L'Édition du week-end #41
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Chère lectrice, cher lecteur,
permettez moi de vous souhaiter un très bon week-end en compagnie, cette semaine, de biométrie, de plastique, de pognon, de pétrole, de drogue, d’art d’horreur, de médecine et de mini-jupes.
Très bonne lecture,
la conscience artificielle de votre téléscripteur favori.
La carte de la semaine

La Somalie passe à la biométrie
La Somalie s'est dotée d'une nouvelle carte d'identité. Enfin, pas complètement nouvelle mais, tout de même, la première depuis la guerre civile qui avait mené à l'effondrement du pays en 1991.
Nouvelle, aussi, parce qu'elle est conforme aux plus hauts standards en matière de sécurité et de biométrie. Le gouvernement envisage un déploiement rapide, s'estimant en mesure de distribuer le document à 15 millions d'âmes, soit l'intégralité de ses habitantes et habitants, d'ici 2026.
Cette république fédérale, rongée par les divisions claniques, les mouvements séparatistes et les groupes islamistes, a de bonnes raisons de vouloir mieux contrôler sa population, en adoptant la biométrie, et la base de données numérique et nationale qui va bien, pour rétablir la sécurité.
La démarche s'inscrit dans une initiative plus large, ID4 Africa. Depuis 2014, cette alliance d'acteurs publics et privés se définit comme "le seul mouvement panafricain qui aide les nations africaines à bâtir les capacités stratégiques qui leur permettront de développer des écosystèmes d'identité robustes et responsables au service du développement et de l'action humanitaire". Concrètement, ID4Africa croit possible de voir la totalité du continent s'équiper de cartes biométriques d'ici 2030 (c'est demain).
Beaucoup de choses se jouent ici : l'Afrique, sa population jeune, son développement réel, ses ambitions mais, aussi, ses nombreux handicaps (des terroristes islamistes aux conséquences du changement climatique en passant, bien sûr, par l'autoritarisme et la corruption) la place, on le sait, au centre de la concurrence entre les grandes puissances, qui s'aiguise chaque jour depuis que le système international mis en place à l'issue de la Seconde Guerre Mondiale a commencé à s'effondrer. Et la technologie biométrique est un choix de développement crucial, en étant le premier pas, nécessaire mais certes non suffisant, pour installer des systèmes de surveillance vidéo par reconnaissance faciale généralisée, à la mode chinoise.
Mais bien sûr, la menace terroriste dans les pays d'Afrique a une certaine tendance à déborder chez les voisins, qu'ils soient européens , arabes, ottomans ou asiatiques. C'est ce qui explique que le projet somalien ait été développé avec l'aide financière et technologique du Pakistan (cette démocratie bien connue, réputée pour sa tolérance avancée en matière de terrorisme islamiste), en répliquant, d'ailleurs, sa technologie d’unique "Base de Données Nationale et Autorité d'Enregistrement" (pour National Database and Registration Authority —NADRA).
Ont d'ailleurs assisté à la cérémonie officielle de lancement de la carte d'identité biométrique somalienne l'ensemble des partenaires internationaux du pays, tous désireux, certainement, d'améliorer le bien-être de la population, et les idéaux de liberté et de justice, mais aussi de voir la région se stabiliser aussi rapidement et durablement que possible : on y trouvait "des représentants du Pakistan, mais aussi de l'Union Européenne, de la Banque Mondiale, du Royaume-Uni, des États-Unis, des pays du Golfe, d'ID4Africa, de diplomates et d'agences de l'ONU", rapporte The Dawn. Du beau linge, quoi.
Le Président de la NADRA pakistanaise était, clairement, le plus heureux de tous : "La NADRA tire une fierté immense de cette réalisation couronnée de succès, et du lancement du système national somalien d'identification. C'est une preuve du pouvoir de la collaboration, et de l'innovation. Cet accomplissement renforce la vision du Pakistan, celle d'une Somalie plus sûre, et prospère, où chaque citoyen aura accès à un système d'identification fiable".
Il y aurait mille choses à dire sur le sujet, sur le pas de deux entre sécurité et liberté, sur la façon dont se répandent les modes de surveillance les plus étroits des citoyens en commençant, toujours, par l'alibi de la lutte contre le terrorisme, sur les dilemmes moraux que cela pose, sur l'extinction lente, mais réelle, sur la Terre entière, du concept de liberté infinie, de sa simple possibilité, mais je retiens, surtout, les mots du premier ministre somalien sur Twitter : "À partir d'aujourd'hui, nos citoyennes et citoyens vont bénéficier" —le mot employé est "enjoy"— "de tous leurs droits constitutionnels grâce au lancement de notre système national d'identification biométrique."
