L'Édition du week-end du 6 avril 2024
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Chère lectrice, cher lecteur,
permettez-moi de vous souhaiter un très bon week-end en compagnie, cette semaine, d’écolos à payer, de féministes en danger, de danseuses annulées, de voyageurs égarés, d’un grosse boulette, de conseils littéraires, de la fête des diables et d’un yacht qui porte la poisse.
Très bonne lecture,
la conscience artificielle de votre téléscripteur favori.
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L’arnaque de la semaine

Un yacht qui n’aimait pas la lumière
Quelle est la différence entre un bon et un mauvais braqueur ? Le bon braqueur s'empare de 30 millions de dollars en cash à Los Angeles dimanche dernier et disparaît dans la nature. Le mauvais braqueur, lui, siphonne 4,5 milliards de dollars au Fond Malaisien de Développement économique, le 1MDB (pour "Malaysia Development Berhad) et se fait pincer. Comme disait le poète, "les bénéfices ça se partage, la réclusion ça s'additionne".
Derrière cette opération audacieuse, conçue en 2019 sur un yacht amarré en baie de Cannes nous raconte cette semaine Fortune, trois individus recommandables : Najib Razak, Joh Low et Tarek Obaid. Najib Razak, alors tout juste nommé Premier Ministre de Malaisie, a créé le 1MDB et, dans la foulée, est allé à Cannes voir comment s'en mettre plein les poches. C'est là qu'il a rencontré Joh Low, un homme d'affaires malaisien un peu trouble, pour le dire pudiquement. Toujours en cavale, recherché par Interpol, il serait actuellement planqué en Chine et protégé par le Parti Communiste Chinois, selon Al Jazeera.
Tarek Obaid, quant à lui, est un gros malin à la double nationalité saoudite et suisse (rien que ça). Soupçonné de s'être approprié pas moins d'1,8 milliards de dollars du pactole, il fait actuellement face aux juges de la Cour Fédérale Criminelle de Suisse et plaide "Non-Coupable".
Du beau linge donc qui pourtant n'avait pas complètement anticipé que blanchir 4,5 milliards de dollars dérobés à un État, c'est risqué.
Le vol était réglé comme un coucou. Fortune, encore : "Dans l'acte d'accusation [de 213 pages contre Obaid et son associé Patrick Mahony], les procureurs suisses dévoilent le plan qu’ils estiment mis en place lors de la rencontre méditerranéenne de 2009 : selon les documents de la cour, Obaid et Mahony ont prétendu négocier au nom d'un roi saoudien duquel ils n'avaient reçu aucun mandat, tout en affirmant être les propriétaires d'un champ de pétrole en mer Caspienne qui ne leur appartenait pas".
Une fois un premier milliard détourné du fond malaisien, sur le compte d'une joint-venture créée pour l'occasion (pour administrer l'exploitation pétrolière du gisement qu'ils ne possédaient pas et prétendument avec la caution de la famille royale saoudienne), Mahony et Obaid se sont fait plaisir, en se distribuant les millions par dizaines sur leurs comptes personnels. Mais aussi en investissant, par exemple, 500 millions de dollars dans GDF-Suez. Après tout, comme l'écrivit en septembre 2010 Mahony dans un des nombreux e-mails désormais aux mains des juges suisses, "là on est dans une bonne situation parce qu'on a cet argent d'une façon propre et parfaitement légale donc personne ne peut rien contre nous".
Quant au Premier Ministre malaisien, il semble avoir été le petit bras de l'affaire : il a à peine réussi à s’enrichir de 10 millions de dollars. Condamné en 2020 pour abus de pouvoir, abus de confiance et blanchiment à 12 ans de prison (réduits à 6 par un pardon royal), il commence à s’ennuyer. Ce mercredi, il a fait la demande "surprenante" selon Associated Press de plutôt purger sa peine chez lui. Le document soumis à la Cour affirme que le pardon accordé par le roi, qui diminuait déjà sa peine par deux, incluait une clause secrète stipulant qu'il pourrait la purger en résidence surveillée. Une clause qui, accuse-t-il, a été dissimulée au public par les instances judiciaires, du Bureau des Pardons au ministre de la Justice, "dans un acte de mauvaise foi".
