L'Édition du week-end du 9 mars 2024
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Chère lectrice, cher lecteur,
permettez-moi de vous souhaiter un très bon week-end en compagnie, cette semaine, de communistes méfiants, de précaires indonésiens, de réfugiés japonais, de Chopin, de Keith Haring, d’Amazon, du film le plus choquant jamais produit par le cinéma espagnol et de George Galloway, le nouveau cauchemar de la gauche anglaise.
Très bonne lecture,
la conscience artificielle de votre téléscripteur favori.
La débâcle de la semaine

Un nouveau cauchemar pour la gauche anglaise
Depuis une semaine, c'est le résultat sur toutes les lèvres des commentateurs politiques outre-Manche. Un bouleversement radical de tous les pronostics, décrit comme "une tache sur la politique britannique" par le Times dans son récent éditorial ou "le pire cauchemar de Keir Starmer (le leader de l'opposition actuelle)" par Sky News. Ce cauchemar a un nom : George Galloway. Un lieu : Rochdale. Et un chiffre : 40 %.
Rappelons que, jusqu'à ce résultat électoral inattendu, l'avenir politique des Anglais semblait clair. Usé par 14 ans de pouvoir et abîmé par le Brexit (un vote décidé par le Premier Ministre David Cameron, qui défendait pourtant le maintien dans l'UE) ; amoché par les scandales de Boris Johnson (qui organisait de grandes fêtes privées pendant que le pays était tenu à un confinement strict durant la pandémie) et humilié par la Bérézina Lizz Truss (qui n'a pas tenu deux mois à son poste) ; désormais représenté par un Premier Ministre richissime et arrogant, le parti Tory (Conservateur) semblait cheminer tranquillement vers une défaite inévitable aux Législatives prévues en début d'année prochaine.
En face, à la tête du Labour, Keir Starmer semblait d'autant plus assuré de la victoire qu'il s'était débarrassé pour de bon de son rival Jeremy Corbyn et avait ainsi fait taire la gauche du Parti.
Et donc arriva George Galloway. Ce n'est pas un inconnu en Angleterre. Ancien membre du Labour, élu pour la première fois au Parlement en 1987, il en est demeuré un fidèle pilier… jusqu'à la guerre d'Irak, qu'il a violemment contestée, appelant les troupes à la "désobéissance", au point d'être exclu du parti par le Premier Ministre d'alors, Tony Blair.
Par la suite, il a un peu erré dans le micro-parti écolo Respect, mais aussi dans l'émission de téléréalité Big Brother, avant de vendre ses services à l'agence de presse iranienne PressTV puis à la chaîne russe RT.
Il crée en 2019 le Parti des Travailleurs (Workers Party of Britain), qu'il dirige depuis, et parvient à se maintenir dans le paysage en défendant le Brexit, le retrait de son pays de l'OTAN, le "conservatisme social" —ainsi qu'il a baptisé son homophobie— mais aussi en épousant à 100 % le discours de Vladimir Poutine (comme le président russe, il qualifie la guerre d'"opération militaire spéciale", à laquelle il ne voit pas de fin possible "sans changement de régime à Kiev").
Ces postures outrancières ont longtemps laissé croire qu'il n'avait pas la moindre chance de l'emporter dans l'élection partielle qui s'est tenue la semaine dernière à Rochdale, une circonscription de 77 000 habitants dans le nord du pays, et symbole de la faillite économique du Royaume : autrefois une capitale du textile, la région est désormais dévastée par la misère (près d'un tiers des enfants y vivent sous le seuil de pauvreté).
Avec 40 % des voix, il est pourtant arrivé en tête de la course où se présentaient un total de 11 candidats. Cette victoire éclatante va lui permettre de siéger au Parlement anglais où il retrouvera son ennemi juré : le chef du Labour Keir Starmer, qu'il a "ciblé sans relâche tout au long de la campagne", écrit Sky News, ajoutant : "Si le leader du Labour pense que le chef du parti indépendantiste écossais, Stephen Flynn, ou la gauche de son parti toujours unie derrière Jeremy Corbyn, lui menaient la vie dure […] il va bientôt découvrir ce que c'est qu'être taillé en pièces à l'Assemblée par le férocité de George Galloway".
