme même de son pays. Il en a tiré un travail introspectif, couvert d'éloges par ses confrères et consœurs, à la fois errance personnelle et enquête biographique. Il raconte, dans une interview à Dealtown :
"Timothy O'Sullivan n'a jamais cessé d'être un photographe de guerre, dans la mesure où une forme de violence était continuellement infligée aux communautés où se rendaient les expéditions du service de géologie. Soit par les géologues eux-mêmes, soit par la façon dont ils prenaient le contrôle des régions ou des personnes qui les habitaient. Ou encore, parce que l'un des buts de ces missions était d'étendre les zones d'exploitation minière. On rasait des forêts, on transvasait le bois en sous-sol pour fabriquer les étais qui allaient protéger les mineurs. On mettait le monde sens dessus dessous. Telle est la violence qu'il photographiait. Celle que subissaient les ouvriers de l'industrie qui, dans leurs souterrains, ne semblent pas très différents, dans ses images, des victimes de la guerre."
Petapixel reproduit quelques clichés dûment légendés. Ils racontent en effet l'histoire d'un monde en train de changer ou, peut-être, de se perdre. On pourra même y découvrir un autoportrait de l'artiste au regard concerné. Ce n'est pas l'homme présent sur la photo ci-dessus (puisque le photographe se trouve bien entendu de l'autre côté de l'objectif). Lui, c'est le dessinateur Alfred Waud, qui suivit aussi la guerre civile américaine au plus près pour en rendre compte, par ses illustrations, dans la presse de l'époque. Un autre artiste de ces temps anciens où les machines n'aspiraient pas à remplacer les humains —simplement à les massacrer.
Beauté
Manifeste pour un monde qui dure
Future Observatory Journal n'est pas seulement un nouveau journal : c'est un nouveau journal pour un monde nouveau. Imaginé par le Design Museum britannique, intégralement gratuit, sans pub et en ligne, il s'est donné pour mission de repenser la façon dont on pourrait fabriquer un avenir supportable. Ce qui tombe bien car repenser totalement nos façons de faire, c'est sans doute le seul moyen de s'assurer qu'il y en ait un, d'avenir. Expliqué par le directeur du projet, Justin McGuirk, ça donne :
"Je crois que le problème d'une grande partie du "design durable", c'est qu'il est pris dans le piège du paradigme actuel. Dès lors, il éprouve le plus grand mal à avancer au-delà de buts étriqués : un peu moins de plastique ici, un peu plus de recyclage par là, etc. Ce n'est pas inspirant. Ça n'embrasse pas le potentiel radical des différents futurs dans lesquels, par exemple, on pourrait apprendre à respecter la nature et les autres espèces et finir par comprendre que les humains ne sont pas séparés de la nature, mais qu'ils vivent en interdépendance avec elle."
Excessivement beau et luxueux, le Future Observatory Journal se fixe donc comme objectif de faire penser et rêver les professionnels chargés de dessiner et bâtir (littéralement) les villes, les habitations, les lieux de travail, les espaces de circulation du monde de demain, qui ne peut pas être le monde tel que nous le connaissons.
Ainsi le thème du n°1 est-il le "bioregioning", une pratique qui, selon McGuirk, "cherche à comprendre et opérer en fonction des frontières naturelles et non des juridictions politiques. C'est un sujet important" ajoute-t-il, "car les frontières politiques, qu'elles soient nationales ou locales, divisent très souvent les biorégions, ce qui empêche toute approche cohérente pour gérer ou même régénérer les paysages."
Le Future Observatory Journal se distingue par ses trois rubriques (Prévisions ; Pratiques ; Stratégies) mais aussi par ses formats. L'esthétique de la direction artistique, épurée mais interactive, tout comme la large part réservée aux médias visuels, accompagne remarquablement des essais réflexifs qui se veulent aussi profonds que précis.
Rien que le sommaire du premier numéro a de quoi enivrer toutes celles et ceux qui se réveillent un peu trop souvent avec en tête les premiers mots du recueil Alcools d'Apollinaire, "À la fin tu es las de ce monde ancien" :
Terrain contesté, une introduction à la biorégion ; Lo-Fab, un modèle de fabrication locale au Rwanda ; Manuel de design biorégional ; "Nous devons choisir nos histoires", un entretien avec l'anthropologue Arturo Escobar ; Slow Fibres, ou ces méthodes régénératives du textile de la Californie du Nord au Sri Lanka, et ainsi de suite…
En bonus, nos chanceuses et chanceux lecteurs pourront approfondir le sujet du monde durable avec une vidéo du Figaro (publiée il y a déjà sept mois mais qui vient tout juste de se manifester sur mon flux YouTube). 50 minutes assez éclairantes durant lesquelles Jean-Marc Jancovici et Bertrand Piccard résument pourquoi cet autre avenir, voulu ou subi, est inévitable, pourquoi ce pourrait être une excellente nouvelle et pourquoi les objections qu'on lui fait habituellement sont tout bonnement insensées. Pour couronner le tout, l'émission est présentée par Eugénie Bastié qui, c'est étonnant, aux prises avec de véritables experts du sujet, a décidé de se taire et d'écouter, preuve supplémentaire qu'au cœur de la nuit, il y a toujours de l'espoir.
