L'Édition du week-end #50
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Chère lectrice, cher lecteur,
permettez moi de vous souhaiter un excellent week-end en compagnie, cette semaine, d’humoristes chinois, de divas coréennes, de bactéries à la mémoire d’éléphant, de Maoris vindicatifs, du pourpre de Tyr, des années 30, de Kiss et de la secte la plus puissante du monde.
Très bonne lecture,
la conscience artificielle de votre téléscripteur favori.
La secte de la semaine

Détruire le monde, c’est du boulot
Je vous avais parlé, ici, du Docteur Steven Hassan, de son parcours et de ses combats. Pour rappel, alors qu'il n'était qu'un tout jeune homme, il avait plongé dans la secte Moon. Selon les préceptes du culte, il croyait que les États-Unis étaient dirigés par Satan, et il était prêt à tuer tous les émissaires du Diable —ses propres parents compris— qui se mettraient en travers du chemin de son gourou, le Révérend Moon.
Puis il a eu un accident de voiture et a été hospitalisé. Ses parents ont profité de l'occasion pour le supplier d'entamer un "parcours de déprogrammation". "J'ai accepté, dit-il, pour leur prouver que je pouvais le faire sans que ça change rien à mes idées.
C'est dans ce cadre que j'ai découvert les méthodes du Parti Communiste Chinois pour l'endoctrinement. J'ai alors constaté qu’elles étaient exactement les mêmes que celles des Moon… Selon qui, pourtant, les communistes étaient l'une des figures du Mal absolu. Ça a été le déclic qui m'a permis de m'en sortir."
Devenu psychiatre, il a dès lors consacré sa vie à lutter contre l'endoctrinement sous toutes ses formes. Il a créé un centre de thérapie et de recherche et anime un podcast, The Influence Continuum, où il reçoit experts et médecins mais aussi, souvent, hommes et femmes ayant rompu les liens avec leur propre mouvement sectaire.
Et parfois, également, des journalistes. Comme récemment Christopher Leonard, auteur de Kochland : the secret history of Koch Industries and Corporate America. Initialement prévu comme une interview sur l'histoire de la famille Koch —que je vais avoir le déshonneur de vous présenter dans un instant—, l'épisode se transforme rapidement en un dialogue aussi passionnant que choquant.
Reprenons, donc. Koch Industries Incorporated est une multinationale basée au Kansas. Elle affiche 125 milliards de dollars de chiffre d'affaires en 2021. C'est la deuxième entreprise la plus riche des États-Unis, après le géant de l'alimentation Cargill. Le cœur de son business, c'est le raffinage de pétrole.
Elle a été fondée en 1940 par Fred Koch. À sa mort en 1967, ses deux enfants lui ont succédé. Depuis le décès en 2019 du cadet, David, l'aîné Charles (né en… 1935) opère seul à la tête du conglomérat.
Les Koch sont bien connus des militants écologistes. Toute leur carrière, ils ont largement financé les deux partis politiques américains (avec une préférence revendiquée pour les Républicains, mais bon, s'il y a deux paniers, autant bien y répartir ses œufs, vous connaissez le bon sens paysan). Ils ont aussi subventionné, parfois créé, les think tanks les plus à droite de l'échiquier politique. Et surtout, à partir des années 1980, ce sont eux qui ont payé les travaux de désinformation les plus radicaux sur le réchauffement climatique. Si le sujet n'a pas fait surface dans le grand public avant qu'il ne soit trop tard, c'est essentiellement leur responsabilité. Et si aujourd'hui tant d'élus américains sont opposés à toute tentative de régulation, c'est encore signé Koch.
Si vous doutez de leur influence, les ressources en ligne sont nombreuses pour vous faire votre propre opinion. Et maintenant, il y a en plus Kochland, le livre de Christopher Leonard, fruit de 7 ans d'enquête de ce journaliste qui émarge au New York Times, au Wall Street Journal, ainsi que chez Fortune, Bloomberg et Businessweek.
Pour paraphraser la publicité, pourquoi les Koch sont-ils si méchants ?