Je ne dis pas que c'est mal. Je profite chaque jour d'une sécurité, de droits, d'opportunités, immenses, comparé à la vie en Somalie. Ce serait extrêmement déplacé et hypocrite de juger ce discours comme ces actes depuis mon confortable bureau. Et puis, surtout, je crois profondément que c'est dans cette direction, vers la surveillance toujours plus proche, toujours plus générale, toujours plus machine, si je puis dire, de tous et toutes, sous toutes les latitudes, sans la moindre possibilité d'enclave ou d'îlot où expérimenter d'autres modes de vie que nous nous dirigeons, ensemble, de toute façon. Ainsi avançons-nous, je crois, collectivement : qui suis-je pour juger ?
Je dis simplement que ces mots, en substance "grâce à notre nouveau système de surveillance renforcé, qui vous connaît chacune et chacun dans votre intimité, vous aurez plus de droits", il faut nous préparer à les entendre, à nouveau, et pour longtemps, dans toutes les bouches, de tous les gouvernements.
Votre horoscope tribal

Le signe de la semaine : Bouteille
Pourquoi, quand on a de l'eau directement chez soi, préférer aller en chercher là-bas, comme dans les villages d'antan, ou s'en faire livrer à la maison, comme dans les villes du XIX° siècle ?
Eh bien, parce que tout est politique, évidemment. Même cette bouteille, là ? Oui, même elle, et pas qu'un peu. C'est tout le propos du nouveau livre de Daniel Jaffee, professeur de sociologie à l'université d'État de Portland, Unbottled. L'histoire (américaine, c'est important) de l'eau en bouteille. Un succès commercial inouï et, nous explique-t-il, patiemment construit.
"L'industrie moderne de l'eau en bouteille commence véritablement, aux États-Unis, en 1978", nous explique l'auteur via les bonnes feuilles publiées par Fast Company. "Cette année-là, Perrier s'est lancé sur notre territoire, avec une campagne de publicité massive. Beaucoup se demandaient pourquoi dépenser de l'argent pour importer, chez eux, de l'eau de source, quand ils pouvaient obtenir exactement le même produit en tournant le robinet. Mais les méfiants sous-estimaient le pouvoir du snobisme. "Perrier", explique l'expert en stratégie de marque Douglas Holt, "est parvenu à imposer l'idée que boire de l'eau en bouteille, la servir dans un joli verre, était une façon bon marché de s'approprier un peu du chic européen, ce qui a tout de suite plu à ceux qu'on appelait alors les yuppies".
Le succès de Perrier a tout changé : au début des années 1980, l'industrie nord-américaine de l'embouteillage était presque entièrement constituée d'entreprise locales, et le plus souvent familiales. Mais quand les ventes ont connu une croissance à deux chiffres, les groupes et les multinationales ont commencé à les racheter. En 1988, seulement 10 sociétés contrôlaient plus de la moitié du marché états-unien."
Des bulles, du pognon… Que demander de plus ? Le phénomène est d'autant plus amusant quand on se rappelle qu'en 1990, Perrier nous vendait à nous, en France, une image exactement inverse, d'exubérance, d'audace, toute parée de l'esthétique ultra-moderne des années 1980 américaines, faite de fluo, de synthétiseurs et de vitesse, à grand renfort de publicités signées Jean-Paul Goude, et de sa muse Grace Jones.
La décennie 1990 voit entrer dans le jeu les deux géants du soda, Coca et Pepsi, qui chacun lancent leur marque d'eau en plastique —Dasani et Acquafina, respectivement. Après tout, ils avaient à leur disposition l'essentiel : les réseaux de distribution, les usines d'embouteillage… Et l'eau courante puisque, apprend-on, leur produit n'était jamais que de l'eau du robinet retraitée, et non l'exploitation de sources nouvelles et bienfaitrices. "Le profit pour eux était double", résume une association de consommateurs. "Ils recevaient de l'eau pas chère, subventionnée par les contribuables, puis n'avaient qu'à se retourner pour la revendre au public, après en avoir gonflé le prix." Malin, il faut le reconnaître.
