L'Édition du week-end #55
Cliquez ici pour lire en ligne

Chère lectrice, cher lecteur,
permettez-moi de vous souhaiter un très bon week-end en compagnie, cette semaine, de flics, de voyous, de Suzy Bemba, de tombes chinoises, de Lacan, de Tom Waits, d’un artiste du bras-de-fer et des pires parents du monde.
Très bonne lecture,
la conscience artificielle de votre téléscripteur favori.
Les parents de la semaine

La bêtise tue
Si vous avez des enfants, vous vous demandez peut-être régulièrement si vous êtes de bons parents. Pourriez-vous faire plus ? Auriez-vous dû faire autrement ?
Eh bien rassurez-vous : vous êtes toujours mieux que les parents Crumbley, actuellement jugés par un tribunal du Michigan, pour une première aux États-Unis. Une affaire qui pourrait déboucher sur une jurisprudence aux conséquences incalculables.
Jennifer, en ce moment en procès, et son mari James, qui sera jugé séparément en mars, plaident tous deux non-coupables. Ils sont accusés d'homicide involontaire. Leur crime n'est pas d'avoir tué qui que ce soit, mais d'avoir été défaillants dans l'éducation de leur fils Ethan, déjà condamné à la prison à vie (mais en procédure d'appel).
Le 30 novembre 2021, Ethan, alors âgé de 15 ans, a abattu 4 élèves de son lycée. C'est le pire "school shooting" dans l'histoire de l'État. Et pour son crime, ses parents doivent aussi comparaître : ils sont accusés d'avoir rendu possible le massacre par pure négligence.
"Le principe selon lequel vous n'êtes pas responsable des actions d'autrui est au fondement de notre droit pénal", rappelle pourtant un professeur de Droit au New York Times. Mais en l'espèce, les faits sont tellement "accablants", reconnaît-il, que l'occasion est peut-être venu de questionner cette norme.
Les parents d'Ethan (43 et 45 ans au moment des faits) ne se contentaient pas, si l'on peut dire, de s'alcooliser régulièrement et se battre en présence de leur enfant. Il serait périlleux de voir là une cause suffisante pour expliquer le geste de l'adolescent, ou du moins de trouver la frontière entre les fautes qui perturbent un enfant, et celles qui poussent au meurtre.
Mais les Crumbley ont été nettement plus médiocres. La chronologie est impitoyable.
En mars 2021, seul à la maison —comme souvent, précise le quotidien—, Ethan envoie un texto à sa mère : il vient de voir dans la cuisine un "démon" en rage lancer de la vaisselle à travers la pièce. Quelques jours plus tard, ses parents s'interrogent sur sa santé mentale. Il y a cette hallucination, il y a aussi son état presque constant d'agitation et d'exaspération. Ils se demandent s'il ne faudrait pas lui trouver du Xanax… Mais en restent là. En novembre, son père préfère lui acheter un pistolet semi-automatique. Sa mère l'emmène pratiquer au stand de tir. En novembre toujours —le mois de la fusillade— un enseignant contacte les parents Crumbley : il a surpris Ethan en train de chercher à acheter des munitions sur Internet. Jennifer écrit par texto à son fils : "LOL je suis pas en colère mais apprends à pas te faire prendre."
Finalement, le jour de l'attaque, un autre professeur les appelle à son tour : Ethan vient se dessiner en train de tuer tout le monde dans le lycée. Il demande à ce qu'ils viennent le chercher. Ils refusent. Quelques heures plus tard, l'adolescent est devenu un quadruple meurtrier.
"Après la tuerie", poursuit le Times, "Ms. McDonald, procureure dans le riche comté d'Oakland, en banlieue de Detroit, a fait de la lutte contre la violence par armes à feu une croisade personnelle. Dans une interview quelques jours après les événements, elle a affirmé voir dans ce massacre une chance de pousser en faveur d'une responsabilisation de la vente et l'achat d'armes à feu. Elle a également formé une commission chargée d'étudier comment lutter contre ce type de crimes. Les élus du Michigan, en partie en conséquence de cette attaque, ont récemment voté une loi obligeant à conserver les armes dans un coffre verrouillé dès lors que l'on suppose qu'un mineur se trouve à proximité".
