L'Édition du week-end #45
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Chère lectrice, cher lecteur,
permettez moi de vous souhaiter un week-end reposant en compagnie, cette semaine, d’une campagne en folie, de saboteurs précurseurs, du combat d’un architecte contre la laideur des constructions modernes, de mercenaires, de sous-marins, de peintres, de fringues et d’une plaque tectonique drôlement bien cachée, mais passez assez pour une thésarde de l’université d’Utrecht.
Très bonne lecture,
la conscience artificielle de votre téléscripteur favori.
La campagne de la semaine

C'est clairement une tendance de l'année : l'ensemble des partis politiques s'unissant contre un seul homme, avec un unique objectif : débarrasser le pays d'un autocrate engagé fermement sur le chemin de la tyrannie. On l'a vu en Turquie contre Erdogan et, avec plus de succès, en Pologne contre le PiS. C'est également la perspective à laquelle on assiste en Inde, comme je vous l'avais raconté dans une précédente édition. C'est aussi le cas à Madagascar, où le chaos politique atteint des proportions invraisemblables.
Le premier tour de l'élection présidentielle doit avoir lieu le 16 novembre prochain. Le sortant, Andry Rajoelina, est candidat à sa succession.
Quand il est apparu sur la scène politique nationale en 2009, vous vous en souvenez peut-être, l'alors jeune homme (il est né en 1974) représentait un véritable espoir dans un pays marqué par une pauvreté dramatique. L'ancien maire d'Antananarivo, entrepreneur à succès —dans le secteur clé des médias, notons-le— apparaissait comme pragmatique, libéral, volontaire. La situation est bien différente aujourd'hui.
L'épidémie de Covid, puis une sécheresse sauvage, ont plongé une grande partie du pays dans la famine et déjà bien plombé son image… Certes, la situation érodait la confiance des électeurs, mais ses responsabilités en ces matières étaient limitées,. Ce sont finalement ses manœuvres politiciennes et inquiétantes plus récentes qui sont en train de mettre le feu aux poudres.
D'abord, Rajoelina n'est même pas censé pouvoir se présenter. En juin dernier, le pays a appris avec stupéfaction qu'il avait, avec sa femme et ses trois enfants, acquis secrètement la nationalité française (celle de l'ancien colonisateur) en 2014. Or la loi impose la perte de la nationalité malgache à un habitant qui en acquiert volontairement une autre… et bien sûr la Constitution exige du président qu'il ait la nationalité du pays. Mais comme le dit le candidat : "Personne ne peut enlever ni changer le sang malgache qui coule dans mes veines", donc pourquoi s'embêter ? Un recours en justice a bien sûr été déposé par un collectif citoyen, mais la Haute Cour l'a jugé irrecevable la veille du dépôt officiel des candidatures, arguant qu'il n'avait pas employé de manœuvres frauduleuses dans l'affaire.
Deuxième étape : comme la Constitution le stipule, Rajoelina doit ensuite démissionner de son poste de Président, une fois sa candidature déclarée. C'est au président du Sénat que revient l’exercice du pouvoir dans l'intervalle. Le candidat-Président respecte (cette fois) la loi, et rend son mandat début septembre. Mais le président du Sénat renonce, lui, à sa mission d'intérim. Le premier ministre, Christian Ntsay, est nommé à sa place par la Haute Cour. Un mois plus tard, coup de théâtre : le président du Sénat revient sur sa décision. Par un courrier officiel, il explique n'avoir renoncé qu'en raison de menaces de mort persistantes émises par le gouvernement lui-même. C'est embêtant.
Heureusement pour le parti au pouvoir, il y a une solution : le Sénat est aussitôt convoqué pour destituer son propre président, accusé de "déficience mentale"… en dépit d'un examen médical arguant au contraire de sa parfaite santé psychique. L'argument est tout trouvé : son revirement inattendu, et la justification qu'il a avancée, témoignent mieux qu'un médecin de ses problèmes mentaux, selon le gouvernement. L'homme est donc dégagé de son poste en quelques heures, et immédiatement remplacé par un proche du président, qui plus est un militaire en retraite, le général Ravalomana, dit "Bomba."