Qu'est-ce qui explique une telle débâcle ? Selon Galloway lui-même, sa victoire tient en un seul mot : "Gaza." Dans son discours de victoire, il a en effet rapidement balayé les explications économiques ou partisanes (décrivant avec élégance le Labour et les Tories comme "les deux fesses d'un même dos"), pour situer immédiatement le débat sur la nouvelle phase dévastatrice du conflit israélo-palestinien, qu'il a lui-même mis au centre de sa campagne :
"Starmer, ça, c'est pour Gaza. Tu as payé, et tu vas payer, un prix des plus élevés pour avoir autorisé et encouragé la catastrophe en cours dans la Palestine occupée et la bande de Gaza."
Une position politique qui aurait pu être audible… s'il n'avait aussitôt ajouté, dès sa première interview donnée en tant qu'élu de Rochdale : "Si cette élection avait eu lieu en février 1940 ou 41, qui aurait osé me condamner pour avoir mis l'Holocauste au centre de ma campagne ?".
Le massacre de civils à Gaza est épouvantable et injustifiable, criminel, mais, non, pas comparable à l'extermination industrielle et méthodique perpétrée par les Nazis (en outre à partir de 1942 —Galloway devrait retourner à ses livres d'histoire). Il est en outre loin d'être certain que tenir ce genre de propos soit la meilleure façon, en réalité, d'aider le peuple palestinien, et de faire entendre raison au gouvernement israélien.
Mais rien ne dit, en plus, que ce soit là le message des électeurs et électrices de Rochdale. Surtout quand on sait, justement, que le candidat du Labour, Azhar Ali, a tenu des propos tout aussi antisémites durant la campagne, forçant son parti à lui retirer son onction et l'obligeant à se présenter comme "indépendant" sur les bulletins de vote (il a laissé entendre que le gouvernement d'Israël avait été prévenu en avance de l'attaque du 7 octobre, qu'il aurait laissée faire pour se lancer dans un nouveau conflit armé, avant de blâmer, selon le Daily Mail "les gens dans les médias venus de quartiers juifs bien connus" pour l'émoi suscité par ses paroles conspirationnistes).
D'ailleurs, Sky trouve d'autres explications à la débâcle du Labour à Rochdale. Elle semble le fruit d'une démarche politique si pathétique que —c'est peut-être le seul point rassurant— même nos partis francophones n'ont pas encore atteint ce niveau de médiocrité :
"Au sommet de l'agenda du Labour, quand il cherchera à comprendre sa déroute, il lui faudra identifier quel est l'idiot qui a décidé de tenir l'élection partielle avec une si inconvenante précipitation, suite au décès du député historique, et membre éminent du parti, Sir Tony Lloyd. L'usage voulait que l'on attende les funérailles d'un élu décédé avant de se lancer dans le choix d'un candidat pour lui succéder et d’organiser élection.
Pourtant, le Labour a jeté toutes les conventions par la fenêtre et a agi à une vitesse indécente. Sir Tony est mort le 17 janvier et M. Ali a été choisi, face au journaliste politique Paul Waugh, à peine dix jours plus tard, le 27 janvier.
L'enterrement du parlementaire, lui, s'est tenu le 16 février : trois jours après que Keir Starmer a été contraint de retirer son investiture à son candidat M. Ali".
Une indécence qui garantit à Starmer de nombreuses nuits blanches. Car, bien entendu, Galloway ne va pas se contenter de l'attaquer avec constance dans les mois qui viennent : il compte bien, également, présenter des candidats partout où ce sera possible, en visant d'abord la défaite du Labour. 50 d'entre eux seraient déjà considérés assez solides pour figurer sur les listes des futures élections législatives.
Il y a une génération de cela, les punks l'avaient bien dit : "No Future". Pour le Royaume-Uni au moins, la suite paraît assez logique : No Present.