Le procès des parents Crumbley est donc à situer dans le débat plus large, et national, sur la réglementation du port d'armes. Mais quel que soit le verdict, son existence même ne fait qu'accentuer l'hypocrisie des élus prêts à défendre une interprétation sans limite du deuxième amendement.
Car, pour expliquer qu'il serait inutile de limiter le port d'armes, ceux-ci privilégient justement l'argument de la santé mentale : selon eux, plutôt qu'interdire ou réglementer la possession d'armes à feu (y compris de fusils d'assaut aux standards militaires), il suffirait pour venir à bout des tueries scolaires de lutter efficacement contre les maladies mentales. Une idiotie (tous les tueurs ne sont pas médicalement fous), et une hypocrisie puisque qu'aucun projet de loi ambitieux de financement de la psychiatrie ou de soutien au secteur n'a jamais été proposé par le parti Républicain, le plus acquis à la cause du port d'armes, ni même figuré sur leurs plus récents programmes. Or le secteur est littéralement à l'abandon depuis des décennies.
"C'est un mouvement qui remonte aux années 50, 60 et 70", relevait récemment Gavin Newsom, sénateur Démocrate de Californie, au micro du podcast Pod Save America. "Dans notre État, en 1959, nous avions 37 000 lits disponibles. L'année dernière ? 5 000. Une baisse de 85 %. Historiquement, ce processus a été rattaché à Reagan, qui était alors gouverneur. Il est certes responsable de coupes de budget dans le secteur. Mais si l'on regarde de plus près, c'est le résultat d'une politique bipartisane […] Cela explique en partie le mal de vivre américain, on peut tomber, en plein centre-ville, sur un homme avec littéralement le pantalon baissé, en train de hurler dans le vide, et se demander : mais que peut-on faire pour ce type ? Rien".
Le bien-être et la foi en l'avenir, eux aussi victimes de la loi de l'argent.
Votre horoscope tribal

Le signe de la semaine : Flic
Le sable est la deuxième ressource la plus consommée après l'eau. Chaque année, selon l'ONU, le monde en prélève 50 milliards de tonnes, principalement pour fabriquer du béton. Ce rythme est déjà littéralement insoutenable : très bientôt (à l'horizon 2050), on devrait avoir complètement épuisé le sable de la planète. Du moins celui utilisable pour la construction. Les déserts seront toujours là. Les plages et les rivages… C'est moins sûr.
C'est déjà une folie… Une folie qui donne le vertige quand on en tire le fil le plus logique, comme le fait le Scientific American cette semaine, en consacrant un (très) long article à la conséquence inévitable d'un marché de telle ampleur. À savoir : le trafic illégal de sable. Oui, comme le haschich ou la coca, le sable se prélève et se revend sous le manteau, en quantités phénoménales. Une contrebande qui générerait chaque année entre 200 et 350 milliards de dollars dans le monde, "plus que le bois, la pêche et l'or réunis [dans leurs versants illégaux]".
"La première à avoir attiré mon attention sur les mafias du sable", écrit le journaliste David Taylor, "est Louise Shelley, la directrice du Centre sur le terrorisme, le crime international et la corruption à l'université George Mason. Elle-même a compris que cette activité découlait naturellement de l'évolution du crime organisé il y a cinq ans quand, alors qu'elle assistait à une conférence organisée par l'ONU près du Pentagone, un représentant de l'OTAN s'est approché d'elle pour l'entretenir des risques que la pêche illégale en Afrique de l'Ouest faisait peser sur la sécurité des Européens et de l'organisation atlantique.
Leur discussion a rapidement tourné autour du fait que les crimes environnementaux, comme le braconnage, était un seuil d'entrée très accessible pour rejoindre les organisations criminelles internationales, et pouvaient mener à d'autres délits, comme le trafic de bois… Ou de sable. Selon Shelley, la partie nord-ouest de l'Afrique est à la confluence de plusieurs facteurs qui favorisent le trafic : elle bénéficie d'un point d'entrée vers les marchés européens, et sa mosaïque de gouvernements fragiles, de groupes terroristes et de multinationales corrompues la rend vulnérable.
En plus de l'instabilité sociale, Shelley s'inquiète des "conséquences environnementales désastreuses" du trafic. S'emparer du sable, c'est ôter à la nature ce qui lui permet de retenir l'eau. Les effets sur les vies humaines sont nombreux. Le sable de rivière agit comme une éponge, ce qui aide à remplir les bassins versants après les épisodes de sécheresse. Si l'on en enlève trop, le système s'épuise. Il n'y a plus d'eau pour les populations, pas plus que pour la végétation ou la vie animale. C'est ce qui conduit entre autres à l'assèchement du Delta du Mekong en Asie."
