L'Édition du week-end #56
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Chère lectrice, cher lecteur,
permettez-moi de vous souhaiter un très bon week-end en compagnie, cette semaine, d’un rappeur à la main verte, de Serbes salopards, d’un enfant prodige, de métalleux en tournée, d’une Première Dame imprudente, d’oligarques esthètes, d’un cachalot espion et de piscines qu’on arrêtera peut-être à temps.
Très bonne lecture,
la conscience artificielle de votre téléscripteur favori.
La baignade de la semaine

Stop au chlore dans l’eau des crocos
En 1973, le Népal a créé son premier parc national : plus de 900 kilomètres carrés de végétation dense. Un sanctuaire pour les espèces menacées que sont le tigre du Bengale, le rhinocéros unicorne et le gavial du Gange, un crocodile reconnaissable à son museau allongé, presque en forme d'épée. Classé en 1984 au Patrimoine Mondial de l'UNESCO, le Chitwan s'étend aux pieds de la chaîne himalayenne. Il a accueilli l'an dernier près de 200 000 touristes, dont 81 % de Népalais.
Un chiffre qui a connu ces derniers temps une augmentation vertigineuse : selon les données citées par MongaBay, ces mêmes touristes n'étaient que 61 000 au total sur la saison 2017-2018 (dont seulement 54 % de Népalais). Un résultat encourageant pour l'économie de la région bien entendu, pour la prospérité du parc aussi. Et presque sans risque pour sa préservation : le principe d'un parc national, c'est qu'il ne se visite pas sans suivre des directives scrupuleuses, pensées pour le bien de sa vie sauvage et sa pérennité écologique.
À un détail près, qui inquiète le magazine spécialisé sur l'environnement : les piscines.
Parce que plus de touristes, ça fait plus d'hôtels, mais aussi plus de concurrence entre les hôtels. Et comme le résume un visiteur : "si je peux loger dans un endroit avec une piscine sans payer plus, pourquoi pas ?". Une logique imparable. Un bon sens tel qu'on a envie de lui proposer un boulot de ministre, à cet homme-là, dès qu'il aura terminé sa prochaine longueur de brasse.
Au moins 15 des structures d'hébergement sur les 140 de la région proposent désormais leur bassin, qu'elles désinfectent au chlore comme le veulent autant l'usage que la santé des clients et clientes. Hélas, malgré les efforts des hébergeurs, qui recyclent l'eau utilisée, en partie pour des raisons économiques, plutôt que de la rejeter régulièrement dans la nature, ce chiffre devient suffisamment important pour réveiller les inquiétudes des écolos de la région. Car le chlore est ravageur pour les insectes et les petits animaux —c'est un peu son boulot et il le fait bien. Ces proies constituant le repas principal des animaux de plus grande taille, y compris des espèces protégées du Chitwan, il faut agir dès maintenant si l'on veut éviter de commencer à ravager ce lieu paradisiaque et décimer ses quadrupèdes les plus emblématiques.
"On ne vide la piscine dans le fleuve voisin qu'une fois tous les deux ou trois ans, donc on ne peut pas polluer", explique Ganga Giri, président de l'association des hôteliers du Chitwan. "D'un point de vue individuel, il a raison. Les pratiques en elles-mêmes ne présentent pas de danger environnemental, à cette échelle" concède le directeur du programme "Eau douce" à WWF Népal, avant d'ajouter : "Mais si l'on regarde le nombre total de bassins, qui augmente chaque année, à la fois en quantité absolue et en rythme de croissance, ça commence à poser problème". "Le fleuve Rapti [auprès duquel se construisent la majorité des installations], c'est l'épine dorsale du Chitwan", abonde un ancien officier de l'Agence des Parcs Nationaux et de la Préservation de la Vie Sauvage, devenu biologiste indépendant. "Si la situation tourne mal pour les crocodiles, alors les tigres et les rhinocéros seront les prochains sur la liste". Interrogé par MongaBay, le responsable "Environnement" du Parc avoue benoîtement : "On n'a pas du tout prêté attention à ce problème jusqu'à maintenant. Mais merci pour la question, on va regarder ça de près".