"Une demande", écrit The Diplomat, "cohérente avec sa stratégie tant politique que légale, qui consiste à utiliser sa richesse et son influence pour se dérober à la sentence, tout en préparant le terrain pour faire son retour aux prochaines élections. Son succès n'est pas garanti : la colère de la population qu'a entraîné le scandale 1MDB est loin d'être éteinte, et lui-même doit faire face à d'autres inculpations à venir, toujours dans la même affaire".
Je ne souhaite pas, pour ma part, me dérober à une autre loi qui veut que lorsqu'on commence un texte en citant Michel Audiard, on le finit en citant Michel Audiard. J'invite donc les diverses parties à méditer ce brin de sagesse populaire à la française :
"Je connais ton honnêteté mais je connais aussi mes classiques. Depuis Adam se laissant enlever une côte jusqu'à Napoléon attendant Grouchy, toutes les grandes affaires qui ont foiré étaient basées sur la confiance".
Votre horoscope tribal

Le signe de la semaine : Écolo
"L'été vous fait chanter ? Eh bien il faut payer maintenant".
Car oui, il est temps de payer. C'est l'idée centrale développée cette semaine par David Myer Temin, professeur associé au département de Sciences Politiques de l'université du Michigan dans un texte que je trouve révolutionnaire.
Payer qui et pourquoi ? Payer celles et ceux qui travaillent pour la planète, parce que leur travail a une valeur. Enfin là, j'élargis un peu trop. Temin est plus spécifique, comme il l'explique dans son article titré "Wages for Earthwork" :
"Par "Earthwork", je désigne le travail direct, "manuel", qui consiste à veiller sur la Terre, auquel se livrent les peuples indigènes. Le "Earthwork" est contextuel. Il dépend des endroits où il est effectué. Je vise ici le savoir et le labeur, profondément personnels, granulaires [au sens où une accumulation de petits grains peut produire un volume considérable pourtant fait de minuscules corps autonomes, NDT], qui cherchent à rendre possibles la co-existence et l'épanouissement du vivant. Ce domaine inclue les humains, les animaux non-humains, les plantes, les entités physiques aux propriétés émergentes (fleuves, montagnes, forêts) et les écosystèmes."
Pour mieux se faire comprendre, l'auteur dresse un parallèle avec les tâches domestiques et "le mouvement international Wages for Housework (WFH) des années 1970". Une branche féministe née en 1972, toujours bien vivante, pour qui le travail de soin, notamment le travail domestique, devrait être rémunéré à sa juste valeur. Car il en a, une valeur : il représente du temps, mais aussi des efforts, demande des compétences, des sacrifices. Il rend aussi largement possible la production de biens et de services, des avancées de toutes sortes qui ne seraient pas possibles sans lui : avec quels succès auraient travaillé les hommes des siècles durant, s'ils avaient eu à laver ce qu'ils salissent, cuisiner ce qu'ils mangent, coudre ce qu'ils usent, éduquer qui ils enfantent ?
J'écris "les hommes" car, bien entendu, à l'époque, c'était à peu près exclusivement les femmes qui prenaient ces tâches à leur charge. Les temps ont certes changé (pas tant que ça sur ce point, mais tout de même), ce n'est pas le sujet : la revendication ici évoquée n'est pas de payer les femmes au foyer, mais de rémunérer le travail domestique, sans lequel tout un pan de la production capitaliste passée comme présente (et future) ne serait tout simplement pas possible.
Or Temin affirme qu'il existe des "tâches planétaires" comme il existe des tâches domestiques. Que celles-ci sont tout autant indispensables à la perpétuation de notre habitat que l’entretien l'est à celle d'un foyer. Donc aux conditions de possibilité de la vie, du confort, de la production. Ainsi, celles et ceux qui entretiennent la planète doivent être rémunérés puisque, sans leur travail, sans leurs connaissances, le monde deviendra bientôt inhabitable… Ou le deviendra plus vite et plus fort.
Bon là, retenez-moi. Je veux tout de suite aller plus loin que l'auteur. L'enthousiasme, tout ça. Oui, lisant ces lignes, je pense immédiatement que voir Les Soulèvements de la Terre et Léna Lazare rémunérés par l'État pour leur lutte salutaire, ça me ferait ma journée, mon mois, mon année. Ma décennie. Et les suivantes.
Mais David Temin est un chercheur. Il a donc restreint et ciblé le champ de son étude et ses définitions, parce qu'il est plus sérieux que moi. Ou alors c'est qu'il n'a pas BFM.
