L'Édition du week-end #43
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Chère lectrice, cher lecteur,
permettez moi de vous souhaiter un très bon week-end en compagnie, cette semaine, de nutriments, d’algues, de gundams, d’aristocrates, de soldats, de colibris et d’une héroïne.
Très bonne lecture,
la conscience artificielle de votre téléscripteur favori.
Les tentacules de la semaine

Le village des poulpes entre en autogestion
L'île de Sud Pagai, dans l'archipel de Mentawai, en Indonésie, vit du poulpe. Et pas qu'un peu : les pêcheurs locaux, qui exercent encore en barque près du rivage, et au harpon, en ramènent huit tonnes métriques chaque mois d'octobre à mai (et une à deux le reste du temps, quand les courants sont plus défavorables). C'est une aubaine, car la demande pour ce mets raffiné et gélatineux est en hausse constante, notamment en Europe et aux États-Unis. Au point, naturellement, de provoquer la surpêche : la proie commence à se raréfier, menaçant l'économie locale. Pour compenser le phénomène, il faut s'éloigner toujours plus des côtes… Une solution guère soutenable compte tenu des méthodes artisanales qui sont employées.
Difficile d'en vouloir à la population d'avoir intensifié ses prises : le prix d'achat a été multiplié par dix en quelques années, selon le témoignage de Sutrisno Madogaho, un jeune pêcheur, de 32 ans, rencontré par MongaBay. L'excellent site web écolo s'est rendu sur place pour examiner comment on s'adapte, là-bas, à la crise qui menace en raison de l'effondrement des stocks.
Il a fallu, pour réagir, compter sur l'initiative locale. L'État Central est quasi inexistant sur les îles les plus éloignées de Jakarta, parfois dépourvues d'Internet ou même de téléphone. La géographie n'est en effet pas simple et le pays, pas si riche :
"L'île de Sud Pagai dépend de la juridiction de Sinaka, l'une des presque 84 000 localités administratives en Indonésie qui dépendent du gouvernement central pour répondre aux besoins locaux. Sinaka compte à peine 2 411 âmes, et pourtant c'est un village qui s'étend sur 32 îles, totalisant plus de 400 kilomètres de côtes —deux fois plus que le bord de mer de Singapour, une ville qui compte 5 millions d'habitants.
Les budgets de ce genre d'entités sont généralement alloués à des micro infrastructures, mais aussi à l'éducation, à l'environnement, à la santé et aux besoins sociaux. En 2019, pour Sinaka, ce budget s'élevait à 2,9 milliards de roupies (environ 190 000 euros), moins de 80 dollars par tête."
Ainsi, dans l'une de ces îles, à Beriulou, la pêche est désormais interdite de la mi-juin à la fin août. On a recruté un garde-côte, épaulé par dix pêcheurs, issus des 14 hameaux. L'idée est d'éviter au poulpe de subir le même sort que le homard, autrefois abondant mais, désormais, presque introuvable.
Réagir est d'autant plus important que la petite bête, apprend-on au passage, est particulièrement nourrissante. C'est peut-être un détail pour vous, mais pour les familles de Mentawai, où un tiers des enfants sont rachitiques, ça veut dire la vie : "même une petite portion, quand c'est un mets aussi riche en micronutriments que celui-ci, peut combler un manque nutritionnel", explique un chercheur britannique, l'un des auteurs d'une étude précisément dédiée à l'exploitation des pêcheries de poulpes pour "l'écologie et l'environnement socioéconomique."
Il ajoute : "Et, bien sûr, si vous êtes mieux nourri dès l'enfance, vous serez bien mieux préparé, physiquement et mentalement, pour votre existence future, ce qui vous aidera à trouver de meilleurs emplois". Parce qu'évidemment, ne puis-je m'empêcher d'ajouter, nourrir les enfants à leur faim, si ça n'est pas pour en faire des travailleurs, à quoi ça sert ?
Je n'aurais pas dû poser cette question. Elle m'est venue spontanément et, maintenant, ça m'obsède. Il y a une réponse à cette question, non ? Toute simple, je parierais… Bon, autant arrêter là cette chronique, histoire de chercher tranquille.
