L'Édition du week-end du 2 mars 2024
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Chère lectrice, cher lecteur,
permettez-moi de vous souhaiter un très bon week-end en compagnie, cette semaine, d’un climatologue soulagé, de paysans déconfits, d’appelés oubliés, d’immigrants méprisés, d’Idriss Déby fils, d’un nouveau magazine, de mauvais conseils financiers, et de l’effervescence de Harlem.
Très bonne lecture,
la conscience artificielle de votre téléscripteur favori.
L’expo de la semaine

Harlem, Seconde Renaissance
Les années 1920. L'optimisme, le renouveau après l'effroi. Des années "folles" dans tout l'Occident. Et à Harlem, New York, une Renaissance.
La Renaissance de Harlem s'incarne alors dans toutes les disciplines : peinture, sculpture, musique, poésie… c'est "la première fois que des artistes Noirs racontent tous les aspects de la vie nouvelle, urbaine et moderne, qui se met en place entre les années 1920 et 1940", explique Denise Murrell, conservatrice au Metropolitan Museum of Modern Art de New York (le Met), organisatrice de l'exposition The Harlem Renaissance and TransAtlantic Modernism. C'est la première de l'histoire consacrée à cette époque durant laquelle "Harlem, énergisée par l'arrivée de milliers d'Afro-Américains du fait de la Grande Migration, s'est épanouie comme capitale créative", note le New York Times. 160 œuvres seront présentées, parmi lesquelles "quelques tableaux des modernistes européens alors en dialogue avec les artistes de la Renaissance de Harlem —van Dongen, Matisse ou Munch entre autres. Une décision qui vise à appuyer le propos de Murrell, pour qui il s'agit avant tout d'un mouvement transatlantique."
En 1969, le Met avait déjà tenté d'honorer le quartier afro-américain. L'expo Harlem on my mind, rappelle toujours le Times, "a surpris les artistes, comme les représentants de la communauté ou les curateurs Noirs, quand ils ont constaté qu'elle ne comprenait pas une seule peinture ou sculpture signée d'un artiste afro-américain. [Les organisateurs] avaient choisi de reconstituer un parcours immersif, censé communiquer la vitalité de Harlem et de ses habitants, par un ensemble de photographies documentaires, de textes et d'enregistrements sonores.
La réaction a été immédiate. De nombreux artistes, dont Benny Andrews, Camille Billops et Cliff Joseph ont fondé la Black Emergency Cultural Coalition. Chaque jour, ils ont tenu piquet devant le musée et sont parvenus à attirer l'attention de la presse locale.
Quand on évoque l'épisode, Denise Murrell pousse un soupir : "Le Met ne m'a pas donné comme mission de faire un événement qui corrige les erreurs du passé et permette d'oublier Harlem on my Mind", affirme-t-elle."
Pour ma part, je n'avais jamais entendu parler de cette Renaissance de Harlem. Et si, encore heureux, les noms de quelques uns des artistes musicaux qui s'y sont illustrés (Duke Ellington, Louis Armstrong, Billie Holliday, rarement originaires de New York mais toujours attirés par le bouillonnement culturel qui y prenait forme) avaient déjà atteint mes oreilles, ceux de peintres et sculpteurs que sont Laura Wheeler Waring (Photo), Charles Henry Alston ou Malvin Gray Johnson m'étaient totalement inconnus.
Si c'est aussi votre cas, le Met vous laisse jusqu'au 25 juillet pour vous rattraper… Ou, sans quitter votre lit, pour faire connaissance avec les plus éminentes figures du mouvement grâce au podcast exclusif de 5 épisodes, Harlem is Everywhere, qui accompagne l'exposition. Il vous attend au bout de ce lien.
Votre horoscope tribal

Le signe de la semaine : Climatologue
Certains procès sont plus importants que d'autres. Par exemple il y a, d'un côté, celui que je vais intenter au prochain qui me sort l'anglicisme "adresser la question" au lieu d'utiliser les mots "évoquer", "aborder" ou "répondre" et il y a, de l'autre, celui que vient de gagner Michael Mann, climatologue (au centre sur la photo, sans lien avec le cinéaste homonyme).
