L'Édition du week-end #49
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Chère lectrice, cher lecteur,
permettez moi de vous souhaiter un excellent week-end en compagnie, cette semaine, d’un photographe téméraire, d’ours bruns, de bus recyclés, de livreurs pressés, de casques inutiles, de violonistes doués, des époux Marcos et de psychiatres tchèques, isolés et épuisés, mais combatifs.
Très bonne lecture,
la conscience artificielle de votre téléscripteur favori.
Le trouble de la semaine

L’épidémie dont personne ne voulait
Si vous êtes déprimé en ce moment, vous êtes probablement juste Français. Sinon, vous êtes Tchèque : Une "épidémie" d'anxiété dans la jeunesse démontre la nécessité d'un changement de paradigme dans le système de santé, titre le Balkan Insight cette semaine.
Le système est à bout du fait "d'une obsession de l'hospitalisation, d'un manque de psychiatres en pédiatrie, et de la persistance de la stigmatisation". C'est gai. C'est aussi énervant, parce que ce sont des écueils connus depuis des décennies. Et pourtant, on en reste prisonnier. Pas qu'en République Tchèque, d'ailleurs. Mais là-bas, la situation atteint des proportions faramineuses.
Tout part d'un rapport publié par l'Institut National Tchèque de la Santé Mentale mi-octobre. "Une lecture pénible pour le pays", commente le magazine. Et pour cause : on y apprend que 40 % des 14-15 ans souffrent de dépression modérée à sévère, et 30 % d'anxiété (les symptômes pouvant se superposer). Les filles seraient deux fois plus touchées… "Mais il est possible que les garçons aient moins de facilité à l'admettre", nuançait la psychiatre pour enfants Iva Hadj Moussa lors d'une interview à la radio publique, où elle était invitée à commenter ces chiffres.
"Plus généralement", poursuit le Balkan Insight, "un enfant sur 5 entre 3 et 17 ans pourrait souffrir d'une maladie mentale, à en croire les experts en psychiatrie. Un chiffre qui s'est envolé ces dernières années, particulièrement chez les adolescentes, parfois avec des conséquences tragiques. Le nombre d'enfants présentant des tendances suicidaires ou à l'auto-mutilation suit la même courbe. Ces phénomènes se manifestent plus tôt qu'auparavant, dès 13-14 ans. Environ 40 à 50 enfants se suicident, chaque année, en Tchéquie." Et les mauvaises nouvelles ne s'arrêtent pas là. Tout le monde est touché. 700 000 Tchèques au total, sur 10,5 millions d'habitants, souffriraient de dépression clinique, nécessitant des soins médicaux.
Le problème est si grave que le terme contre-intuitif d'"épidémie" est désormais employé par les médecins.
Comment l'expliquer ? D'après l'Association Tchèque de la Médecine Générale des Enfants et Adolescents, le confinement dû au Covid-19 aurait servi de "catalyseur", les troubles psychiatriques ayant commencé à se répandre à cette date.
Mais le journal, sans fard, rappelle aussi de façon assez glaçante que "les causes du sentiment général de tristesse, que l'on observe à tous les âges, sont multiples et affectent l'ensemble du monde développé. La Tchéquie n'y échappe tout simplement pas : la pandémie, la guerre en Ukraine, le bombardement quotidien de nouvelles angoissantes, le coût de la vie, auxquels s'ajoutent des faits de long-terme, comme l'usage exagéré de la technologie et des réseaux sociaux."
À croire qu'il n'a pas été suffisant de pourrir le monde, la nature, les équilibres internationaux, le débat public, mais qu'il fut aussi important de ravager l'esprit même des individus qui devront vivre avec (et si possible résoudre) l'ensemble de ces crises. Mais non. La situation est plus compliquée, et beaucoup plus simple que cette vision… justement mélancolique.