Le journaliste qui signe l'article, également auteur du livre Les Guerres du liège : intrigue et industrie durant la Seconde Guerre Mondiale, nous offre à la fois une enquête et un reportage aux dimensions planétaires. On y rencontre l'inspecteur marocain Abdelkader Abderrhamane, capable de "planquer" des heures pour identifier des trafiquants de sable locaux, Luis Fernando Ramadon, spécialiste de la police fédérale du Brésil, Halinishi Yusuf, jeune kényane qui a directement souffert des inondations causées par l'extraction sablière et aujourd'hui doctorante en hydrologie à l'université de Newcastle en Angleterre. On discute avec les habitants et habitantes de Nagonha, un village du Mozambique régulièrement ravagé par les crues depuis que s'est installée, en 2011, une compagnie minière on va dire "un peu louche". On fait la connaissance de Sophie Bontemps, documentariste française, qui a travaillé pour Arte sur le sujet, malgré les tentatives de censure de policiers marocains corrompus.
Ce sont toutes ces énergies qui seront nécessaires, nous dit Taylor, pour accélérer la prise de conscience du problème.
Pour le résoudre, je préconiserais bien de fabriquer nos habitations désormais en bois, en paille, en coton s'il le faut… Mais je suppose que tout cela se trafique aussi, et a certainement son utilité écologique. On n'est pas sorti de l'auberge en terre cuite.
Voyou
Haïti tombe, à toute vitesse. Les gangs y ont pris le pouvoir. Une chute qui s'est accélérée avec le spectaculaire assassinat du Président Jovenel Moïse, en 2021, par des mercenaires colombiens.

Le nombre de personnes touchées par la violence des gangs a augmenté de 122 % en 2023, a expliqué cette semaine la représentante spéciale du pays à l'ONU, en s'adressant au Conseil de Sécurité. En un an, on a atteint presque 5 000 morts et 3 000 kidnappés —pour des rançons— dans ce pays d'environ 11 millions d'habitants. "La violence rampante et les attaques odieuses contre les droits humains s'étendent désormais bien au-delà de la capitale Port-au-Prince, et atteignent la campagne où toujours plus d'enfants sont vulnérables au recrutement des gangs, et les femmes à la violence sexuelle", écrit le Guardian. "Je ne peux pas insister assez sur la gravité de la situation. De multiples crises prolongées ont atteint leur point critique", a poursuivi la représentante du pays.
Les forces de l'ordre sont dépassées : leurs ennemis sont mieux armés, et sans limites. En 3 ans, la police nationale a perdu 3 300 agents : près de 9 sur 10 ont été renvoyés pour abandon de poste, affirme leur syndicat, qui explique que "des agents sous-payés et sous-équipés préfèrent s'enfuir, plutôt qu'être tués par des gangsters mieux armés et mieux rémunérés". Des milices citoyennes, les Bwa Kale, se sont formées pour faire justice elles-mêmes : elles ont déjà tué 350 personnes.
La solution, étonnamment, est censée venir du Kenya. En octobre dernier, l'ONU a confié au pays d'Afrique de l'Est la tâche d'envoyer sur place 1 000 de ses propres agents de police pour rétablir l'ordre à Haïti. Certes, il apparaît assez logique que seules les autorités d'un pays étranger aient désormais la possibilité d'agir. Mais pourquoi le Kenya ? On ne sait pas trop, selon le Guardian : "Certains observateurs supposent qu'il s'agit pour le pays de renforcer sa réputation internationale, d'autres pensent qu'il opère par procuration pour son allié occidental, les États-Unis. Mais il y a aussi un intérêt financier : les USA se sont engagés à payer 100 millions de dollars, à des fins de renseignement, de logistique et de soutien médical."
Envoyer des policiers kenyans pour rétablir la sécurité en Haïti, c'est tellement 2023… Pour 2024, ce sera donc la même chose, en plus compliqué.