C'est un procès déterminant qui touche deux enjeux clés du débat public nord-américain (mais pas que) : la liberté d'expression et le changement climatique. Il se trouve que Michael Mann est l'auteur, il y a déjà 25 ans (No comment), de deux articles scientifiques révélateurs de l'ampleur du réchauffement. Comme l'explique Science il "combinait les archives historiques, les relevés de cernes d'arbres et d'autres mesures dérivées de la température, et ce sur plus de 1 000 ans, pour établir qu'en moyenne les températures n'avaient quasiment pas varié, jusqu'à une augmentation brutale à partir du siècle dernier.
Un tableau clé tiré de ces études (ici et là), surnommé "la crosse de hockey" en raison de sa forme, a ensuite été repris dans un rapport de l'ONU paru en 2001. Il demeure une icône de la science du climat. Il souligne l'impact considérable de l'activité humaine sur celui-ci".
Depuis, histoire sans doute de démontrer qu'après tout, peut-être, notre espèce ne méritait pas tellement de survivre à elle-même, ce graphique comme son créateur ont été la cible des attaques des climatosceptiques, ces individus que l'idée d'un futur avec plus d'arbres et moins de voitures terrorise. Au point, donc, de pousser Mann à attaquer deux d'entre eux en diffamation. L'enjeu du verdict était donc crucial pour ce qui concerne le débat public aux États-Unis et ses limites : jusqu'où peut on, au nom de la liberté d'opinion, contester et attaquer la science et les faits qu'elle démontre ?
Mann s'est attaqué à deux critiques —attention sarcasme— particulièrement élégants : Rand Simberg, d'abord. En 2012, ce blogueur qui officiait pour, ça ne s'invente pas, l'Institut pour l'Entreprise Compétitive, a accusé Mann, dans un de ses billets, de mentir et truquer la vérité. Il a jugé bon de le comparer à Jerry Sandusky, un entraîneur de football américain alors soupçonné (et depuis condamné) de multiples actes pédocriminels. Ce violeur en série travaillait au sein de la même université en Pennsylvanie qui employait Michael Mann, et le blogueur libertarien a trouvé pertinent d'écrire que le scientifique "agressait et torturait la vérité", "comme Sandusky le faisait avec ses élèves". Une citation reprise de bon cœur par Mark Steyn, un animateur de télévision populiste et conservateur, dans un article signé pour la prestigieuse et droitière revue National Review.
Dans son jugement, le jury populaire de la Cour de Justice de Washington D.C. a reconnu les deux pathétiques individus coupables non pas, comme je l'aurais fait, de vulgarité assassine et d'égoïsme médiocre, mais de diffamation. Le premier est condamné à 1 000 dollars d'amende, mais le second qui, en relayant les accusations du blogueur, a donné une ampleur nationale à l'accusation délirante, à un million de dollars.
C'est un jugement déterminant. On peut toujours discuter de la science —ce qui est important, souligne le magazine américain, puisqu'elle est une discipline par définition en mouvement, mais pas à n'importe quel prix. Et pas au point de discréditer, insulter ou exposer au danger, à la menace, celles et ceux dont les découvertes sont le résultat d'un travail rigoureux et exigeant. Les travaux de Mann par exemple ont été confirmés année après année, et ses méthodes passées au crible par d'autres instituts de recherche. "Depuis 2009, on peut compter au moins 8 enquêtes officielles portant sur ses recherches, ou d'autres qui lui sont relatives, sans jamais trouver de fraude, ou de mauvaise conduite scientifique", rappelait à l'occasion du jugement la directrice du Fonds de Défense Judiciaire pour la Science Climatique.
Puisqu'il faut un Fonds de Défense Judiciaire pour la Science Climatique, désormais.