Évidemment, le marketing c'est bien beau mais ça ne suffit pas. Le développement du marché s'est accompagné d'un autre indispensable ingrédient : "le doute", comme l'écrit l'auteur, reprenant l'expression employée dans un mémo interne des fabricants de cigarette Brown & Williamson en 1969. Le vendeur de tabac écrivait alors : "le produit que nous devons vendre, c'est du doute. Parce que c'est notre seul atout dans la compétition face à notre vrai concurrent, "l'ensemble de faits" [les guillemets sont du mémo de l'entreprise] qui s'est installé dans l'esprit des consommateurs. C'est aussi l'outil par lequel nous pouvons imposer une controverse."
Et selon ce modèle s'est alors lancée une campagne de dénigrement de la qualité de l'eau courante. Non sans succès : en 1973, 32 % des Américains disaient se méfier de ce qui sortait de leur robinet. Ils étaient 66 % 15 ans plus tard et, aujourd'hui, 80 %.
À juste titre ? Déjà, tout dépend de ce qu'ils achètent à la place. Certaines eaux en bouteille sont bien pires que ce que vous trouverez à disposition chez vous. Aux États-Unis du moins, l'un des mérites de Unbottled est de révéler l'incroyable laxisme des contrôles et des standards en vigueur chez les producteurs, surtout en comparaison du secteur public. Mais aussi, note le sociologue Andrew Szasz, "il y a un cercle vicieux, puisque le fait de privilégier l'eau en bouteille diminue la pression sur l'administration de maintenir une infrastructure publique de bonne qualité, ce qui accroît la méfiance, et accélère le développement de la seule solution disponible, qui est de se tourner vers les bouteilles."
D'autres éléments passionnants sont explorés par le livre : l'image (des stars payées pour faire la promo de telle ou telle marque comme elles le feraient de parfums), le goût, bien sûr, et les multiples façons de jouer avec, de manière plus ou moins honnête, les nouveaux modes de vie, comme cette quête d'une santé idéale, là aussi appuyée par la publicité —comment croyez-vous que la nécessité de boire fréquemment, et donc de trimballer si possible une mini-bouteille dans son sac, s'est installée dans les consciences ?
Tout cela serait bel et bon, remarquez, si nous n'avions pas d'autres soucis, d'injustice ou de réchauffement, qu'exacerbe ce produit polluant, coûteux en énergie et, finalement, plutôt cher pour ce que c'est. "En 4 décennies", résume finalement la quatrième de couverture, "l'eau en bouteille s'est transformée. Née produit de niche, elle est désormais omniprésente, un marché à 300 milliards de dollars dominé par les plus grandes multinationales. Et elle se retrouve au croisement des crises : celle, écologique, de la pollution au plastique ; celle du changement climatique ; celle, sociale, de l'accès du plus grand nombre à une eau courante saine. Et cela, sur fond de luttes renouvelées pour l'avenir de nos systèmes de distribution publique".
Heureusement, les pouvoirs en place instituent progressivement une solution alternative astucieuse, grâce à la distribution toujours plus généreuse du précieux liquide, par le biais de canons à eau braqués sur les manifestants en quête d’égalité, de droits ou, tout simplement, d’avenir. Si vous militez, donc, n’oubliez pas de vous hydrater : lutter, ça donne soif.
Unbottled, aux Presses Universitaires de Californie, via Fast Company.
Braqueur
Il n'a pas fait de bruit, il n'a pas fait de blessés et, pourtant, c'est le braquage du siècle. Il a eu lieu à Las Vegas, et il concerne les plus grands casinos du monde.

Si vous avez vu Ocean's 11, peut-être vous souvenez-vous de la cible qui fait rêver nos voleurs de héros : le MGM Grand. Et si vous avez vu un seul film se passant à Las Vegas, vous avez vu, aussi, le mythique Caeasar's Palace, ses 4 000 chambres et ses 28 000 mètres carrés de tables de jeu, de machines à sous et de mauvais goût inspiré par l'Antiquité romaine, version Peplum en Technicolor. Leur piquer des dizaines de millions de dollars, pour tout braqueur, ce serait la palme d'or, la médaille olympique. Et pour tout polar, deux heures de suspense à se bouffer les doigts. Mais, bien sûr, un tel hold-up est tout simplement impossible, n'est-ce-pas ?
Plus maintenant. L'astuce, finalement, aura été double : d'abord, viser non les casinos, mais les groupes qui les gèrent (MGM Resorts et Caesar's Entertainment). Et bien sûr, user d'un "simple" piratage en ligne. C'est plus prudent.