Face à ces dérives, les opposants, réunis sous la bannière du "Collectif des 11", jettent le doute sur l'impartialité des institutions chargées d'assurer le bon déroulement des élections, demandent leur transparence, exigent la démission du Premier Ministre, Christian Ntsay et appellent à des marches pacifiques régulières dans le pays. Mais ces rassemblements sont réprimés de façon "inutile et disproportionnée", selon l'ONU, qui se dit "préoccupée par la dégradations des droits humains" sur l'île de l'Océan Indien. L'un des candidats a même été blessé au visage par un éclat de grenade lacrymogène. Il est actuellement hospitalisé.
Ce 17 octobre, la présidente de l'Assemblée Nationale, proche du pouvoir, est malgré tout parvenue à susciter "les hourras" du Parlement, en affirmant : "Les germes d’un conflit pour une guerre fratricide sont visibles et ne cessent de s’amplifier [mais] j’irai là où il y aura une sortie de crise dans l’intérêt suprême de la nation", non sans avoir constaté, piteusement, "Notre pays va mal, notre peuple est en souffrance, et nous sommes la cause de cette défaillance".
Si l'amour du pouvoir continue à susciter, aussi fort et partout, autant de crises et de médiocrité, je vais peut-être bien redevenir l'anarchiste que je n'aurais peut-être bien jamais dû cesser d'être.
Votre horoscope tribal

Le signe de la semaine : Luddite
J'ai toujours considéré les Luddites comme des héros, mais j'avais tort. Enfin si, pardon, c'était bien des héros, mais pas pour les raisons que je croyais. Je les voyais comme des pionniers de la décroissance —et en cela je me fourrais le doigt dans l'œil, jusqu'à l'omoplate, pour citer un capitaine de mes amis. C'est ce que je viens d'apprendre grâce à Blood in the Machine, the origins of the rebellion against Big Tech (Little Brown Edition), le nouveau livre du journaliste spécialisé dans les nouvelles technologies, notamment auprès du Los Angeles Time, Brian Merchant.
Qu'est-ce qu'un Luddite ? Eh bien, ce n'est pas innocemment que j'ai commencé ce texte en esquivant la question. Car la réponse n'est pas évidente. "Des fabricants du textile en Angleterre qui, à l'aube de la Révolution Industrielle, se sont opposés à l'arrivée de nouvelles machines-outils. Au cœur de la nuit, ils s'infiltraient secrètement dans les manufactures, et détruisaient les métiers à tisser mécaniques qui, estimaient-ils, constituaient une menace pour leurs emplois", résume Time Magazine après avoir rencontré l'auteur de cet essai qui plonge le lecteur dans une histoire détaillée et enrichie de ce mouvement radical du XIX° siècle.
Le problème, relève Merchant, c'est que cette définition communément admise, tout comme la connotation qu'a pris ce terme au fil du temps, fait des Luddites de simples réactionnaires, opposés au progrès en tant que tel, des arriérés en quelque sorte qui, si on les avait laissés faire, nous auraient conduits à nous éclairer à la bougie. "Luddite", c'est même, surtout outre-Atlantique, devenu une insulte, propre à disqualifier tout propos critique des choix politiques qui accompagnent le développement spectaculaire des nouvelles technologies. Un peu comme, ici, le mot plus connu de "Amish".
Et encore. Les Amish refusent bel et bien les techniques héritées de la Révolution Industrielle. Mais ce n'était pas le cas des Luddites, explique Merchant dans son ouvrage. Ils étaient au contraire, précisément, des techniciens. Des experts de la mécanisation, déjà entamée, des manufactures. Ils avaient parfaitement conscience de combien ces inventions pouvaient faciliter leur travail.
"Ce à quoi ils s'opposaient en revanche, c'était à une décision, présentée comme inévitable, prise par les propriétaires des usines, au début du XIX° siècle", résume le magazine américain. À savoir : "Plutôt qu'envisager les machines comme un moyen d'aider ces professionnels à mieux travailler, ils ont préféré industrialiser massivement la production, dans le but de fabriquer de plus larges quantités de textiles et pour moins chers. Ce principe les a conduits à embaucher des travailleurs moins formés, moins bien payés —souvent des enfants— plutôt que de la main d'œuvre qualifiée dotée d'années d'expérience".