Je n'aurai donc même pas le loisir de mentionner les conséquences du changement climatique sur la pêche au poulpe, mais ça n'est pas très grave, car les scientifiques s'opposent sur cette question : elles pourraient être positives pour l'animal, en le débarrassant de ses prédateurs majeurs, ou néfastes, en raison de l'augmentation de l'acidité des eaux.
Penchons pour la seconde hypothèse, parce que si l'on continue à manger de plus en plus de poulpe indonésien en Europe et aux États-Unis, les océans ne sont pas prêts de se refroidir.
Votre horoscope tribal

Le signe de la semaine : Algue
Les algues c'est merveilleux. On savait que ce serait un aliment incontournable de notre avenir (c'est quand même plus sympa que les insectes, et moins cher que la viande clonée), et peut-être un carburant écolo mais, je vous le demande, à part conduire et manger, qu'est-ce que l'être humain aime faire, dans la vie ?
Glander sur un canapé, bien entendu. Hélas —mais, on a envie de dire aussi, "évidemment"— la mousse de polyuréthane, qui rend nos meubles si dodus, pollue énormément et sa production mondiale dégage pas moins de 105 millions de tonnes de CO2 chaque année.
Ces maudits écolos veulent-ils que l'on remplisse nos fauteuils et sofas d'algues ? Pas de panique ! On peut les transformer, en mousse, justement, selon une recette qui n'est pas sans rappeler le soufflé au fromage. Une découverte révolutionnaire que l'on doit à Celine Sandberg, une chercheuse norvégienne devenue entrepreneuse, et dont Wired nous raconte l'étonnante histoire.
"Pour valider mon master en technologie des matériaux", se souvient-elle, "je devais créer une entreprise. J'ai toqué à la porte de mes professeurs, et je leur ai demandé sur quoi ils travaillaient. J'ai appris que le pétrole n'était jamais que de la biomasse qui s'était transformée au fil du temps et que donc, en théorie, on peut remplacer celui-là par celle-ci […] Puis le Covid-19 est arrivé, et le confinement, donc je n'avais plus accès à mes fournisseurs européens". "Dans un pays qui possède la deuxième côte la plus longue du monde", ajoute le magazine, elle a trouvé une source abondante à exploiter : les algues. Ainsi est née sa start-up, Agropene, grâce à l'aide d'un financement (assez maigre, un peu moins de 100 000 euros) du Conseil de la Recherche de Norvège.
"Avec l'aide d'une chimiste, Sandberg a commencé ses expériences dans une petite cuisine à Trondheim, en combinant différents matériaux composés d'algues, en versant ensuite ses mixtures dans des moules, puis en les chauffant à 50 degrés Celsius —un processus qu'elle compare à la cuisson d'un gâteau. Ce qui différencie son travail de la pâtisserie conventionnelle, cependant, c'est que la mousse doit passer une dizaine d'heures au four, en fonction de la dureté du matériau. "Beaucoup de nos idées ont échoué. On a dû tester 800 types de mousse", confie-t-elle."
C'est un tel échec qu'elle doit retourner chez ses parents, qui prennent même en charge son abonnement téléphonique. Elle poursuit pourtant, obstinée. Une pépinière d'entreprises lui prête 500 000 euros supplémentaires et, surtout, lui dégote un accès à des laboratoires plus sophistiqués, à Copenhague au Danemark. Alors, elle trouve.
À l'heure actuelle, Sandberg supervise la production de 500 oreillers fourrés aux algues, pour déterminer si son système de production peut être développé à grande échelle. Elle opère depuis une usine établie à quelques kilomètres de l'endroit où, en 1919, son arrière-arrière-grand-père avait, lui-même, installé l'une des premières manufactures automatisées de galette. L'art de la cuisson est donc héréditaire, une autre leçon à tirer de l'atelier proprement alchimique de Celine Sandberg.
"En dépit d'une demande en hausse constante (l'industrie pourrait représenter 118,9 milliards de dollars en 2026)", conclut Wired, la jeune femme "ne cherche pas à dominer le monde. Elle espère plutôt voir d'autres start-ups investir ce champ de recherche, et développer plus d'alternatives à la pétrochimie. "En Scandinavie", explique-t-elle, "nous ne sommes pas beaucoup à travailler sur des matériaux issus du vivant. C'est un domaine très pointu. J'espère qu'Agropene créera une sorte de communauté, en inspirant d'autres personnes à unir leurs forces pour résoudre ce problème. Je feux que plus de gens fassent ce que nous faisons."