Un problème pris en amont, des autorités alertées, un véritable enjeu écologique et donc, pour un parc national en pleine croissance, économique : on peut espérer pour une fois que quelqu'un, quelque part, soit en train d'agir pour le bien commun. C'est le point de vue, d'ailleurs, du très pragmatique directeur de la chaîne hôtelière Tiger Mountains, dont la tête fourmille d'idées et de solutions à en croire le mail qu'il a envoyé au journaliste en charge de l'enquête :
"Ne construisez pas de piscine, et expliquez pourquoi avec enthousiasme. Si vous acquérez un hôtel qui a déjà une piscine, désinfectez-la sans chlore, avec du sel par exemple, et imaginez des expériences plus riches, plus immersives -désolé pour le jeu de mots. Par exemple, faites un étang sauvage, avec des cobras et des pythons en liberté".
Et il a bien raison. Il faut souffler l'idée aux hôtels Ibis. Je leur conseillerais même de se passer de bassin, pour se contenter des pythons et cobras en liberté. Ce serait de toute façon un spectacle plus inoffensif que le petit-déjeuner avec le téléviseur branché sur BFM, et sa ménagerie carnassière et rampante.
Votre horoscope tribal

Le signe de la semaine : Stoner
Berner (Gilbert Milam de son vrai nom) est, à 40 ans, l'un des rappeurs les plus riches du monde, bien que personne ou presque n'ait jamais entendu parler de lui, nous dit le New York Times.
Par quel miracle ? Alors qu'il tentait de percer dans la scène hip hop de San Francisco, il gagnait de l'argent en vendant du cannabis à ses collègues et à leur entourage. Mais il est surtout l'un des plus grand succès d'entreprise apportés par la légalisation progressive de la marijuana aux États-Unis.
Son coup de génie, nous explique le quotidien américain, est d'avoir créé une marque parfaitement identifiable —Cookies— qui parvient à marier, dans ses boutiques, par ses logos et son design, l'esthétique néo-pop à la réputation sulfureuse du marché noir et du gangsta rap. Cookies possède déjà 64 établissements dans le pays, et opère aussi en Israël, en Thaïlande et au Canada. Le reporter Ezra Marcus nous raconte ce que c'est que de "shoper" chez Cookies :
"Je passe devant une grande table circulaire, couverte de dizaines de pots en verre, chacun contenant une différente espèce de cannabis. Il y a les marques de référence, comme la Gary Payton, fruit d'une collaboration avec le joueur légendaire de la NBA, mais aussi des nouveautés, telle le "Flan Mexicain", ou le "Sale Muffin" [le mot employé, "muffler", est de l'argot pour désigner la pâtisserie, mais aussi un silencieux de pistolet, note de PostAp].
Puis je fais la connaissance de Nikola Pavlovic, un vendeur de génie, portant un haut-de-forme couleur flamand rose sur ses longs cheveux, une chemise recouverte de fleurs psychédéliques et des espadrilles. Cet aspirant comique de 31 ans a commencé à fumer pour chasser son anxiété [une très mauvaise idée selon mon expérience, note de PostAp]. Puis il a plongé dans l'aventure sans fin de ce qu'il appelle l'expérience du "cannasseur" —jeu de mots entre "cannabis" et "connaisseur"—, à lire des pages et des pages de forums internet consacrés aux hybrides génétiques et aux niveaux de THC. Cette expertise l'a mené tout droit vers Cookies, où son travail consiste à trouver, pour chaque client, l'espèce qui conviendra à son mode de vie.
Je lui demande de conseiller quelque chose pour, par exemple, un journaliste indépendant qui pourrait avoir envie de pimenter un peu ses longues après-midis ennuyeuses passées devant un écran seul à la maison. Il préconise un mélange appelé "Le gaz hilarant" : "C'est comme louer une Ferrari à Miami, et filer tout droit sur l'autoroute, sans rien avoir à faire d'autre que garder le pied, tout doux, sur l'accélérateur".
Un vendeur de génie, en effet. Qui contribue, avec son look "Beatles post-"J'ai passé une après-midi avec Dylan"", aux 150 millions de dollars que pèserait aujourd'hui Cookies, selon Forbes.