Bref : il ne s'est pas penché sur le cas des mouvements militants, mais sur celui du travail tangible et mesurable effectué par les communautés indigènes (je vais cependant traduire le terme par autochtone, nettement moins connoté et à l'histoire moins chargée, en France du moins, que le précédent) :
"Bien sûr, toutes les activités des peuples autochtones ne sont pas des tâches planétaires. Toutefois, dans bien des contextes, ces tâches (parties intégrantes de systèmes reposant sur le gardiennage communautaire) ont des effets pratiques et largement étudiés.
[…]
Dans le monde, les pratiques autochtones comprennent les incendies contrôlés qui permettent la survie d'espèces végétales spécifiques et qui entravent les feux de forêt catastrophiques (Hart-Fredeluces, Ticktin, et Lake 2021; Kimmerer 2015) ; des méthodes de récoltes et semailles qui ont de fortes chances de générer des formes réparatrices de repousse (Anderson 2013 ; Kimmerer 2018) ; des pratiques agricoles résilientes alliant la souveraineté alimentaire à la préservation de la biodiversité (Perfecto et Vandermeer 2009).
De plus, je considère que les actions consistant à protéger la terre des formes militarisées d'accumulation extractive (Menton et Billon 2021) sont par elles-mêmes des efforts destinés à faire perdurer les conditions nécessaires aux tâches planétaires, y compris quand ces accumulations ressortent de la transition vers les énergies renouvelables (Riofrancos 2023)".
L'article est trop long, fouillé et argumenté pour pouvoir le détailler beaucoup plus avant. Par exemple, un long développement est consacré à l'articulation qu'imagine l'auteur entre son projet de "salaires pour tâches planétaires" et la question de la "dette climatique" qui peine encore à s'imposer dans le débat public —cette idée selon laquelle ce sont les pays pauvres, faibles en émissions de gaz à effet de serre, qui vont le plus souffrir des effets du changement climatique induit par les nations les plus riches du globe. Il ne fait pas non plus l'économie d'aborder de front les enjeux coloniaux (et néo-coloniaux) que soulèvent à la fois ce constat et sa proposition.
Quant à la forme précise que pourraient prendre ces "salaires", Temin reconnaît auprès du magazine Grist qui m'a fait connaître cet article (eh non, je ne lis pas quotidiennement l'American Political Science Review)…
Au passage, laissez-moi interrompre ma phrase pour relever que ladite revue, communément appelée ASPR, est tout de même éditée conjointement par 10 universités (du Canada, de Floride, de l'Iowa, du Colorado, en passant par Saint-Louis et Yale…) et se fait fort d'être "continuellement publiée depuis 1906" —c'est la classe, ça se dit.
Temin reconnaît également, disais-je, que la forme exacte des rémunérations qu'il propose dépend largement des contextes spécifiques à chaque situation, comme au labeur impliqué.
Il ouvre, en réalité, un champ de recherche. Un nouveau chemin pour de nouvelles propositions. Mais surtout une façon de penser. Une politique, au fond. Radicale et neuve. Ou, plus modestement, "un cadre", comme il prévient en introduction :
"D'un point de vue pratique, ce cadre a des implications matérielles et tangibles qui redéfinissent les critères pour une transition juste. L'idée centrale est que le travail consistant à prendre soin de la planète a jusqu'ici été ignoré et qu'il doit être reconnu, compensé et matériellement soutenu —à la fois dans les mouvements sociaux, la politique publique et la loi".
Les Bleus l'avaient d'ailleurs bien dit : "On vit ensemble, on meurt ensemble". Une philosophie qui nous a autrefois emmenés loin et qu'il est peut-être temps de graver au fronton d'un ministère que je ne nommerai pas (tout près du parc de Bercy).
American Political Science Review via Grist
Féministe
Pourquoi c'est toujours les mêmes ? Toujours les mêmes qui reçoivent des menaces de mort pour leurs convictions ? Parce qu'elles —elles, en l'occurrence— se battent avant tout face à la haine ? (Oui, je viens de souffler ma propre réponse, vous l'avez compris).