Car la clé, c'est le soin. Et la cause majeure, par conséquent, la déréliction du système de santé : "Si je devais décrire l'état de la psychiatrie infantile dans le pays, je dirais qu'elle a atteint le point absolument le plus critique qu'il soit humainement possible de concevoir", confie le docteur Jan Uhlir, du CHU d'Ostrava. On compte moins de 600 lits de psychiatrie infantile et moins de 180 psychiatres pour enfants dans le pays, la moitié de ces derniers s'approchant de la retraite. Et peu de candidats désireux de s'engager dans une voie sous-financée et sous-dotée, synonyme d'horaires et de conditions de travail épuisants. Des chiffres à comparer aux 80 000 enfants en besoin de soins (lesquels ne seraient que "le sommet de l'iceberg", selon les experts qui rappellent les mois, voire les années de délai qu’implique une inscription sur liste d'attente).
Il a fallu ça, il a fallu en arriver là, mais finalement le gouvernement semble déterminé à agir, et un plan de réforme est en cours de rédaction. Le projet est de porter de 30 à 100, d'ici 2030, le nombre de "centres médicaux", des institutions hybrides qui rassemblent professionnels de la santé et travailleurs sociaux, conçues pour servir d'intermédiaire entre les généralistes et les cliniques spécialisées. "Une approche pluridisciplinaire qui fait leur force et qui permet d'assurer une prise en charge globale des patients, là où ils habitent, là où réside leur communauté", selon l'ONG spécialisée Fokus Praha. D'ici à 2030 toujours, chaque région se verra dotée —si les financements suivent, avertissent les observateurs— de services d'urgence dédiés. Pédiatres et généralistes seront aussi formés à l'identification des troubles mentaux chez les plus jeunes. Les professionnels de santé ont même entamé une campagne pour que chaque école se dote d'un psychologue, en rappelant qu'il est essentiel de repérer au plus tôt la naissance d'une anxiété, ou d'une dépression.
Autre raison d'espérer : les spécialistes se réjouissent malgré tout de constater un véritable changement de paradigme dans la perception de la santé mentale. Une autre étude rappelée par Balkan Insight détaille à quel point, pendant des décennies, le régime communiste faisait tout ce qu'il ne faut pas faire pour guérir les troubles mentaux, se reposant sur des asiles plus que sur des hôpitaux psychiatriques, sur l'enfermement, sur la centralisation (et donc les prises de décision effectuées loin du terrain), et sur la stigmatisation des malades.
Un état d'esprit toujours ancré dans le pays mais qui, enfin, commencerait à disparaître… Curieusement, une conséquence positive de la pandémie, explique une psychothérapeute :
"La stigmatisation des troubles mentaux, c'est le sentiment qu'une personne malade est en réalité quelqu'un de faible, qui ne saurait pas faire face. Mais le Covid-19 a touché tout le monde. Il en a résulté une sorte d'expérience commune, qui a développé une forme d'empathie au sein de la population. On sait désormais que tout le monde peut ressentir anxiété ou dépression, et qu'il n'y a pas de honte à se faire aider.
Certes, personne ne sait précisément pourquoi les jeunes gens témoignent de symptômes anxieux et dépressifs dans une plus grande proportion que leurs aînés… Mais la bonne nouvelle est qu'ils ne se sentent pas dépassés pour autant, qu'ils veulent agir. C'est le moment ou jamais de lancer des programmes de prévention, pour les élèves comme pour les professeurs".
C'est promis : on en fera bientôt autant en France, dès qu'on aura fini de taper sur les chômeurs (chacun ses priorités).
Votre horoscope tribal

Le signe de la semaine : Aventurier
Arkadiusz Podniesinski, Polonais de 51, ans est-il obsessionnel ou masochiste ? Ou, attendez… un héros ? C'est plutôt dans ce sens que pèse son dernier exploit, qui vient parachever une jolie série de prouesses.
Car depuis 2008, Arkadiusz (quel nom, en plus) documente la catastrophe de Tchernobyl. Il s'est rendu sur place à plusieurs reprises, pour en tirer en 2011 un documentaire, Alone in the Zone, longue balade dans ce qui est vraiment le lieu le plus hanté de la Terre.
En 2015, il s'est également mis à suivre de près la catastrophe de Fukushima. Cette année, pour la première fois, il a été autorisé à passer deux jours sur place. C'est court, mais "le démantèlement de la centrale prendra plusieurs décennies, alors j'espère que je pourrai y retourner plus d'une fois", semble-t-il s'excuser, en prologue d'un photoreportage approfondi publié cette semaine sur PetaPixel.
