L'Édition du week-end du 4 mai 2024
Une semaine sur Terre : banquiers, crétins et Corée du Nord
Chère lectrice, cher lecteur,
permettez-moi de vous souhaiter un très bon week-end en compagnie, cette semaine, d’intelligence artificielle, d’incidents stambouliotes, de banques un peu grasses, de souris trop malines pour être honnêtes, du bar le plus bête du monde, d’André Masson, de Sa Grandeur Resplendissante Kim Jong Un et de chats qui chauffent.
Très bonne lecture,
la conscience artificielle de votre téléscripteur favori.
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L’alerte de la semaine
Un bulletin météo pour chiens et chats
Les insolations ne sont pas cette semaine en tête des priorités des Français. Mais ailleurs, la saison des vagues de chaleur a commencé. Au Mexique par exemple, où l'on a atteint il y a deux semaines les 45°C. Aux Philippines, où le distanciel généralisé a été imposé aux écoles deux jours consécutifs. Au Japon aussi, où l'on doit apprendre à se familiariser avec un problème jusqu'ici quasiment inconnu : les insolations animales qui frappent désormais en grand nombre chiens et chats.
"Selon la compagnie d'assurance d'animaux domestiques Anicom Inc.", relaie le Mainichi, "2023 a connu la température moyenne annuelle la plus élevée depuis que l'on a commencé les relevés. 1 624 chiens et chats auraient été soignés pour un coup de chaleur (1 424 chiens et 200 chats), soit 269 de plus que l'année précédente. Mois après mois, l'augmentation a été spectaculaire, de 144 cas en mai jusqu'aux 1 002 de juillet et août, représentant à eux seuls 60 % du total."
En 2013, Anicom a même créé un "bulletin météo hebdomadaire des risques d'insolation pour les chiens". Il se base sur les températures observées dans les 10 plus grandes villes du pays et contient 4 niveaux d'alerte. Depuis 2022, ce "bulletin météo" inclut aussi les chats, à leur tour menacés : voilà deux ans qu'on dépasse la centaine de félins traités pour hyperthermie, ce qui explique que l'entreprise dispose désormais de suffisamment de données pour aider les propriétaires à prévenir ces situations potentiellement mortelles pour leurs animaux de compagnie.
Le Mainichi a rencontré la directrice de la clinique animalière Cafelier à Tokyo, la vétérinaire Mitsuko Kobayashi, qui constate elle aussi "une hausse significative au cours des récentes années". À l'ouverture de son établissement en 2010, ces incidents n'arrivaient jamais. Ils ont commencé à apparaître en 2020. L'année dernière, elle dit avoir examiné une dizaine de chats chaque mois sur la période juillet-octobre.
Elle fait cependant observer au journal que les chaleurs torrides ne sont peut-être pas la seule explication :
"Depuis peu, il est devenu courant de voir des chats de compagnie vivre plus de 20 ans, en raison du faible risque de collisions routières et de maladies contagieuses. Or ce sont les félins âgés qui ont le plus de mal à réguler leur température interne et constituent le groupe le plus vulnérable aux coups de chaleur. De plus, Kobayashi note une augmentation de chats de pedigree dans les foyers, consécutive à la hausse d'achats de compagnons domestiques qui s'est manifestée durant la pandémie de Covid. Elle dit avoir reçu "plus de chats qui ne peuvent pas dissiper la chaleur de manière efficace, comme ceux qui ont des museaux plats type Scottish Folds, British Shorthair, ou races à poils longs."
L'article est évidemment l'occasion de procurer tout un cas de conseils à l'attention de propriétaires inquiets. C'est aussi pour ça que je m'y attarde.
On peut retenir pour commencer que les chiens, "une espèce qui a vécu en meute", communiquent plus volontiers et plus clairement à leur maître d'éventuels soucis de santé. À l'inverse des chats, "qu'un instinct de survie pousse à se cacher des prédateurs", rendant plus difficile la détection de difficultés. C'est pourquoi, selon Kobayashi, il est important de connaître leur comportement habituel. Si un chat halète, possiblement de tout le corps, s'il reste allongé "mollement" (je connais suffisamment ces petites bêtes pour savoir que si elles aiment rester allongées, une façon "molle" ne leur ressemble pas nécessairement), il est peut-être en danger. De même s'il a perdu l'appétit, mais sur ce point les propriétaires de chats savent certainement qu'un chat qui n'a pas faim n'est déjà plus vraiment un chat. Signe plus alarmant : s'il respire la bouche ouverte, c'est qu'il est probablement fortement atteint. Conseil important, à ce propos : n'aspergez pas d'eau un chat en hyperthermie pour le rafraîchir. Cela peut diminuer trop rapidement sa température interne et mener à des défaillances organiques multiples. Il vaut mieux l'envelopper dans une serviette humide, et le refroidir lentement à l'aide d'un ventilateur.