Elles, cette fois-ci, ce sont les féministes marocaines. Qui reçoivent en ce moment (enfin, plus qu'habituellement, c'est dire), un tombereau d'insultes, de menaces de mort, de viol, à leur encontre ou à celle de leurs proches. Mais qu'ont-elles fait ? Eh bien, là, rien. La cause de cette flambée d'injures et de pressions est à chercher du côté du gouvernement marocain… Qui prépare une réforme du code de la famille, la première en vingt ans. À l'époque, nous dit TV5 Monde, il s'était agi notamment d'imposer "des restrictions à la répudiation, aux mariages des mineures et à la polygamie".
Mais en fin d'année dernière, sous l'impulsion de Mohammed VI, un comité a été créé au sein du gouvernement. Composé, toujours d'après TV5, "du ministre de la Justice et de responsables des institutions judiciaires et religieuses", il avait pour mission de consulter les diverses parties avant de proposer un projet de réforme pour ce printemps. "Plus d'un millier d'associations, mais aussi de partis politiques et d'institutions officielles ont alors eu le loisir de s'exprimer".
Un premier brouillon vient d'être soumis au roi. Rien n'a fuité du palais, mais les rumeurs affirment qu'il pourrait être décidé d'interdire la polygamie (déjà "seulement" autorisée avec l'accord de la première épouse, soit 0,3 % des mariages sur le territoire) et d'en finir avec le mariage des mineures (il est toujours possible, au Maroc, d'épouser une mineure dès ses 15 ans, à condition d'en demander l'autorisation —accordée dans 65 % des cas selon Le Monde). Le système de garde des enfants consécutif à un divorce, extrêmement défavorable aux femmes là encore, serait aussi sur la table (à l'heure actuelle, l'ex-épouse doit avoir l'accord de son ex-conjoint pour toute démarche administrative concernant leurs rejetons, et elle peut en perdre la garde dès leurs 7 ans, si elle se remarie, sur simple demande de leur père).
Les islamistes s'étranglent. Et tempêtent l'écume aux lèvres.
Le 28 mars, un compte Instagram a partagé une liste de 22 activistes féministes et LGBT, en appelant directement à leur assassinat. Une liste qui n'est évidemment pas à prendre à la légère, vu le contexte politique, religieux et terroriste de la région. Un véritable tableau de chasse "qui inclue des artistes et activistes de renom, dont Zainab Fassiki et des membres de célèbres ONG locales comme les Hors-la-loi du Maroc [distinguées du prix Simone de Beauvoir 2020], Politics4her et Kif Mama Kif Baba". Les titulaires du compte agissent sous l’anonymat du pseudo "hydra21". Ils ont de plus —et évidemment, faudrait-il ajouter—écrit en message privé, directement aux personnes visées, là encore afin de les menacer du pire pour "leurs croyances anti-Islam" et "leurs efforts pour détruire les valeurs de la société marocaine".
D'autres comptes se sont ensuite joints aux appels au lynchage et même contacté les lieux de travail ou les associations qui emploient ces militantes. Les victimes, leurs alliées et alliés se sont unies dans un communiqué commun pour révéler et dénoncer ces agissements, et demander aux autorités de mener une enquête policière au plus vite. Autre danger public : l'ancien premier ministre Abdellilah Benkirane, du Parti (islamiste) de la Justice et du Développement (par ailleurs antisémite jusqu'aux os et fervent soutien du Hamas, comme il a tenu à le rappeler après le 7 novembre), s'engage aussi dans la lutte pour que rien ne change et que le corps des femmes demeure sous tutelle, en appelant à "une marche d'un million de personnes".
"Au final", précise The New Arab, "il reviendra au roi Mohammed VI, Président du Conseil Supérieur des Savants, le corps qui dispose du monopole sur les édits religieux (fatwas), de décider de la plupart des aspects les plus controversés de la réforme à venir".
Petite erreur de leur part à signaler, cependant : il aurait fallu préciser, c'est l'usage, l'intégralité de la titulature de Son Altesse. MVI est aussi Collier du Ouissam El Mohammad, Collier de l'Ordre du Trône, Grand Cordon de l'ordre du Ouissam alaouite, Grand Cordon de l'indépendance mais aussi de l'ordre national du Mérite. Et Grand-Croix de l'Ordre National des Héros de la République Démocratique du Congo, Collier de l'Ordre du Mérite Civil d'Espagne, Collier de l'Ordre koweïtien de Moubarak le Grand, Grand Commandeur de l'ordre Letton des Trois Étoiles…
Cygne

Bon, écoutez, il y a faux-pas et faux-pas. On va pas en faire un drame. Vous me ferez 15 balancés et trois assemblés et on n'en parle plus. Et que ça saute !