Pour casser la sécurité informatique de ces deux géants du divertissement, les pirates ont utilisé une méthode en vogue, et qui a déjà fait ses preuves : s'en prendre au maillon faible de la chaîne, l'humain. La même astuce a été utilisée dans les deux cas, comme le rapport Cybernews :
"Les pirates ont appelé un tiers, le service de dépannage informatique, en se faisant passer pour un employé, dont ils ont, semble-t-il, trouvé le nom sur LinkedIn. Ils sont parvenus à convaincre leur interlocuteur de les aider à changer "leur" mot de passe, ce qui leur a donné accès au système. Quatre jours plus tard, MGM n'a toujours pas repris le cours normal de ses activités. Les réseaux sociaux débordent d'images montrant des machines à sous plantées, affichant des messages d'erreur, et de clients de l'hôtel s'enregistrant à l'ancienne, avec papier et stylo."
Le principe ne consiste pas à dérober directement l'argent, mais à utiliser le chantage pour se faire payer. Chantage à la paralysie du système et au manque-à-gagner mais aussi, et surtout, à la réputation et à l'assurance. Parce que les gangsters, comme il faut bien les appeler, ont mis la main sur un butin plus précieux, et plus faciles à écouler, que des jetons de casino : les données personnelles des clients (incluant, dans certains cas, les numéros de sécurité sociale et de permis de conduire), soigneusement conservées par les opérateurs dans le cadre de leur programme de fidélité. Des dizaines de millions de clients. Six téraoctets de données, désormais aux mains, soupçonnent les spécialistes, de "Scattered Spider", un groupe de pirates "ayant l'anglais pour langue maternelle, mais opérant sous l'égide d'une opération russe plus large, appelée ALPHV ou BlackCat […] un groupe relativement nouveau […], mais incroyablement agressif et perturbateur, et déjà l'auteur d'attaques contre au moins 100 compagnies, la plupart aux USA et au Canada", note l'entreprise de cybersécurité Mandiant, citée par NPR.
Afin d'éviter la diffusion publique de ces informations privées, laquelle mettrait en péril la sécurité des clients qui lui ont fait confiance, Caesar's Entertainment a payé, semble-t-il, au moins 15 millions de dollars sur les 30 exigés par les arnaqueurs. Ils ont également publié une FAQ piteuse, mais complète, à l'attention des victimes.
MGM est restée plus discrète sur les conséquences auxquelles elle doit faire face mais, pour les plus curieux d'entre vous, les deux enquêtes de la SEC sont, conformément à la loi américaine, disponibles en ligne (ici pour Caesar's et là pour MGM).
Difficile de plaindre, certes, ces deux machines à cash… Gardons nos regrets pour les cinéphiles, dont les futurs films de braquage auront, hélas, un peu moins de gueule qu'un bon Verneuil.
Kurde

Ah, alors ça c'est une bonne nouvelle : finalement, les fonctionnaires du Kurdistan irakien vont être payés. Ça fait toujours plaisir, et ça n'aura nécessité qu'une manifestation de quelques milliers de personnes début septembre, et six mois de pression.
Le gouvernement central de l'Irak l'a donc annoncé cette semaine : ok, il va prendre à sa charge les salaires du secteur public de la province. Un budget annuel de deux mille cent milliards de dinars —qu'on peut arrondir à 1 500 millions d'euros. Les fonds seront empruntés à trois banques étatiques, et doivent couvrir les paiements des fonctionnaires mais aussi les versements d'allocations sociales et de retraites .
Jusqu'à présent, le Kurdistan irakien gérait directement ces dépenses, grâce à ses exportations régulières d'une matière première apparemment fort convoitée à l'étranger —attendez, je regarde mes notes—, ah, voilà : le pétrole. Mais depuis la fin mars, a p'us pétrole. Enfin, a toujours pétrole, mais a p'us oléoduc. Celui-ci passait par la Turquie, mais un tribunal arbitral lui en interdit désormais l'usage, suite à un litige commercial entre deux sociétés d'exploitation.
Il est tentant de passer sous silence les bagatelles juridiques et contractuelles sur lesquelles repose la querelle entre les deux exploitants… sauf peut-être pour relever que c'est une société irakienne qui détient l'exclusivité des droits de transport via l'oléoduc, qu'elle a porté plainte contre le gouvernement kurde qui utilisait illégalement le même tuyau, tranquille Émile, depuis 2013 et que, bon, comme c'est finalement l'Irak qui a privé le Kurdistan irakien de ses revenus, c'est peut-être un tout petit peu sympa de permettre à ce qui reste une région du pays de l'aider à financer, au fond, son existence.