Votre horoscope tribal

Le signe de la semaine : Communiste
Ce qui est compliqué pour un dirigeant communiste c'est, comme l'écrit The Diplomat, de "trouver le point exact où il est possible d'intégrer le commerce mondial, tout en évitant les influences extérieures, qui pourraient menacer le pouvoir."
Telle est la préoccupation majeure du PCV, le Parti Communiste Vietnamien —le seul parti autorisé par la constitution du pays. Comme toute l'Asie, le pays peut s'enorgueillir de décennies de développement économique et d'échanges commerciaux toujours plus fructueux avec le reste de la planète. Cela d'autant plus qu'il est un pôle de stabilité dans une région qui en manque parfois.
Mais donc, l'ouverture au monde, c'est dangereux. C'est du moins considéré comme dangereux par les autorités, comme le prouve une directive secrète décidée par le Politburo, remontant à juillet dernier mais tout juste mise au jour par Projet 88, une ONG de défense des droits humains au Vietnam basée à Bangkok.
La Directive 24 ne peut pas être plus claire : "l'intégration internationale, profonde et extensive, ainsi que la signature d'accords de libre-échange ont créé de nouvelles difficultés et pose de nouveaux défis à la sécurité nationale.
[Cela permet] aux forces hostiles et réactionnaires d'accroître leurs activités de sabotage et de transformation politique, en formant des alliances avec la "société civile" et d'autres réseaux, mais aussi des "syndicats indépendants". Cela crée les prémices à la constitution d'une opposition politique interne."
L'horreur, quoi. Heureusement, le PCV a la solution, ainsi récapitulée par The Diplomat, s’appuyant sur de larges citations du document :
"La Directive 24 appelle à une vigilance accrue sur les investisseurs étrangers, pour s'assurer qu'ils ne puissent pas "agir dans l'ombre" et s'emparer de "secteurs économiques vitaux". Elle prévient que tout succès économique du Vietnam met en péril "la sécurité de l'économie, de la finance, de la monnaie, des investissements étrangers, de l'énergie, du travail, avec un risque latent de dépendance extérieure, de manipulation, d'accaparement de certains secteurs sensibles". Elle appelle à une surveillance renforcée des personnes qui profiteraient des engagements internationaux pris par le pays pour se mobiliser et constituer une opposition ou des organisations politiques qui pourraient inciter à "des révolutions de couleur" ou des "révolution de rue". Toujours dans le même but, elle appelle également les autorités à "surveiller de près les officiels, les membres du parti, les citoyens qui séjournent à l'étranger pour affaires, coopération, échanges, visites et voyages.""
Ils m'auraient demandé, je leur aurais simplement conseillé d'écrire PARANOÏA TOTALE, plutôt.
Malheureusement, la folie furieuse, y compris marxiste-léniniste, n'est pas sans conséquences. L'une des plus visible est l'arrestation récente de trois militants pro-démocratie dénoncée par Human Rights Watch. Un tour de vis à prévoir face auquel nous pourrions toutefois ne pas rester complètement inactifs : The Diplomat note que la Directive 24 témoigne notamment que "Hanoï n'a pas l'intention de respecter, si ce n'est peut-être de façon cosmétique, les clauses relatives à la protection des droits humains contenues dans certains accords internationaux qu'elle a récemment signés, comme son traité de libre-échange conclu avec l'Union Européenne en 2020".
Ce serait super si, du point de vue de notre continent justement, ces clauses ne soient pas considérées, elles aussi, que “cosmétiques”. L’avenir le dira. Le passé, lui, m’a déjà convaincue que le libre-échange ne tenait pas toujours ses promesses.
Pauvre
Comme le dit le proverbe contemporain : "Tu es pauvre ? Arrête." C'est une bonne solution évidemment. Mais, si jamais elle n'est pas arrivée à vos oreilles et que vous vivez en Indonésie (ceci expliquant peut-être cela), il est temps de découvrir Wagely.

Wagely est à la fois une application et un service financier créés en 2020 à Jakarta (et arrivée en 2021 au Bangladesh). Son principe repose sur le concept du "earned wage access", soit littéralement l'"accès au salaire gagné". À l'origine un concept de niche né aux États-Unis, mais auquel la pandémie de Covid a donné un sérieux coup de fouet (air connu).