Même s'il ne l'aurait jamais formulé ainsi, la question tracasse Leonard. C'est évident à l'écoute du podcast. Il le dit plutôt ainsi : certes, les régulations sur les énergies fossiles feraient perdre beaucoup d'argent à Koch Industries. Mais en même temps, les conséquences du changement climatique menacent tout le monde. Peut-être même, si l'on poursuit la trajectoire actuelle, la survie de l'espèce humaine toute entière. Le journaliste n'arrive pas à faire rentrer ça dans sa tête : comment des ingénieurs, experts en leur domaine, et réellement très doués, peuvent-ils aussi profondément se convaincre que, non, la Terre ne se réchauffe pas ? Et prêter leur génie à un tel projet de mort et de mensonges ?
La réponse se dessine peu à peu dans l'entretien : d'abord le patriarche, Fred Koch, ne pensait pas qu'à s'enrichir. Il pensait aussi, au plus profond de lui, que le New Deal de Roosevelt n'était que le premier acte d'une mainmise communiste sur son pays. Et que toute tentative de régulation de l'économie, du plus petit impôt aux politiques monétaires nationales, c'était un coup des Bolchéviques. Ainsi voyait-il le monde. Il ne s'en cachait pas : il en était sincèrement convaincu. Partant de là, il était de son devoir de lutter de toutes ses forces en faveur de la liberté totale, sans limites, du business et des businessmen.
"Il était opposé à la démocratie", souligne Christopher Leonard, là encore en reprenant des prises de position explicites de ce charmant garçon mort d'une crise cardiaque à 67 ans, lors d'une partie de chasse dans l'Utah. "Pour lui, la démocratie, c'était la loi de la foule, et la foule n'avait qu'une idée en tête : voler aux riches leur argent durement gagné. Pour lui, une taxe, ce n'était rien d'autre que cela : l'exécution du désir des pauvres de lui voler son argent."
Ses héritiers voient les choses de la même façon. Et c'est ainsi que Koch Industries ne cherche pas qu'à raffiner du pétrole : elle mène aussi un combat idéologique revendiqué. Il est donc indispensable d’adhérer à celui-ci pour y travailler. Ainsi, apparaît-il au fil du dialogue, c'est bien un fonctionnement sectaire qui s'est mis en place au sein de l'entreprise. C'est lui qui permet de la défendre envers et contre tout. Même si cela, comme c'est le cas dans la lutte contre les politiques environnementales, implique de nier les évidences ou de mettre en péril sa propre survie.
Peu à peu, on découvre comment les Koch ont créé, puis maintenu, une culture d'entreprise qui rejoint les principes habituels du lavage de cerveau. Ceux que le docteur Hassan a retrouvé chez les Moon, chez le PCC, dans la scientologie, dans les groupuscules d'extrême-droite. Il s'agit après tout de lutter contre l'influence secrète du communisme : toute pensée dissidente est donc suspecte. Pour être efficace, il faut agir comme un seul homme. C’est pourquoi les principes marketing de l'entreprise doivent être appris par cœur lors de séminaires de plusieurs jours, comme préalable à toute prise de poste. Ils sont affichés sur les écrans d'ordinateur, et même les tasses de café. Ceux qui doutent sont traqués et exclus. Les lanceurs d'alerte y sont considérés comme des traîtres. Le QG lui-même, un vaste et austère monolithe noir ceinturé d'un mur de protection, est aussi intimidant qu'oppressant.
L'ampleur du contrôle exercé par Koch sur ses salariés, mais aussi sur la politique américaine et donc internationale, se révèle peu à peu dans cette interview où le journaliste lui-même paraît abasourdi par ses propres révélations.
Les exemples et anecdotes sont trop nombreux pour être cités plus avant ici. Ou alors, juste trop énervants pour être relevés sans que je perde mon calme. Ils restent à découvrir dans le podcast. Quant à moi, je file boire un coup avec Dark Vador : lui au moins a fait le choix de sauver son fils (un peu tard il est vrai) plutôt que le laisser corrompre par le Mal. Big Up, Dark.
Votre horoscope tribal

Le signe de la semaine : Comique
"L'humoriste Xi Diao dit qu'il sait bien qu'il devrait éviter les sujets politiques dans ses spectacles. Mais quand on porte le même nom que le Président Xi Jinping, ajoute-t-il, c'est dur de se retenir".