Car la Haute Cour de Justice du pays africain vient d'interdire in extremis l'envoi des policiers kenyans, alors que ces derniers devaient arriver sur place courant janvier. L'opposition, soutenue par des constitutionnalistes, a tenté ce recours judiciaire en s'offusquant que le Président se soit engagé auprès de pays tiers sans consulter son parlement, ni même ses juges. Dans son verdict, la Cour écrit : "Toute décision, par tout organe de l'État, ou tout fonctionnaire de l'État, de déployer des officiers de police en Haïti […] est contraire à la constitution comme à la loi, et doit donc être considérée comme anticonstitutionnelle, illégale et invalide".
Dans son avis, le juge Enoch Chacha Mwita précise que, contrairement à ce qu'affirmaient les opposants, un vote parlementaire n'est pas nécessaire, à l’inverse de ce qu'exigerait l'envoi de l'armée. Mais l'utilisation de policiers par un pays étranger ne pourrait se faire sans réciprocité de la part du pays hôte.
La mission internationale pour épauler les policiers haïtiens repart donc finalement dans les limbes où, il faut le noter, il fait toujours mieux vivre qu'à Port-au-Prince.
Actrice

Imaginez un instant qu'une actrice française de 23 ans, née à Martigues et élevée à Diou dans l'Allier, soit à l'affiche de Pauvres Créatures, le dernier film de Yorgos Lanthimos, aux côtés d'Emma Stone et Mark Ruffalo, Lion d'or à la Mostra de Venise, meilleure comédie de l'année selon les Golden Globes, onze nominations aux Oscars 2024… On peut supposer qu'elle serait sur tous les plateaux télés.
Imaginez qu'en outre elle ait co-fondé, avec trois autres actrices (dont Zita Hanrot, César 2016 du Meilleur espoir féminin), l'Association des Acteurices (ADA) en réponse aux scandales de harcèlement moral comme sexuel, qui écument l'histoire du cinéma français. Le Président de la République lui rendrait certainement hommage, comme il l'a fait pour Gérard Depardieu, les stars hexagonales lui assureraient, on n'en doute pas, promotion et visibilité, les télés la recevraient aux heures de grande écoute, les éditorialistes se féliciteraient de voir avancer le talent de notre pays, et le sens civique de sa jeunesse briller à l'international. Non ?
Variety, le magazine américain centenaire du spectacle et du divertissement, s'est empressé en tout cas d'ouvrir ses colonnes à la jeune Suzy Bemba. Le journaliste Ben Croll a pu la rencontrer à Paris par le biais de l'agence artistique Unifrance, qui l'a placée sur la liste de ses 10 talents à suivre en 2024.
Elle explique comment est née l'ADA, autour d'un dîner avec Ariane Labed, Daphné Patakia et Zita Hanrot "Nous avons compris que nous étions isolées, parce que le système fonctionne sur le principe de la compétition. Il fallait nous réunir pour briser le silence. On a bientôt réalisé que nous étions loin d'être les seules à avoir subi des abus, et entendu les témoignages de bien trop d'abus, de harcèlements, de viols. Il fallait faire quelque chose. On ne pouvait pas se contenter de planter une graine, sans l'arroser. Donc on a décidé de s'organiser, pour nous asseoir, en quelque sorte, à la table des producteurs, des agents et des directeurs de casting, qui eux sont organisés".
Mais elle explique aussi sa manière de travailler, d'envisager ses rôles et de s'y préparer. De les choisir aussi. Ce qui n'est pas forcément de bon augure pour sa carrière… en France du moins :
"Pauvres Créatures vous apporte un reconnaissance internationale. Pensez-vous travailler plus fréquemment à l'étranger ?
- Écoutez, je suis française, je suis patriote et je veux travailler en France. Mais, si on considère les scripts que je reçois, j'ai moins d'opportunités ici qu'en Angleterre, par exemple. Quelqu'un comme moi ne correspond par toujours à l'imagination de certains auteurs, qui écrivent les personnages Noirs comme forcément issus de la banlieue et souffrant de leur condition. Je ne veux pas reproduire cette façon de voir les choses, qui est limitée. Je n'en peux plus, vraiment, je n'en peux plus. J'ai 23 ans et je n'en peux plus de voir, de vivre, de représenter ces clichés. Je préfère pousser les murs du possible, pousser aussi fort que je le peux. Il est temps d'en finir avec les stéréotypes."