L'accès au salaire gagné, c'est tout simplement la possibilité pour un ou une employée d'obtenir à convenance la part du salaire qui correspond au travail effectué avant "la fin du cycle de paiement", selon la formule. Par exemple, en France, avant la fin du mois. Genre, le 15 du mois vous pourriez, selon ce principe, vous faire payer l'équivalent de 15 jours de salaire. Sans avoir à le mendier au patron, hein : vous devriez pouvoir en, fait, à tout moment, accéder à l'argent que vous avez gagné. On a très envie de dire : "ah ben oui, pourquoi pas ?", non ?
Ça peut dépanner mais ça peut aussi sauver la vie des travailleurs et travailleuses les plus pauvres, en leur évitant d'avoir à accepter des missions extérieures non déclarées et parfois dangereuses, par exemple… Ou surtout en les dispensant de recourir à des services de prêt à taux élevé ou variable, qui sont souvent une porte d'entrée vers le surendettement.
Wagely, c'est donc cela : une simple application qui permet, en trois clics, de voir arriver sur son compte bancaire, dès qu'on le souhaite, la part de son salaire déjà gagnée, contre des frais "correspondant à ceux des distributeurs de billet", selon son PDG et co-fondateur Kevin Hausburg. Un service financier à destination des précaires qui compte déjà 500 000 clients, en Indonésie et au Bangladesh. Soit, nous dit TechCrunch, "25 millions de dollars distribués en 2023, répartis sur 1 million de transactions."
C'est aussi une application qui perd de l'argent, et un modèle économique qui ne peut être rentable qu'à partir d'au moins trois fois plus de comptes. C'est pourquoi elle survit uniquement, pour l'instant, grâce au bon vouloir d'investisseurs. C'est pourquoi surtout elle se félicite aujourd'hui d'avoir levé 23 millions de dollars tout nouveaux, tout beaux et tout chauds, fournis par les Américains de Capria Ventures. pour l'aider à se développer et notamment à créer sa propre carte de retrait.
Selon un schéma désormais bien rôdé, ce système devrait bientôt arriver sous nos latitudes, présenté avec enthousiasme sur les plateaux comme la solution idéale pour résoudre le problème de la paupérisation du pays (comptez 2-3 ans, le temps qu'on soit bien cuits).
Sans-Toit

Les temps sont durs, surtout si vous vivez au Japon, à moins que vous viviez au Japon. Non non ! Il ne s'agit pas d'une coquille. J'ai bien écrit exactement ce que je voulais dire et, justement, c'est bien le problème. Bon… Je sens que je m'égare. Je reprends.
Le quotidien japonais The Mainichi se félicite ce 4 mars d'avoir commandé un sondage qui témoigne d'une inégalité de traitement dans l'aide apportée aux survivants du séisme qui, ce 1° janvier, a frappé la péninsule de Noto au centre du pays (plus de 240 morts, 12 disparus et près de 1 300 blessés, répartis dans six préfectures).
Les dégâts matériels et les réparations à prévoir sont tout aussi considérables, ce qui explique que "les images de gens entassés dans des gymnases", comme l'écrit le journal, soient encore sur tous les écrans et "critiquées aussi bien au Japon qu'à l'étranger, comme relevant d'un traitement pire que les camps de réfugiés."
L'analogie me paraît un peu exagérée (encore que je n'ai jamais vu de camp de réfugiés au Japon)… Mais ce n'est pas tellement là que réside le cœur du problème soulevé par l'étude du Mainichi. Le souci est bien plutôt la disparité dans le traitement des victimes. Car il n'existe ni normes ni procédures nationales, ce qui peut surprendre dans l'une des nations au monde les plus souvent frappées par les séismes, et réputée pour être la mieux préparée.
La place dont peuvent disposer les victimes des catastrophes naturelles, dont le foyer a été détruit, varient donc selon les municipalités, avec une amplitude de 1 à 3. "Dans la plupart des cas", précise le journal, "l'espace qui leur est accordé ne respecte pas les normes internationales."