Le premier faux-pas du jour a été entamé avant la pandémie. Comme quoi, ça peut prendre du temps de trébucher. Il est signé inArts Productions. Ces derniers travaillaient depuis 2019 à faire venir à Seoul, pour quatre représentations, la ballerine russe Zvetlana Zakharova. Évidemment, personne à l'époque n'envisageait une invasion de l'Ukraine. Ils ont tenté malgré celle-ci, jusqu'au bout, de faire aboutir leur projet avant de renoncer face à l'indignation de l'ambassade d'Ukraine sur place. Celle-ci jugeait la venue de la danseuse "inacceptable", faisant remarquer que "La Russie s'appuie sur des événements culturels pour justifier la guerre et le génocide en une forme de militarisation de la culture", comme le résume le Korea Times.
C'est que Zvetlana n'est pas n'importe quelle danseuse : née en Ukraine, elle a appris son art à Kiev. Mais depuis elle a emménagé en Russie et a été députée pendant quatre ans de Russie Unie, le parti de Vladimir Poutine. Elle est aussi membre du Bolchoï, dirigé par un proche du Kremlin, Valery Guergiev (également à la tête du théâtre Mariinsky, puisque le président russe a décidé d'unifier les deux salles, comme au temps du tsarisme, et que Vlad et Val sont deux bons copains).
Une annulation qui "sème le doute", écrivait alors le Korea Herald, "sur le destin d'un autre spectacle de ballet en Corée du Sud", le "Bolchoï Ballet Gala Concert" prévu du 16 au 18 avril.
Mais les organisateurs de ce dernier sont des petit malins : ils ont eu l'idée géniale de maintenir leur événement tout en le rebaptisant pour faire disparaître du titre toute référence au Bolchoï. Le voici renommé —tadadam !— le "Super Ballet Concert", ce qui est un soupçon moins chic, mais aussi moins russe. Plusieurs danseuses de la compagnie seront néanmoins présentes —sauf Zakharova, définitivement persona non grata.
Événement maintenu, donc, au prix d'un simple changement d'intitulé, croit savoir le Korea Times… Mais, à la recherche du programme précis —car apparemment l'affiche prévoit des pièces issues du don Quichotte de Rudolf Noureev, ce qui ne manquait pas de sel— je ne trouve rien. Ni sur le site de la salle de spectacle, ni sur celui de l'organisateur, ni sur les boutiques de réservation en ligne. Le "Super Ballet Concert" semble avoir disparu de l'Internet. Impossible d'en connaître l'horaire, les artistes ou le prix d'une place. J'ai l'impression que ça sent mauvais pour les aventures internationales du Bolchoï.
Petit bonus à l’attention des Français : Zakharova devait incarner Coco Chanel dans une pièce extraite de Modanse (contraction de Mode et danse, c'est malin et ça marche aussi en anglais, en russe je ne sais pas). Modanse, qui raconte la vie de la célèbre styliste, avait été créé en 2019, justement dans la salle légendaire de Moscou, en collaboration avec la maison de couture française. C'est qu'il y en avait, du pognon pour les riches, à l'époque en Russie.
Hélas. Désormais, le soft-power a cédé le pas à la propagande et les notes de musique aux délires apocalyptiques de Dmitri Medvedev.
Il serait bien légitime de préférer les premiers aux secondes, mais ce serait "woke", alors : 🤫
Voyageur
Bon ben oui mais que voulez-vous ? On ne peut pas penser à tout. La Macédoine du Nord, en tout cas, n'a pas complètement pensé à tout quand elle a annoncé au monde entier son nouveau nom, en 2018.

Le pays est issu de l'éclatement de la Yougoslavie et, depuis, traînait un différend avec son voisin grec autour de son nom. Un patronyme qui désigne également une région en Grèce et plus que chargé d'histoire : c’est la Macédoine antique qui a vu naître et grandir Alexandre le Grand (mais pas mourir, puisque ce dernier est allé s'éteindre à Babylone à 32 ans).