Au final il s'agit donc, tout de même, d'une perte d'autonomie pour la province… Mais les diverses autorités commerciales estimant qu'elle avait, à la base, juste complètement abusé, il faut bien admettre que ce sont des choses qui arrivent. C'est en tout cas l'opinion du premier ministre kurde, qui s'est félicité de l'accord, en remerciant à la fois le chef du gouvernement irakien pour son "soutien", et ses "compatriotes pour leur patience, leur détermination et leur confiance infaillible."
Décidément, le pétrole a un don pour tisser des liens et renforcer des amitiés. Il faudrait peut-être penser à en produire plus.
Narco
Le narcotrafic a ses moments difficiles, il faut le reconnaître, mais aussi certains avantages comme, par exemple, lorsqu'on est protégé par un État, surtout quand il s'agit de la Turquie d'Erdogan et de son éthique, dirons-nous, élastique. Comme nous le rappelle l'histoire de Rawa Majid, le "renard kurde", narcotrafiquant et chef de gang insaisissable, ou presque, dont l'existence et le "travail" empoisonnent la vie de la Suède depuis plusieurs mois.

Le pays scandinave fait face à une hausse de la criminalité plutôt inhabituelle, attribuée pour une bonne part à l'influence grandissante du trafic de drogue, et du groupe "Foxtrot", dirigé par Rawa Majid et qui, pour ne rien arranger, semble en ce moment déchiré par une guerre interne qui ne fait qu'en accroître la violence. Plusieurs arrestations ont cependant eu lieu, de même qu'une saisie récente de cocaïne, amphétamines et haschich, dans la région de Stockholm. Un procès est actuellement en cours, et Majid y est jugé par contumace.
Mais l'enquête a révélé quelques informations embarrassantes, récemment parues dans la presse. On vient donc d'apprendre que la police disposait en 2022 d'éléments qui auraient pu, et surtout dû, mener à l'arrestation du criminel, qui opérait depuis la Turquie, sous une fausse identité irakienne. Les Suédois ont transmis tout ce qu'il fallait aux échelons les plus élevés de la police turque pour lui mettre la main au collet. Or non seulement son arrestation s'est soldée par un échec, même s'il fut détenu quelques heures dans un commissariat d'Istanbul, mais en prime les agents suédois ont retrouvé, plus tard, toutes ces données confidentielles… sur le téléphone portable d'un membre du gang. Cette enquête aussi est en cours mais, de l'avis général, elles n'ont pu être transmises que par des haut gradés des forces de sécurité turques. Depuis, le Renard vit tranquillement à Istanbul, sous son vrai nom qui plus est, probablement suite à l'obtention d'un "passeport doré", accordé par le pays à tout citoyen investissant au minimum 400 000 dollars dans un projet immobilier (l'idée est de relancer le secteur de la construction, essentiel au dynamisme économique du pays, et en net ralentissement ces dernières années). Depuis, Ankara n'a jamais donné suite aux demandes d'extradition.
Bien sûr, il y a toujours une certaine jouissance à exprimer son petit pouvoir tout en taquinant les camarades, cela ne fait pas de doute. Il semble, malgré tout, qu'il y ait des raisons un peu plus subtiles à ce mauvais coup joué par les Turcs aux Suédois.
En effet, ces derniers refusent également toute extradition de membres du PKK, le parti kurde, réclamés par la Turquie afin de les juger pour "terrorisme", dans le cadre des procès politiques à l'encontre de l'opposition dont Erdogan a pris l'habitude. Il y a aussi, au milieu de tout cela, la question de l'adhésion de la Suède à l'OTAN. Le président turc a fait savoir savoir que ce serait, pour son Parlement, un "Non" constant, tant que son pays n'aurait pas récupéré "ses" "terroristes"…Il demande aussi au royaume d'agir contre les manifestations anti-islamisme où l'on brûle régulièrement des Coran pour faire acte de liberté d'expression.
Alors vous comprenez, dans tout ce bordel, un renard kurde, ce n'est pas franchement la priorité du gouvernement. D'autant qu'Erdogan a tenu en juillet dernier à, si l'on veut, apaiser la situation, en expliquant finalement donner son accord pour l'entrée du pays dans l'Alliance… à condition que l'Union Européenne accepte d'abord la Turquie en son sein. Ce qui n'est pas demain la veille mais aussi, il faut le reconnaître, un retour à l'envoyeur plutôt de bonne guerre. Erdogan est un tyran. Ça ne l'empêche pas, hélas, d'être malin.
Un sac de nœuds qui aide à comprendre pourquoi, interrogé en marge du sommet de l'ONU à New York, le Premier Ministre Ulf Kristersson s'est contenté d'affirmer que la coopération policière entre les deux pays était "plus forte que jamais, même s'il y a encore du travail", formule qui sans conteste mériterait un prix au festival de la diplomatie internationale.