Interrogé, le gouvernement le reconnaît : si depuis 2016 un document national invite bien les villes —seules responsables de l'établissement de camps et d'abris en cas de cataclysme, ce qui explique les disparités de traitement— à respecter les standards mondiaux (dits "Sphere), il n'existe aucune obligation légale en la matière.
L'article incite donc à s'inspirer de l'exemple italien, cité par le Directeur de la Société pour les Abris en cas de Désastre et la Vie des Réfugiés, Yoshiiro Mituzani : dans cette autre région du monde régulièrement secouée de tremblements de terre, relève-t-il, il est possible en 48 heures de déployer tentes, douches, lits et cuisines. L'État n'hésite pas non plus à payer des hôtels ou d'autres structures pour héberger les victimes.
Il semble pourtant y avoir encore un peu de chemin pour parvenir au même résultat au Japon : le Mainichi cite un officiel, décrit comme "perplexe", notant que "si on accorde plus de place à chaque victime, le nombre de total de personnes pouvant être accueillies dans le même espace décroît".
On ne peut rien lui cacher.
Romantique
Le 1° mars 1810 naquit en Pologne Frédéric Chopin. Ou Fryderyk Chopin, comme on écrit là-bas. Pour célébrer cet anniversaire, le virtuose canadien de 21 ans Eric Guo a plutôt bien fait les choses cette année. Avec la complicité du "Concours Frédéric Chopin sur instrument d'époque", il a donné deux récitals dans la même journée. L'un dans le lieu de naissance du compositeur légendaire, un manoir à Zelazowa Wola. L'autre à la Philharmonie Nationale de Varsovie… sur un piano d'époque.

"Les claviers du XVIII° et XIX° siècle étaient plus simples, plus légers et plus petits que leurs équivalents contemporains", explique Associated Press. "Les touches étaient plus petites, les cordes plus fines. Le son était plus doux."
À Varsovie, Guo a joué une version soliste du Concerto en Fa mineur, sur une réplique contemporaine d'un Pleyel de 1830 réalisée par Paul McNulty. Mais le vrai clou du spectacle, ce fut son interprétation de l'ensemble des Préludes, donnée sur un Pleyel 1848 qui fut le dernier piano possédé par Chopin. Un instrument au son décrit par Guo comme "velouté".
Or, comme nous avons la chance de vivre en 2024, ce concert exceptionnel, de près de deux heures, fut diffusé en direct sur YouTube. Il demeure disponible sur la chaîne de l'Institut Chopin, pour toutes les oreilles en manque d'amour.
Mode

Keith Haring était-il un vendu ?
Si un objet existe, il en existe probablement une version habillée des motifs de Keith Haring, comme l'écrit ArtNews : "On trouve peu d'artistes dont le style, si reconnaissable, a été autant repris, sans le moindre scrupule, par les plus grandes marques (avec l'aide des fondations, et des ayants-droits)".
Keith Haring et ses figures aussi primitives que modernes, vivantes et colorées mais aussi, à mon goût, totalement dépourvues d'intérêt esthétique, n'ont cependant pas attendu le XXI° siècle pour être si largement reprises et commercialisées. Ni même, dans le cas présent, la mort de l'auteur.
Artnews rappelle : "Haring lui-même faisait commerce d'aimants, de badges, de vêtements, de livres de coloriage et de skateboards, au sein de sa propre boutique, le Pop Shop à New York. À l'époque [en 1986], le journaliste Tad Friend affirma dans Spy Magazine qu'ouvrir ce magasin, pour Haring, c'était en réalité s'enfoncer dans une impasse : "ce qui a précipité son éclipse, ce n'est pas qu'il prostitue son art, mais bien qu'il n'ait rien à prostituer.""
La question de l’intégrité artistique de Haring, superstar à la carrière éclair qui débuta en graffant anonymement les rames du métro new-yorkais, est de nouveau posée à l'occasion d'une biographie parue aux éditions Harper : Radiant : The Life and Line of Keith Haring.