Beaucoup de ces incidents, pointe également le quotidien, interviennent quand les chats sont laissés seuls… Par exemple parce qu'ils vont par mégarde toucher le régulateur d'air conditionné et interrompre celui-ci. Car dans l'absolu, ils sont assez doués pour trouver dans une maison les endroits frais ou chauds selon le besoin. C'est pourquoi il est important de les laisser vaquer librement dans votre domicile, en ayant disposé de l'eau à différents endroits du foyer.
Le Mainichi ne rappelle pas, curieusement, qu'il est aussi très important de leur faire plein de câlins en leur rappelant à quel point ils sont beaux et intelligents, beaucoup plus que le chien du voisin qui n'est qu'un idiot comme son maître, voire de les prier trois fois par jour pour espérer conserver leur affection et donc le droit de résider sur leur territoire. Cette phrase ne m'a pas été dictée par un chat. C'est juste que j'ai rejoint leur camp, il y a bien longtemps.
Par tendresse, mais avant tout par intérêt puisqu’il est temps de dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas, à la fin ils vaincront.
Votre horoscope tribal
Le signe de la semaine : Machine
La campagne électorale bat son plein en Inde. Premier ministre depuis dix ans maintenant, candidat pour un troisième mandat, Narendra Modi y affrontera une coalition de partis réunie sous la bannière INDIA. Mais une autre participante s'est glissée dans la campagne : l'intelligence artificielle (IA).
Rest of World a enquêté sur cette ruée vers le robot et constaté que l'écrasante majorité des organisations politiques investissent dans ce type de campagnes de communication, avec une insistance sur les vidéos. "Quatre entreprises de production par IA nous ont dit recevoir plus de demandes qu'elles ne peuvent en gérer alors que, dans tout le pays, les partis politiques prévoient de dépenser plus de 50 millions de dollars dans ce type de contenu."
"Je ne peux pas travailler pour 10 partis en parallèle, je n'ai pas la bande passante pour ça", se plaint Senthil Nagyam, fondateur de l'agence Muonium. "Les plus grands partis prévoient plus d'un million de dollars pour financer des initiatives IA", explique Sagar Vishnoi, analyste politique à Delhi. "En moyenne", ajoute-t-il, "un candidat alloue entre 80 000 et 90 000 dollars, en fonction de ses capacités d'investissement et de l'efficacité qu'il attribue aux stratégies de campagne innovantes".
La forme particulière du vote —une élection législative dans le deuxième pays le plus peuplé du monde, qui s'étalera sur six semaines jusqu’au début juin— rend ce nouveau marché simplement gigantesque.
Tous les créateurs rencontrés par le média affirment la main sur le cœur qu'ils réfléchissent à chaque projet indépendamment et se donnent le droit d'en refuser sur des critères éthiques. Mais c'est bien là que le bât blesse : l'éthique d'une élection doit-elle être décidée par quelques producteurs audiovisuels, quand on connaît les capacités de falsification sans précédent de l'intelligence artificielle ?
Ici, un candidat du BJP, le parti au pouvoir, détaille les réalisations du gouvernement dans plusieurs langues du pays —langues qu'il ne parle pas lui-même. Là, on entend un message préenregistré, entièrement généré par IA, qui permet à un candidat d'appeler directement les électeurs sur leur téléphone pour évoquer les défis du pays et ses pistes pour les relever, sans même avoir à l'enregistrer. Ici, un président de région s'adresse à sa population, grand comme Godzilla et juché sur le toit d'un bâtiment ultra-moderne. Là, un "deepfake" (un faux intégral et ultra-convaincant) montre des stars de Bollywood dire tout le mal qu'elles pensent du Premier Ministre actuel…
Divyendra Singh Jadoun, fondateur de Polymath Solution, s'est lancé dans le business politique en novembre dernier. Il opère aussi bien pour le BJP que pour le Congrès National Indien, l'un des partis d'opposition les plus importants. Il fait la démonstration d'une application qui, par le biais d'un QR code, permet aux supporteurs d'un candidat de générer à la volée des selfies avec leur star. Il demande 720 dollars pour cloner votre voix, 1 200 pour la création d'un avatar numérique, et 2 400 pour l'intégration sur l'immensément populaire service de messagerie personnelle WhatsApp, c'est-à-dire la distribution automatisée de messages directement sur les téléphones des électeurs et électrices en fonction de leurs préférences et centres d'intérêt. Des messages que son concurrent Avantari préfère facturer à l'unité —30 cents la pièce. Toutes les sociétés rencontrées recrutent en masse et font la chasse aux développeurs compétents sur LinkedIn ou Instagram. "On recrute des personnes qui ont travaillé dans l'industrie du cinéma et ont déjà de l'expérience dans les effets spéciaux ou numériques", se glorifie le créateur de Muonium.