Ainsi commence un reportage d'Associated Press qui s'intéresse aux difficultés des comiques chinois de la diaspora. Il ne s'agit pas tellement d'obstacles professionnels : la mode du stand-up est populaire où que l'on aille. Assez pour que des clubs spécifiquement dédiés à ce public, où l'on joue en mandarin, aient d'ailleurs ouvert un peu partout dans le monde.
Or l'une des grandes forces de l'humour contemporain, c'est de jouer avec les tabous. C’est déjà assez difficile comme ça, mais ça devient carrément risqué quand les tabous sont ceux de la plus grande dictature du globe, toujours à portée d'oreilles. Certes, l'armée ne va pas encore arrêter ses ennemis politiques jusqu'à Tokyo, New York ou Melbourne (pour citer quelques villes où ont enquêté les reporters de l'agence de presse). Mais il y a la question d'un éventuel retour au pays. Ou celle de la censure, qui empêche de se faire connaître dans le plus grand bassin de population parlant leur langue. Et surtout celle de "l'inconfort" des salles —de leurs propriétaires comme du public— quand on aborde la politique.
"En Chine, les plaisanteries sont lues en avance par les autorités. Et celles-ci n'hésitent pas à punir ceux qui franchissent les lignes rouges. Cette année, un producteur a été condamné à une amende équivalent à 2 millions de dollars quand sa star Li Haoshi s'est autorisé une blague qui faisait référence à un slogan de l'armée.
Dans le reste du monde, les comiques disent ne pas redouter de sanctions. Mais selon eux, les sketchs politiques ne font tout simplement pas rire, ou mettent le public mal à l'aise. Beaucoup ne sont pas familiers de cette forme d'humour, du fait d'avoir grandi dans un pays qui l'interdit très largement.
"On produit ce qui plaît au public", explique Guo Jia, propriétaire d'un comedy club à Tokyo. Selon lui, l'inconfort que suscite la question politique fait partie de la culture chinoise. Il le compare à celui que provoque, aux États-Unis, la question du racisme. "Il y a certains sujets où les gens ne vous suivront pas. Mais, généralement, c'est plus une question de pression sociale, ou culturelle, ou religieuse, que gouvernementale", explique Michel Hockx, professeur de littérature chinoise, et directeur de l'Institut Liu pour l'Asie et les Études Asiatiques à la faculté de de Notre Dame [une université catholique de l'Indiana]".
Ce serait convaincant… Mais AP rappelle :
"Il est prouvé que la Chine harcèle ses ressortissants s'ils font preuve d'activisme, même à l'étranger. Elle les menace de boycott, d'interdiction de se produire sur son sol. Nigel Ng, un humoriste malais installé au Royaume-Uni, créateur du personnage populaire de "l'Oncle Roger", a perdu tous ses comptes de médias sociaux en Chine, après qu'un enregistrement de l'un de ses shows est devenu viral. Il y disait, en plaisantant, que la Chine l'écoutait par le biais des téléphones portables.
Pourtant il était auparavant possible de blaguer sur ces thématiques, se rappelle Vicky Xu, une journaliste chinoise établie en Australie, qui fait aussi du stand-up, en anglais cette fois. "Si vous regardez les émissions de télé et les films chinois d'il y a 20 ou 30 ans, il y avait bien plus de plaisanteries politiques qu'aujourd'hui. Comment vous l'expliquez ?"".
La question est rhétorique : tout le monde sait que la censure a été impitoyablement renforcée par Xi Jinping, après un vague espoir de libéralisation du régime.
L'inconfort du public, c'est peut-être aussi celui qu'implique de savoir que l'on peut à tout moment, sans raison ni avocat, finir au trou (littéralement) pour avoir ri à un bon mot. Je l'avoue, ça refroidit.
"Les Chinois, ils abusent", s’insurgeait d’ailleurs récemment Dark Vador au téléphone, avant de disparaître mystérieusement.
Diva
Juste quand on aurait pu commencer à se lasser des recettes de la K-Pop (la pop coréenne, incarnée par des Girls Groups et Boys Bands dont on aime bien l'énergie mais qui, quand même, se ressemblent toujours un peu, et toujours un peu plus), le producteur géant JYP Entertainment a trouvé la parade.

L'idée est géniale. Donc, comme l'exige un vrai succès de divertissement, un peu sadique.