Si Suzy Bemba lit ces lignes, qu'elle n'hésite pas à me contacter. J'ai pour elle une médaille de chevaleresse des Arts et des Lettres qui l'attend. Ce n'est pas grand chose, c'est moi qui l'ai faite… Mais il fallait bien que quelqu'un commence.
Transfuge (ascendant : de classe)
L'ascenseur social n'est pas en panne partout. Il marche par exemple très bien en Chine… À condition de faire un petit bond dans le temps vers le Moyen-Âge. Plus précisément à l'époque de la dynastie Tang (entre 618 et 907 de notre Ère).

Car à l'époque, on pratiquait une sympathique coutume. Sur les tombes, les inscriptions retraçaient l'histoire du défunt, en listant ses titres officiels, mais aussi ceux de son père et de son grand-père. C'est une mine d'or pour l'université de New York, dont un groupe de chercheurs et chercheuses observe la mobilité sociale à travers les âges. Et, surprise —enfin, pas pour vous qui avez lu le début de cette notule—, il était fréquent alors de s'extirper de sa condition, même très pauvre, et de gravir les échelons. C'était aussi répandu, nous dit l'étude, qu'aux États-Unis dans les années 1960 et 70.
En examinant plus de 3 400 épitaphes, mais aussi documents généalogiques et archives dynastiques de l'époque, "les chercheurs et chercheuses ont relevé un déclin de l'aristocratie chinoise médiévale, et une croissance de la méritocratie, il y a 1 300 ans", résume Futurity.
Ce n'est pas arrivé par hasard, précise le magazine en ligne. La raison en est l'instauration du Keju, l'examen impérial, "développé à l'époque pour sélectionner les fonctionnaires. Le Keju, qui a existé jusqu'aux débuts du vingtième siècle, a servi de catalyseur pour la mobilité sociale —comme l'a fait le système universitaire dans l'Amérique depuis au moins les années 1960.
"Notre analyse statistique démontre qu'après 650, être issu d'une grande famille ou d'une maison dynastique comptait moins, pour s'imposer dans le système bureaucratique, que réussir son Keju", écrivent les auteurs et autrices."
Consultée par Futurity, Fangqi Wen, professeure de sociologie à l'université d'Ohio, rappelle à quel point les épitaphes de la dynastie Tang fourmillent d'informations : "Elles incluaient généralement des descriptions détaillées de la vie de la personne, sous forme de poèmes ou de prose stylisée. On y trouve quantités d'informations sur ses origines ancestrales, son arrière-plan familial et sa carrière professionnelle", explique-t-elle.
Une tradition que l'on pourrait faire revivre avec profit dans notre beau pays. On pourrait ainsi se contenter, dans bien des cas, d'un simple "Fils de". Ça ferait gagner du temps à tout le monde.
Mode

Des mots plein la tête
Franchement, taper sur Lacan, et son style dense et énigmatique, c'est trop facile. C'est trop facile de railler, quand on ne comprend tout simplement pas. Donc critiquer Lacan, tant que je n'aurai pas fait l'effort de me pencher sérieusement sur son travail, je vais m'en abstenir. Mais tout de même. J'ai déjà mal à la tête pour les personnes ayant conçu l'exposition "Lacan, Quand l'art rencontre la psychanalyse", actuellement au centre Pompidou-Metz et repérée par les esthètes de Whitehot Magazine.
Non, je ne veux pas me moquer, d'autant que l'idée même est parfaitement justifiée : le dialogue entre art et psychanalyse a toujours été vif, et notamment durant les 40 ans de carrière et de collection de l'ami Jacques. Les pièces exposées, donnent en effet du corps, et de la force, aux concepts qu'il a développés au fil de ses séminaires. Beaucoup sont reproduites dans l'article. Beaucoup valent le coup d'œil.
Mais tout de même. Le site du centre Pompidou-Metz est-il vraiment obligé de s'exprimer de la sorte ? Peut-il mieux dissuader le grand public de visiter l'exposition qu'en la présentant ainsi :
"Le parcours est à voir et à expérimenter comme une traversée des notions spécifiquement lacaniennes, à commencer par le stade du miroir, qui a fasciné nombre d’artistes et de cinéastes. Puis est interrogé le concept de lalangue, mot inventé par Lacan pour désigner une forme et une fonction du langage plus en prise avec ce que le psychanalyste qualifie de réel, et qui résonne avec le travail d’artistes qui ont joué avec les mots, le double sens, le babillage, voire le langage des oiseaux, sans oublier le rapport à la poésie. La section Nom-du-Père sera quant à elle l’occasion de repenser la notion patriarcale. S’ouvre alors la section de l’objet a, une invention de Lacan pour qualifier l’objet cause du désir en tant que manque, reste et chute, qui se déploiera en de multiples orientations : chute, phallus, sein, corps morcelé, merde, voix, rien, regard et enfin trou".