C'est là que ça devient intéressant : "Les Luddites ont parfaitement compris que ce phénomène non seulement dépréciait leur métier, et leur salaire, mais aussi bouleversait la nature même de leur activité. Et redéfinir le sens du mot "travail". Au lieu de "l'industrie domestique" alors en vigueur, dans laquelle les ouvriers du textile exerçaient le plus souvent de chez eux et pouvaient gérer eux-mêmes leurs heures de travail au fil de la semaine comme de la journée, une nouvelle institution advenait : l'usine. À l'usine, on travaillerait dorénavant, durant de longues heures et de longues journées, auprès de machines dangereuses. On se nourrirait de maigres repas. Et l'on serait soumis à l'autorité punitive du contremaître."
C'était un choix de société, un choix politique, dans lequel il y aurait des gagnants, mais aussi, et surtout, des perdants, plus nombreux et ayant beaucoup, beaucoup à perdre, à commencer par… franchement, le sens de la vie.
La révolte luddite, qui consistait donc à briser et saboter les métiers à tisser imposés par les propriétaires d'usines, n'a d'ailleurs pas pris d'emblée le tournant violent (envers les biens) qu'on lui connaît. Des demandes de réformes et de législation, des pétitions, ont été adressées en nombre au parlement britannique. Sans succès ni, franchement, grand intérêt des députés (à l'exception notable du poète Lord Byron, qui consacra même un poème élogieux au mouvement, et un discours face à ses pairs qui mérite encore le coup d'œil (disponible ici en français).
Le parallèle avec notre époque, celle des "jobs à la con" conceptualisés par David Graeber, qui nous rendent si malheureux, si étouffés, si seuls, et nous sont pourtant imposés avec toujours plus de force, en vertu de l'utopie pathétique qui vise à reproduire en 2023 un modèle de société qui ne fonctionna guère que durant Trente Glorieuses prises entre la Reconstruction et la mondialisation, n'échappe ni au Time, ni à Merchant. Il est même parfaitement assumé.
Pourtant, c'est surtout l'analogie avec la prétendue "intelligence artificielle" et ses ravages probables dans l'industrie des services, qui frappe l'auteur. Il s'en explique, en prenant l'exemple récent de la grève des scénaristes et des acteurs à Hollywood :
"Ils ne craignent pas que l'intelligence artificielle écrive le prochain Scorsese. Ils s'inquiètent qu'elle crache un truc jugé suffisamment bon par les studios pour servir de base, ensuite destinée à être retravaillée par les auteurs, contre une pige ponctuelle, pour des tarifs moindres que ceux en vigueur, sans même leur accorder la propriété de l'œuvre qu'ils auront au final bien produite. Il s'agit en fait d'une technologie utilisée délibérément comme un levier, contre les travailleurs. Le schéma est, c'est troublant, similaire à ce qui s'est passé à l'époque des Luddites : la technologie ne remplace pas les humains —elle en est incapable— mais elle est utilisée pour dégrader leurs conditions, sabrer dans leurs salaires, et briser leur force."
La révolte luddite se propagea rapidement. "Pendant le peu de temps que j’ai passé récemment dans le Nottinghamshire, douze heures ne s’étaient pas écoulées que de nouveaux actes de violence avaient été commis ; et le jour où je quittai le comté j’appris que, dans la soirée précédente, quarante métiers avaient été brisés, comme d’ordinaire, sans résistance et sans que les malfaiteurs fussent signalés", témoignait Byron dans le discours cité plus haut.
Pour Merchant, les luddites s'avèrent donc, surtout, des précurseurs inspirants de ce qui nous attend, avec le nouvel arrachage forcé des dernières zones intéressantes dans nos boulots, et le pillage de nos toujours plus maigres conditions de vie.
Petit avertissement, tout de même : c'est un combat qui fut réprimé dans le sang. Les ouvriers (qui, une fois de plus, ne s'en prirent jamais à des humains, seulement aux machines), furent pendus par dizaines.
En France bien sûr, la Révolte des canuts fut également broyée avec une sauvage barbarie d'État, mais nos gouvernement actuels ne feraient pas une chose pareille, face à une population qui ne réclame guère que le droit de vivre dans la dignité, seulement pour préserver, par manque d'imagination, un modèle de société dépassé et mortifère, si ?