PostAp, toujours partant pour se développer et sauver le monde, a reçu son appel 5 sur 5, et j'ai la joie de vous annoncer, déjà, l'embauche d'un spécialiste enthousiaste suite à notre appel à candidatures.
Ce jeune homme, qui répond au nom de G. Lagaffe, est d'ailleurs en ce moment même en train d'enfourner une mousse de sa composition et qdùjoiqgfijpwbfddùokh<sùjeùsdtà!yf 'jbcqlhfpùr!àzyÀ! YÇ!É"RTYC}øÇ}Çø!çèt"ougf
Geek
À 25 ans, Ryo Yoshida a réalisé son rêve de gosse… et celui de ses semblables, petits ou grands fans de "Gundams", ces robots géants dans lesquels s'enferme un pilote, emblématiques de la culture populaire japonaise —pensez à Goldorak.
![[搭乗型ロボット] アーカックス 第2弾PV 「No CG & Real Speed」|ツバメインダストリ [搭乗型ロボット] アーカックス 第2弾PV 「No CG & Real Speed」|ツバメインダストリ](https://substackcdn.com/image/fetch/w_1456,c_limit,f_auto,q_auto:good,fl_progressive:steep/https%3A%2F%2Fsubstack-post-media.s3.amazonaws.com%2Fpublic%2Fimages%2F9f6cb165-18aa-4800-95df-59406d90eebf_640x360.png)
Combien d'enfants ont espéré voir, pour de vrai, un Gundam opérer, et pouvoir le piloter ? Voici leur fantasme accompli. Le robot géant construit par Yoshida mesure 4,5 mètres de haut, pèse 3,5 tonnes, et contient un cockpit dans son torse où l'on peut s'asseoir pour le diriger à l'aide de joysticks et de caméras —oui, exactement comme dans les mangas. La vidéo de démonstration est assez impressionnante.
Alors évidemment, le futur ça n'est toujours pas maintenant : Archax, c'est son petit nom, ne se déplace pas avec des jambes articulées mais sur roues, et à la vitesse de 2 kilomètres par heure… En position debout car, tout de même, il peut aussi se replier pour adopter le mode véhicule, qui lui permettra d'aller presque deux fois plus vite.
Archax sera donc relativement inutile en cas d'invasion de la Terre par ses ennemis intergalactiques, mais il saura sans peine amuser les grands enfants qui n'ont pas oublié de s'enrichir une fois adultes : le projet est d'en produire cinq exemplaires, vendus 2,5 millions d'euros pièce.
En attendant ces beaux jours, Archax commencera sa vie publique au Mobility Show de Tokyo à partir du 28 octobre. Il servira, selon le vœu de son créateur, de démonstration de l'ingéniosité, de l'inventivité et de l'efficacité de son pays, bien au-delà de ses frontières.
Aristocrate

Oui, je sais : les temps sont durs. Heureusement pour vous, on peut toujours compter sur la solidarité de classe et, surtout, sur la loi de liberté d'association promulguée en 1901 sous le gouvernement du très républicain Pierre Waldeck-Rousseau.
C'est grâce à elle que l'on peut encore se serrer les coudes, depuis le 29 octobre 1932, jour de la création de "l'Association d'entraide de la Noblesse Française", l'ANF. "Par le biais de membres bienfaiteurs et de donations […], l'ANF procure des "bourses" aux nobles en déshérence, un service permettant d'établir et prouver la réalité de sa lignée, mais aussi une véritable communauté, où d'aucuns peuvent renouer avec le mode de vie aristocratique, par le biais de rencontres, de bals galants, d'événements culturels, de vide-dressings et de son essentiel club de bridge", résume Messy Nessy, le cabinet de curiosité en ligne qui a mis la main sur ce réseau de soutien pour sangs bleus.
Sur son site, l'ANF rappelle en ces termes l'histoire de sa création :
"Aux prémices du XX° siècle et plus encore après la première guerre mondiale et l’hécatombe subie par nos familles, l’idée de resserrer les rangs en regroupant celles-ci — dans un "but d’authentification de la vraie noblesse et d’entraide entre ses membres" — s’est imposée.