Enfin bon. Chacun ses problèmes et les lapsus seront bien gardés. Si vous avez le temps, faites quand même un tour… C'est plein de belles choses, et avec une aspirine, ça passe très bien.
Beauté

Une nuit avec Waits
En 2008, la tournée "Glitter and Doom" ("Paillettes et Malédictions") de Tom Waits a laissé des souvenirs impérissables à son public. La poésie de cabaret, l'étrange personnalité fabriquée par le chanteur et compositeur au fil des années, semblait s'y épanouir comme jamais auparavant. Le second disque du double album qui en a été tiré, rappelle d'ailleurs Open Culture, "était entièrement consacré à une sélection des divagations, des étrangetés et autres anecdotes déconcertantes que Waits aime à partager avec son public quand il se met au piano, avec des sujets allant des rituels des insectes aux derniers moments de la vie d'Henry Ford."
Une expérience émaillée, bien sûr, des plus belles chansons de l'artiste comme "Goin' Out West", "Chocolate Jesus", "Hold On" ou "Innocent when you dream".
Un fan en or s'est lancé dans une entreprise titanesque : reconstituer le live en vidéo, à l'aide de toutes les archives, officielles ou non, qu'il a pu se procurer. Il a réussi, et vient de poster sur YouTube sa production. C'est un collage aux angles, étalonnages et résolutions multiples, une mosaïque baroque, collant parfaitement à l'ambiance solitaire et dégingandée édifiée par la personnalité la plus rauque qu'a pu nous offrir la chanson américaine. C'est un concert d'une heure trois quarts ouvert à toutes et tous.
YouTube via Open Culture`
Bizarre

Tendresse et gros bras
"Ici, les gros biceps ne sont pas forcément synonymes de victoire, et les adeptes de ce sport le comparent aussi bien aux Échecs qu'au jiu-jitsu ou à la géométrie", écrit le magazine néo-zélandais Stuff, qui nous offre un long reportage sur les compétitions de bras-de-fer plus ou moins officielles de la capitale Auckland, où l'on manque visiblement de distractions.
C'est l'occasion de faire la connaissance de Maateiwarangi Heta-Morris, 21 ans, 160 kilos, qui exerce sous le nom de "The Beast" ("La Bête" -en photo).
L'article permet de comprendre que remporter un tournoi de bras-de-fer n'est pas qu'une simple affaire de muscle. Il y faut aussi de la tactique. Bon, la première évoquée par la Bête n'est pas forcément la plus originale (perdre rapidement, pour proposer de rejouer en triplant l'enjeu, et alors seulement écraser son adversaire). Mais les compétiteurs et entraîneurs interviewés sont unanimes : pour gagner, il faut surtout être le plus malin. "Il faut oublier tout ce que vous croyez savoir sur le bras-de-fer", insiste Heta-Morris, "et tout réapprendre. Faire exactement le contraire de ce que vous croyez : la méthode la plus répandue est avant tout le moyen le plus rapide de se casser le bras".
On apprend ainsi qu'il existe 4 stratégies principales pour gagner (la "presse", par exemple, où l'on pousse vers le bas en utilisant les épaules, est à distinguer du "crochet", où l'on tourne le poignet en se reposant sur l'avant du torse) —"et chacune a ses variantes et ses multiples façons de la contrer", précise Stuff.
Mais c'est aussi une question de psychologie : "On croit souvent que c'est un sport essentiellement macho, mais il y a tellement d'angles et de façons de faire", s'extasie un pratiquant, Matt Scarfe, par ailleurs professeur de guitare jazz à l'université d'Auckland. "Il y a même des intellectuels, qui l'abordent par le mental", insiste-t-il.
La Bête ne le contredirait pas. Lui aussi gagne avec sa tête. Et ce n'est pas ironique :
"Quand Heta-Morris s'est lancé, en 2011, il a rapidement remporté une compétition à Hamilton. Puis il a fini troisième, derrière van der Westhuizen, le dernier homme du pays à l'avoir battu : la Bête a depuis toujours fini champion national, sans discontinuer.