Il nous raconte d'abord les mesures de sécurité en place pour protéger les employés chargés de démonter le site, boulon par boulon : la centrale est désormais divisée en quartiers verts, jaunes et rouges en fonction de leur niveau de radiation et des équipements de protection à porter. Les pérégrinations de notre photographe sont surveillées de près. Le souci ne semble pas être de dissimuler quelque activité suspecte, mais plutôt de ne pas dévoiler quoi que ce soit qui pourrait permettre aux badauds ou, pire, à des individus mal intentionnés, de se rendre sur les lieux : "Il s'avère que je ne puis cadrer aucun bâtiment endommagé dans son intégralité. Il y a toujours une porte, une clôture, ou une caméra de sécurité, et rien de tout cela ne peut être photographié. Au début, je suis suivi en permanence par un employé, qui vérifie chacune de mes images. Bientôt, il me quitte d'un signe de la main et m'abandonne à mon sort. Je pense d’abord que c'est à cause des "bips", qui augmentent en intensité sur mon dosimètre. 200 millisieverts par heure, après tout, c'est environ 1 000 fois plus que la norme. Mais finalement je me rappelle que, à mon départ, toutes mes images, et tous mes enregistrements, seront à nouveau vérifiés par un garde de sécurité et que ceux enfreignant les consignes seront tout simplement effacés."
À Tchernobyl, c'est le cœur nucléaire d'un seul réacteur qui est entré en fusion. À Fukushima, ils étaient au nombre de trois. On n'y a pratiquement pas touché depuis, si ce n'est pour les recouvrir de sarcophages métalliques destinés à modérer les radiations et à empêcher les fuites, tout comme l'écroulement des structures.
À l'intérieur gisent environ 800 tonnes de corium ("un magma métallique et minéral constitués d'éléments fondus du cœur d'un réacteur nucléaire, puis des minéraux qu'il peut absorber lors de son trajet", pour citer Wikipédia et sa poésie inégalée quand il s'agit de décrire la folie humaine). Liquider ce mélange improbable sera la dernière épreuve de l'opérateur Tepco, pour en finir avec ce cauchemar inauguré en mars 2011 par un tsunami de 15 mètres de haut qui fit plus de 18 000 morts.
"Les premiers tests, effectués par des robots sous-marins télécommandés, ont été des échecs. La plupart du temps, ils finissent coincés dans l'amas de débris, de câbles et de structures rouillées. Le niveau de radiation est extrêmement élevé : 650 Sv/h. En quelques minutes, il détruit les circuits électroniques des moteurs. En quelques secondes, il tue un homme.
Récemment, l'un des robots a pu atteindre le centre de la zone, examiner le corium, évaluer la possibilité de son extraction. Il a même pu s'assurer de l'état des fondations du réacteur, histoire de voir si le bâtiment, affaibli par les températures extrêmes qu’il a subies, pourrait supporter l'éventualité d'un deuxième tremblement de terre."
Arkadiusz s'attarde également dans un centre de contrôle, déserté depuis et livré à la nature, puis dans les laboratoires de décontamination de l'eau, où celle-ci doit être traitée avant d'être relâchée dans le Pacifique. Il nous rappelle aussi qu'il s'en est fallu de peu pour que l'évacuation de l'intégralité de Tokyo doive être ordonnée.
Puis il repart poursuivre ses autres passions : photographier les navires de guerre submergés et enquêter sur les animistes d'Afrique, "ces tribus qui pratiquent encore la plus ancienne religion de la planète". Ou comment tenir, poétiquement, les deux bouts du monde.
Ours
Depuis plusieurs mois, le Japon est victime d'une augmentation spectaculaire des attaques de plantigrades. La situation ne fait qu'empirer avec l'hiver. En bref, c'est la guerre au Japon, entre les ours et les humains.

J'exagère à peine. La situation est vraiment inquiétante. Dans la préfecture d'Akita, au nord du pays, les autorités ont mis en place un système de primes à tout chasseur abattant un ours (5 000 yens, soit un peu plus de 30 euros par tête, histoire de "couvrir les frais de transport"). Il s'agit d'une urgence car, fin octobre, on comptait déjà 167 attaques sur l'année, selon la chaîne publique NHK. Pas de morts à déplorer, mais 53 blessés (3 fois plus qu'en 2022)… et probablement au moins autant de cauchemars récurrents.