Golden Girls, le nouveau show de téléréalité de Corée du Sud, est ainsi allé chercher 4 "divas", des chanteuses stars des années 1980, pour les faire recommencer tout en bas de l'échelle. Leur défi, c'est d'oublier ce qu'elles savaient faire dans leurs registres respectifs et leurs carrières solos, pour adopter ensemble le style K-pop et devenir, à leur tour, un énième groupe avec les mêmes rythmes, chorégraphies et looks qui assurent à ce genre musical un succès planétaire depuis une bonne décennie.
L’enthousiasme populaire est réel, nous dit le Korea Herald, qui peine à masquer sa joie :
"Les 4 chanteuses, dont la présence charismatique et les voix puissantes savent prendre possession d'une salle, doivent affronter de nombreux défis. Elles luttent pour apprendre de nouveaux rythmes, des tendances et des danses incarnées par des artistes bien plus jeunes qu'elles, comme Twice, Ive, NewJeans ou Chungha. Les vidéos YouTube de leurs 4 dernières prestations dépassent les 15 millions de Vues : leurs premiers pas sur ce chemin sont déjà un succès.
Le programme répond à la nostalgie des spectatrices et spectateurs les plus âgés, tout en apportant du neuf aux plus jeunes, qui ne sont pas familiers de ces stars des années 1980 et 90. De plus, les efforts fournis par ces divas quinquagénaires pour apprendre de nouvelles choses, en délaissant leur fierté et leur ego comme si elles étaient des débutantes, est souvent décrit comme "inspirant".
"On a déjà mérité notre rang, et c'est énervant de devoir être évaluées à nouveau. Il faut être courageuses", dit Insooni dans un épisode".
Insooni, l'une des 4 "Golden Girls", a eu ses premiers succès avec les Hee Sisters en 1978. Elle a, depuis, enregistré 14 albums dans son genre de prédilection, le R'n'B, recueilli les plus grands prix de l'industrie, s'est produite au Carnegie Hall.
La série n'est pas la première à faire appel à des stars déjà installées, mais elle est unique dans son principe de réunir des genres aussi différents pour déconstruire les préjugés sur la K-pop, selon le Herald. Le critique pop Kim Hun-Sik résume d'ailleurs, avec un tact gros comme ça : "C'est une tentative pour faire oublier le stéréotype selon lequel les chanteuses d'un groupe de filles doivent être jeunes, sexy ou féminines". C'est chic.
Le premier single en bonne et due forme des Golden Girls, "One Last Time" (décidément, tout est bon pour leur rappeler qu'après 40 ans, on ne voit pas bien à quoi une femme pourrait aspirer à part la tombe), est arrivé vendredi.
La vidéo du live, publiées sur les deux chaînes, nationale et internationale, de KBS, cumule les 1,5 millions de Vues et témoignent que, au moins, les divas ont toujours du coffre et de quoi en remontrer à plus d'une débutante. Accessoirement, leur regard semble crier "Sortez moi de là", mais qui s’en soucie ?
Bactérie

Vous vous souvenez de l'autre fois, quand vous vous étiez multipliées à fond dans des poumons pour finir liquidées à coups d'antibiotiques ? Sacrée bataille, hein ? Vos descendants en parlent sûrement encore.
Ce ne serait pas si étonnant, car c'est confirmé : les bactéries ont de la mémoire. Je ne parle pas ici des résistances génétiques qui, du fait de la transmission de l'ADN des survivantes à leurs descendantes les rendent toujours plus fortes face aux médicaments. Cela, c'est un mécanisme connu depuis longtemps : c'est simplement l'évolution. Non, je parle bien de mémoire, c'est-à-dire de la persistance de souvenirs au sein d'un même individu. Une capacité a priori impossible sans neurones. A priori seulement, comme vient de le révéler une étude réalisée par l'université d'Austin au Texas et relayée par Sciences et Avenir :
"Dans un milieu aqueux, elles vont se laisser porter passivement (comme du plancton dans l’eau) et dans un autre plus solide elles vont tenter de le coloniser activement en se mouvant dans plusieurs directions, comme des essaims d’abeilles, pour se répandre dans ce nouvel environnement", commence par expliquer le magazine scientifique. Ce que les chercheurs texans ont démontré, c'est que, plongées alternativement dans tel ou tel environnement, le changement de comportement observé est beaucoup plus rapide. Elles se souviennent donc du précédent. Elles n'ont pas besoin de passer par les mêmes étapes de découverte, puis d'adaptation.