Mode

C’est une jupe mais c’est aussi une boulette
Bon ben c'était une boulette, voilà, on va pas en faire un fromage, si ?
Tout est parti d'une bonne idée. Peut-être pas sa meilleure idée, mais une bonne idée, qu'a eue la styliste nigériano-britannique de 28 ans Mowalola Ogunlesi, pour sa collection Printemps 2024, tout juste présentée à la semaine de la mode de Londres.
L'objet du délit, visible sur la photo ci-dessus, est une série de mini-jupes aux couleurs des drapeaux du monde entier, dont celui de l'Arabie Saoudite. Avec le petit souci que la devise du royaume saoudien, imprimée sur son drapeau et donc sur la mini-jupe à une hauteur, disons, stratégique, n'est rien d'autre que la Chahada, la profession de foi islamique, les mots les plus sacrés du monde musulman, dans toutes ses obédiences : "Il n'y a de Dieu qu'Allah, et Mohamed est son prophète".
Ce n'est pas très bien passé. Les premiers signaux de révolte se sont exprimés sur le compte Instagram de la designeuse, également fondatrice de la marque qui porte son prénom, ce à quoi elle a d'abord répondu d'un simple "Cry me a river". Littéralement, "Pleure-moi un fleuve", mais qu'il faudrait plutôt traduire par quelque chose comme "Oh pauvre chou."
Bien sûr, il fut malgré tout impossible de résister beaucoup plus longtemps à la pression subie : Ogunlesi a finalement opté pour un positionnement plus classique :
"L'une de mes inspirations majeures pour le Printemps 2024 fut l'utilisation de drapeaux de différents pays. Après la présentation, j'ai découvert que l'un de ces drapeaux —celui de l'Arabie Saoudite— représentait des mots sacrés, et cet usage a choqué beaucoup de monde. J'ai désormais appris sur ce sujet. Je regrette profondément toute blessure que mon insouciance a pu causer. Je vous remercie de m'obliger à faire preuve de responsabilité, et de votre compréhension. Cette expérience m'a beaucoup appris."
Vous savez, moi, je suis du genre à penser que si on peut éviter de faire du mal aux gens, autant éviter. Donc ça ne me défrise pas vraiment qu'elle ait cédé et si, ce qu'on perd au change, c'est une mini-jupe aux couleurs saoudites —même si franchement elle ne manquait pas de classe— je m'en remettrai.
Mais, tout de même, je me trouve plus en accord avec la deuxième réaction de la créatrice sur Instagram, avant ses excuses formelles et le retrait du vêtement : "En 2023, qu'une mini-jupe puisse être considérée comme un acte de guerre, c'est tellement dystopique".
Une artiste à suivre.
Beauté

L’art brésilien fait Boum
Joli succès pour la 13° édition de la foire internationale d'art de Rio : avec 80 galeries exposées, c'est 18 de plus que l'an dernier. 6 d'entre elles viennent de l'étranger —des États-Unis, de l'Italie, du Portugal et de l'Uruguay. Le directeur de cette dernière (la Galeria Sur à Maldonado), confirme : "le Brésil est incontournable dans le marché de l'art de l'Amérique Latine. C'est là qu'il faut être pour en prendre la température. Artrio est unique, aussi, pour son mélange de mer et de soleil", ajoute-t-il, en référence à l'emplacement idyllique du festival, sur la baie de Guanabara.
The Art Newspaper, qui ne s'est pas privé d'y faire un tour, a rencontré, aussi, son président et quelques artistes qui, tous se réjouissent d'un intérêt sensible des collectionneurs du monde entier pour l'art contemporain brésilien. Notamment en raison d'une caractéristique bien particulière, et adaptée aux enjeux du jour : la présence de nombreuses communautés, particulièrement diverses, qu'elles soient autochtones, ou d'origine africaine, ou issues des minorités sexuelles et de genre —la population LGBT étant sans conteste l'une des plus libres de ce que l'on désigne désormais comme "le sud global", ce nouvel acteur international dont les orientations à venir, politiques comme économiques, intriguent tant les puissances installées, de la Chine aux USA en passant par l'Europe et la Russie.
"Toutes ces scènes coexistent, d'une façon charmante. C'est un tsunami, celui du Brésil d'aujourd'hui", se réjouit le critique et ancien directeur du musée des Beaux-Arts de Rio Paulo Herkenhoff, comme quoi on peut parfaitement réussir dans l'art contemporain tout en s'appelant "Paulo".