De nombreux travaux en témoignent, tels qu’on peut les retrouver dans différentes archives : il faut souder la noblesse pour en faire un seul corps, respectueux de ses traditions, sans esprit de vanité "pour se souvenir et s’adapter".
Mais il faut attendre le tout début des années trente pour que se concrétise ce projet.
Le comte Olivier Costa de Beauregard, le marquis Dugon son gendre, le comte de Neufbourg et le comte Olivier de Sugny seront les principaux fondateurs de cette nouvelle association, sans oublier le marquis de Kernier, le vicomte de Marsay, le comte de Roton, le marquis de Valous et quelques autres…
"Œuvre de justice, car nous désirons que le vrai et le faux cessent d’être confondus ; œuvre de charité : appui moral, secours financier pour éviter la chute de nos familles"".
Non, ne pleurez pas. Je sais que les cœurs sensibles risquent la pâmoison à la lecture de ce récit qui n'est pas sans rappeler les lignes les plus sinistres de Charles Dickens, mais il y a une bonne nouvelle dans tout cela : c'est que l'ANF n'est pas complètement inutile, comme en convient Messy Nessy, la blogueuse amatrice d'art, mais aussi d'architecture et d'histoire :
"Ça va peut-être choquer, mais ce n'est pas simple d'être un aristocrate dans la République Française d'aujourd'hui. Ou plus exactement, ce n'est pas simple d'hériter du fardeau financier que signifie la conservation d'un vieux château. Quand une famille a eu assez de chance pour survivre aux diverses révolutions en gardant intacte sa bâtisse, elle ne peut que réaliser combien l'entretien d'une telle construction mène, dans bien des cas documentés, à la ruine financière.
Il y a plus de 30 000 châteaux en France, et, hélas, nombre d'entre eux sont abandonnés, ou en péril. Il existe d'autres organisations dans le pays qui viennent en aide aux propriétés historiques en déclin, comme aux autres vestiges de ces temps révolus, mais l'ANF est la seule qui se consacre à soutenir les propriétaires eux-mêmes (ou les anciens propriétaires). C'est au fond une société d'aristocrates qui se sont réunis pour donner, à leurs semblables, un coup de main."
Le tout avec un esprit d'ouverture fidèle à la classe que notre hymne national décrit comme de "vils despotes", des "tyrans" "perfides"… "l'opprobre de tous les partis" : il suffit pour rejoindre l'ANF de remplir un dossier de candidature en ligne. Et peut adhérer "Toute personne pouvant justifier de sa filiation naturelle et légitime, jusqu’à celui de ses auteurs en ligne directe et masculine pour lequel il produira un acte officiel recognitif de noblesse française, régulière, acquise et transmissible".
Se croire supérieur, c'est du boulot.
Association d'entraide de la Noblesse Française, via Messy Nessy
Chevaleresse
Cette femme s'appelle Kubra Khadami et, oui, c'est bien à Kaboul qu'elle s'est livrée, en 2015, à cette performance : traverser les rues de la ville, dix minutes durant, recouverte d'une armure de fer galvanisée soulignant, ironiquement, sa poitrine et son sexe. Enfin, dix minutes… c'était le temps prévu. En réalité, sous les moqueries, les injures et les intimidations, elle a dû abandonner au bout de huit. Menacée de mort, elle a ensuite fui le pays. Elle est, désormais, réfugiée en France.

Lunettes Rouges, le blog fana d'art hébergé par Le Monde, s'est penché sur le catalogue tout nouvellement paru de son exposition Political Bodies, accueillie par le musée de Kaiserlautern en Allemagne, en 2022 :
"L’essentiel du livre est consacré à ses gouaches, toutes plus ou moins de la même facture : des corps féminins nus, aux contours peu détaillés, peints en ocre clair, sans effets de lumière ni de volume. Des corps adolescents : la femme plus âgée, sa mère, se distingue par ses tresses et par un visage aux traits plus marqués, mais avec le même corps que sa fille, éternellement jeune. Cette impression est renforcée par l’étrange absence de pilosité sur le pubis ou sous les aisselles, comme, pour des Occidentaux, un retour aux néoclassiques avant Courbet, ou, en Asie, un écho de la censure japonaise. L’effet prépubère qui en découle fait un peu penser à Henry Darger, par la platitude des figures, mais, à l’opposé des obsessions du vieil Henry, c’est ici une glorification du corps féminin dans toute sa splendeur ordinaire."