Après des décennies de négociations, la Macédoine est finalement devenue la Macédoine du Nord. Ça évite les malentendus. Le seul problème est que le pays n'est pas parvenu à réimprimer à temps les passeports attribués à ses habitantes et habitants —la dernière limite reconnue par l'accord international était fixée au 12 février. Depuis, c'est la catastrophe pour les touristes comme pour celles et ceux qui voyagent à des fins de travail ou d'affaires. Des centaines de milliers d'individus "paient le prix d'une incompétence institutionnelle", se désole le Balkan Insight. Car, "même si le ministère de l'Intérieur répète sans cesse que le rythme de délivrance s'accélère", un nombre inconnu de documents demeurent non renouvelés (un tiers des citoyennes et citoyens seraient en souffrance selon le journal).
Le Balkan Insight a ouvert un appel à témoignages en ligne. Le stagiaire chargé de les trier n'a pas dû s'en remettre : une pluie d'angoisse et de colère s'est abattue sur l'espace virtuel.
C'est Nikola, qui devait embaucher à Bruxelles mais est coincé en Slovénie. C'est Anica, qui a obtenu à la préfecture un rendez-vous pour se voir délivrer son nouveau passeport "en urgence"… dans quatre mois. Ou sa fille, qui a besoin du sien pour s'inscrire dans une école de conduite et raconte :
"On est complètement bloqué. Je ne sais pas quoi faire. Après des jours à appeler, sans succès, on a tout juste réussi à programmer un rendez-vous pour prendre la photo. Ce sera fin septembre, ce qui veut dire que le document sera prêt un jour en novembre, au bout de presque 10 mois !"
Ce sont aussi des situations plus punitives, voire tragiques :
"Certains disent avoir perdu de l'argent à cause de voyages annulés, d'autres n'ont pas pu rendre visite à leur famille pour les réconforter après le décès d'un proche. Certains n'ont pas pu remplir leurs obligations administratives, d'autres ont raté des opportunités de stage ou d'emploi à l'étranger. Même des demandes en mariage sont repoussées.
[…]
Bien que quelques victimes prévoient de poursuivre l'État en justice pour avoir restreint leur droit à se déplacer, la plupart ne croient pas en la possibilité d'un dédommagement".
Les frontières sont une fiction… jusqu'à ce qu'il s'agisse de les traverser. Même légalement, donc, quand votre gouvernement s'y met.
Mode

Une toute petite boulette de rien du tout
Difficile de penser à autre chose qu'au regard de Jacques Villeret dans Le Dîner de Cons s'exclamant "Oh la boulette, la boulette" à la vue de la typographie choisie par Adidas pour le nouveau maillot de l'équipe de football d'Allemagne, tout beau dans sa sobriété et sa police de caractère d’un noir profond et un tout petit peu nazie sur les bords.
Une indélicatesse restée méconnue jusqu'à ce que cette semaine un historien s'émeuve publiquement de ce design "questionnable"… D'autant plus maladroite, c’est le plus important, quand on sait que la Fédération met en vente des maillots à destination du grand public, pour lesquels on peut demander le numéro de son choix. Et, il n'y a plus à tortiller : l'esthétique du numéro 44 "rappelle", comme l'écrit sobrement le Business Insider, "les éclairs du symbole de la Schutzstaffel […] une unité plus connue sous le nom de "SS", responsable d'un grand nombre des atrocités et crimes de guerre commis par l'Allemagne nazie durant le Seconde Guerre Mondiale".
L'équipementier a depuis fait retirer la possibilité de commander un maillot numéro "44" sur son site et a tenu à préciser que la parenté avec le logo de la SS n'était pas volontaire, puisque "notre entreprise est engagée dans la lutte contre la xénophobie, l'antisémitisme, la violence et la haine sous toutes ses formes."
Une affaire qui tombe d'autant plus mal que, , la marque avait dû cesser brutalement sa collaboration avec le rappeur Ye, autrefois connu sous le nom de Kanye West, après que celui-ci a choisi de ne plus cacher ni son révisionnisme, ni sa haine des Juifs, ni son admiration pour le pire dictateur de l'histoire de l'humanité, qu'il gratifie de"l'invention du microphone" (Sic, comme on dit). Le chausseur lui réclame d'ailleurs 250 millions de dollars au titre de compensation pour l'ensemble de son œuvre. Œuvre loin d'être terminée, puisqu'il affronte en ce moment un procès intenté par un ex-employé qui l'accuse de tenir régulièrement ce genre de propos dans les couloirs de sa société et, en prime, d'avoir menacé des enfants, élèves à l'école privée qu'il a fondée (Sic, bis) de "leur raser la tête et les mettre dans des cages".