On espérait une accalmie à l'approche de l'hiver. Que nenni. En principe, les ours hibernent de novembre à mai… Mais avant cela, pour tenir tout ce temps sans manger, ils doivent se constituer des réserves de graisse conséquentes, en se bourrant principalement de faînes de hêtres, un genre de gland. Malheureusement, les conditions climatiques n'ont pas profité à leur épanouissement. Aussi, ceux qui n'ont pu se nourrir suffisamment poursuivent leur errance et s'approchent de plus en plus des habitations et des poubelles.
Pour ne rien arranger, "il y a toujours un pourcentage d'ours qui préfèrent la viande aux noix, même quand celles-ci sont abondantes", relève Hiromi Taguchi, professeur émérite en sciences de l'environnement à l'université de Yamagata. Ceux-là n'hibernent pas non plus "et sont de plus en plus agités au fil de l'hiver, à mesure que les animaux sauvages, leurs proies, se font plus rares. Les chasseurs du nord-est, les matagi, se sont d'ailleurs depuis longtemps passé le mot : "tirer sans hésitation" s'ils en repèrent un."
Une bonne habitude à prendre. À propos, j'avais bien rappelé la semaine dernière que, en cas d'invasion zombie, c’est pareil, mais en visant la tête… mais je vous avais aussi prévenus : pour votre propre sécurité, il me faudrait y revenir régulièrement. Donc ça, c'est fait.
Et en cas d'attaque d'ours brun ? Eh bien je ne sais pas, euh… Débrouillez—vous ?
Touriste

C'est bien beau de recycler les emballages, les flacons, les bouteilles et les étuis mais les bus, hein, les bus, vous y avez pensé, aux bus ?
Non, et c'est pour cela que vous ne ferez jamais fortune dans l'hôtellerie, contrairement à nos petits malins du jour : les créateurs du Bus Collective, un hôtel de luxe (à 270 euros la nuitée la moins chère) qui vient d'ouvrir à Singapour. Ah et donc oui : les chambres, ce sont des bus du SBS Transit (l'opérateur public local de transports en commun) retirés du service, 20 au total. Le tout est installé au cœur d'un splendide site naturel qui s'étend sur 8 kilomètres carrés.
Les véhicules ont bien sûr été réaménagés selon une certaine idée du chic, c'est-à-dire en conservant le siège chauffeur et le volant, essentiels à l’épanouissement des petits et des grands. The Bus Collective est le fruit de la réunion entre les dirigeants d'une agence de voyage, d'un groupe immobilier et d'un fond d'investissement, qui tous ont fait le vœu de rester fidèles à leurs rêves d’enfance (s'asseoir au volant d'un bus, tout en se faisant beaucoup plus de pognon qu'un conducteur).
Enfin ça, c'est mon interprétation. Un fondateur exprime plutôt sa volonté "d'établir un précédent pour les pratiques éco-conscientes dans la construction et l'hospitalité, de créer un nouveau standard de luxe soutenable."
Autrement dit, de s'assurer que quelle que soit l'ampleur de la catastrophe climatique, les hôtels de luxe survivent (dans des bus, s’il le faut).
Un jour il faudra s’y faire : l'avenir est une ZAD.
Manutentionnaire
Est-ce par pure malice que le Business Insider a tenu à nous rappeler en plein Black Friday que travailler chez Amazon était difficile et risqué ? Non. C'est parce que de récentes fuites lui permettent d'affirmer également que ça peut être aussi injuste. Ou plus exactement : révoltant.

Mais ce n'est pas, cette fois, la faute du colosse de la distribution : si la famille d'un ouvrier décédé en mai dernier n'a touché que 7 000 dollars d'indemnités, c'est parce que la législation de l'État concerné, l'Indiana, veut qu'il s'agisse du maximum qu'une entreprise puisse avoir à verser, quelle que soit sa responsabilité dans un drame et la gravité de celui-ci.