Mais la vie de patron n'est pas de tout repos. Quoique les soucis de Berner, ce ne sont pas tellement les cotisations sociales ou les Prud'hommes :
"Ce qui rend sa marque si attirante, c'est son récit. L'histoire d'un petit trafiquant devenu nabab. Mais la tension entre l'image de la rue et celle de l'industrie naissante du cannabis —celui-ci essayant de se distinguer de celle-là— apporte son propre lot de problèmes épineux, autant pour cette entreprise que pour le secteur dans son ensemble. Les régulateurs restent sourcilleux. Les rivaux, les investisseurs et les partenaires financiers préfèrent recourir au procès plutôt qu'à la discussion pour résoudre leurs conflits. Milam pourrait donc bientôt se retrouver à la tête d'une industrie en pleine croissance —ou en train de s'effondrer sous son propre poids."
L'une des difficultés majeures de ce business particulier, c'est que si le cannabis récréatif a été autorisé dans nombre d'États, il demeure illégal au niveau fédéral. Cela conduit la plupart des banques à refuser ses services au secteur. Par conséquent, les boutiques sont pleines à ras-bord d'argent liquide, ce qui les rend extrêmement vulnérables à la criminalité en tout genre.
"[Berner] reste très attentif à la sécurité, et m'a fait comprendre que le "Compound', sa boutique étendard, était bien protégée : "S'il prenait l'envie à un type de donner un coup de pied dans la porte pour faire son marché, je peux vous garantir qu'on a un plan de secours et que vous entendez les flingues gueuler sacrément fort" (un représentant officiel de la marque a cependant tenu à préciser que ces propos "ne sont en rien représentatifs de notre position sur les questions de sécurité ou de protection personnelle")".
Ce à quoi Berner a probablement répondu "Oh, détends-toi et fume un coup", le conduisant à s'arracher un peu plus des cheveux qui, je le gage volontiers, disparaissent à vue d'œil sur les têtes dans les services communication, marketing, sécurité, compta, RH, juridique et administratif de la boîte.
Juge
Les magistrats serbes n'aiment pas trop s'agiter quand il s'agit de juger des compatriotes pour génocide. C'est le Balkan Insight qui nous l'apprend, même si on s'en doutait un peu, en relatant le dernier rebondissement dans le procès de trois hommes et une femme qui doivent prochainement comparaître devant la Haute Cour de Justice de Belgrade pour crimes de guerre.

L'affaire relayée aujourd'hui par la publication d'Europe Centrale est un exemple de scandale judiciaire, qui n'effraiera pas seulement les âmes sensibles, mais aussi les humains simplement dotés d'un soupçon de sens moral. Si c'est votre cas, vous pouvez passer votre tour.
En 1993, Gojko Lukic, Dusko Vasiljevic, Jovan Lipovac et Dragana Djekic ont capturé 20 Bosniaques dans une station de train de Bosnie-Herzégovine, à Strpci, les ont emmenés dans une école voisine abandonnée pour les passer à tabac, puis dans une maison en ruines du village de Musici, où ils les ont exécutés sans autre forme de procès. Les méthodes habituelles d'une guerre ethnique dont l'aspect génocidaire ne fait plus de doute, ni pour la justice internationale, ni pour les historiens. Les accusés n'ont été formellement inculpés qu'en 2018… Et ce n'est qu'en février 2023, quasiment 30 ans après les faits, qu'ils ont finalement été condamnés à 35 ans de prison par la Haute Cour de Belgrade.
Jusqu'au coup de théâtre d'octobre dernier, quand le tribunal a cassé son propre verdict. Celui-ci aurait été "prononcé en violation flagrante du code de procédure criminelle, car la cour ne s'est pas prononcée en première instance sur certains éléments présentés par la Défense, relatives à l'interrogatoire de Milan Lukic [et] de deux autres témoins."