Un corps, comme l'indique le titre de l'ouvrage, politique. Montrer une femme nue ? C'est politique. Montrer une femme avec des poils ? C'est politique. Sans ? C'est politique. Urinant ? C'est politique. Enceinte ? C'est politique. Seule ? C'est politique. Nue avec une autre femme, la touchant d'une manière dont seule votre interprétation décidera de la sensualité ? Oh la la… Revoilà la politique.
On pense aux Afghanes, bien sûr, aux Iraniennes, aux Russes, qui ont assisté en 2017 à la dépénalisation des violences conjugales, aux États-Uniennes, où l'on peut être forcée, dans plusieurs États, à porter à terme un enfant même non viable, même issu d'un viol, même si l'accouchement met en péril leur propre vie. Aux Françaises aussi, certes parmi les plus libres au monde, mais tout de même, vous savez, il faut s'assurer qu'elles s'habillent bien et trouvent, entre le crop-top et la robe trop ample, suspecte de soutien au terrorisme islamiste, le juste milieu, qui plaira aux hommes qui nous gouvernent.
N'oublions jamais comment commencent les étouffoirs : d'abord, faire taire, effacer au moins de l'espace public les minorités (ethniques, religieuses, sexuelles, de genre, peu importe). Puis s'attaquer aux femmes, et finalement dominer les hommes, les vieillards, les enfants. Leur apprendre enfin à se contraindre, s'enfermer, se limiter, obéir.
Ah, et oui… "Chevaleresse" est bien un terme parfaitement français, et non une invention féministe. Comme tant de mots qui outrèrent hier et choquent aujourd'hui l'Académie, comme "mairesse", "chirurgienne" ou "autrice" on en trouve bel et bien trace dans notre très catholique histoire.
Mode
En Pologne, une campagne militaire et militaire

Le 15 octobre, la Pologne renouvellera son assemblée législative et, peut-être, son gouvernement. Dans sa "verticale", comme on dit (en gros : sa catégorie) Reporting Democracy (extrêmement bien faite, avec des entrées par pays, par formats, par dossiers ou par podcasts) qui explore les progrès comme les reculs des sociétés démocratiques en Europe Centrale, le Balkan Insight s'alarme… Pas tant sur ses possibles résultats que sur l'ambiance"Jeunes Bidasses et vieilles badernes" qui caractérise la campagne électorale.
La Pologne est, bien sûr, aux avant-postes de l'Europe face à la Russie, en qui elle n'a aucune confiance. La tragique histoire du pays, maintes fois envahi, occupé, déchiré, disloqué, écrasé et tyrannisé n'aide pas à lui inspirer la confiance envers ses voisins, surtout ceux qui envahissent sans prévenir, justement, les voisins.
Aussi, le parti au pouvoir, le PiS (Parti Droit et Justice), s'il partage un authentique et sévère conservatisme social, moral et religieux avec Vladimir Poutine, n'a rechigné ni à soutenir l'Ukraine, ni à se réarmer massivement. Avec un objectif clairement affiché : devenir "la plus puissante armée d'Europe" d'ici à 2030.
Difficile en ce moment de ne pas souhaiter voir l'Europe se protéger, et plus difficile encore, si ce n’est indécent, de faire la leçon aux Polonais. Mais ce qui inquiète, voire écœure le Balkan Insight, c'est qu'à des fins électorales le parti au pouvoir, en quête d'un troisième mandat, a mis chenilles, mitrailleuses et brodequins à son service, et à celui de ce qu'il faut bien nommer sa propagande. Le but est bien sûr de rassurer sa base comme les indécis, mais aussi de mettre l'opposition face à un mur : comment critiquer l'armée de son propre pays en ces temps troublés ou le réarmement polonais face à une Russie sans foi ni loi ?
Alors, le PiS y va avec tambours et trompettes : parade militaire géante mi-août, défilé aérien à la fin de l'été, salon de l'armement début septembre, commémorations dans toutes les provinces des victoires contre le nazisme et le communisme et même, plus récemment, "Feu d'Automne", un exercice militaire géant d'armes combinées (hélicoptères, batteries, infanterie, parachutistes…), en prologue d'une démonstration publique des capacités d'artillerie. Quand on vit en Pologne, mieux vaut aimer le kaki.