Huit mois après cette défaite, il a gagné dans sa catégorie aux championnats d'Australasie. Sa grand-mère était dans le public : "ça a été un tournant pour moi, parce que la dernière fois que je l'avais vue, en Nouvelle-Zélande, elle m'avait grondé. J'étais tellement heureux qu'elle soit là pour voir ça… Elle est morte peu de temps après. C'était l'une des mes plus grandes motivations. [Quand je commence une manche], il y a une fraction de seconde pendant laquelle tout est silencieux. J'entends ma propre respiration. Je m'imagine que ma grand-mère et mon grand-père sont là et me regardent. Dès que j'éprouve cette sensation, je suis concentré. J'ai tout ce qu'il me faut. Je suis prêt"".
Si les championnats de bras-de-fer existent depuis au moins les années 1950, la mode a pris un nouvel essor avec la pandémie de Covid, apprend-on au passage, quand de nouveaux amateurs ont eu le temps de se perdre sur YouTube et de se prendre de passion pour ce sport. Une mode rapidement facilitée par la création d'une application fonctionnant comme Tinder, où l'on peut rencontrer non pas l'amour, mais d'autres gros bras à défier.
Gros bras ou plutôt gros poignet. Skinner ("L'Écorcheur"), un autre champion dans la catégorie des 100 kilos "nous explique qu'il a surtout travaillé ses tendons et ses poignets. Ces derniers, selon lui, doivent endurer de très fortes pressions, dans des positions qui n'ont rien de naturel. La seule force du poignet peut permettre de surpasser une différence de poids, parce qu'elle permet au lutteur de réaliser les actions décisives, comme la pronation, qui consiste en une rotation de la main vers le bas."
Et c'est ainsi qu'un maori tout juste vingtenaire, champion de bras-de-fer et toujours capable de pleurer l'amour de sa grand-mère, m'apprit en 2024 l'origine d'une expression française : on peut réellement battre plus costaud que soi à la force du poignet. Une leçon très certainement utile pour l'année qui vient… Ou celles à venir, après la fin du monde, quand les championnats de bras-de-fer seront les seuls loisirs qui nous resteront, et la méthode privilégiée pour décider à qui le tour de faire des courses.
Mais aussi, mais encore

En bref : les news auxquelles vous avez échappé
Pendant ce temps-là, ici, ailleurs et à côté…
Le Maroc rase un village berbère, en accusant ses habitants de constructions illégales (The New Arab) — Bahrom Azimov, le crooner ousbek, enflamme l’Asie Centrale (Radio Free Europe) — Hausse sans précédent du commerce en biens intermédiaires, essentielles à l’industrie, entre la Chine et Taïwan (Quartz) — Poutine et Al-Sissi célèbrent leur coopération en inaugurant en Égypte le chantier d’une future centrale nucléaire (Middle East Monitor) — Les 10 designers à suivre à l’occasion du African Hub, la fashion week éthiopienne à Addis-Abeba (Vogue) — Un rapport du fond d’investissement Muddy Waters accuse la société immobilière luxembourgo-tchèque CPI Property Group, détenue par le milliardaire Radovan Vitek, de surévaluer ses propriétés (Intellinews) — Le nouveau président argentin entre en guerre contre les féministes (The Guardian) — Mike Johnson, le nouveau speaker de la Chambre des Représentants aux États-Unis, issu du groupe Républicain et de sa frange conservatrice, s’est battu pour le maintien de la prohibition de l’alcool dans une ville de Louisiane jusqu’aux débuts des années 2000 (Rolling Stone).
Prochaine Édition du Week-end : samedi 3 février.
Gardons les pieds sur Terre pendant que ça tourne.
Un grand merci à Marjorie Risacher pour sa relecture attentive, et ses coquillicides impitoyables.





© *|CURRENT_YEAR|* *|LIST:COMPANY|*. Tous droits réservés.
*|IFNOT:ARCHIVE_PAGE|**|LIST:DESCRIPTION|**|END:IF|*
Vous pouvez renforcer votre soutien, ou vous désabonner, en suivant ce lien.
Nous joindre par courrier :
*|IFNOT:ARCHIVE_PAGE|**|HTML:LIST_ADDRESS_HTML|**|END:IF|*