(Je vous colle ici un lien qui permet de faire brûler un cierge à Lourdes à la demande, juste au cas où).
Architecte
Et si on arrêtait de construire des trucs moches ? Je sais, je sais, cette idée révolutionnaire dérange et ne résoudra pas nos problèmes sauf que ah si, complètement en fait.
C'est du moins l'opinion du cabinet d'architecture anglais Heatherwick Studios et de son fondateur éponyme, Thomas Heatherwick.

Ce jeune et beau Londonien multirécompensé vient à cet effet de commettre un essai, Humanise : a maker's guide to building our World (Penguin), qu'a lu pour nous le site de design It's Nice That.
Heatherwick remarque que, selon un sondage conduit par ses équipes, 76 % des Britanniques estiment que l'architecture qui les environne influence leur santé mentale. Et, comment dire ? Ben, oui. Oui, vivre entouré de jolies choses, ça fait du bien "aux boyaux de la tête", pour reprendre l'expression de Cavanna. Ça rend jovial, optimiste, curieux et, simplement, plus heureux de vivre. Ça donne envie de faire du bien autour de soi, ça rend plus ouvert aux autres, ça pousse à agir pour le bien-être du monde —pardon pour ces propos naïfs… Mais j'ai justement la chance d'habiter une belle ville.
Mais s'il n'y avait que ça… "Ça fait 100 ans qu'on construit des bâtiments qui plaisent à peu de monde", explique Heatherwick sur son site. "On les démolit puis on les remplace, puis on démolit ceux qui les remplacent, et ainsi de suite, encore et encore, dans l'indifférence générale. Or cela génère une quantité astronomique de déchets et contribue au réchauffement climatique : 11 % des gaz à effet de serre viennent du Bâtiment et des matériaux de construction. C'est 5 fois l'ensemble du secteur aéronautique. Au Royaume-Uni, 50 000 immeubles sont détruits chaque année : ça crée 126 millions de tonnes de déchets. Aux États-Unis, cela représente environ 100 millions de mètres carrés, soit la moitié de Washington D.C."
Le lancement du livre Humanise s'accompagne donc d'une campagne du même nom. Campagne d'opinion et de sensibilisation, mais aussi de recherche. Parce que forcément, la question qui vient juste après, c'est : "Mais c'est quoi, un beau bâtiment, au XXI° siècle ?". Comment choisir, parmi les multiples propositions esthétiques plus ou moins délirantes issues de l'architecture contemporaine ? Que trouverait-on beau aujourd'hui ? Le brutalisme, l'art déco, le gothique, le minimalisme ? Un mélange de tout cela à la fois ? It's Nice That explique :
"Comment appliquer la règle de Heatherwick, selon laquelle ce que l'on construit devrait être conçu pour durer 1 000 ans par exemple ? Sa réponse est qu'il faut accorder la priorité à l'opinion publique. Un "indice de l'immeuble ennuyeux" a donc été inauguré en même temps que la campagne, pour faire appel aux citoyennes et citoyens. Elles et ils sont invités à poster des images des bâtiments locaux qu'ils jugent déprimants ou laids. Le studio analysera ensuite ces résultats pour estimer ce que pensent les gens, et ce qu'ils demandent."
Personnellement, j'opterais bien pour un domaine elfique, genre Rivendell dans Le Seigneur des Anneaux, mais ça va encore énerver Darmanin et moi je veux me fâcher avec personne.
Centropyge
Que vous viviez en couple ou en solitaire, bien abrité dans les récifs coralliens de la mer de Chine, ou peut-être même en petit groupe comme cela vous arrive parfois, vous allez bientôt avoir droit à un nouveau spectacle.

Taïwan est en effet heureuse d'annoncer la naissance d'un nouveau sous-marin, le premier conçu et fabriqué par ses soins. Pour l'île, toujours sous la menace des appétits de son voisin chinois, c'est un énorme pas en avant, dans une défense très élaborée qui rend son invasion, déjà aujourd'hui, extrêmement complexe et coûteuse.