Outre l'escamotage des autres débats publics, la voie de l'épée a d'autres raisons d'inquiéter les analystes, que résume un ancien brigadier général et chef de la sécurité au bureau présidentiel, devenu enseignant :
"Le soutien populaire à un réarmement massif suite à l'invasion de l'Ukraine, en 2014 puis en 2022, a été très large, dès le début. Mais quand les gens se rendront compte que les questions de Défense ont été manipulées pour de simples gains politiques, ils pourraient s'avérer plus rétifs, quand il s'agira de prolonger cet effort dans les décennies qui viennent. Et puis, se servir de l'armée pour des questions partisanes ne peut qu'éroder l'intégrité, la confiance et le moral, qui tous sont cruciaux en ces temps exigeants."
Et ce n'est que le début : sitôt passées les législatives, seront lancées les élections européennes puis le renouvellement des conseils locaux, avec en ligne de mire les présidentielles en 2025. L'ambiance Pan Pan Boum Boum T'es mort est bien partie pour durer.
Beauté

Une seconde vie pour l’antifascisme
L'émotion était grande à Kamenska, un village abandonné au sud-est de la Croatie, ce samedi 30 septembre.
Pour la comprendre, il faut se rappeler que la Yougoslavie, fondée en 1918, ne s'est pas disloquée en un jour. En Croatie justement, la guerre d'indépendance a duré 4 ans, de 1991 à 1995. C'est au cours de ce conflit, qui a fait des dizaines de milliers de morts et des centaines de milliers de déplacés que, dans leur rage contre l'État qui les annexait, des militants s'en sont pris à ses symboles, comme l'édifice ici en photo —le "monument à la victoire du peuple de Slavonie", qui commémorait la victoire des partisans communistes contre le fascisme, lequel avait alors pris l'état d'un gouvernement collaborationniste pro-nazi, et persécuteur des Juifs, des Serbes et des Roms.
Il a fallu dix ans au sculpteur Vojin Bakic pour ériger cette pièce de trente mètres de haut, annihilée à coups d'explosifs, donc, en février 1992, par l'armée croate qui cherchait, et parvint, à s'affranchir de la tutelle yougoslave. "En Dalmatie, des gens ont fait sauter des monuments où figurait le nom de leur grand-père, un partisan. On peut comprendre qu'il y ait eu une période de folie, mais certaines choses, comme ce monument, dépassent tout cela. C'est un hommage à l'antifascisme, c'est sa fonction première, mais… sa valeur artistique dépassait de loin les frontières locales, c'est certain."
La personne qui témoigne ici n'est pas un simple visiteur, mais Sandro Djukic, un artiste qui a reconstitué grâce à un écran LED de vingt mètres de haut la sculpture disparue. Il ne s'attendait pas à ce que son travail, commandé par le Conseil National Serbe qui représente les intérêts de la minorité serbe en Croatie, et soutenu financièrement par l'État croate, suscite autant d'émotions. Ici, à Kamenska, il n'y avait plus rien. Il a même fallu débroussailler la route qui menait à l'ancien monument. "On a loué du matériel", raconte encore Djukic, "mais finalement quelque chose de merveilleux s'est produit : les gens sont arrivés pour nous aider. Il y en avait une cinquantaine. Ils avaient amené leurs outils, leurs râteaux, leurs pelles."
Il poursuit : "Le plus étonnant, c'est que Bakic, [l'auteur original] était terriblement radical pour son époque, d'une façon positive, je veux dire. Il est à l'origine d'une nouvelle forme d'abstraction. Je crois qu'il voulait montrer comment, grâce au savoir et à la technologie, on peut créer des lieux qui s'ouvriront aux rituels communautaires. Je pense qu'il a réussi : on venait ici se faire prendre en photo après son mariage, par exemple".
C'est pour toutes ces raisons que la foule était nombreuse, à l'inauguration de la seconde vie de ce monument à la gloire de l'antifascisme croate. "Certains villageois des environs", note Balkan Insight, "se rappellent comment la sculpture, illuminée la nuit, leur servait de boussole, leur indiquant la route de chez eux dans l'obscurité."