Une faculté qui ne réside pas dans le patrimoine génétique et qui, pourtant, peut se transmettre jusqu'à 4 générations. Par quel miracle ?
Cette mémoire est issue de la quantité de fer présente dans la bactérie : "le manque de fer [les] pousse à se répandre davantage dans le milieu, à la recherche de ce précieux métal." Les scientifiques l'ont compris en injectant à leurs cobayes (des spécimens d'Escheria Coli) des protéines connues pour faciliter l'absorption du métal, ou au contraire pour en épuiser les réserves internes (et utilisées dans certains traitements pour lutter contre les déséquilibres humains). Selon qu'elles ont donc besoin de plus ou moins de fer, elles modifieront plus ou moins leur comportement en passant d'un endroit à l'autre : "la quantité intracellulaire de fer est donc le moyen par lequel les bactéries se souviennent de comment agir dans un nouveau milieu, indépendamment de la quantité réelle de fer dans ce milieu […] Les bactéries n’ont pas de cerveau, mais elles peuvent collecter des informations sur leur environnement, les conserver et y accéder rapidement plus tard, si cela peut être bénéfique", résume dans un communiqué Souvik Bhattacharyya, l'auteur de l’étude.
Cette découverte devrait aider à lutter plus efficacement contre les infections bactériennes mais pourrait aussi suggérer à Magneto, le X-Man capable de contrôler les métaux dans les comics Marvel, d'imaginer de nouveaux plans diaboliques pour contrôler le monde. Heureusement qu’il n’existe pas.
Maori
Ce n'est jamais très agréable de prêter allégeance à un roi qui vous dirige à plusieurs milliers de kilomètres de distance, surtout quand son pays vous a pratiquement éradiqués, vous, votre environnement, vos descendants et votre culture.

C'est pourquoi les députés Maori en Nouvelle-Zélande aimeraient se passer de cette tradition, observée à l'ouverture des sessions parlementaires annuelles. Vous en aviez peut-être entendu parler à la mort de la Reine Elizabeth : jusqu'à cette date, les pays du Commonwealth avaient, en grande partie par respect pour ce qu'elle représentait, observé scrupuleusement cette loi. Mais à l'arrivée sur le trône du Prince Charles, devenu le Roi Charles III, les sujets autochtones des anciennes colonies ont commencé à faire savoir que, franchement, ça commence à bien faire.
Heureusement, l'écœurement n'empêche pas d'avoir de l'humour. Lors de la cérémonie de mardi dernier, trois élus du parti Maori ont promis de servir fidèlement "Kingi Harehare", au lieu du "Kingi Tiare" attendu (ils ont au moins le droit de s'exprimer dans leur langue natale). Soit non pas le "Roi Charles", mais le "Roi Éruption Cutanée", selon certains députés encore sous le choc.
L'île est aussitôt entrée dans un débat linguistique intordable. Même l'assez flegmatique Guardian semble s'arracher les cheveux :
""Beaucoup de mots ont beaucoup de sens", a balayé Debbie Ngarewa-Packer, co-leadeuse du parti Maori après la prestation de serment, quand des journalistes lui ont demandé pourquoi elle avait utilisé le mot "harehare" […]. Son homologue à la tête du parti, Rawiri Waititi, a expliqué qu'en Maori, "hare" peut signifier "Charles" dans certaines régions de la Nouvelle-Zélande, ajoutant qu'il a d'ailleurs un oncle Charles qu'il appelle "hare". Takuta Ferris, l’autre élu Maori qui a employé ce terme, a expliqué à l'analyste politique Glenn McConnell de Stuff Magazine que "hare" "veut dire Charles, sur la Côte Est". Mais McConnell, qui est lui-même Maori, précise venir de la même région que Ferris et que, pour lui, "Hare a un sens complètement différent… Ça veut dire croûte".
Un élu du parti populiste Nouvelle-Zélande D'abord regrette : "Ils jouent avec la traduction du mot "hare", qui peut avoir différents sens selon les régions. "Harehare" peut être un équivalent de "Charlie", mais aussi signifier quelque chose de vraiment discutable."