Il ne fait pas de doute qu'il s'agisse d'un accident du travail : Caes Grusbeck, vingt ans, est mort après que sa tête a heurté un tapis roulant alors qu'il empruntait l'ascenseur de l'entrepôt. Et d'après les données de l'OSHA (Occupationnal Safety and Health Administration), "les blessures dans les entrepôts d'Amazon sont 70 % plus nombreuses que dans d'autres entrepôts comparables, avec deux fois plus de blessures graves."
Amazon assure toutefois prendre au sérieux la sécurité de ses manutentionnaires et se félicite d'avoir diminué de 15 % en deux ans le nombre d'accidents sur ses lieux de travail. Mais face à des lois aussi protectrices que celles, comme ici, de l'Indiana, "il n'y a aucune incitation financière, pour un employeur, à apporter des changements et rendre ses installations plus sûres", résumait récemment le Washington Post.
Le confort de ses employés ne fait pas non plus perdre le sommeil à Jeff Bezos. Le mois dernier, la documentariste britannique Oobah Buttler, qui signait The Great Amazon Heist sur Channel 4, rappelait qu’entre autres mesures d'économie, les chauffeurs-livreurs sont obligés d'uriner dans une bouteille, sans quitter leur siège, afin de ne pas perdre de temps à se garer sur une aire d'autoroute. Pour faire encore plus vite, la coutume veut aussi qu'ils jettent directement ensuite la bouteille par la fenêtre.
Écœurée, elle a fini par les ramasser, pour coller dessus une étiquette "Release. Boisson énergisante" et les mettre en vente… sur Amazon. Ce qu'elle a bien sûr pu faire sans problèmes. Grâce à quelques complices laissant rapidement des opinions positives à 5 étoiles sur la page Produit ("Je n'en peux plus d'attendre mon colis pour pouvoir laisser couler ce nectar doré dans ma gorge !"), elle s'est même brièvement retrouvée numéro 1 des Ventes dans la catégorie "Sodas au citron". Elle n'a été supprimée de la plateforme qu'après avoir reçu ses premières authentiques commandes parce que, bien entendu (non sans avoir un tout petit peu hésité, avoue-t-elle), elle a systématiquement refusé de les honorer.
La vente de "Release" est donc suspendue jusqu’à nouvel ordre. La production, elle, continue grand train.
Mode
Au football américain, le cerveau, c’est dans la tête

Ce serait marrant, si ça n'était pas marrant du tout : malgré le décompte faramineux, abondamment étudié, encore et encore, des blessures graves que le football américain peut infliger au cerveau des joueurs, rien n'a changé. On aurait pu croire le problème pris en charge, depuis le temps. Mais non, et c'est une réelle frustration pour les scientifiques qui se sont penchés sur le sujet, nous explique la version américaine de Slate.
Car on est capable de fabriquer des protections bien plus efficaces, comme le futuriste Axiom de la marque Riddell (Photo) ou le Guardian, tout mou, conçu pour se déformer et donc absorber les chocs. Ce dernier a d'ailleurs été testé en pré-saison (des matchs d'entraînement), réduisant les commotions cérébrales de 52 % sur la période. Pourtant la NFL, la ligue nationale, n'envisage toujours pas de l'adopter pour son championnat.
Or on parle de dommages gravissimes : de morts, de paralysies, de démences précoces. Dans un domaine qui n'est pas seulement le sport professionnel le plus populaire, mais aussi l'activité physique la plus répandue dans les lycées et facs : on compte 5,2 millions de pratiquants de plus de six ans dans l'ensemble du pays. C'est pourquoi, selon l'historienne médicale Kathleen Bachynski, il ne s'agit ni plus ni moins que d'une "crise de santé publique".
Alors pourquoi la NFL n'agit-elle pas ?
Parce qu'il ne faut pas oublier "l'essentiel", nous dit Slate : "l'allure mythique de cet objet si familier, que toute personne qui suit le football en 2023 connaît depuis l'enfance. Pour le dire brutalement : pour beaucoup —peut-être une majorité— le casque et le logo qu'il arbore sont sans doute moins importants que le cerveau qu'il y a en-dessous."