En 1983, la mini-série V mettait en scène de gentils extra-terrestres, venus prendre contact avec nous pour nous apporter leur savoir en échange de "quelques composés rares peu disponibles sur [leur] planète". La coopération commençait bien jusqu'à ce que les scientifiques du monde entier se mettent à disparaître dans des circonstances mystérieuses, puis qu'une campagne de dénigrement les accuse de comploter contre les gentils aliens, préférant garder leurs subventions plutôt que travailler avec cette civilisation plus évoluée. Peu à peu, les blouses blanches étaient persécutées un peu partout dans le monde, obligées de fuir et se cacher. Leur tort était bien évidemment d'avoir les armes, avec la science, pour découvrir comment combattre ces "Visiteurs", et surtout comprendre leur nature réelle : des reptiles déguisés venus pomper l'eau de la Terre et se nourrir d'êtres humains.
J'adorais la série, bien plus fine qu'on le croit souvent, encore brillante aujourd'hui. Mais je me disais que cette histoire de propagande anti-science ne tenait pas : qui dans le monde voudrait s'attaquer à la recherche, aux scientifiques ? Je crains que nous ayons désormais la réponse.
Paysan
Les grandes œuvres de fiction commencent bien souvent par la question : "et si… ?". C'est aussi le cas du récent épisode de Lundi Soir, le podcast de la revue révolutionnaire Lundi Matin : et si la récente révolte des agriculteurs n'avait pas délégué son pouvoir de négociation à la FNSEA ?

Et si, plutôt que revenir sur les engagements européens et environnementaux qui visent à préserver les sols autant que la santé des agriculteurs et agricultrices, on avait plutôt prêté attention à leurs demandes premières, notamment celle de revenus plus justes, mieux répartis ? L'envie de pouvoir exercer son métier sans s'endetter, l'espoir de léguer ses installations à d'autres que ce métier ferait rêver ?
C'est ce monde plus durable que rêvent, au moins ce soir, autour du micro, six invités et invitées, "qui travaillent dans l'agriculture, se définissent comme paysans" : une maraîchère et un producteur de fruits en AMAP, une productrice de plantes aromatiques et à tisane, deux membres de la Confédération Paysanne (un céréalier et une maraîchère) et une chargée de l'accompagnement à Abiosol, une association qui aide à l'installation ou à la conversion à l'agriculture biologique en Île-de-France.
Un joli moment de radio. Non seulement en raison du monde qui s'y dessine, plus équitable, plus soutenable, meilleur à la santé et plus sensé… mais aussi grâce aux capacités d'animation des gauchistes inénarrables de Lundi Matin : le moment où l'un des deux présentateurs explique benoîtement à ces 6 paysannes et paysans engagés que les magasins bio, "c'est ceux où on vole" vaut son pesant de cacahuètes. Je le dis avec une ironie tout sympathique car, au moins, le débat est ainsi amené, bien vite et sans fard, sur le vrai sujet : celui du prix et des revenus.
Un épisode idéal pour se laver des discours aussi bien naïfs que rageurs du moment, et entretenir cette envie de tout plaquer pour aller planter des choux, mais uniquement à la mode de chez nous.
Soldat

J'adore les bêtises. Les bonnes, vraies bêtises. Les trucs idiots, quoi, qui ne font sens à aucun niveau, ni politique, ni idéologique, ni populaire, ni solidaire. Mais que l'on décide malgré tout, parce que l'économie a dit.
Par exemple, à la base, tout le monde aimait bien le plan Saut de la Jeunesse mis en place par le Président sud-coréen Yoon Suk Yeol (oui, le mari de Kim Keon-hee, dont je vous parlais ), conformément à son programme électoral. Moi aussi j'aime bien, d'ailleurs : il s'agit d'aider la jeune classe moyenne à se constituer des économies. Le principe est simple (je vais le résumer en arrondissant assez largement les conversions monétaires) : tant que vous gagnez moins de 52 000 euros par an (sachant que le salaire moyen est à 32 000) et que vous avez entre 19 et 34 ans, le gouvernement vous aidera à constituer un livret d'épargne d'un montant de 35 000 euros. Sympa, non ? Le deal est le suivant : vous placez 485 euros chaque mois pendant 5 ans et à la fin, le gouvernement vous file le reste —en gros 1 200 euros par an gratuits, pour se fabriquer des économies. Certes, ce n'est pas destiné aux plus pauvres (en même temps ça tombe bien, ça n'est pas l'électorat du parti qui a imaginé le dispositif). Mais filer des sous à la jeunesse, pour l'aider à économiser (sachant qu'être jeune ces derniers temps, c'est déjà un petit peu galérer), on ne va quand même pas se plaindre, si ?