Jack Potaka, expert en la langue Maori chez Te Tari Consultants, confirme que "hare" a différents sens selon les dialectes et les régions. Parmi lesquels, en effet, "éruption cutanée" mais aussi "Charles", et "Charlie". Il tient cependant à rappeler que l'intention du locuteur ne peut être confirmée que par celui-ci. "La diversité linguistique implique que la polysémie soit la règle en fonction des nuances géographiques", explique-t-il dans un e-mail."
Quoi qu'il en soit, ajoute le journal, "tous les élus Maori ont brisé le protocole, en prêtant allégeance "à [leurs] petits-enfants", avant de s'avancer pour leur serment officiel au roi". Une pratique, si vous voulez mon avis, que l'on devrait franchement importer en Europe.
Pendant ce temps, dehors, des milliers de Maoris manifestaient leur opposition aux projets du nouveau gouvernement conservateur, décidé à revenir sur 50 ans de reconnaissance et d'autonomie de ce peuple millénaire. Notamment en interdisant l'usage de la langue indigène dans l'administration, et en supprimant leur agence de santé dédiée.
C'est toute la beauté du racisme : on s'insurge quand les étrangers viennent chez nous, et quand on vient chez eux, on les méprise et on les piétine quand même. Comme écrivait Pierre Desproges, résumant 5 000 ans d’histoire humaine : "l'ennemi est bête : il croit que c'est nous l'ennemi alors que c'est lui !".
Mode
On a retrouvé le pourpre de Tyr

La BBC nous raconte cette semaine l'achèvement de décennies de recherche pour Mohammed Ghassen Nouira, consultant en management tunisien et historien amateur. Et de siècles de quête pour les historiens eux-mêmes. En répondant à cette question : comment les artisans de l'Antiquité produisaient-ils la couleur la plus rare et la plus noble de tout l'Empire romain ?
Pendant des siècles, le pourpre de Tyr a été l'apanage des rois, des empereurs et des plus hauts-rangs de la noblesse latine. Cette couleur exceptionnellement résistante et scintillante était produite par les Phéniciens, à Tyr (dans l'actuel Liban), et on ne plaisantait pas avec son usage : en 40 de notre Ère, le roi de Mauritanie fut même assassiné, en plein cœur de la Ville Éternelle, sur ordre de l'Empereur (Caligula qui, certes, était connu pour une certaine rugosité dans son exercice du pouvoir). Son crime était d'avoir arboré une étoffe de cette teinte pour assister à un combat de gladiateurs. Un édit de 301 attribue même au pourpre de Tyr une valeur officielle trois fois plus élevée que celle de l'or.
Or, contrairement aux teintures les plus répandues, le pourpre de Tyr n'existe pas à l'état naturel. Il provient d'escargots de mer, mais il est impossible de l'extraire sans en connaître la recette, jalousement gardée par les Phéniciens. Recette qui disparut avec l'Empire byzantin, quand Constantinople est tombée aux mains des Ottomans en 1453. Tout ce dont on disposait était un aperçu vague du procédé, décrit par Pline l'Ancien dans son Histoire naturelle. Il s'agissait de broyer en quantités industrielles des mollusques, depuis identifiés comme le murex épineux. Mais cette pratique ne suffit pas pour reproduire la couleur antique. Il faut ensuite faire subir au mucus ainsi récolté un traitement qu'a fini par percer à jour, donc, un obsessionnel comme on les aime. Et comme semble l’aimer la BBC :
"Un jour de septembre 2007, Mohammed Ghassen Nouira faisait sa promenade digestive quotidienne sur une plage en banlieue de Tunis. Il se souvient : "Il y avait eu une tempête terrible la nuit précédente. Il y avait donc beaucoup de créatures échouées, comme des méduses, des algues, des petits crabes et des mollusques". Il a alors remarqué une traînée colorée, un liquide à la fois pourpre et rougeâtre, qui s'écoulait de la carapace brisée d'un escargot de mer. Cela lui a rappelé une histoire qu'il avait apprise à l'école, celle du légendaire pourpre de Tyr.
Il s'est précipité vers le port de pêche le plus proche, où il a trouvé beaucoup d'autres de ces mollusques. Leurs petits corps en spirale sont recouverts de piques, donc ils se prennent facilement dans les rets des pêcheurs. "Ils les détestent", dit-il. Un homme était occupé à les retirer de son filet, et les jetait dans une vieille boîte de conserve, que Nouira a ramenée à son appartement."