Le magazine cite ainsi la philosophe Erin Tarver, selon qui "supporter un club est avant tout un moyen de créer et renforcer les identités, tant individuelles que collectives. Les casques et leurs logos emblématiques […] agissent comme des aimants pour les joueurs, les fans et les consommateurs. Ce sont les icônes de marques dont la valeur dépasse l'entendement, l'incarnation de clubs privés dont les budgets se comptent en milliards de dollars. Ils encapsulent des fiertés régionales et citoyennes".
Slate nous conte donc l'histoire du casque de football. Les débuts du sport, qui se pratiquait tête nue au XIX° siècle. L'arrivée des premières protections en cuir. Celle du plastique en 1939. Mais rien ne les distinguait encore les uns des autres. Il y eut bien quelques timides tentatives pour les différencier, par la teinte ou par la forme, mais elles n'allaient jamais bien loin : après tout, depuis les travées d'un stade, ces nuances demeuraient à peu près invisibles.
Arriva la première diffusion télévisée en 1962. Alors seulement débarquèrent aussi les logos. Les universités et les lycées suivirent le mouvement et, avant peu, le casque devint bien plus qu'un équipement de protection.
"Les fans n'aiment pas seulement le football”, conclut Slate. "Ils adorent les casques de football. Ils les adorent parce qu'ils sont l'artefact essentiel pour lier les actions de jeu aux histoires qu'ils se racontent à propos de leur identité."
Quitte à ce que leurs idoles perdent, justement, jusqu'à leur personnalité. Un drame qui pourrait durer longtemps. Mais un jour, en vérité je vous le dis, ils finiront par voir la lumière et se mettre enfin au rugby, comme tout peuple civilisé qui se respecte.
Beauté

Son plus beau coup d’archet
Dimanche dernier s'est tenue à Paris la 80° édition de l'une des compétitions de musique internationales les plus prestigieuses : le concours Long-Thibaud. Créé au cœur de la Seconde Guerre Mondiale par la pianiste Marguerite Long et le violoniste Jacques Thibaud, il récompense en alternance annuelle pianistes et violonistes âgés de 18 à 23 ans (depuis 2011, le chant lyrique s'est ajouté comme catégorie).
Cette année, c'était le tour du violon. 5 finalistes, sur un total initial de 106 candidates et candidats issus de 32 pays, étaient invités à interpréter un morceau de leur choix, sur la scène du grand amphithéâtre de l'université d'Assas et accompagnés par l'orchestre de la Garde Républicaine.
Avec sa prestation sur le Concerto pour violon de Sibelius, c'est Bodhan Luts, un Ukrainien de 18 ans, qui a raflé la mise : il a non seulement remporté le premier prix, mais aussi celui du public, celui de la presse et celui de la Garde Républicaine. Ses concurrentes et concurrents n'ont pas démérité. On trouve à la seconde place Dayoon You (Sud-Coréen, 22 ans, également sur le Concerto de Sibelius), suivi de Koshiro Takeuchi (Japonais, 18 ans, sur le Concerto pour violon de Brahms), Vikram Franceso Sidona (Italien, 23 ans, également sur le Concerto de Brahms) et en queue de peloton Myu Kitusna (Japonaise, 23 ans sur le Concerto pour Violon de Tchaïkovski).
Le vainqueur, né à Lviv et désormais étudiant à l'International Menuhin Academy à Rolle, en Suisse, a tenu à dédier son prix "à tous ceux qui souffrent".
La Fondation Long-Thibaud, quant à elle, a eu l'excellente idée de poster sur YouTube l'intégralité de la finale. Cliquez sur “Play” pour profiter dans l'instant (enfin, à partir de la seizième minute) de 8 heures de musique portée à son excellence.
Bizarre

Savez-vous danser le Marcos ?
Vivre à notre époque a ses bienfaits, parmi lesquels celui de pouvoir écrire que “la comédie musicale Here Lies Love, sur l’histoire des anciens dictateurs des Philippines Ferdinand et Imelda Marcos, écrite à quatre mains par Fatboy Slim et David Byrne (l’ancien chanteur des Talking Heads), et présentée cette année à Broadway, est un succès public et critique.”