Le "Hai Kun" ("narval", en mandarin) peut utiliser les super-torpilles américaines à tête chercheuse Mark 48, suffisamment puissantes pour briser en deux, littéralement, les bateaux de guerre les plus récents. Elle peut même faire demi-tour et tenter une seconde fois sa chance, si elle rate son premier coup. "C'est probablement la meilleure du monde. Elle fonctionne aussi bien contre les sous-marins que contre les vaisseaux de surface", résume un expert auprès du Business Insider. "Elle cause des dégâts extrêmes à l'impact, est efficace sur une très longue portée, et va très vite. Elle donne à Taïwan la possibilité de menacer les meilleurs bâtiments de guerre chinois de façon très directe."
Deux autres Narvals devraient être mis en service d'ici 2025, et 5 encore les années suivantes. Bien sûr, notent les analystes, il n'y a pas d'arme magique, et même avec cet atout, la Chine pourrait être tentée par des manœuvres d'invasion. En revanche, le Narval peut la dissuader de mettre en place des stratégies plus subtiles, comme patrouiller toujours plus près de l'île et s'approprier de facto une zone maritime toujours plus grande, dans cette zone contrôlée par les alliés des États-Unis, et qui demeure un point de passage majeur du commerce international.
Si, malgré l'intitulé de cette notule, vous n'êtes pas un centropyge masqué, ce poisson difficile à approcher qui aime se positionner à l'envers lorsqu'il se cache dans les cavités récifales, vous avez désormais deux possibilités : cliquer sur l'article-ci dessous, où vous aurez plus d'infos sur ce nouvel armement et pourrez le voir en photo ou, comme je l'ai fait en cherchant une image, parce que j'en avais marre des images militaires, vous égarer sur Fishpedia, qui regroupe infos et surtout photos de tous les poissons du monde. Je vous indique ici le lien que j'ai utilisé et qui vous mènera directement aux espèces endémiques de la mer de Chine orientale, où l'on peut se perdre de longues minutes à admirer les couleurs et les formes splendides imaginées par l'évolution, et s'abandonner à la beauté du monde animal sous-marin.
Mercenaire

Vous êtes mercenaire et vous ne savez pas quoi faire ? Vous comptiez rejoindre Wagner, mais ses récents déboires vous font hésiter à entrer dans la carrière ?
Pas de panique. Le maréchal Al-Sissi, l'autocrate borné de l'Égypte, a une solution pour vous : Falcon, le groupe de sécurité privé qui vous garantit de vous salir les mains, tout en vous enrichissant !
Falcon, qui réunit sept entreprises, est né au Caire en 2006. Mais, s'inquiète le Middle East Monitor, son importance n'a cessé de croître depuis le coup d'État de 2013, qui a porté au pouvoir Al-Sissi, alors ministre de la Défense. Son rôle dans la lutte contre les opposants au putsch, et dans le verrouillage des élections présidentielles qui ont suivi début 2014 (emportées de justesse par le maréchal, avec à peine 96 % des voix), n'était pas déjà joli-joli. Sa répression féroce des universités, et l'arrestation d'étudiants par centaines, notamment, a tragiquement marqué l'histoire du pays.
Mais de récents développements laissent penser que de nouvelles perspectives attendent l'officine sécuritaire qui emploie, à ses postes-clés, des retraités de l'armée, des Renseignements ou de la police. Le Monitor voit 4 étapes dans la mise sur orbite du Falcon Group, en tant qu'entité pivot de sa sécurité intérieure et de son influence internationale.
Première étape : en août 2014, Falcon inaugure un service d'"Intervention et Soutien Rapides", alors que l'hostilité au coup d'État encore récent traverse toujours le pays. Cette nouveauté autorise non seulement l'entreprise à utiliser des armes militaires, ainsi que des technologies sophistiquées de surveillance, mais en fait aussi un agent de répression parallèle aux services du ministère de l'Intérieur.
Passons rapidement sur les deux stades suivants relevés par le journal (la promulgation en 2015 d'une loi pour réglementer les sociétés militaires privées particulièrement avantageuse envers Falcon, puis les signatures de partenariats internationaux avec des boîtes de mercenaires russes, américaines et britanniques), pour nous attarder sur la récente vente du groupe à Sabri Nakhnoukh. Un drôle de numéro, ce Naknhouk.