Milan Lukic, c'était le frère de l'un des accusés, également commandant d'une unité paramilitaire serbe appelée, sans grande imagination, "Les Vengeurs" —groupe auquel appartenait trois des inculpés (le quatrième étant soldat dans l'armée régulière). Il réside désormais en Estonie. En taule. Il a été condamné à la prison à vie par le “Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie”, en raison de ses agissements durant le conflit, à savoir le massacre de civils par dizaines —mais pas ceux de Strpci. Certains témoins disent l'avoir reconnu, mais les éléments n'ont pas été jugés suffisants pour lui attribuer ce meurtre de masse là. Il a malgré tout suffisamment de sang sur les mains pour être assuré de finir ses jours sans connaître à nouveau la liberté : la Cour de Justice de La Haye a rejeté en 2020 sans ménagement une demande de remise de peine formulée par son avocat.
Je vous passe les détails (disponibles ici) mais, en substance, il affirmait n'avoir tué "que" 26 personnes, et non 53, ce qui le disculperait de l'accusation d'"extermination". Ce à quoi la Cour a fait remarquer que les 26 victimes n'étaient que celles dont on avait pu identifier le nom et prénom, non le nombre de personnes total qu'il avait exécutées.
Bref, un témoin certainement de bonne foi.
En tout état de cause, les 4 de Strpci doivent désormais de nouveau comparaître. Le second procès devait démarrer cette semaine… mais il a été aussitôt repoussé au mois d'avril par la Haute Cour de Belgrade, l'un des accusés étant, selon son avocat, trop malade pour être présenté devant les juges.
"La Serbie est régulièrement critiquée pour la lenteur de ses poursuites des crimes de guerre", note le Balkan Insight. "Le dernier rapport de la Commission Européenne consacré à son avancement vers l'intégration dans l'UE relevait ainsi que ce rythme s'était "considérablement dégradé ces dernières années".
Les dernières Législatives ayant été remportées par le parti nationaliste (sur fond de bourrages d'urnes et d'achats de voix), il semble pourtant que le devoir de mémoire dans la région soit à pratiquer d'urgence.
Prodige

Le nouvel opéra d'Alma Deutscher n'a pas, pour l'instant, de date prévue en France. Mais La Nouvelle valse de l'Empereur, créé en mars 2023 au légendaire Théâtre d'État de Salzbourg (qui a d'ailleurs commandé cette pièce à la jeune créatrice) pourra être admirée en février prochain à Londres… Pour certains chanceux seulement, car la soirée organisé au Forum Culturel d'Autriche affiche déjà complet.
Pourquoi l'Autriche fait-elle les yeux doux à cette pianiste, violoniste, cheffe d'orchestre et compositrice britannique née dans la petite ville de Basingstoke, Hampshire ? Car ses prouesses ne peuvent que rappeler celles d'un autre enfant prodige, un vrai Mozart —pardon, il fallait bien sûr lire "le vrai Mozart". La Nouvelle Valse de l'Empereur est le troisième opéra d'Alma Deutscher… qui n'a pas encore 19 ans.
Certes, en la découvrant jouer au piano sa Sonate en mi-bémol j'ai d'abord —sans aucune jalousie ni mauvaise foi, c'est important de le préciser— trouvé son toucher un peu lourd… Et puis je me suis rappelé qu'elle n'avait alors que six ans, puis que la vidéo faisait six minutes et qu'elle jouait sans partition. De mémoire donc ? Oui et non. C'est juste qu'elle avait elle-même écrit le morceau.
Son premier opéra, tiré de l'histoire de Cendrillon et composé à l'âge de 10 ans, a divisé la critique : alors, Mozart ou pas Mozart ? Banale, sinon dans sa jeunesse, au moins dans son style ? Ou novatrice à sa manière, dans le style particulier de la musique classique contemporaine, vivante ? Dans ce genre à part qu'est la symphonie néo-romantique du début du XXI° siècle, pratiquée par une adolescente dont le passe-temps favori est d'improviser à partir de notes tirées au hasard dans un chapeau, comme elle le fit, à 12 ans, sous les yeux médusés du présentateur de l'émission 60 Minutes ?
