L'Édition du week-end #39
Cliquez ici pour lire en ligne

Chère lectrice, cher lecteur,
permettez moi de vous souhaiter un très bon week-end en compagnie, cette semaine, de profs en rage, d’Aztèques chevronnés, de réfugiés maltraités, d’ouvrières lumineuses, du cacatoès funèbre, de wombats trop bien cachés et d’une histoire de la poche.
Très bonne lecture,
la conscience artificielle de votre téléscripteur favori.
La grève de la semaine

Les parents, cette plaie
Quand on enseigne, il faut retenir l'attention des élèves, les discipliner, parfois les éduquer. Il faut aussi se battre contre une hiérarchie pusillanime et, souvent, affronter les parents d'élèves. Ce dernier point a pris des proportions à la fois tragiques et politiques en Corée du Sud, un pays qui entretient un rapport particulier à la réussite scolaire, et la discipline : il a fallu attendre 2010 pour que soient interdits les châtiments corporels.
Puis en 2014, le gouvernement conservateur, voire populiste, de Jung Hong-won a réformé la loi sur la Protection des Enfants (qui remonte, dans sa première version, aux années 1960), pour étendre la définition du harcèlement infantile, mieux en protéger les victimes et agir plus rapidement contre ceux et celles qui l'exercent. Problème : de l'avis —très majoritaire, comme on va le voir— des enseignants, la rédaction souvent qualifiée d'"ambiguë" de l'article de loi se retourne en réalité contre eux. En s'appropriant l'accusation de "harcèlement" pour qualifier des mesures disciplinaires banales, de nombreux parents d'élèves n'hésitent plus à s’en prendre aux professeurs, à les menacer, voire à agir en justice —et dans ce cas, avant tout jugement, l'enseignant se trouve suspendu de ses fonctions.
Cet été, en juillet, une institutrice de 23 ans s'est donnée la mort sur son lieu de travail. Elle faisait, justement l'objet de ce type de harcèlement de la part des parents d'une élève… qu'elle avait elle-même signalée comme harceleuse envers ses camarades. Selon Reuters, c'est là le centième suicide d'un ou d'une enseignante en six ans (plus de la moitié dans l'enseignement primaire).
Le 4 septembre, (49 jours après son décès —une croyance bouddhiste veut que l'âme d'un défunt quitte notre monde 49 jours après la mort, note le Korea Herald), en protestation et, surtout, pour réclamer une meilleure protection face aux parents, voire une réécriture de la loi de 2014, devait avoir lieu une journée "blanche", où les professeurs, qui, en tant que fonctionnaires, ne peuvent faire grève, ne se rendraient simplement pas au travail. Le ministre de l'Éducation a réagi tout en mesure, expliquant qu'il s'agissait là d'une procédure illégale qui pouvait mener, à leur renvoi , voire à des poursuites judiciaires : il n'existe pas de droit de retrait en Corée, et une telle action pourrait s'apparenter au délit d'"abandon de charge". En réponse, le principal syndicat, toujours assez respecté dans le pays, car créé en 1989 pour s'opposer à la dictature, a annoncé porter plainte contre son ministre pour "Abus de Pouvoir". Même s'il ne peut, cependant, appuyer la journée du 4 septembre, puisqu'elle est de fait illégale, celle-ci a été maintenue, et très largement suivie.
Qu'est-ce que ça a donné ? Une première manifestation samedi : 200 000 personnes devant l'Assemblée Nationale. Et le 4, des dizaines de milliers de profs absents. Le compte exact est difficile à tenir, compte tenu du mode d'action choisi, mais les organisateurs l'estiment à 70 000 participants dans le pays, en plus des 50 000 profs ayant manifesté dans les rues de Séoul (toujours selon Reuters). Un résultat d'autant plus impressionnant que, donc, le mode d'action choisi était coordonnée par un simple collectif informel d'enseignants, bâti autour de cette question et qui s'est baptisé : Everyone Together as One (que l’on pourrait traduire par "Tous ensemble, tous unis").
Le ministère, qui a renoncé à toute poursuite, a aussitôt annoncé des premières mesures : les parents doivent dorénavant prendre rendez-vous avant de s'adresser aux professeurs, et ces derniers ne sont plus tenus de prendre leurs appels sur leur téléphone personnels. En outre, les sanctions pour inconduite des élèves ont été durcies. Une révision de la loi de 2014 a également été annoncée, mais aucun calendrier annoncé.
Parfois, quand un gouvernement écoute, ça a du bon… Non ?
Votre horoscope tribal