Bizarre

C'était le bon temps (quand la télé terrorisait les enfants)
Attention, bijou : l'anthologie en deux volumes Scarred for Life, consacrée à la télévision britannique des années 1970 et 80, est un bonheur constant, dont le toujours déjanté magazine Gonzaï est sorti littéralement enchanté.
C'est que Scarred for Life s'attache à dresser l'inventaire d'un pan bien particulier de la télé british de ces deux décennies durant lesquelles l'expérimentation, au cinéma mais aussi au petit écran, n'avait pas grandes limites. L'auteur rappelle d'ailleurs qu'en France aussi, plus d'un enfant a été "traumatisé" par les apparitions terrifiantes de Léguman, dans Téléchat, ou l'adaptation en dessin animé du Sans Famille d'Hector Malot, à déchirer le cœur. Et pourtant, manifestement, ce n'était rien à côté de ce qu'avaient à offrir au jeune public les chaînes de télévision de l'autre côté de la Manche. Dans Gonzaï, le critique maison Horseface O'Brien (un nom de plume, je suppose), l'explique et le raconte clairement. Aussi, cédons-lui la parole :
"Après les riantes années 60, le paranormal devient méchamment tendance chez nos insulaires voisins. Soudainement, les petits bonshommes verts le disputent aux ectoplasmes gothiques de la tradition. La Guerre Froide bat son plein. La menace nucléaire pèse sur tous les esprits ; les scientifiques sont désormais sujets à caution, apprentis-sorciers de l’extinction. Le Royaume-Uni bondit à pieds joints dans un vortex d’angoisse cathodique.
Tel est en tout cas le propos de deux anthologies jubilatoires intitulées Scarred For Life Volume 1 et 2, signées par deux grands mabouls répondant aux noms de Stephen Brotherstone et Dave Lawrence.
L’ambition est ici le maître-mot. Avec une exhaustivité impressionnante, les deux pavés recensent toutes les émissions, séries, pastilles, et jusqu’aux bandes-dessinées, jouets et même jeux de société anglais des années 70 et 80 dont le contenu serait aujourd’hui jugé choquant, malsain ou offensant (les anglo-saxons diraient inaproppriate) mais qui à l’époque rivalisaient de créativité dérangée pour « meurtrir à vie » leur public, quand bien même celui-ci revenait tout juste de la cour d’école.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que les gens d’ITV, Granada et de la BBC (et encore plus de la chaîne galloise régionale Harlech Wales) y allaient de bon cœur pour marquer les esprits, que ça soit dans le registre du malaise freudien, du « folk-horror » (un genre spécifique d’épouvante rurale rempli jusqu’à la gueule de rites païens et de vieilles pierres, dans la veine du Wicker Man original de 1973), de la science-fiction psychédélique obsédante, de la série d’anticipation sans filtre ou du film catastrophe gore. Et même les services publics s’y collaient avec des PIF (public information films) destinés à sensibiliser les sujets de Sa Majesté aux risques du quotidien, bien-intentionnés dans l’esprit mais absurdement outranciers dans leur réalisation (une course d’écoliers en travers d’une voie ferrée, que peut-il bien arriver ? C’est ce que nous allons vous montrer dans le plus grand détail)."
En prime, conclut cet auteur enthousiaste, ce livre-somme fait aussi la part belle aux génériques les plus étranges ou malaisants. Dont celui de The Tomorrow People, un feuilleton SF lancé en 1973 par Nickelodeon et dans lequel, à chaque épisode, un adolescent développe des pouvoirs paranormaux, comme la télékinésie ou la télépathie. Un propos entre les super-héros stars de notre époque, et la vague new age post sixties, et dont l'entrée en matière fait la synthèse entre les folies respectives de David Lynch, Terry Gilliam et Jean-Christophe Averty. Une réussite dont saura se souvenir, vingt ans plus tard, la série X-Files.

Avis de décès

Le père de Marcel Proust repose en paix
Pour finir, un véritable éloge funèbre signé de l'historien new-yorkais Simon Schama dans son dernier ouvrage, Foreign Bodies: Pandemics, Vaccines, and the Health of Nations (Ecco Press). Foreign Bodies retrace, comme son titre peut le laisser entendre, l'histoire des pandémies et de leurs remèdes, racontée, nous dit Lithub, "sous la forme de récits captivants, prenant place aux dix-huitième et dix-neuvième siècle : l'arrivée de la variole à Londres, du choléra à Paris, de la peste en Inde. Des personnages inoubliables y avancent avec précaution dans des scènes de terreur, de souffrances et d'espoir, dans les hôpitaux, les prisons, les palais, les taudis. C'est un philosophe et dramaturge consumé par la variole dans son château campagnard ; c'est un médecin vaccinant à domicile à Halifax ; c'est une doctoresse conduisant, dans le sud de l'Inde, son chargement de seringues parmi les rues malades, tandis que des arbres tombent les singes décédés. Mais nous visitons aussi les laboratoires où se font des découvertes essentielles, qui vont sauver des vies, à Paris, Hong Kong et Bombay."