Eh bien, si. Parce que pour adhérer au dispositif, il faut avoir touché des revenus imposables l'année précédente. L'idée est que si vous n'avez pas payé de taxes, pourquoi toucheriez-vous de l'argent généré par les taxes ? Parce que c'est le principe des taxes ? Ah ah, laissez-moi rire, pas en 2024 enfin. De toute façon, ce n'est pas du tout pour cette exception, et cette vision un peu étriquée du principe de solidarité, que le programme Saut de la Jeunesse du gouvernement est critiqué. C'est parce que parmi les revenus non imposables, on compte… la solde des militaires dans un pays où le service est obligatoire pour tous les jeunes hommes et dure un an et demi (voire plus).
Exclure du dispositif pendant une année, de fait, ceux qui ont été appelés sous les drapeaux et retrouvent la vie civile c'est, reconnaissons-le, un peu vache.
Le gouvernement se casse la tête pour résoudre la situation sans provoquer de rupture d'égalité (ou, surtout, sans aider non plus trop de monde). Par exemple, écrit le Korea Times en se grattant visiblement la tête, la solde étant considérée comme une compensation de l'État, et non pas comme un salaire, l'intégrer dans un autre système de subventions ne reviendrait-il pas, à l'inverse, à sur-avantager les appelés en les faisant bénéficier deux fois de la solidarité nationale ? Et quid des autres revenus non-imposables, comme les allocations versées aux travailleurs intérimaires, "directement en liquide", note un professeur d'économie interrogé par le média (sans doute pour s'assurer que ces gredins emploient bien leurs revenus à manger et pas à regarder des films, on les connaît les pauvres) ?
En pleine campagne électorale, le programme va-t-il être aménagé pour résoudre cette injustice ? Comme l'a expliqué un haut fonctionnaire au journal de Séoul : "Nous prenons en compte différents facteurs avant de prendre une décision".
Ce sera un jour la devise de ma petite république autonome post-apocalyptique : "PostAp Land. Nous prenons en compte différents facteurs avant de prendre une décision".
Étudiant
Cela dit, en Corée du Sud comme ailleurs, il y a pire qu'être un jeune conscrit de la classe moyenne : il y a être un jeune étudiant de la classe moyenne… immigré. En Angleterre notamment. Un pays qui tous les jours peut se féliciter de franchir un nouveau record en termes d'injustice, de misère, ou des deux.

Après les 800 postiers accusés à tort de vol par leur propre gouvernement (et parfois emprisonnés), après le système de retraite de l'enseignement qui oblige les veufs et veuves à déclarer chaque année, par formulaire, s'ils ou elles sont toujours célibataires (c'est un peu humiliant), voici les étudiants étrangers faussement accusés de triche à l'examen qui doit régulièrement leur permettre de prolonger leur séjour.
Bon. D'abord, une parenthèse qui n'a rien à voir, mais je ne peux pas m'empêcher de le signaler : la journaliste qui signe cet article s'appelle Amelia Gentleman. Deux questions : 1. peut-on faire plus chic ? 2. Est-ce qu'on ne croirait pas un personnage de Roald Dahl ? Cette dernière hypothèse est assez probable en réalité, tant le récit qu'elle nous livre de ce nouveau scandale a tout du cynisme et de la misanthropie de l'auteur de La Grande Entourloupe.
Ce récit, ce scandale, s'ouvre sur l'histoire de Sajjad Sohag, un étudiant trentenaire d'origine bangladaise réveillé à 06H30 du matin un jour d'octobre 2014, par des officiers de police enfonçant sa porte à coups de bélier.