Surnommé par la presse "le Président de la République des Crapules", Nakhnouk, qui s'est enrichi dans les casinos, le BTP, l'extorsion et la location de ses hommes de main au gouvernement d'Hosni Moubarak pour réprimer le printemps arabe de la place Tharir, avait été arrêté dans sa villa de luxe en 2012. Il purgeait une peine de 25 ans de prison quand Al-Sissi a choisi de le gracier en mai 2018. Et d'en faire, donc, le PDG de Falcon Group.
"Un deal d'autant plus suspect", note le Monitor, "que le groupe, qui détient plus de 60 % des parts de marché dans le secteur de la sécurité et du gardiennage, a été cédé pour à peine 97 000 dollars", une bouchée de pain.
Une vente qui tombe à pic pour Al-Sisi, qui s'est déclaré partant pour un troisième mandat et semble plus que jamais en roue libre. Face au presque 40 % d'inflation qui ronge l'Égypte, il a répondu, lors d'une conférence publique de trois jours appelée "L'Histoire d'une Nation" : "Si le prix à payer pour le progrès, la prospérité et le développement, ce sont la faim et les manques, ne dites jamais "Je préfèrerais manger". Je le jure devant Dieu : si, pour le progrès, pour la prospérité, la nation doit cesser de manger et de boire, comme c'est le cas ailleurs, alors elle ne mangera pas, ni ne boira."
Si si, pour de vrai : la déclaration est citée ici par France 24 (qui relève qu'il a comparé la situation de son pays à celle de la Chine maoïste, qui selon lui ne serait pas devenue une grande puissance sans le sacrifice de 25 millions de personnes mortes de faim)… Et même visible, en vidéo, là.
L'idée semble bien sûr d'ajouter à l'appareil répressif les repris de justice et les méthodes de voyou (littéralement) qu'apprécie tant Nakhnouk. Mais également de renforcer l'influence internationale de la nation égyptienne, en clonant les pratiques les moins reluisantes de la Russie er de Wagner. C'est-à-dire, notamment, en dédouanant de fait le président égyptien de toute exaction que pourrait commettre cette bande armée, pourtant à ses ordres, sur le territoire national comme sur les terres étrangères : les pays voisins pourraient être tentés d'employer Falcon à leurs propres fins, par exemple pour intervenir sans avoir l'air d'y toucher dans les conflits régionaux, comme au Soudan, où les Émirats Arabes Unis jouent un rôle actif dans la guerre civile toujours en cours (le pays islamique détient 25 % de la Commercial International Bank, qui possède le groupe).
Pour conclure, je voulais ajouter un lien permettant d’acheter des actions de Bacardi-Martini, tant il apparaît que James Bond va avoir besoin de quelques doses de son cocktail préféré dans les années qui viennent. Malheureusement, ce n’est pas une société cotée en bourse.
Voici donc plutôt de quoi investir dans les olives, qui sont meilleures à la santé sans lesquelles il n’est pas de Martini Dry digne de ce nom.
Mode
Gaby Aghion, l’immigrée juive-arabe qui révolutionne le luxe à la française

En 1945, Gaby Aghion, née Gabrielle Hanoka, juive égyptienne de 24 ans, s'installe à Paris avec son époux. Le couple sympathise rapidement avec la frange intellectuelle de la capitale, dont Tzara, Aragon et Éluard.
Tout communistes, anarchistes et surréalistes qu'ils furent, ces grands poètes n'oubliaient pas d'être élégants. Sauf que… Ben, ils étaient poètes. Autant dire qu'ils ne nageaient pas tous dans le pognon. C'est pour eux que Gaby Aghion allait donc, en toute simplicité, révolutionner le monde de la haute-couture, avec une innovation qui dure encore aujourd'hui, nous raconte Vogue —un magazine qui n'est ni poétique, ni pauvre, ni communiste, ni surréaliste, et qui s'enthousiasme aujourd'hui pour le travail de l'émigrée égyptienne :
"On crédite souvent Yves Saint Laurent de l'invention du prêt-à-porter, avec le lancement de Rive Gauche en 1966. Mais Aghion a inauguré ce concept près de 15 ans plus tôt. Arrivée d'Égypte, elle fricote avec les artistes, écrivains et universitaires de Saint-Germain des Prés. "Ses amis intellectuels ne pouvaient pas s'offrir de la haute-couture. Ils devaient porter des copies de copies, ce qu'elle appelait "de la haute-couture mi-cuite", explique Géraldine Sommier, directrice des archives chez Chloé, la marque fondée plus tard par Aghion. "Gaby leur a proposé une alternative. Ce n'était pas une autre copie, meilleur marché : c'était quelque chose qui exprimait un nouvel état d'esprit", qu'elle appelait "le prêt-à-porter de luxe".