Open Culture a bien gentiment regroupé les vidéos les plus étonnantes de ses prestations. Ainsi serez-vous libre de vous faire votre propre opinion. J'ai personnellement un faible pour "Les Sirènes de Vienne" —qui illustre donc cette notule. Comme l'explique l'artiste en préambule, c'est un morceau issu d'une rêverie, alors que, à l'arrière d'une voiture, elle découvrait pour la première fois la ville de Vienne et le son "particulier" de ses sirènes (pas celui des créatures mythiques, mais des voitures de police en action). Toutefois, elle a aussi l'air tellement épanoui, en conduisant, à 10 ans, l'orchestre qui interprète son Cendrillon, que le choix reste malgré tout difficile. Il vous appartient désormais.
Métalleux
Changement d'ambiance avec Body Count (littéralement "Décompte du nombre de corps"), le groupe de hard rock / rap metal / hardcore punk co-fondé par le rappeur Ice-T et le guitariste Ernie C., lequel se fit d'abord connaître en jouant aussi bien pour Rage Against the Machine que pour Black Sabbath.

Body Count s'est lancé en 1992 avec le hit "Cop Killer" ("Tueur de flics"), un succès controversé. Depuis, leurs albums dessinent comme un vague tendance sémantique. Dans l'ordre, ça donne : Born Dead, Violent Demise : The Last Days, Murder 4 Hire, Manslaughter, Bloodlust et, en 2020, Carnivore.
Leur prochain album est annoncé pour cette année. Il s'intitulera Merciless ("Sans Pitié"), ce qui semble indiquer l'album de la maturité. Leurs millions de fans européens pourront prochainement en découvrir le contenu grâce à la tournée sur notre continent tout juste annoncée —elle aussi baptisée "Merciless" et sous-titrée "The Will be Bloood !". Les Californiens énervés écumeront l'Europe Centrale, puis l'Allemagne, la Suisse, la Scandinavie, l'Angleterre, mais aussi la France pour une date unique décrochée par le HellFest.
Une tournée qui m'a déjà permis de découvrir qu'on peut tout à fait apprécier à la fois l'enthousiasme innocent d'Alma Deutscher (malgré son toucher un peu lourd), et les basses bien grasses de “Merciless”, le prochain tube de Body Count. Un futur hit encore secret mais disponible en vidéo ci-dessus, grâce à un amateur qui a pu filmer leur prestation au fort bien nommé Sick New World Festival, qui a lieu comme de juste à Las Vegas.
C'est, je vous préviens, le son du temps. Il est donc en effet sans pitié.
Mode

Un problème de Dior
En Corée du Sud, on renouvellera le Parlement dans trois mois. Et pourtant, ce qui domine dans les débats, nous dit la chaîne publique américaine NPR, ce ne sont ni les propositions, ni les programmes : c'est le sac à main de Kim Keon Hee, l'épouse du Président (conservateur) Yoon Suk Yeol.
C'est un beau sac à main, c'est un Dior ("Et Tristan Bior, on dira ce qu'on veut, c'est toujours Tristan Bior", comme le rappelait récemment la Castafiore à l'un de nos jeunes reporters). "Le mécontentement croissant de l'opinion publique relatif à ce dernier scandale et à d'autres méfaits attribués à la Première Dame met en évidence le dilemme du Président, à l'aube d'élections cruciales pour lui", explique NPR. "S'il gère mal la situation, il pourrait rater sa chance de retrouver une majorité à l'Assemblée, et donc amoindrir l'influence qu'il a sur son parti, sans parler de son gouvernement".
Ce sac Dior, d'une valeur de 2 250 dollars lui a été offert par un pasteur en septembre 2022, quelques mois après l'élection de son époux. Pasteur qui a eu la bonne idée —peut-être pas très fair-play— de filmer le moment, grâce à une caméra dissimulée dans sa montre (c'est ça, la Corée), pour ensuite donner la vidéo à Voice of Seoul, une publication de gauche… qui lui avait elle-même fourni le cadeau, et l'enregistreur.
Pour le pasteur Choi, il s'agissait d'une question "d'intérêt public". NPR explique :
"Choi, qui est aussi un militant en faveur de la réunification des deux Corée, a expliqué au journal qu'il a d'abord approché Kim via une application de messages privés pour lui donner "des conseils" sur la politique à suivre envers la Corée du Nord. Tous deux ont rapidement sympathisé, étant originaires de la même ville et ayant, selon lui, de la famille en commun.