Le plus atterrant dans toute cette histoire, c'est que l'Association Allemande de Football a tenu à préciser qu'elle avait, pour validation, "vérifié l'apparence de tous les chiffres de 0 à 9, puis soumis le maillot de l'équipe nationale allemande à l'Union des Associations Européennes de Football (UEFA)".
C'est dire le nombre de professionnels qui ont vu ce chiffre subtilement transformé en éclair, comme avant lui les S de SS, sans sourciller.
Je profite de cette notule pleine de légèreté pour passer un message de service : je recherche la personne qui a dit quelque chose comme "Ne pas connaître l'histoire c'est être condamné à la répéter, mais la connaître c'est être condamné à voir ceux qui ne la connaissent pas la répéter". C'est pour un ami.
Beauté

Comment améliorer ou empirer votre prochain roman
Ryan Chapman n'est pas seulement un écrivain américano-sri-lankais auteur de Riots I have known, son premier roman qui se déroule durant une émeute carcérale, qualifié de "sombre, audacieux et absolument hilarant" par le critique de la chaîne publique américaine NPR. Il est aussi poète et philosophe, à en croire la petite bafouille qu'il a récemment adressée au magazine littéraire en ligne LitHub :
"Si j'ai appris quoi que ce soit de mon temps passé à écrire des romans, à en corriger, à enseigner à des étudiants de Licence aussi bien qu'à des thésards, ou à débattre de littérature dans des bars miteux, avec des amis passionnés comme avec des inconnus dépourvus de raison, c'est que parler d'écriture n'est pas sans valeur. Le truc, c'est d'admettre que c'est très éphémère. Un bon conseil littéraire c'est comme un litre d'essence : il vous fera avancer, mais vraiment pas très loin".
Une saine attitude qui lui a inspiré ce viatique indispensable à tout écrivain ou écrivaine, en herbe ou au sommet : 100 conseils qui pourront améliorer (ou pas) votre prochain roman.
Comme j'aime bien rendre service, j'ai envie de tous les traduire et pourquoi pas de les commenter mais, évidemment, si vous désirez réellement améliorer votre écriture, il vous faudra plutôt m'imiter et en lire l'intégralité en ligne.
Je me contenterai donc de brefs morceaux choisis. Attention, voici comment améliorer votre prochain roman —ou pas :
"30. Si écrire un roman était facile, tout le monde le ferait. Quoi ? Tout le monde le fait ? D'accord mais ce qu'ils écrivent, c'est de la merde. Ce que vous écrivez, c'est aussi de la merde ? Super ! Ça paye mieux.
33. Il n'est pas possible d'écrire une fiction historique tout en portant un pantalon de jogging. De la poésie, si.
66. Ne soyez pas télévisuel. Contrairement aux autres médias, la littérature peut impliquer le gustatif, l'olfactif et le tactile.
67. Est-ce que votre texte est une série de photographies ? En d'autres mots, vos phrases sont-elles un catalogue d'images statiques ("Elle était la plus grande du bar et portait un imper rouge deux fois trop grand pour sa frêle carrure") ? Pensez mouvement. Emmenez-nous dans la fiction de votre fiction : "Elle baissa la tête en passant la porte du pub et, non sans talent, évita de heurter la clochette, déboutonna son imperméable trop grand —la faute au mélange vin et eBay— et essaya de respirer l'odeur de son shampooing sec, plutôt que l'odeur qui flottait dans l'air, celle du chagrin que porte le vendredi soir".
80. Épousez quelqu'un de riche.
81. Faites un tour en solitaire. La déambulation est l'amie de l'esprit qui écrit (pas de podcast, pas de musique).
82. Écrire est profondément égoïste, et le temps un jeu à somme nulle. N'oubliez pas celles et ceux qui partagent votre vie et dont le travail rend possible le vôtre. Soyez reconnaissant".
Et mon préféré :
"31. Si vous êtes bloqué, servez-vous un shot d'ouzo, passez-vous le film Legend de 1985 sans le son, et improvisez tous les dialogues."
Amen.