À Bombay, un consultant engagé auprès du parti de Modi tempère l'excitation générale : aujourd'hui, estime-t-il, l'IA n'en est qu'à ses début. Elle n'est guère plus qu'un appui. "Elle jouera un rôle vraiment important dans la prochaine campagne de 2029 mais, pour l'instant, ce n'est qu'une phase expérimentale".
Une expérimentation menée grandeur nature et sans garde-fous législatifs dédiés, pour des élections cruciales dans un pays qui compte 287 millions d'illettrés et plus de 500 millions de comptes WhatsApp (et 70 millions supprimés en 2023 pour violation des conditions d'utilisation).
Mais cela n'est pas pour l'effrayer. Après tout, il a baptisé sa société Jarvis, du nom de l'intelligence artificielle qui, dans les films et BD Marvel, aide Iron Man à sauver le monde sans se fouler le petit doigt.
J'ai connu des enfants de six ans plus matures.
Photographe
Blind est un super magazine. Ça, c'est dit. Un super magazine en ligne, bilingue français-anglais "qui raconte le monde en images". De même que les meilleurs journaux sont faits par des journalistes (ce qui n'est plus si courant), les grands magazines de photo sont faits par des artistes. En l'occurrence, Blind est dirigé par Jonas Cuénin un Français de 40 ans établi à New York.
Sous la plume de Robert E. Gerhardt, photoreporteur et journaliste indépendant, Blind consacre cette semaine une recension élogieuse à l'ouvrage Olay, tout juste paru chez l'éditeur londonien Mack Books. Olay (titre qui signifie "Incident" en turc) fait la chronique d'une décennie pudiquement qualifiée de "turbulente" dans le pays, grâce aux images du photographe de Magnum Emin Özmen.
Né en 1985 dans le centre du pays, à Slivas, "une ville en altitude entourée de hautes montagnes, où les hivers sont longs et froids", Özmen étudie d'abord la physique à Samsun, près de la Mer Noire. Mais la photographie, qu'il a commencé à pratiquer adolescent pour immortaliser les exploits de son équipe de basket au lycée, ne cesse de hanter ses pensées. Il finit par déménager pour Istanbul afin d'étudier cet art à l'université de Marmara. Il trouve rapidement un emploi dans un journal national, commence à voyager. Jusqu'ici, n'est-ce-pas, tout va bien…
Arrive la rupture, qui s'incarne sous la forme du mouvement spontané, en mai 2013, pour la sauvegarde du parc Gezi. Vert et arboré, l'endroit doit être rasé et ses arbres abattus pour faire place au nouveau projet mégalomane d'Erdogan. C'est un moment central dans l'histoire du pays, emblématique du tournant autoritaire et islamiste pris par le président turc aussitôt que l'Union Européenne, sous l'impulsion de Nicolas Sarkozy, lui a claqué la porte au nez de façon humiliante.
Les manifestations de Gezi sont réprimées sans pitié. L'équilibre démocratique turc est rompu. La jeunesse laïque, créative, internationaliste, citadine, comprend que son pays sera dorénavant soumis aux diktats du mouvement islamiste, à la corruption de la famille Erdogan et à la nostalgie nationaliste pour la puissance de l'empire Ottoman. Blind raconte la suite :
"Alors qu'il passe deux semaines à documenter l'événement, son journal ne publie aucune de ses images et ignore le mouvement et les personnes impliquées. Deux mois plus tard, il travaille dans le nord de la Syrie et, lorsque le journal refuse à nouveau de publier son travail, il démissionne. "Depuis ce jour, je suis devenu pigiste et je n'ai plus travaillé avec aucun autre média turc. Ils ont été réduits au silence l'un après l'autre ou appartiennent à des hommes d'affaires favorables au gouvernement. Des centaines de journalistes ont été emprisonnés et des étrangers expulsés. Il n'y a plus aucun moyen de comprendre ce qui s'est passé à l'époque.""