Dès les années 1950, la jeune femme organise ses premiers défilés dans des bistrots, dont le Q.G. de la bohème de l'époque, le Café de Flore. C'est elle qui trouve le terme de "prêt-à-porter" : ses pièces sont disposées sur des cintres autour du podium. On peut donc directement les acheter et partir avec. Évidemment, ça prend. En quête de stylistes audacieux, elle recrute un jeune allemand, un peu gauche et timide mais qui commence à faire parler de lui, ayant fait ses premières armes chez Balmain, Jean Patou et Fendi : Karl Lagerfeld, qui restera directeur artistique de Chloé vingt-cinq ans durant. La marque a traversé les époques malgré les nombreux chocs qui ont bouleversé le secteur de l'habillement au fil des décennies, même si elle appartient désormais au groupe Richemont (et qu'à 1 890 euros la robe en jean, le public n'est peut-être pas exactement le même qu'à l'époque).
C'est ce pan crucial de l'élégance française que reconstitue aujourd'hui, et jusqu'à la mi-février, le Musée Juif de New York dans L'air du temps : Gaby Aghion et la maison Chloé, avec 150 pièces exposées.
"Aghion avait, dans tous les aspects de ses affaires, une approche non-conventionnelle", rappelle Vogue. "Plutôt qu'identifier ses vêtements par de simples numéros, comme on le faisait à l'époque, elle les nommait. Une saison, c'était des noms de peintres de différentes périodes ; une autre, c'était des villes françaises. "C'était vraiment ludique", insiste Sommier. Un aspect pratique et ludique […] représenté dans la dernière section de l'exposition, où l'on peut admirer les 50 blouses en soie, aux couleurs du sable d'Égypte, que la créatrice portait chaque jour, et qui étaient taillées par ses multiples stylistes".
Beauté

L’art contemporain du Nigéria triomphe en Angleterre
À Londres, c’est la fête aux artistes nigérians, assez littéralement. : 5 galeries établies dans le pays d’Afrique se voient invitées à la Foire d’Art Contemporain Africain 1-54 (1-54 signifiant "1 continent, 54 pays"), tandis que Christie’s lance une vaste vente aux enchères destinée à financer le futur pavillon nigérian de la Biennale de Venise 2024, et le Musée d’Art Ouest-Africain, dont l’ouverture est prévue pour 2027 à Benin City (qui se trouve bien au Nigéria et non au Bénin, c’est piégeux mais c’est comme ça).
Une mode dont on peut d'ailleurs mesurer l’ampleur assez précisément : selon le rapport annuel d’ArtTactics, la valeur aux enchères des artistes nigérians a augmenté de 25,6 % en un an, passant de 9,7 millions de dollars en 2021 à 12,1 en 2022.
C'est pourquoi The Art Newspaper a choisi de nous offrir un panorama assez détaillé des artistes et des galeries en vogue, qu'il clôt, astucieusement, sur trois travaux extrêmement différents les uns des autres… et issus d’autres pays : les sérigraphies de l’Éthiopien Wendimagegn Belete, rappelant les “perspectives simplistes et biaisées qu’a l’Occident des autres cultures” ; les œuvres du photographe J.K. Bruce-Vanderpuije, qui exerçait dans les années 1920 à Accra, et les images depuis réunies par ses héritiers, qui constituent à ce jour la plus grande collection au monde de photos du Ghana ; et les tableaux abstraits de la peinture ougando-britannique Lakwena Maciver, aux couleurs vives, acidulées et kaléidoscopiques, qui iraient à merveille dans mon bunker, entre la boîte de masques à gaz et la batte de baseball de secours, elle aussi très colorée.