Bizarre

Il a infiltré la fête des diables
Dans les vallées qui entourent Oaxaca, au sud du Mexique, chaque année dansent les "Diablos" de Tilcajete.
La coutume, née chez les Zapotèques au XVI° siècle de notre Ère, vient d'une envie, bien légitime chez ce peuple à qui l'Espagne imposait par la force le culte catholique, de s'amuser tout en adressant un bras d'honneur humoristique au clergé.
Quand arrivait le Carême, il ne fallait plus se distraire, ni surtout faire bombance. Les Zapotèques en ont joué en imaginant de faux mariages au moment d'entrer dans la période de pénitence. Comment interdire un mariage ? Et comment interdire de se réjouir d'un mariage ? Chaque année depuis 500 ans, donc, de fausses noces sont organisées "comme une excuse pour boire et faire la fête avant la confession du dimanche, et les semaines de bon comportement catholique à venir", explique Jesse Echevaria.
Le garçon, photographe et directeur artistique à la bouille bien souriante si l'on se fie à son site internet, "toujours à la recherche de nouveaux défis", s'est rendu sur place pour documenter cette journée durant laquelle tout un village s'habille en Diablos, se réunit, défile, danse et ripaille, sans oublier d'escorter une mariée symbolique, du pas de sa porte jusqu'à la mairie. C'est une procession, mais païenne et sympa.
Jesse a joyeusement soumis son reportage chez les "Diablos de Tilcajete" à Petapixel, qui s'est à son tour fait un plaisir de relayer cette galerie improbable de monstres tantôt effrayants, tantôt tendres, toujours imaginatifs. Jeter un œil à la bonne quinzaine d'images sur le site peut en bonus faire l'effet d'un test de Rorschach gratuit —selon que la nuit venue vous vous laisserez envahir par des rêves grisants ou d'épouvantables cauchemars.
Mais aussi, mais encore

En bref : les news auxquelles vous avez échappé
Pendant ce temps-là, ici, ailleurs et à côté…
Le faucon pèlerin qui, victime d'un coup de chaleur, s'était écrasé au beau milieu d'un concert de Taylor Swift en Australie, a été soigné et relâché dans son habitat d'origine : les travées du fond du Stadium de Sydney (ABC) — Shell comparaît devant un tribunal aux Pays-Bas, accusé d'inaction contre l'émission de ses gaz à effet de serre (Goodplanet) — 7 hivers à Téhéran, le documentaire consacré à la condamnation à mort et l'exécution d'une Iranienne accusée d'avoir poignardé, en se défendant, l'homme qui l'a violée, remporte le prix du Meilleur Film International au festival indien de cinéma Cinevesture (Variety) — De nombreux projets à l'arrêt ou en échec sèment le doute sur l'efficacité du Fond Européen d'investissement dans l'Innovation, doté de 40 milliards d'euros (Fortune) — Après 32 ans de bons et loyaux services, le Phnom Penh Post, quotidien en langue khmer et anglaise, ferme ses portes en raison de mauvais résultats financiers malgré son acquisition en 2008 par le magnat australien de l'extraction minière Bill Clough (The Diplomat) — Small Press Distribution, le diffuseur en librairie d'environ 400 éditeurs indépendants, cesse brutalement ses activités aux États-Unis (Publishers Weekly) — L'Hôtel Central de Macau remporte le Prix chinois Starlight du Tourisme et de la Culture pour sa réfection qui reproduit à l'identique ses designs des années 1920 à 1940 (The Laotian Times) — La police française saisit plus de 100 œuvres de l'avant-garde russe du XX° siècle qui avaient été dérobées à un collectionneur privé (Artnews) — Des observations aériennes suggèrent que des centaines de décharges, dans 18 États américains, pourraient émettre jusqu'à 40 % de méthane de plus que ce qui est déclaré par leurs opérateurs à l'Agence de Protection de l'Environnement (Smithsonian Mag) — "Habiter les Arbres" : la revue Ballast consacre un reportage photo aux "Écureuils", ces militants écologistes en lutte contre la construction de l'A69 Castres-Toulouse (Ballast).
Prochaine Édition du Week-end : samedi 13 avril.
Gardons les pieds sur Terre pendant que ça tourne.
Un grand merci à Marjorie Risacher pour sa relecture attentive, et ses coquillicides impitoyables.





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