Retrouver la recette antique devient vite son loisir principal, malgré les récriminations de sa nouvelle conjointe. Elle n'apprécie pas tellement l’odeur de la petite manufacture de teinture antique que Nouira décide de recréer dans le foyer conjugal.
Mais, après 16 ans de recherche, il a trouvé. Pour créer du pourpre de Tyr, il faut récupérer le mucus du gastéropode, le faire ensuite sécher au soleil (il est autrement transparent), lui ajouter d'autres pigments, cuire le tout, la bonne durée, à la bonne température. "Il se basait, comme référence, sur une mosaïque byzantine représentant Justinien avec sa femme Theodora, mais a ensuite pu comparer son travail avec des fragments de l'époque, qui ont survécu par-delà les siècles [car oui, on dispose encore d'exemples du réel pourpre de Tyr, il était réellement résistant à ce point-là]. Finalement, il a débouché sur une teinture incroyablement proche de la couleur ancienne, et à la hauteur des attentes. "C'est une couleur très vivante, dynamique", décrit-il. "Elle brille et étincelle à la lumière, elle vibre, et change, et paraît jouer des tours à vos yeux"".
Nouira a depuis exposé ses premiers produits teints au British Museum et au Musée des Beaux-Arts de Boston.
Il est au passage, note incidemment le média britannique, devenu "un expert culinaire en matière de recettes d'escargots de mer. Il recommande les pâtes au murex épicées, ou le murex frit : "C'est croquant, c'est délicieux, c'est dingue", décrit-il".
Un homme de goût. Invitons-le vite au Louvre, j’ai hâte de le voir réagir aux cuisses de grenouille persillées.
Beauté

Elle se voyait déjà en haut de la couverture
Quand en 2010, à l'âge de 28 ans, l'Italien Alessandro Tota publie son premier album de BD, il est immédiatement remarqué : Terre d'Accueil obtient le Prix du Meilleur Premier Album et celui de la Critique aux Romics, et celui de Meilleure Œuvre Italienne au Comic Book Festival de Trévise.
Puis il y aura Fratelli, et Panacinche, un reportage suivant le parcours d'une famille d'exilés croates sur deux générations. Aujourd'hui, il ébahit de nouveau la critique avec L'Illusion Magnifique.
Dans ce récit d'apprentissage, une jeune femme arrive depuis son Kansas natal à New York, avec le rêve de devenir écrivaine. Mais nous sommes en 1938. La Dépression poursuit ses ravages. Les tensions politiques sont évidentes. Elles épousent celles du Vieux Monde : d'un côté, l'utopie communiste encore vivace, malgré les premiers crimes du régime stalinien. De l'autre, l'idéologie raciste, aux yeux enamourés pour les tyrannies naissantes en Europe. Chaque jour, une guerre dont les proportions pourraient s'avérer effroyables apparaît un peu plus inévitable.
Mais c'est New York. Malgré tout, la vie culturelle reste puissante. Surtout dans le domaine de l'édition où les comics sont en train d'inventer le genre du Super-Héros, promis à un grand avenir. Ainsi qu'à des succès fulgurants… dont les auteurs ne touchent pas forcément les fruits.
Il suffit de feuilleter les premières pages sur le site de son éditeur français, Gallimard, pour comprendre que les pérégrinations de notre héroïne sont contées dans un dessin splendide et avec souffle. Ce premier volet d'un diptyque, 238 pages "à la fois fresque historique et politique, hommage à la naissance des comics, roman d’apprentissage et d’émancipation" comme l'écrit Bodoï, s’annonce captivant.
Il rappelle aujourd'hui. Il rappelle hier. Il est l'histoire du creuset politique, culturel et populaire qui façonne encore notre monde.
Bizarre

Kiss a choisi d’être “éternellement jeunes”
Ils nous ont bien fait rire, Kiss, avec leur look glam, vulgaire et pop.
Ils nous ont bien fait rire, avec leur son alliant —c'est un avis personnel— le pire des années 1970-80 : le hard rock commercial d'un côté, la variété tapageuse de l'autre.