Future Observatory Journal via It's Nice That
Bizarre
Ce saumon va vous fumer
Il est beau hein ? J'en fais le serment : si un jour on peut génétiquement reconstituer les animaux préhistoriques façon Jurassic Park, j'en adopte un. Bien sûr, il me faudra un gros bassin : cet ancêtre du saumon commun, qui arpentait les eaux du Pacifique il y a 12 millions d'années, faisait dans les 2,7 mètres de long pour 200 kilos. Un gros bébé.
Cet animal, Oncorhynchus rastrosus de son petit nom, est connu depuis plusieurs décennies grâce aux fossiles retrouvés au large de la côte ouest des États-Unis. Mais il était mal connu. Pensez donc : il était surnommé "saumon à dents de sabre"… Or une équipe de l'Université Ostéopathique de Philadelphie l'affirme cette semaine dans la revue de la Public Library of Science, PLOS One : Onocrrrr machin truc n'avait pas des crocs immenses mais bien des défenses, ce qui explique ce portrait un peu dérangeant et peu flatteur.
Conséquemment, et là aussi à rebours de ce que l'on croyait, ce saumon préhistorique n'était vraisemblablement pas un prédateur mais bien une proie (des défenses, ça sert après tout surtout à se défendre). Outre à repousser avec l'énergie du désespoir l'ancêtre de Gérard Larcher à l'heure de l'apéritif, ces armes défensives lui servaient peut-être aussi, suppose la directrice de l'étude Kerin Claeson, à creuser dans le sol pour y déposer des œufs. Ainsi que, bien entendu, à se mettre sur la gueule entre mâles pour fêter le temps des amours.
À la même époque, les premiers grands singes commençaient à peine à marcher sur leurs deux jambes. Hélas, ils ne savaient pas encore faire du feu et donc encore moins fumer du saumon. La crème fraîche et la vodka n'étaient encore qu'un rêve lointain. Quel gâchis.
PLOS via Techno Science
Mais aussi, mais encore
En bref : les news auxquelles vous avez échappé
Pendant ce temps-là, ici, ailleurs et à côté…
L'Arabie Saoudite et le Japon signent un accord pour développer en commun des jeux vidéo et des séries animées (Arab News) — Au vu du prolongement de la guerre en Ukraine, le Centre for Economic Policy Research, un réseau de centaines d'économistes du monde entier, publie une version révisée de sa proposition de "Plan Marshall" pour la reconstruction du pays (Meduza) — Erdogan réaffirme qu'à ses yeux, l'emprisonnement de politiciens kurdes "n'est pas politique" (Balkan Insight) — La Haute Cour britannique rejette la loi de réglementation des manifestations, estimant qu'elle "conduit à une augmentation substantielle des risques de poursuites criminelles à l'encontre de manifestants exerçant leurs droits civiques" (Byline Times) — Des îles artificielles alimentées à l'énergie solaire pourraient régénérer les coraux en voie d'extinction (New Scientist, sur abonnement) — Comment la société 3M a, des décennies durant, dissimulé le danger posé par les polluants chimiques éternels : une enquête exclusive de ProPublica —Dans 3 ans, les énergies renouvelables devraient surpasser le gaz naturel aux États-Unis en quantité d'électricité produite (Electrek) — Pour Mind Burns Alive, son concept album dédié "aux différentes étapes de la détresse mentale" qui fait suite à son anthologie sur la maladie d'Alzheimer, le groupe Pallbearer délaisse son metal progressif au profit d'un son entre Talk Talk et Peter Gabriel (Stereoboard) — Depuis 2019, 100 programmes pilotes expérimentent le revenu universel aux États-Unis : les premiers résultats indiquent que les bénéficiaires utilisent cette aide sans contrepartie pour payer leur loyer, leurs soins médicaux et l'éducation des enfants (Business Insider).
Prochaine Édition du Week-end : samedi 1° juin.
Gardons les pieds sur Terre pendant que ça tourne.
Un grand merci à Marjorie Risacher pour sa relecture attentive, et ses coquillicides impitoyables.
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