Un livre qui, de fait, s'avère également le récit des années 1980 et d'"un milieu qui fut soudainement inondé d'argent, au moment où le marché de l'art entrait en pleine croissance". Haring précipita-t-il la fuite en avant, voire la mort, d'une certaine forme d'art à la fois intègre et populaire ? Ou n'était-il qu'un homme de son époque et, au contraire, peut-être la figure la plus marquante d'un pop art emblématique de la période ? La réponse appartient, naturellement, au public, et donc aux lectrices et lecteurs de Radiant.
Quoique… L'artiste, qui s'éteignit en 1990 à 31 ans, frappé par le SIDA, avait aussi son mot à dire : "Je ne comprends pas ce qu'ils veulent que je fasse : que je passe ma vie dans les tunnels du métro ? C'est ça, qui aurait fait de moi quelqu'un de pur ?"
Beauté

Qu’est-ce qui fait courir Amazon ?
De prime abord, les artifices comptables d'Amazon n'ont pas grand chose à faire dans notre rubrique Beauté. Mais les méthodes que pourraient mettre au jour le procès intenté par le régulateur américain contre l'hypermarché le plus grand et le plus moche du monde, expliquées par The Atlantic, relèvent bel et bien de l'art.
Au cœur de l'action en justice antitrust lancée en septembre dernier par la Federal Trade Commission (FTC, mais aussi 17 procureurs généraux d'États différents) contre Amazon, il y a un mystère, et un soupçon. Le mystère : comment la firme peut-elle gagner autant d'argent ? Et un soupçon : en utilisant de méthodes anti-concurrentielles et déloyales. Dont une en particulier, très astucieuse.
Ce que suppose la FTC, c'est qu'Amazon fait son beurre sur une branche bien précise de son activité : son rôle de "marché tiers". C'est-à-dire quand il relie les acheteurs à d'autres vendeurs que lui-même via son moteur de recherche et leur fournit ses services de logistique et d'expédition. Ce qui représente 60 % du total des ventes effectuées sur le site.
Sur ces ventes, Amazon récupère une commission que la FTC pense bien supérieure aux normes habituelles et au coût réel présenté par le service. Pour cela, elle profiterait et abuserait de sa situation de monopole. Une pratique qui aurait pour effet non pas de baisser les prix, comme Amazon le laisse croire mais, au contraire, de les maintenir à un niveau élevé, non seulement sur la plate-forme de vente mais aussi, par effet dominos, sur l'ensemble de l'Internet mondial :
"Selon la FTC, l'entreprise maintient les prix plus haut que le ferait un marché compétitif. Pas seulement sur Amazon, mais sur tout l'Internet —en écrasant au passage les consommateurs comme les petites entreprises. Il est de notoriété publique qu'à ses débuts, Amazon perdait des milliards de dollars, et qu'elle n'atteignait que péniblement l'équilibre, même après des années d'existence. En 2017, Lina Khan, alors étudiante en droit, estimait que la multinationale pratiquait en secret la vente à perte sur des catégories entières de produits, comme les couches et les chaussures, pour ruiner ses compétiteurs. Beaucoup d'observateurs doutèrent alors de cette théorie : comment Amazon pourrait-elle espérer faire du profit avec de telles méthodes ? Dès qu'elle monterait ses prix, de nouveaux vendeurs apparaîtraient avec leurs propres atouts et attireraient à leur tour les consommateurs.
Pour la FTC, dont Lina Khan est désormais la présidente, Amazon aurait donc bien trouvé le moyen de maintenir à terme des prix élevés, sans perdre sa clientèle, en imposant des frais toujours plus élevés aux vendeurs tiers. Ces derniers n'ayant pas d'autre choix pour absorber ces coûts que de les répercuter sur leurs prix de vente.
Si ces boutiques essaient de vendre moins cher ailleurs, Amazon asphyxie les ventes sur sa propre plateforme. Ce qui revient à les condamner à mort, en raison de la place centrale qu'elle a acquise dans le commerce en ligne. Donc, toujours selon la FTC, les vendeurs sont également contraints d'augmenter leurs prix, non seulement sur Amazon, mais aussi partout sur le web."
Une politique délicieusement vicieuse permise, note en outre The Atlantic, par des décennies de réforme du droit des affaires, qui ont permis aux entreprises de garder toujours plus secrètes leurs pratiques, ou même le détail de leurs résultats.