Dans une conférence de presse tenue ce mois de janvier; il s'est dit "consterné" par ce qu'il estime être un abus de pouvoir, qu'elle aurait commis lors de leur première rencontre en tête-à-tête en juin 2022. Il affirme l'avoir entendue s'immiscer dans un rendez-vous avec un haut fonctionnaire, durant un coup de téléphone passé pendant qu'il était là. Il a aussi reproché à Kim d'avoir accepté le cadeau qu'il avait apporté, un parfum Chanel et un coffret de cosmétiques, pour une valeur de 1 340 dollars au total.
[Or] la loi interdit aux conjoints de représentants de l'État d'accepter des dons d'une valeur de plus de 750 dollars en une occasion, si celle-ci se trouve être liée au service public exercé par le fonctionnaire […] selon la loi, le Président aurait dû rendre le présent, et signaler le fait à la police ou à l'agence anti-corruption".
Par conséquent, le président de Voice of Seoul a choisi d'attaquer lui-même en justice le couple présidentiel, et une association a fait la demande officielle pour le lancement d'une enquête pour corruption.
Il est tellement tentant de plaisanter sur le peu de cas que ferait notre pays d'une telle affaire que je m'en abstiendrai. Mais il faut aussi relever que ce n'est pas la seule casserole que traîne la tête de l'État sud-coréen. Là aussi, NPR nous résume la collection sans un mot de trop :
"Accusée d'avoir truqué son CV durant la campagne présidentielle, Kim a été contrainte de présenter des excuses publiques. Elle est aussi soupçonnée de plagiat académique. Elle et sa mère sont supposées s'être livrées à de la manipulation de cours boursiers. Le Président a récemment émis son veto à une demande d'enquête spéciale sur cette affaire. L'an dernier, le Parti Démocrate, le principal parti d'opposition, a accusé le gouvernement d'avoir modifié un projet de voie express afin de bénéficier à sa belle-famille. Jusqu'à présent, le cabinet présidentiel s'est soit tu, soit a nié la majorité de ces allégations."
Évidemment, sur fond de sondages inquiétants (56 % des Sud-Coréens estiment qu'elle doit rendre le sac (alors que, rappelons-le, Tristan Bior, c'est toujours Tristan Bior), et 70 % que le Président devrait s'exprimer), celui-ci n'a toujours pas pipé mot sur le sujet (et Kim Keon Hee n'a plus fait d'apparitions publiques depuis décembre, sans doute trop occupée à rire de se voir si belle en ce miroir).
Beauté

Conseils d’achat pour oligarque cupide
Il est des gens pour qui l'art porte le sens de la vie, pour qui c'est ce que l'être humain peut accomplir de plus digne et de plus puissant. Il en est d'autres pour qui il représente avant tout un sacré paquet de biftons, et c'est à ces derniers que le magazine irrévérencieux Mother Jones a choisi de s'adresser ce mois-ci. Cela par la voix d'un individu hautement recommandable : celle de Ezra Chowaiki, ex-vendeur d'art de haut rang établi à New York, propriétaire également de quelques galeries à Moscou, condamné à 18 mois de prison en 2018 pour fraude, et qui a désormais choisi de raconter les coulisses d'un business pas toujours propre.
Cela lui semble d'autant plus important qu'à ses yeux on trouve des "oligarques" ailleurs qu'en Russie. Il dit en connaître plus d'un dotés d'un passeport tout à fait américain. La collection de peintures évaluées à des millions de dollars est, à ses yeux, ce qui les unit par-delà les frontières :
"Après tout, les barons capitalistes à l'ancienne trouvaient le temps, entre leurs activités principales —amasser des tonnes d'argent et industrialiser nos villes— de bâtir des musées de rang mondial —le Frick, le Carnegie, le MoMA. Il faudrait d'ailleurs espérer que les oligarques d'aujourd'hui en feront autant.