Ils ont bien rigolé, eux aussi, avec leurs 30 disques d'or, 9 de platine et 10 multi-platine rien qu'aux États-Unis. Mais aussi avec leurs produits dérivés (la marque "Kiss" est évaluée à un milliard de dollars), et leurs hits étalés sur un demi-siècle (depuis Alive !, un album en public sorti en 1975).
Ils nous ont bien fait rire, et ce n'est pas terminé. Dans une explosion de feux d'artifice, ils ont pourtant officiellement annoncé leur retrait définitif de la scène, à un âge auquel on peut certes encore rocker et roller (les Stones en sont témoins), mais où il n'est pas interdit de se lasser d'incarner des personnages de scène crachant du feu et s'envolant grâce aux effets scéniques : les deux fondateurs, Paul Stanley et Gene Simmons, vont sur leurs 75 ans.
Lors de leur tout dernier show, samedi dernier au Madison Square Garden de New York, ils ont donc fait leurs adieux tonitruants… pour annoncer tout aussitôt qu'ils seraient là "à jamais", clamant "Votre pouvoir nous a rendus immortels !". Car le rappel fut l'occasion de passer le flambeau à leurs successeurs : 4 avatars numériques, créés par Industrial Light and Magic, la compagnie d'effets spéciaux derrière La Guerre des Étoiles, E.T. ou Jurassic Park.
On a déjà vu des stars décédées reconstituées en avatar numérique pour un tour de chant nostalgique. Mais cette fois, les doublures ayant été réalisées de leur vivant et avec leur concours, lors de longues séances de capture vidéo en studio, le résultat est bien plus spectaculaire. D'ailleurs les membres Kiss version numérique volent plus haut que jamais, crachent vraiment du feu, jouent sur une batterie qui défie la gravité.
"Ce que nous avons accompli, c'est incroyable mais ça n'est pas suffisant. Le groupe mérite de vivre, parce que le groupe est plus grand que nous", explique Paul Stanley. "Nous pouvons être jeunes, et iconiques, pour toujours", s'enflamme Gene Simmons.
Une extase pour des millions de fans à travers le monde. Une certaine idée de l'enfer pour tous les autres.
Mais aussi, mais encore

En bref : les news auxquelles vous avez échappé
Pendant ce temps-là, ici, ailleurs et à côté…
"C'est une question de survie" : en Inde, la bataille de l'accès à l'air conditionné a commencé (The Guardian) — Le séquençage génomique de plus d'un millier d'espèces de champignons hallucinogènes pourrait révéler de nouvelles façons de planer (Gizmodo) — L'influenceur qui avait volontairement crashé son avion de tourisme pour faire des vues sur YouTube condamné à 6 mois de prison, la vidéo "I crashed my Plane" atteint les 4,4 millions de spectateurs (Business Insider) — Des chercheurs imaginent un système de "neutralisation des algues", ouvrant de nouvelles perspectives pour la protection des côtes et la création d'habitats flottants (Techno-Science) — Alors que se clôt le Festival du Film la Mer Rouge à Djeddah, Egyptian Streets fait le tour des festivals de cinéma égyptien les plus glamours (Egyptian Street) — À Yaoundé, Fanta Yadang docteure en neurosciences de 32 ans et Hadidjatou Daïrou, doctorante en physiologie cellulaire de 33 ans, remportent le Prix Jeune Talent L'Oréal-UNESCO pour les femmes et la science, grâce à leurs travaux sur le potentiel des plantes médicinales traditionnelles du Cameroun dans le traitement d'Alzheimer (Sciences et Avenir) — Zahra Sarv, prisonnière politique dans les geôles iraniennes depuis octobre 2021, entame une grève de la faim et détaille dans une lettre transmise à la presse ses conditions de détention indignes (Radio Free Europe).
Et sur le Fil PostAp : les leçons européennes du Qatargate, l’histoire de l’écriture en ligne, un projet de film sur les réfugiés climatiques en Grèce, une nouvelle émission sur la stratégie internationale, l’interview d’un trafiquant de sex-tapes, et le portrait d’une activiste française qui veut la peau de l’obsolescence programmée.

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Prochaine newsletter : samedi 16 décembre.
Gardons les pieds sur Terre pendant que ça tourne.
Un grand merci à Marjorie Risacher pour sa relecture attentive, et ses coquillicides impitoyables.





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