C'est justement pour lutter contre cet abîme, soudain ouvert sous les pieds d'une jeunesse turque autrefois confiante en l'avenir, que Özmen a décidé de publier, avec Olay, une anthologie fleuve regroupant dix ans de son travail. Dix ans d'une histoire extrêmement dense pour son pays, comme le rappelle la chronologie de 13 pages qui accompagne son ouvrage. Il explique : "Raconter tout cela à une personne extérieure à la Turquie est bien sûr important mais mon objectif principal avec ce livre est de parler aux prochaines générations dans mon pays. […] Quand je regarde en arrière, je vois tant d'événements importants qui ont eu lieu au cours des 10 dernières années. J'ai essayé d'en documenter le plus grand nombre possible. Je souhaite que ces événements et les personnes qui figurent sur mes photos ne tombent pas dans l'oubli."
En contemplant les quelques clichés d'Özmen reproduits dans l'article, il est frappant de constater qu'en effet, il n'y a pas que la mise en place du régime d'Erdogan qui a plombé le pays au fil de la décennie passée. Il y a eu la destruction programmée de la ville historique de Hasankeyf, ses monuments vieux de 12 000 ans engloutis par les eaux suite à la construction d'un barrage, il y a eu les attentats (au moins 100 morts et 500 blessés dans celui de 2015 à Ankara, attribué à Daesh), il y a eu la guerre menée contre les Kurdes, parfois très littéralement, il y a eu la tentative de coup d'État de 2016, il y a eu le tremblement de terre de février 2023,… Il y a eu, enfin, l'éclatement de la guerre en Syrie : un conflit qui jettera sur les routes de l'exil des millions de réfugiés. À elle seule, la Turquie en accueille toujours 3,6 millions.
Olay s'annonce comme un voyage lugubre dans un pays aux prises avec l'effroi. Et, déplore Özmen, trop souvent saisi par "l'amnésie". Au point qu'il dit s'adresser d'abord aux générations futures pour qu'elles aient, au moins, un moyen de se rappeler d'où elles viennent. Afin, pourquoi pas, de pouvoir décider où elles vont.
Banquier
Eh bien voilà ! Je ne perds pas une occasion de vous le répéter : quand on veut, on peut. Considérez par exemple la banque autrichienne RBI (Raiffeisen Bank International). Vous avez vu ce taux de croissance ? Quel bonheur. Et tout ça légalement, en plus.
Légalement oui, moralement c'est plus discutable, vu que la RBI fait partie des rares banques européennes qui au lendemain de l'invasion de l'Ukraine ont choisi de rester en Russie pour y continuer leurs petites affaires. Le Financial Times en a dénombré 7 : Unicredit, ING, Commerzbank, Deutsche Bank, Intesa Sanpaolo, OTP… Et donc RBI, la championne.
À elle seule, la Raiffeisen représente plus de la moitié des taxes versées par ces banques l'année dernière à l'État russe, finançant ainsi l'effort de guerre. Au total, ce sont 800 millions d'euros de taxes, payées par l'ensemble de ces 7 établissements, qui ont abondé les caisses du Kremlin en 2023 (pour un total de 3 milliards d'euros de bénéfice).
La banque autrichienne a promis qu'elle allait revoir ses positions et se désengager du marché russe… Mais plus le temps passe, plus ça lui est pénible. En trois ans, ses bénéfices en Russie ont triplé… et représentent maintenant la moitié de ses recettes totales. Un bras difficile à couper.
"RBI fait l'objet de critiques aussi bien de la Banque Centrale Européenne que du Département du Trésor américain pour ne s'être pas retirée du territoire. La possibilité de sanctions à son encontre a même récemment été évoquée", explique Intellinews… qui n'a pas fini de s'indigner : "Bien que la banque ait réduit de 56 % son encours de crédits en Russie depuis le début 2022, la publication récente d'offres d'emploi démontre qu'elle mise sur une expansion significative de sa base client dans la région".