C'est l'une de ces histoires qu'a choisi de nous conter le magazine littéraire, en publiant un extrait du livre consacré à Adrien Proust , le père de Marcel, mort en 1903. On y mesure à quel point ce médecin était lui aussi un visionnaire, se faisant l'avocat, des décennies durant, et année après année, dans les colloques médicaux, non seulement du caractère contagieux de maladies que l'opinion majoritaire attribuait encore à l'air et à ses miasmes mais aussi, et surtout, à la nécessité de bâtir une agence mondiale de la santé pour précisément, lutter contre les pandémies présentes et à venir. :
"Certains, les Anglais surtout, le trouvaient pompeux, arrogant, fatigant ; d'autres célébraient son opiniâtreté. À l'âge de 69 ans, il lui arrivait de succomber, par moments, à l'épuisement, et devait s'allonger sur le divan de ses amis. Mais il demeurait inspirant. C'est ce qu'on attendait de lui. À l'ouverture de la conférence de Paris en 1903, il donna, encore, un discours qui faisait la part belle à la nécessité absolue de créer une agence de santé publique internationale, et permanente. Mais, tandis que, précédemment, il n'avait pu s'empêcher de remarquer les sourcils que l'on haussait, les yeux que l'on roulait, les bâillements que l'on réprimait avec force théâtralité, cette fois-ci, il lui parut crédible qu'un jour, sa vision d'un monde uni dans la lutte contre les pandémies, se concrétiserait. Un tel miracle serait le couronnement de sa longue carrière. Après tout, cela ne lui aurait pris que 41 ans de campagne incessante, plaisanta-t-il devant l'assistance…"
On apprend aussi que Proust père tenait à ce que son écrivain de fils soigne son asthme, et la "neurasthénie" à laquelle il l'attribuait, "à l'aide du genre de tonique qui faisait fuir Marcel : bouffées d'air pur, soleil aveuglant, volets et fenêtres grand ouverts pour tous deux les laisser entrer. Le jeune homme attendit que son père soit enterré au Père-Lachaise pour tapisser son bureau de liège, et faire poser de lourds rideaux, impénétrables, de sorte que son geste, immense, de remémoration sensorielle et cérébrale, les visions, les odeurs, les dialogues, s'illuminent dans l'obscurité, comme autant d'images, radieuses, projetées sur un mur sombre par une camera obscura".
Mais aussi, mais encore

En bref : les news auxquelles vous avez échappé
Pendant ce temps-là, ici, ailleurs et à côté…
Les peuples autochtones systématiquement exclus des aides au changement climatique (Grist) — Bienvenue à ROAM, le premier mini-bus électrique intégralement conçu et fabriqué au Kenya (Electrek) — La Californie attaque les géants du pétrole en justice pour leurs mensonges sur la réalité du réchauffement (Reuters) — L’artiste danois qui avait fourni deux cadres vides à un musée d’Aalborg, une œuvre qu’il avait baptisée “Prends l’argent et tire-toi”, condamné à rembourser son commanditaire (Dazed) — En quasiment une nuit, Google transforme des milliers de livres en audiobooks, grâce à l’intelligence artificielle (Quartz) — Le comédien Stephen Fry scandalisé par un documentaire, qui a copié sa voix pour la narration, grâce à l’intelligence artificielle (The Guardian) — À 20 kilomètres d’Aix-en-Provence, un projet de construction de 132 villas menace 20 hectares de forêt et 43 espèces protégées : une ZAD est envisagée (La Relève et La Peste).
Et sur le Fil du magazine, l’ONU renforce sa détermination à sauver le monde, les réseaux sociaux ne sont pas forcément mauvais pour la santé mentale, et les sceptiques font la lumière sur les OVNIS… Entre autres nouvelles venues d’ailleurs. Cliquez ici pour suivre le fil PostAp.
Prochaine Édition du Week-end : samedi 30 septembre.
Gardons les pieds sur Terre pendant que ça tourne.





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