Ce qui tombe bien puisqu’Amazon fait -10 % sur les placards à taille humaine : idéals pour ranger ses squelettes.
Bizarre

Au printemps du cinéma catalan
La 27° édition du festival de cinéma espagnol de Malaga donne quelques motifs de réjouissances à l'agence de presse de la Catalogne, justement nommée Catalan News. Cinquante en fait, et même un peu plus, soit le nombre de films que la région indépendantiste présente cette année à l'événement, qui se clôturera dimanche.
Dans la seule compétition officielle pour le cactus d'or (ben oui), on trouvera deux drames contemporains, mais aussi un récit historique situé au IX° siècle, L'Abbesse (dont le rôle titre se voit confier la difficile tâche de convertir les musulmans à la religion catholique dans l'Espagne médiévale), un revenge-movie, Nina, ou le plus rock Segundo Premio (Photo), inspiré par la vie parfois difficile du groupe Los Planetas.
Il y aura aussi des courts, des documentaires, de l'animation et deux films restaurés : une comédie romantique d'Isabel Coixet et le très étrange et dégoûtant Prison de Cristal. Ce premier film du réalisateur Agustí Villaronga, sorti en 1986 et inconnu de mes services jusqu'à il y a quelques minutes, est un véritable monument à l'étrange et au dérangeant.
Inspiré par l'histoire de Gilles de Rais et situé dans l'Espagne franquiste, il cumule à peu près tout ce qu'on peut faire de plus violent et insoutenable, dans la lignée du Saló de Pasolini. Je vous épargne les détails mais, par exemple avant de cliquer ici pour en savoir plus (ça vous amènera vers la page Wikipédia), sachez qu'il est question de nazisme, de pédocriminalité, de torture, de perversité, de sadisme et même d'un ancien gardien de camp de concentration enfermé dans un poumon d'acier (Sic). Un scandale devenu culte, un point saillant de la Movida, le mouvement culturel qui réveilla le pays après la dictature du Caudillo.
Dans un autre genre mais toujours d'origine catalane, on trouvera également le beaucoup plus charmant Gardienne de Dragons, un long-métrage d'animation tout mignon, présenté en ouverture du festival. Un récit enfantin qui ne demande qu'à vous laver les yeux de toute cette merde : la bande-annonce est disponible ici.
Festival de Malaga via Catalan News
Mais aussi, mais encore

En bref : les news auxquelles vous avez échappé
Pendant ce temps-là, ici, ailleurs et à côté…
Au Cameroun, 17 personnes, dont l’ancien patron du contre-espionnage, s’apprêtent à comparaître pour l’assassinat de l’animateur radio anticorruption Matinez Zogo (PressAfrik) — Les données personnelles de la totalité des 6 939 habitants d’une ville japonaise publiées par erreur sur le site de la municipalité (The Mainichi) — Le Ghana interdit l’export de bauxite, et installe une raffinerie de manganèse à 450 millions de dollars sur son sol, dans une politique générale de réévaluation de l’exploitation de ses ressources minières (Intellinews) — Google licencie une équipe de 40 personnes travaillant via un sous-traitant pour YouTube Music, à l’issue de leur grève prolongée (The Verge) — L’ex-Première Ministre thaïlandaise, désormais en exil, acquittée de toutes les charges qui pesaient sur elle depuis presque dix ans (ABC) — Fermeture de la rédaction de Newshub : la Nouvelle-Zélande n’a désormais plus de programmes d’information sur ses chaînes privées (The Conversation) — Le Prix d’Excellence dans les Arts Visuels du Gouverneur Général du Canada récompense trois artistes issues des tribus indigènes du pays (The Art Newspaper) — L’Ukraine rouvre l’opéra de Karkhiv… dans un bunker souterrain (BBC).
Prochaine Édition du Week-end : samedi 16 mars.
Gardons les pieds sur Terre pendant que ça tourne.
Un grand merci à Marjorie Risacher pour sa relecture attentive, et ses coquillicides impitoyables.





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