Le plus marrant dans tout ça, c'est que les quelques banques restées à bord du paquebot Poutine sont doublement gagnantes : en tant que sociétés occidentales, elles n'ont pas à souffrir des mêmes pénalités que leurs équivalents russes. Elles ne sont pas, en particulier, exclues du système de paiement SWIFT, la norme mondiale des règlements et des échanges. Elles sont donc d'autant plus sollicitées. C'est à la fois malin et révoltant mais on n'a rien sans rien, et on ne fait pas de croissance à deux chiffres sans sacrifier des mômes —jamais.
Intellinews pointe également que des banques américaines sont aussi présentes à Moscou, comme JP Morgan ou Citigroup. Cette dernière s'avère "la quatrième banque occidentale à payer le plus de taxes en Russie, avec des bénéfices de 149 millions de dollars, ce qui représente 53 millions d'impôts, selon les données de la Kyiv School of Economics, laquelle reprend les chiffres de la Banque Centrale de Russie."
Comme quoi, l'ouest c'est Satan et tout, on écrasera jusqu'au bout leur culture décadente mais bon, s'ils ont des dollars, OK pour les dollars.
Souris
Eh bien voilà, bravo à vous et merci pour rien. Il va falloir tout recommencer.
Il va falloir tout recommencer à cause de l'étude scientifique la plus hilarante sur laquelle j'ai pu tomber depuis que j'ai commencé ce métier. Enfin, je ne l'ai pas lue intégralement (elle est ici pour les biologistes) mais je me fie à son résumé paru dans Popular Science, le magazine scientifique né en 1872 et qui a pu, en prime, interroger le directeur de la recherche, Kishore Kushibhotla, professeur à l'université Johns Hopkins du Maryland.
En fait… Hum, comment annoncer la nouvelle sans trop vous briser le cœur ? Voilà, vous connaissez les études sur les souris ? Toutes les études qu'on fait sur les souris, avec les labyrinthes, les leviers, les roues, les interrupteurs et tutti quanti ? Eh bien Kushibhotla a imaginé un dispositif expérimental pour s'assurer juste d'un petit truc. Et ses premières trouvailles semblent confirmer son intuition : depuis le début, les souris fausseraient d'elles-mêmes les résultats. Comment ? En commettant volontairement des erreurs. Pourquoi ? Parce qu'elles se livreraient elles-mêmes à leurs propres expériences, dans l’espoir de comprendre l'étrange endroit où elles se trouvent, les règles mystérieuses qui le régissent.
Autrement dit, comme le résume Kushibhotla : "les souris pourraient avoir une vie intérieure plus riche que ce qu'on imagine. Elles ne sont pas de simples machines à réagir aux stimuli. Elles ont peut-être, par exemple, des stratégies." Popular Science raconte :
"Au cours de milliers d'essais impliquant 13 souris, les chercheurs ont traqué leurs choix, leurs délais de réponse, leur précision, et ont remarqué plusieurs phénomènes. Par exemple, [dans une expérience où elles doivent activer une roue à gauche ou une roue à droite en fonction d'un son et sont récompensées en retour], les souris semblaient toujours plus précises au fil des tests, ce qui indique qu'elles apprenaient à maîtriser la compétence nécessaire. Certains individus avaient aussi leurs habitudes, leurs préférences quand il s'agissait de choisir une roue plutôt qu'une autre. Mais même quand elles atteignaient le plus haut niveau d'excellence, par moments elles semblaient se tromper, activant toujours la même roue quel que soit le son entendu.
Pour comprendre ce qui se passait, les expérimentateurs ont instauré des moments de "sondage" durant lesquels, temporairement, ils cessaient de les récompenser en cas de succès. Très rapidement, les animaux ajustaient leur comportement, cessaient d'explorer et recommençaient à répondre correctement aux stimuli, conformément aux schémas qui leur avaient été appris. Ils indiquaient ainsi qu'ils avaient parfaitement compris ce qui était attendu d'eux et s'étaient volontairement trompés, quitte à renoncer à leur récompense.
"Il est étonnant de constater que les souris ont recours à une approche d'ordre supérieur, quand il s'agit d'apprendre même la tâche la plus simple. Cela pourrait de prime abord paraître peu efficace, en termes d'adaptation. On a l'impression qu'elles font plein d'erreurs mais, en réalité, ces erreurs les rendent plus intelligentes", estime Kuchibhotla. "On les met dans ces situations bizarres. Elles n'ont aucun moyen de savoir quand leur environnement va changer. Aucun moyen de savoir si on va changer les règles. Cette forme d'exploration a donc, pour elles, une valeur indéniable."