Ils sont là pour l'arrêter car il est accusé d'avoir "triché à un examen d'anglais". Il ne voit pas de quoi ils parlent, mais il est contraint de s'habiller presto, est escorté jusqu'à un van de la Police des Frontières, embarqué sous les yeux des voisins, et part pour 70 jours d'enfermement en centre de rétention avant de se retrouver dans un tourbillon juridique et financier qui durera des années.
Tout remonte à un reportage de la BBC, réalisé en caméra cachée, révélant que des examinateurs aidaient certaines étudiants lors des tests de langue anglaise qu'ils doivent passer pour renouveler leurs visas. Oui je sais : quelle horreur, hein.
Bref. Le jeune homme rencontré par le Guardian n'avait pas passé son examen dans l'un des deux centres visés par le reportage… mais le ministère de l'Intérieur a un peu surréagi. En fait, extrapolant à partir des faits révélés par l'enquête journalistique, il a conclu que, comme ce que l'on voyait à l'écran, 58 % des personnes ayant passé un test de langue entre 2011 et 2014 avaient triché. D'où les malheurs de Sohag. Et les conséquences dramatiques, en chaîne, subies par des centaines de milliers de jeunes gens, sans le moindre début de preuve… Ou d'enquête.
Amelia Gentleman poursuit (on n'écrit jamais assez "Amelia Gentleman", dans la vie) :
"Sohag, 40 ans aujourd'hui, n'est que l'un des 35 000 étudiants étrangers accusés de triche par le ministère […] et victimes des allégations qui ont généré une vague de raids matinaux sur les appartements étudiants de tout le pays.
Environ 2 500 ont été renvoyés dans leur pays d'origine. 7 500 de plus sont partis de leur plein gré après avoir été menacés d'arrestation, de détention et de déportation. Des milliers d'entre eux ont passé des années à tenter de prouver leur innocence.
Sohag, l'un des 7 enfants d'une famille plutôt aisée du Bangladesh, est le seul parmi ses frères et sœurs à être partis étudier à l'étranger. Il était titulaire d'un diplôme d'ingénierie informatique, sur la foi duquel sa mère et ses frères plus âgés ont accepté de payer les frais de son voyage à Londres, pour qu'il y passe un doctorat en management d'entreprise. […]
Une fois libre, il avait perdu son autorisation de travail. Il a dû emprunter plus de 50 000 Livres à sa famille (presque 60 000 euros au cours actuel) pour payer ses frais de justice, son loyer et son alimentation sur cette période. Aujourd'hui directeur d'une entreprise informatique, il économise encore sur son salaire pour rembourser cette avance.
En 2019, [après 5 ans de combat judiciaire], il a suffit de 20 minutes au juge d'appel pour déterminer qu'il était innocent".
Aujourd'hui, il cherche réparation, soutenu par un cabinet d'avocats avec 22 autres victimes. "Mais il ne voit pas quel montant financier pourrait compenser les dommages causés sur sa vie", conclut Gentleman : "il n'a pu rendre visite à sa mère qu'une fois en 13 ans, en raison des difficultés de voyage et séjour engendrées par cette affaire, et elle est décédée l'an dernier".
Le ministère de l'Intérieur britannique tient cependant à faire savoir qu'il a retiré à ETS son autorisation d'exercer sur son sol. Car bien entendu, les examens de langue —ceux dont dont les méthodes de triche avaient été dénoncées par la BBC— était opérés par une société privée, Educational Testing Service, basée aux États-Unis. Le Home Office ajoute, dans un communiqué : "étant donné l'ampleur de la fraude, il est impossible d'affirmer que personne n'ait été accusé à tort, et nous reconnaissons que certains appels ont été victorieux. Mais nous persistons à croire qu'il y a un vaste problème de triche".
Ça fait toujours plaisir de constater que “persister à croire” et la double-négation sont des pratiques en vigueur dans la police de ce continent.