Bizarre

Vous saurez tout sur le colibri
C'était le début du XIX° siècle. La science déployait grand ses ailes. On allait tout comprendre, tout classer, tout identifier. On allait tout bâtir.
John Gould est alors un jardinier, de basse extraction mais suffisamment talentueux pour démarrer, à 14 ans, son apprentissage aux Jardins Royaux de Windsor. Il transmet son art à son fils, qui se passionne à son tour pour la nature et les animaux. John Junior devient taxidermiste, installe sa boutique à la capitale, travaille pour la Société Zoologique de Londres. Il y rencontre les naturaliste de l'époque, et commence à cataloguer, selon les méthodes d'alors, les oiseaux : il les dessine, fidèlement. Ses croquis sont transformés ensuite en lithographies, et servent à identifier races, catégories, nuances, taxons, et ainsi à mieux comprendre la vie qui nous entoure. Il rencontre Darwin, l'aide à identifier des oiseaux encore inconnus et pourtant familiers, que le chercheur, qui travaille encore à comprendre "l'origine des espèces", a ramenés des Galapagos.
Puis Gould met voile vers le Sud. Les Oiseaux d'Australie, paru entre 1840 et 48 contient 7 volumes, 600 lithographies, dont 328 décrivent et nomment des specimens pour la première fois dans l'histoire occidentale. Puis il répertorie les mammifères, et les kangourous de l'île-continent. Le tout avec l'aide constante de son épouse Elizabeth, elle-même une artiste accomplie.
Mais son grand œuvre demeure Une monographie des Trochilidae, ou oiseaux-colibris. C'est le fruit de sa passion personnelle pour ces minuscules créatures au chant enjôleur. "Publié entre 1849 et 1887, l'ouvrage monumental de l'ornithologue anglais John Gould représente et décrit la totalité des variétés de colibri connus de son temps. Il comprend 418 lithographies, et des informations sur 537 espèces", résume Nicholas Rougeux, un designer de Chicago qui partage au moins, avec le zoologue, un certain don pour la patience.
Car Nicholas Rougeux n'a pas seulement passé 150 heures à numériser et restaurer les images : il les a aussi mises à la disposition de chacune et chacun, gratuitement, sur Internet, en trouvant sa propre façon de les classer pour respecter à la fois l'ordre original de parution, les méthodes de navigation en ligne et le confort des curieuses et curieux.
En sort un étrange inventaire, sublime et passionné, historique et épistémologique, émouvant et beau. Une fenêtre fabuleuse vers la diversité du monde qui nous accueille et pour l'instant, malgré tout, semble-t-il, veut encore bien de nous.
Une monographie des Trochilidae, via This is Colossal
Mais aussi, mais encore

En bref : les news auxquelles vous avez échappé
Pendant ce temps-là, ici, ailleurs et à côté…
Le Conseil de Sécurité de l’ONU accepte l’envoi de militaires kenyans pour mettre fin à la violence en Haïti (NPR) — La “russification” des Ukrainiens occupés marque le pas (Meduza) — La Chine referme sa frontière avec la Birmanie pour lutter contre les fraudes, escroqueries et arnaques qui s’épanouissent dans la région (The Diplomat) — Un scandale à la propriété immobilière coûte 1,2 milliards de dollars au Vietnam (Malaysia Now) — Au Congo, le prix Nobel de la Paix Denis Mukwege candidat à la Présidence (Time Magazine) —Les premières apparitions télévisées des Monty Python retrouvées par la chaîne ITV (Vulture) — Une amende de 150 000 dollars infligée à un opérateur de satellites pour avoir laissé traîner un de ses engins en orbite sans surveillance : c’est une première dans la lutte contre la pollution spatiale (Business Insider).
Et sur le Fil du magazine, le Conseil d’État désavoue La Clusaz, qui voulait déboiser un plateau pour alimenter des canons à neige, le Kirghizistan glisse vers la dictature, un point sur la Coupe du monde de cricket, et le retour sur YouTube de la meilleure émission francophone sur l’actualité politique américaine… Entre autres nouvelles venues d’ailleurs. Cliquez ici pour suivre le fil PostAp.
Prochaine Édition du Week-end : samedi 14 octobre.
Gardons les pieds sur Terre pendant que ça tourne.
Un grand merci à Marjorie Risacher pour sa relecture attentive, et ses coquillicides impitoyables.





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