Là où les humains peuvent se reposer sur le langage pour comprendre une instruction, les animaux non-verbaux doivent découvrir par eux-mêmes quelles sont les règles dictées par une situation particulière."
Pour affiner son hypothèse, le chercheur prépare une nouvelle série d'expériences, durant lesquelles l'activité neurale de ses cobayes sera suivie en temps réel. Je gage qu'il sera le futur découvreur de la zone cérébrale où est encapsulé notre irréductible besoin de liberté.
Mode
J’en prendrai pour vingt ans
Franchement, vous n'êtes pas sympas avec Lundi Matin, le plus révolutionnaire des magazines en ligne. Enfin, je dis vous n'êtes pas sympa… Nous ne sommes pas sympas, en général. Tout le monde… Le monde, quoi.
J'en veux pour preuve la dernière expérience "immersive" et "ludique" inaugurée par un bistrot du 2° arrondissement de Paris, le Perpette Bar, qui vous propose de passer une soirée en prison… Pour de faux bien entendu.
Le Perpette est un bar autant qu'une expérience théâtrale. En gros, on vient y passer un moment entre amis. Avec une petite différence par rapport aux bistrots de quartier plus traditionnels : on s'y retrouve vêtu d'une combinaison orange de taulard, puis enfermé derrière des barreaux, à déguster tapas et cocktails pendant qu'une troupe de comédiens jouera à vous donner l'impression d'être un peu en prison, une heure trente durant.
C'est bête à pleurer mais ça ne coûte qu'une cinquantaine d'euros, boissons (un cocktail et un shot offerts) et tapas inclus, ce qui est donné, pour le centre de Paris. En sous-titrant son article "Nouvelles de la petite-bourgeoisie qui s'ennuie", Lundi Matin a vu juste. Et pour bien nous énerver, la journaliste Zoé Théval a eu l'idée de commencer son texte en citant "une blogueuse" qui en fait ainsi la promotion sur Instagram :
"Et si on allait se faire enfermer dans une prison ? Si vous êtes un peu barrés comme nous, vous pouvez faire cette expérience grâce au nouveau bar immersif : Perpette. Durant 1h30 vous vous retrouvez derrière les barreaux de cette prison haute sécurité au cœur de Paris. […] Malgré la sévérité du directeur et l’ambiance lugubre, vous bénéficierez d’un banc de cellule plutôt confortable. Vous découvrirez aussi la solidarité entre prisonniers ainsi qu’avec le gardien de prison. […] Finalement quand on arrive à se libérer, on regrette presque de devoir quitter les lieux."
Tout au long des 20 000 signes qui suivent, on sent l’autrice au bord de l'apoplexie… et on compatit. Elle a heureusement du répondant.
Pour comprendre ce qui a pu inspirer une idée si sordide et ridicule, elle convoque —entre autres— les mânes d'Eva Illouz et de Marc Berdet, auteur de Les Fantasmagories du Capital. Elle résume :
"Le projet du Perpette Bar s’inscrit dans un contexte d’émergence du secteur lucratif des "expériences immersives" comme les escape games, ces jeux d’évasion grandeur nature qui émergent dans les années 2010 en France. Selon la sociologue Eva Illouz, l’idée d’"expérience" présente dans ce qu’elle appelle les "marchandises émotionnelles" tend à nous faire oublier qu’il s’agit de produits de consommation fabriqués. […] Par exemple, les agences de tourisme ne prétendent pas seulement vendre un service de location et d’activité mais plutôt un "moment" ou une "expérience".
[…]
C’est précisément cette rhétorique de l’histoire à raconter et de l’expérience authentique qui anime en premier lieu les discours promotionnels des blogueurs et blogueuses. Pour elles et eux, aller en prison relève de l’improbable au sens où il n’est pas même envisageable que leur parcours de vie soit un jour traversé par un passage en prison. Si cette probabilité avait été plus grande ou si un.e proche avait été en prison, ils et elles n’auraient peut-être pas montré autant d’enthousiasme."