Mode

Un pour tous : tous pour Déby
"Si à 50 ans t'as pas soutenu Déby, t'as raté ta vie" a sûrement un jour affirmé à la télévision tchadienne un cuistre quelconque.
Un proverbe amené à durer, comme l'héritage familial. Après 30 ans à la tête du pays (de 1996 jusqu'à sa réélection, avec 79,32 % des voix, en février 2021), le président tchadien Idriss Déby s'est éteint en avril 2021 à l'âge de 68 ans, tué par balle alors qu'il s'était rendu sur le front de la guerre civile qui oppose la junte au FACT, le Front pour l'Alternance et la Concorde au Tchad.
Comme j'avais déjà pu , son fiston, Mahamat Idriss Déby, général d'armée de 39 ans après une carrière militaire fulgurante (certes un peu aidée par son beau départ dans l'organigramme, après que son papa l'eut nommé, pour son premier poste, commandant adjoint de sa garde prétorienne), avait dès le décès de son père été nommé Président d'un conseil militaire de transition. Il s'était alors engagé à organiser des élections dans les 18 mois.
Trois ans plus tard, les contours de celle-ci semblent se préciser. Déjà, cette semaine, le Conseil National de Transition en a adopté le code électoral (qu'il a lui-même rédigé). Mais il y a plus encourageant encore pour l'aspirant dictateur : ce ne sont pas moins de 115 organisations politiques qui appellent à sa candidature (à l'initiative du parti fondé par feu son père, le Mouvement Patriotique du Salut).
Pudique, le brillant stratège et soleil de l'Afrique (je m'habitue) n'a cependant pas encore fait connaître sa réponse à cette touchante demande. Car officiellement, Déby Junior n'est toujours pas candidat. Il médite, certainement dans l'intérêt du pays, s'il convient ou non de succéder à son brillant papa.
Il serait bon qu'il ne tarde plus trop : le premier tour est prévu le 6 mai, et, comme le note PressAfrik : "certains proches alliés, comme le leader de l'Alliance 43 Yoboïde Malloum Djeraki, refusent de s'engager tant que Mahamat Idriss Déby n'a pas fait acte de candidature et n'a pas rendu public son projet de société".
Parce qu'en plus, maintenant, pour se présenter, il faut avoir un "projet de société".
"Fils de", un métier épuisant.
Beauté

Jupiter, une planète magazine
C'est toujours agréable d'annoncer la naissance d'un petit : dites bonjour à Jupiter, un nouveau magazine littéraire tout juste lancé à Chicago par deux artistes afro-américaines : Camille Bacon et Daria Harper.
Le Chicago Tribune est allé s'en jeter un derrière la cravate, et interviewer les deux créatrices, lors de la soirée de lancement qui avait lieu à Bronzeville, quartier historique de la culture noire et ouvrière.
Ce qui distingue Jupiter Mag de bien d'autres magazines et revues culturelles, c'est que ses créatrices (financées par des mécènes pour l'instant anonymes) ont l'intention d'en faire une marque, un "écosystème" d'abord destiné à aider les artistes du pays. Comme l'expliquent ses créatrices au journal local, "notre ambition est de développer, à partir de Jupiter, une institution, qui puisse accueillir écrivains, penseurs et artistes. Nous voulons une bibliothèque Jupiter, une librairie Jupiter, des ateliers Jupiter, la totale […] Les auteurs et autrices n'ont pas besoin que de pages pour diffuser leur travail. Ils et elles ont besoin de lieux pour penser ensemble, pour réunir des ressources. Il nous faut un prix annuel, qui apporte de la reconnaissance. Nous regardons à gauche, nous regardons à droite, nous aspirons à former une communauté avec d'autres publications… et au-delà".
Mais restons calmes : Jupiter est pour l'instant surtout une publication en ligne, qui vise à éditer une version papier une fois par an. Vous pouvez découvrir sa mise en page élégante, ses essais poétiques et son manifeste sur Jupiter-Mag.com.
Cela dit, c'est toujours une occasion de faire de beaux rêves : ça ne se refuse pas !