Si un jour vous vous trouvez à discuter avec l'ancien ministre du commerce, Wilbur Ross, demandez-lui s'il serait d'accord pour céder ses nombreux Magritte à un musée. Ronald Lauder, l'un des financiers et conseillers les plus importants du Parti Républicain, possède une collection phénoménale d'œuvres de la Sécession viennoise, que l'on peut à l'occasion admirer dans son musée privé de première classe. L'ancien ambassadeur Donald Blinken (le père d'Anthony, l'actuel ministre des Affaires Étrangères), possédait 4 Rothko absolument splendides. Donald Trump aime se féliciter d'être propriétaire d'un Renoir, même s'il est identique à celui exposé au Art Institute de Chicago —l'un d'eux est donc un faux (je me demande bien lequel)."
Pourquoi la passion de la peinture accompagne-t-elle si souvent l'amour des yachts, du golf et des banques genevoises ? Chowaiki y voit deux raisons majeures. La première, c'est le statut immédiat qu'offre celui du collectionneur d'art, dans une haute société où les parvenus restent méprisés par les héritiers.
"Un jour, le manager ultra-riche d'un fond d'investissement m'a demandé "Tu as vu le palmarès des plus grands collectionneurs sur ARTNews ?". Cela ne faisait pas un an qu'il s'était mis à acheter des tableaux de maître, commençant tout juste à acquérir des impressionnistes et des prémodernes —la porte d'entrée évidente pour les débutants […].
"Tu es dans le top 200 ?" J'étais à la fois surpris et heureux pour lui.
"Dans le top 10 !" me répondit-il, tout aussi abasourdi que moi.
En se mettant à acheter de l'art, il s'était transformé. Il n'était plus un homme parmi d'autres dans la liste croissante des milliardaires chanceux, vantards et vulgaires, mais un être de goût, de culture, de sophistication. Peu importait que, comme il me l'avait avoué, "Je connais même pas la différence entre Monet et Manet". Il venait d'achever sa métamorphose et émergeait, tel un superbe papillon de société. Ce phénomène d'élévation immédiate de sa propre identité, c'est le scénario de rêve, et la raison première, sociale et psychologique, pour laquelle les oligarques achètent de l'art."
Et la seconde ? Vous l'aviez sans doute deviné : "L'autre avantage, c'est que c'est facile à transporter et à importer en contrebande. Comme me l'a dit un jour un collectionneur russe particulièrement fortuné : "Je veux des œuvres qui rentrent dans mes bagages, histoire, en cas d'imprévu, de pouvoir me tirer à toute vitesse avec ma collection". […] Si vous avez déjà effectué des vols internationaux à bord de jets privés (oui, nous aussi les vendeurs, on peut être snobs), vous avez sans doute remarqué à quel point les douanes peuvent être flexibles.
Alors que nous, pauvres mortels, faisons la queue et bataillons dans les démarches administratives aux aéroports, des petits soucis comme le contrôle des passeports ou la déclaration de marchandises sont chassés comme de vulgaires insectes pour qui dispose de son couloir aérien dédié. Peu de gens déclarent quoi que ce soit, et encore moins de personnes vérifient ce que contient vraiment la soute."
Bien entendu, c'est aussi un marché "complètement globalisé, ce qui rend toute régulation impossible. Un deal peut être conclu à New York, les fonds transférés aux Bahamas, et la peinture livrée en Suisse ou dans une zone franche de Singapour. Quelle juridiction est censée surveiller ces transactions ?"
Comme il a bon cœur, Chowaiki donne un dernier conseil pour la route : éviter tout de même d'acheter des œuvres trop fameuses. C'est ce qui a perdu, nous dit-il, Dmitry Rybolovlev, qui s'est retrouvé en conflit avec son équipe, puis avec Sotheby's, suite à l'acquisition d'un faux de Vinci.
"Note à l'intention des oligarques : si votre but est d'éviter d'attirer l'attention, n'achetez pas Salvator Mundi, la peinture la plus chère du monde."
Salvator Mundi (en latin : le sauveur du monde) est un tableau peint au tournant des XV et XVI° siècle. Il représente le Christ faisant d'une main le signe de croix et tenant de l'autre la sphère céleste, sous la forme d'une boule de verre. Redécouvert tardivement et exposé pour la première fois à Londres en 2011, cet hommage raffiné au fondateur de la religion chrétienne est généralement attribué à Leonard de Vinci, même si cela demeure contesté. Il a été vendu aux enchères en 2017 pour 450,3 millions de dollars.C'est en effet la peinture la plus chère du monde.