C'est bien envoyé. Mais le Perpette Bar a d'autres arguments en stock pour nous déprimer, comme s'en afflige l'autrice en remarquant que le lieu s'adresse particulièrement… aux start-ups et aux entreprises, "comme le suggère l’onglet "Team-Building", placé stratégiquement au centre [de la page d'accueil du site], entre les onglets "concept" et "info"". Attention, si vous êtes allergique au langage "corporate", le choc anaphylactique est au bout du clic. Petit aperçu :
"Votre prochain Team Building va faire sensation. Venez découvrir Perpette, la première expérience qui mêle cocktails signature et théâtre immersif !
Perpette, c’est une idée de Team Building tendance qui sort de l’ordinaire et vous garantit de ravir tous vos collaborateurs. Nos sessions spéciales et uniques permettent à votre équipe d’être réunie au même endroit, d’évacuer le stress et de passer un moment convivial tout en tissant des liens forts.
Propulsez sur les réseaux sociaux votre aventure au cœur de la contrebande des années 1960 !
Avec nos 8 cellules, nous pouvons accueillir jusqu’à 40 personnes. Pour les événements Team Building Paris ou autres occasions spéciales, nous sommes toujours ouverts".
Personnellement, j'ai déjà mon excuse pour le jour où une entreprise me proposera ce genre de soirée conviviale : "Je peux pas, j'ai roulette russe".
Beauté
Dis-moi qui tu hantes…
2024 sera surréaliste. C'est sans doute la seule certitude que l'on peut avoir. Et ce, que l'on s'exprime au sens propre ou figuré, car le monde de l'art se prépare à fêter ce mouvement artistique tout au long de l'année à l'occasion de son centenaire (le Manifeste du Surréalisme étant paru le 15 octobre 1924).
Le Centre Pompidou-Metz a eu l'excellente idée de célébrer cette bourrasque d'audace et de liberté avec une exposition dédiée à André Masson. Le peintre et sculpteur lillois ne trempa qu'un orteil dans le mouvement, pour en fuir bien vite la rigidité et l'orthodoxie. Mais il appliqua consciencieusement dans son art la définition initiale qu'en livra André Breton : "Surréalisme, n.m. Automatisme psychique pur par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l'absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale".
Autour de Breton, les poètes expérimentèrent l'écriture automatique. Masson se livra lui au dessin automatique. Inspiré par Sade et par Bataille mais aussi par la boucherie de 14-18, durant laquelle il participa à l'offensive du chemin des Dames (il y fut grièvement blessé), il avait été affranchi de la morale par le monde lui-même. Mais pas franchement de l'esthétique, tant son trait aérien, imaginatif et sensuel marque les esprits… et nous frappe plus encore, peut-être, en ces jours où tout pèse.
La rétrospective se tiendra jusqu'en septembre. Elle est fort joliment baptisée "Il n'y a pas de monde achevé." Pour Whitehot Magazine, l'artiste américain (installé à Paris) Joseph Nechvata raconte sa visite avec émotion et application dans un papier riche en illustrations… Et en émerveillements.
L’exposition nous rend "un grand service", relève-t-il, "en récupérant la puissance de l'automatisme de Masson, pour le rendre central à cet art contemporain qui, rebelle et résistant, s'oppose à la société du contrôle".
Il n'est que justice de voir le plus dissident des surréalistes —ce groupe enivré de colère et de beauté qui, en quête d'une absolue liberté, se disloqua sous l'effet, justement, de la folie du contrôle d'André Breton— ainsi mis à l'honneur pour cet anniversaire glorieux.
D'autant que, aux dernières nouvelles, cent ans après, la quête du "point sublime" se poursuit encore… ce "point de l’esprit d’où la vie et la mort, le réel et l’imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l’incommunicable, le haut et le bas cessent d’être perçus contradictoirement" (Breton encore parce que Breton, quand même).
Bizarre
5 heures de bonheur en Corée du Nord
Que se passe-t-il en Corée du Nord ? Pour le YouTubeur Paper Will, quand on parle de ce pays, on s'attarde en priorité sur son régime dictatorial, son leader suprême au culte de la personnalité délirant, ses tests d'armes nucléaires… "Parce que ce sont des sujets, eh bien, vraiment importants", concède-t-il.
Mais lui s'est posé une autre question —une question à tiroirs : "Quels films voient les habitants ? Quelle musique écoutent-ils ? Quels sont leurs jeux vidéo ? En un mot, à quoi ressemblent les divertissements auxquels ils ont accès ?"