Bizarre

Une plaque en trop
Ce n'est pas tous les jours qu'on retrouve une plaque tectonique disparue. Mais c'est aujourd'hui.
Enfin, plus précisément, c'est le 21 septembre dernier qu'est parue, dans Gondwana Research, une étude de l'université d'Utrecht aux Pays-Bas, qui reconstitue l'existence trop tôt achevée de la plaque dite "Pontus", qui séparait il y a 300 millions d'années la péninsule indochinoise des îles de Bornéo et des Philippines (alors bien plus au Sud).
Perdre une plaque tectonique, en réalité, ce n'est pas si rare. Ça arrive même tout le temps à l'échelle temporelle de la planète, nous explique Futura Sciences : "Regroupées au sein d’un supercontinent ou super-océan ou au contraire intensément fragmentées, les plaques tectoniques n'ont cessé d'évoluer au fil du temps. Et si de nouvelles se sont formées, comme la plaque Pacifique, d'autres ont disparu, avalées et recyclées dans le manteau par le processus de subduction."
Prouver leur existence passée, et remonter le fil de leur histoire, c'est en revanche beaucoup plus compliqué : "quelques fragments de croûte retrouvés par-ci par-là dans des chaînes de montagnes permettent en effet de reconstruire cette histoire ancienne de la Terre et de retracer l'évolution de sa surface", précise le site scientifique.
C'est de ce petit jeu de cache-cache avec Pontus, auquel se livrent les géologues depuis un moment, que Suzana van de Lagemaat a fini par sortir triomphante pour sa thèse de fin d'étude.
Non sans efforts, comme l'a expliqué son directeur de recherche à Interesting Engineering : "Il y a 11 ans, nous pensions que les vestiges de Pontus seraient retrouvés au nord du Japon, avant de finalement réfuter cette théorie. C'est seulement après que Suzanna a reconstitué, intégralement, la moitié de la chaîne de montagnes dite de la Ceinture de Feu, depuis le Japon jusqu'à la Nouvelle-Zélande en passant par la Nouvelle-Guinée, que l'hypothétique Pontus a fini par se révéler à nous."
Un travail qui permet, en bonus, d'affiner notre connaissance de l'une des zones les plus instables de notre planète, fertile en éruptions volcaniques et en séismes, désormais un peu plus faciles à prédire.
Car oui : on a tendance à l'oublier mais la recherche fondamentale, ça finit toujours par sauver des vies.
Mais aussi, mais encore

En bref : les news auxquelles vous avez échappé
Pendant ce temps-là, ici, ailleurs et à côté…
Le Toronto Star a rencontré le Ballet National Ukrainien, en tournée au Canada (The Toronto Star) — Le Guardian a rencontré l’équipe de l’opéra de Karkhiv, qui poursuit les représentations malgré la guerre (The Guardian) — Le secteur de l’assurance américain en péril face à la hausse des cataclysmes dûs au changement climatique (Grist) — L’Arabie Saoudite lance son propre système de crédits carbone (The New Arab) — Face aux tensions au Proche-Orient, l’Iran rationne les devises étrangères (Intellinews) — Le Président des Grands Trains du Sénégal limogé suite à sa décision de se porter candidat à l’élection présidentielle (Le Quotidien de Dakar) — L’Australie se lance dans un plan à grande échelle de développement de la culture du chanvre, une plante si robuste que l’on sait désormais en tirer des matériaux susceptibles de remplacer le béton et l’acier (ABC) — L’ostréiculture, un moyen plus simple et efficace qu’on le pensait pour lutter contre l’érosion des côtes et des écosystèmes menacés par la montée des eaux (Technology Review).
Et sur le Fil PostAp : l’autobiographie fascinante de Sly Stone paraît aux États-Unis, une anthologie des écrits critiques d’Oscar Wilde révèle le versant politique du personnage, et des images toujours plus précises de Io, l’étonnant satellite de Jupiter.

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Prochaine Édition du Week-end : samedi 28 octobre.
Gardons les pieds sur Terre pendant que ça tourne.
Un grand merci à Marjorie Risacher pour sa relecture attentive, et ses coquillicides impitoyables.





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