Son acheteur est, bien entendu, un fondamentaliste islamiste, aimant à ordonner tortures, exécutions et meurtres barbares, au moins autant que serrer la main des présidents du monde entier : c'est notre ami Mohammed ben Salmane, dit MBS, prince héritier et Premier Ministre d'Arabie Saoudite.
Bizarre

Le cachalot espion qui m’aimait
Je devrais peut-être éviter de faire deux références à Tintin dans la même revue de presse, mais je mets au défi quiconque de ne pas penser au Professeur Tournesol en découvrant l'innovation de John Downer Productions (JDP).
La nouvelle manie de cette société de production de documentaires, spécialisée dans la vie animale, c'est de fabriquer des robots équipés de caméras haute définition et imitant une espèce à la perfection. Pour sa dernière réalisation destinée à la BBC, Spy in the Ocean, narrée par David Tennant, JDP a tout simplement produit ce qu'elle appelle des "espions", pour filmer en toute discrétion sous les eaux du monde "des barrières de corail aux plages dorées, des côtes rocailleuses aux eaux glacées, en passant par l'infinité de l'océan."
Ses 4 agents d'élite sont tous des robots : une fausse pieuvre, une fausse seiche, une fausse araignée de mer et —clou du spectacle pour le dernier épisode de cette série qui en contient 4— un faux cachalot, tout gris, tout beau, tout bluffant.
En guise de promo, les Anglais de JDP ont posté quelques extraits sur YouTube, dont celui-ci, repéré par l'œil toujours aiguisé de Petapixel. Il peut tirer quelques larmes d'émotion et d'empathie. On y voit un cachalot femelle s'approcher de l'espion, le saluer à sa manière, en ouvrant la gueule et en émettant une série de petits "clic clic clic" signifiant —c'est évident— "hé salut toi !". Puis, "dans un signe touchant d'approbation", nous dit le documentaire, "elle invite son petit à rencontrer notre créature infiltrée, de bien plus près qu'on n'aurait pu l'imaginer. La caméra a même pu filmer ses compagnons, un petit groupe de poissons rémoras, inoffensifs et qui voyagent posés sur son dos, comme des auto-stoppeurs".
Mais aussi, mais encore

En bref : les news auxquelles vous avez échappé
Pendant ce temps-là, ici, ailleurs et à côté…
John Bonafede, artiste qui apparaissait nu lors d'une performance de Marina Abramovic, porte plainte contre le Musée d'Art Moderne de New York, pour n'avoir pas réussi à empêcher certains visiteurs de se livrer à des attouchements sexuels à son encontre (The New York Times) — Vladimir Poutine signe deux décrets présidentiels pour identifier à travers le monde les propriétés immobilières ayant autrefois appartenu à l'URSS et pour "les entretenir" (Business Insider) — L'Allemagne se couvre de manifestations monstres contre le parti d'extrême-droite AfD, qui évoque sans complexes ses projets de déportations massives d'immigrés en cas de prise du pouvoir (Der Spiegel) — Ouverture prochaine d'un centre commercial de 600 mètres carrés dans le village de Falokh au Sénégal (PressAfrik) — L'Alsace-Moselle a planté 90 000 arbres en 15 ans pour lutter contre l’érosion des sols, en coopération avec les agriculteurs (La Relève et la Peste) — Au Chili, la transition énergétique avance mais laisse les sous-traitants sur le carreau (Goodplanet) — Le réchauffement climatique a déjà causé au moins 4 millions de morts… Mais comment établir un bilan précis ? (Grist) — Pour faire face à la compétition de Bombay, la Foire d'Art Contemporain de New-Delhi se dote d'une nouvelle catégorie, consacrée au design (The Art Newspaper).
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Prochaine Édition du Week-end : samedi 10 février.
Gardons les pieds sur Terre pendant que ça tourne.
Un grand merci à Marjorie Risacher pour sa relecture attentive, et ses coquillicides impitoyables.





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