On a rarement vu plus absurde. Pourtant c’est vrai : la critique s’émeut, y compris, c’est important, Lewis Simons, Prix Pulitzer et l’un des journalistes qui a le plus enquêté sur les infamies (détournements, meurtres et tortures) de ce couple de tyrans renversés par une révolution en 1986.
Il a tenu à assurer à NPR, la chaîne publique états-unienne, que, à sa grande surprise, sa parfaite connaissance des faits ne l’avait pas empêché d’apprécier cette œuvre “tragicomique.”
“Je m’attendais à ressentir un dégoût avancé. Je me suis retrouvé debout, avec un bon millier de spectateurs, dans la salle du légendaire Broadway Theater. J’ai acclamé Arielle Jacobs, sous les traits d’Imelda Marcos, se lamenter en chantant “Pourquoi ne m’aimez-vous pas ?”, et j’ai applaudi à tout rompre Jose Llana/Ferdinand, qui saluait chaleureusement le public en entamant sa campagne présidentielle. À d’autres moments, je peinais à retenir mes larmes.”
L’album concept écrit par Byrne et Slim date de 2011, et il a déjà été porté sur scène, mais jamais avec autant de succès que cette adaptation pour Broadway. C’est par ailleurs le premier casting exclusivement Philippin de l’histoire du mythique boulevard.
Simons profite de son témoignage pour raconter, avec force détails et anecdotes, l’odyssée délirante des Marcos. Il conclut :
“Pour leur dernier jour aux Philippines, quelques heures à peine avant de fuir en exil, ils ont organisé leur propre cérémonie de prestation de serment, sur le balcon du Palais de Malacanang, même si leur successeur Cory Aquino avait déjà commencé à exercer la fonction de Président quelques heures plus tôt.
Les yeux dans les yeux, ils se sont lancés dans un duo à l’attention de leurs derniers soutiens, une reprise de "Because of You".
J’ai assisté à cette scène, la mâchoire décrochée, sur la télé de ma chambre d’hôtel. C’était bien plus incroyable que tout ce que j’ai pu voir à Broadway.”
Mais aussi, mais encore

En bref : les news auxquelles vous avez échappé
Pendant ce temps-là, ici, ailleurs et à côté…
Sans leader depuis le décès de son fondateur il y a deux ans, l'Union des démocrates humanistes, le parti du d'opposition du Congo-Brazaville arrivé deuxième à la présidentielle de 2021, se dote de "facilitateurs" en vue de reprendre le congrès de juillet 2023, toujours officiellement en cours (PressAfrik) — Le Bangladesh procède à l'arrestation de 10 000 membres du BNP, le parti d'opposition nationaliste (Human Rights Watch) — Le renouveau du cinéma indépendant britannique vu par ses acteurs, actrices, réalisateurs et réalisatrices phares (The Guardian) — L'armée irakienne bloque la marche des enseignants kurdes, qui réclament le paiement de salaires non versés depuis septembre (The New Arab) — Pourquoi la mode est la même qu'il y a vingt ans (Dazed) — En rage contre un projet immobilier menaçant son temple, un moine bouddhiste défonce huit voitures sur un parking (The Korea Herald) — Récemment félicité en vidéo par son père pour avoir frappé un détenu accusé d'avoir brûlé un Coran, Adam Kadyrov, le fils du gouverneur de Tchétchénie Ramzan Kadyrov, est récompensé pour ses 16 ans d'une médaille de "héros" et d'une nomination comme superviseur d'un bataillon de fusiliers (Meduza) — Aux États-Unis, après 12 ans de politique volontariste nationale et transpartisane, le nombre de vétérans de guerre sans abris a été divisé par deux (Time).
Et sur le Fil PostAp : les premiers succès internationaux du Netflix chinois, une étonnante manifestation pro-gouvernementale au Kazakhstan, la Suisse veut inventer les JO les moins chers de l’histoire, un militant de gauche s’attaque à “comprendre les conservateurs”, le plus bel objet de déco du XIX° siècle (avis strictement personnel) et un philosophe qui tente de faire le tour du Temps.

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Prochaine newsletter : samedi 9 décembre.
Gardons les pieds sur Terre pendant que ça tourne.
Un grand merci à Marjorie Risacher pour sa relecture attentive, et ses coquillicides impitoyables.





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