Bizarre

Comment être sûr de perdre de l’argent
Pour finir, apprenons à perdre de l'argent en s'amusant, grâce au journaliste financier Andrew Feinberg, qui a décidé de se payer sérieusement la tête de CNBC (la chaîne de télévisée américaine entièrement consacrée aux conseils d'investissement et à la vie des affaires).
L'article est écrit avec une certaine jubilation, clairement suscitée par le plaisir de dézinguer une icône de la culture "business" de l'Amérique. Mais aussi parce que sa thèse est relativement simple et, en effet, une fois qu'on l'a comprise, jouissive : investir demande de prendre des décisions rationnelles, sereines et informées. Mais pour générer de l'audimat, une chaîne de télé a besoin de cultiver peur, angoisse et simplifications.
Autrement dit, "CNBC rend son public nerveux. D'une manière bien précise. Vous devenez nerveux à l'idée que vous allez perdre de l'argent au prochain retournement du marché. Ou incertain que vous soyez dans le bon secteur. Tout à coup, un "expert" va arriver sur le plateau et vous dire : "Vous avez tout faux, ce qu'il faut maintenant, c'est quitter la Tech pour foncer dans l'industrie, la gestion de patrimoine et la santé". Sous l'apparence du sérieux et de la rationalité, la chaîne crée un sentiment d'urgence. Son ton n'est pas celui d'une publicité mais, souvent, le message est similaire : agissez maintenant.
Le problème, c'est que l'hypervigilance est certainement la pire caractéristique à avoir si l'on veut pratiquer la finance. "Restez posés sur vos fesses", aimait à dire feu Charlie Munger, quand il conseillait les investisseurs. Son idée était d'insister sur le fait qu'en la matière, "Moins, c'est Plus". Et "toutes les données montrent que, si vous investissez en solo, plus vous en ferez, plus vous perdrez", rappelle Jay Ritter, professeur à l'université Warrington en Floride. "Acheter puis vendre en fonction de ce que vous dit CNBC, ça ne peut pas être une stratégie à succès."
La recherche démontre aussi qu'espérer s'enrichir en sautant adroitement de secteur en secteur, c'est un attrape-nigaud. C'est pourquoi l'étrange cœur de métier de CNBC consiste à encourager ses spectateurs et spectatrices à faire des choses —anticiper le marché, les segments porteurs— qui ne peuvent pas être faites."
Je savais que regarder la télé était l'un des meilleurs moyens de se gâcher la vie. J'ignorais qu'en plus on pût se la ruiner. La Bourse a ses raisons que, décidément, la raison ignore.
Mais aussi, mais encore

En bref : les news auxquelles vous avez échappé
Pendant ce temps-là, ici, ailleurs et à côté…
Pourquoi une "fougère zombie" récemment découverte au Panama interroge notre rapport à la mort (Philo Mag) — Les autorités algériennes dépensent sans compter pour un ramadan au calme (Jeune Afrique) — L'ONU tente de mobiliser une coalition de défense des droits des femmes en Afghanistan (Radio Free Europe) — Le Cambodge réintroduit des tigres sauvages dans la nature (Goodplanet) — Récoltes amères, le livre qui retrace la dernière année de vie de Billie Holliday, célèbre ses douleurs comme ses triomphes (LitHub) — Au Laos, la pollution de l'air atteint des niveaux inquiétants (The Laotian Times) — La vidéo ne trompe pas : l'opossum à queue en brosse, une espèce australienne que l'on croyait disparue, est de retour sur ses terres natales (ABC) — La pollution de l'air générée par les seuls feux de forêt fera perdre des milliards à l'économie américaine d'ici 2050 (Quartz) — Avec son nouvel album Éther, il n'est plus possible de se cacher la vérité : Étienne Chaize est un magicien (Bodoï).
Prochaine Édition du Week-end : samedi 9 mars.
Gardons les pieds sur Terre pendant que ça tourne.
Un grand merci à Marjorie Risacher pour sa relecture attentive, et ses coquillicides impitoyables.





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