Une interrogation à laquelle il est, au moins, rapide de répondre : le pays étant totalement fermé, on ne peut pratiquement rien trouver de ses productions culturelles. Fermez le ban, à moins que… À moins que Will soit du genre obstiné.
"Je pensais que ce serait une vidéo vite faite… C'était il y a 18 mois de cela", explique-t-il en introduction de sa nouvelle production. "Parce qu'il s’est avéré que la Corée du Nord avait beaucoup plus de divertissement que je le pensais. Au cours de la dernière année et demie, j'ai regardé plus de 500 films nord-coréens, 300 dessins animés, 10 séries télé dans leur intégralité et j'ai perdu un nombre d'heures incalculable devant des émissions comiques, des jeux sur téléphone, des faux Disney, des spectacles de ballet, des concours d'accordéon, des programmes culinaires, du pole dance, des shows de magie (sur glace), des numéros de claquettes de l'armée, des dessins animés sur Jésus, de la gymnastique pour enfants, des groupes de rock underground, des groupes d'agricultrices en tenue de scène et des télé-crochets où tous les candidats sont des orphelins"…
Avec un peu de persévérance et, je suppose, beaucoup de Xanax, Will est ainsi parvenu à ouvrir une porte sur l'industrie culturelle du pays le plus fermé au monde, où mensonge et propagande ont été élevés au rang d'art par une dynastie mégalomane et sanguinaire. Qu'est-ce-que ça donne ?
Ça donne une vidéo de 5 heures 30, tout juste sortie de son studio et disponible sur YouTube. Elle a le bon goût de commencer en 1945, pour donner du contexte et nous permettre de suivre l'évolution de la culture populaire nord-coréenne au long des décennies. D'ailleurs, tout y est commenté et mis en perspective : ce n'est pas qu'un simple collage aléatoire destiné à satisfaire amateurs et amatrices de kitsch, mais bien une dissertation historique, vivante et divertissante. Ça tombe à pic si vous craignez de vous ennuyer vu le pont qui s'annonce en vertu de la combo 8 mai / jeudi de l'Ascension.
Sinon, France 3 vous propose vendredi soir une soirée exceptionnelle pour célébrer les 40 ans du premier bêtisier de la télévision française.
Mais aussi, mais encore
En bref : les news auxquelles vous avez échappé
Pendant ce temps-là, ici, ailleurs et à côté…
Hold-up en bibliothèque : partout en Europe, de mystérieux agents dérobent des éditions historiques de Pouchkine et d'autres classiques russes dans les plus grandes bibliothèques du continent en les remplaçant par des faux. Plus de 170 livres ont déjà disparu, pour un montant total de 2,6 millions de dollars (The New York Times) — La start-up française Carbonfact lève 15 millions de dollars pour aider l'industrie de la mode à évaluer au plus près l'impact carbone de chacun de ses produits (Techcrunch) — La présence de CO2 dans l'air augmente la durée de vie des virus transmis par voie aérienne (Futura Sciences) — Le télétravail est un atout essentiel pour lutter contre le changement climatique : si les États-Unis augmentaient de 10 % le nombre de salariés autorisés à le pratiquer, les émissions de CO2 du pays diminueraient annuellement de 192 millions de tonnes (Grist) — Changpeng Zhao, le fondateur de la plateforme d'échange de cryptomonnaies Binance, comparaît devant la cour de justice de Seattle : le procureur réclame 3 ans de prison pour blanchiment d'argent (Fortune) — Le Kosovo devient le premier pays musulman à légaliser le mariage homosexuel (Intellinews) — Face à une atmosphère "étouffante", l'exil croissant de Français musulmans est mis au jour par deux sociologues dans l’enquête La France, tu l'aimes mais tu la quittes (Mediapart — Vidéo) — "La révolution commence dans la cuisine" : faites connaissance avec L'Éco-Plateforme, groupe écologiste et anarchiste engagé dans la guerre, qui rêve d'un après vegan et libertaire (Lundi Matin) — Après 3 ans de recherche collective en ligne, la chanson "la plus mystérieuse d'Internet" enfin identifiée : elle venait d'un film pour adultes des années 1980, Angels of Passion (Stereogum).
Pas de newsletter la semaine prochaine, week-end de l’Ascension.
Prochaine Édition du Week-end : samedi 18 mai.
Gardons les pieds sur Terre pendant que ça tourne.
Un grand merci à Marjorie Risacher pour sa relecture attentive, et ses coquillicides impitoyables.
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