Le signe de la semaine : Aztèque
Que faire de sa vie quand on est, comme Thomas Kole, Néerlandais au regard affable, un "artiste technique" formé aussi bien à l'informatique qu'à la photographie et au montage ? Lui a choisi. Il veut "construire des ponts entre l'art et la programmation".
Par cette méthode, il est l'auteur de projets plus ou moins compréhensibles pour le commun des mortels : du jeu vidéo indépendant Half-Line Miami, croisement improbable et loué par la critique de Half-Life et Hotline Miami, à une couverture en temps réel, et intégralement virtuelle, des derniers Jeux Olympiques, en passant par la modélisation de particules de fumée en jeu dans un champignon atomique.
Et dernièrement —c'est là qu'on craque— il signe la reconstitution en 3D de Tenochtitlan, la capitale de l'Empire aztèque bâtie sur les eaux et qui deviendra plus tard Mexico.
"Nous sommes en 1518", raconte-t-il. "Mexico-Tenochtitlan, autrefois un village sans prétention au milieu du lac Texcoco, est devenue une métropole vibrante. Cette capitale d'un empire qui règne sur et reçoit le tribut de plus de 5 millions de sujets abrite 200 000 personnes : des fermiers, des artisans, des marchands, des soldats , des prêtres et des aristocrates. C'est l'une des plus grandes villes du monde. […] À l'aide de sources historiques et archéologiques, et grâce à l'expertise de bien des soutiens, j'ai tenté de ramener cette ville iconique à la vie".
Alors, attention : Thomas est un artiste indépendant, pas un studio de jeu vidéo au budget annuel de centaines de millions d'euros. Il ne s'agit donc pas, ici, de se balader virtuellement dans les rues aux côtés de centaines de milliers d'habitants mais simplement, si l'on peut dire, d'une reconstitution en trois dimensions à découvrir en images fixes. En photos, quoi. En cartes postales. Une balade malgré tout, donc, virtuelle et temporelle, émaillée de commentaires sobres et clairs.
On découvre une cité fascinante. Bâtie sur un lac gigantesque, et bâtie rationnellement —"L'organisation en grille est le reflet d'une ville fondée sur le principe de hiérarchie. Les quartiers sont planifiés, chacun étant doté de son propre marché, de ses écoles, de ses lieux de culte. Les canaux sont entretenus régulièrement, pour assurer le transport des humains comme des marchandises. Une série de ponts relie le tout."
Il y a aussi des quartiers : l'ancienne ville de Tlatelolco, désormais aspirée par sa grande sœur ; le bassin, dominé par deux volcans, d'où s'écoulent eaux de pluie et de source ; il y a les chinanmpas, ces endroits peu profonds, comblés de terre, où l'on fait pousser du maïs, des haricots, des courges, des épices et des fleurs… Et il y a la Grande Pyramide, d'un blanc étincelant, surplombant le tout, et assurant à la population la bienveillance de Huitzilopochtli, dieu de la guerre, de Tlaloc, dieu de la pluie et de l'agriculture, et de Quetzalcotal, le Serpent à plumes.
De splendides photos de nuit, enfin, illuminent jusqu'au ciel : "Pour marquer l'achèvement du cycle calendaire, qui durait 52 ans, tous les feux du Bassin étaient éteints, puis rallumés, à partir d'une seule source. C'était la Cérémonie du Feu Nouveau. Celui de 1507 fut le dernier de l'empire, avant la conquête."
Visitez Tenochtitlan… en choisissant de vous rappeler, ou non, que la source en question, allumée au moment où paraissait dans la nuit la constellation d'Orion, provenait d'un faisceau enflammé placé sur la poitrine d'un homme dont on avait arraché le cœur (afin de servir de combustible) : quand en surgissait la première étincelle, le prêtre pouvait alors allumer le feu d'où, torche après torche, les habitants iraient chercher la lumière du nouveau cycle, et alimenter tous les foyers de la ville, sous les cris d'extase, d'horreur et de douleur des sacrifices humains pratiqués en nombre cette nuit-là, parce que bon vous comprenez, il faut ce qu'il faut.
Un Portrait de Tenochtitlan (via Mitu)
Paysan
La vie, c'est du fumier : en deux petits mois, le Lek a récupéré toute sa valeur face à l'euro, au dollar et à la Livre Sterling. La chute du cours n'aura pas duré plus longtemps que l'été.

Ça n'est pas, en soi, une mauvaise nouvelle… Sauf pour les agriculteurs albanais. Le Lek est en effet la monnaie du pays. L'an dernier, il fallait 118,90 Lek pour acheter un euro —et désormais une centaine suffit. Donc oui, ça va vite, ça va trop vite. L'Association des Exportateurs de Produits Agricoles tire, selon la formule consacrée, la sonnette d'alarme : dans une récente interview relevée par Intellinews, son président signale que près de 30 % des exportateur ont déjà déclaré la banqueroute.
Si le Lek va si bien, c'est d'abord parce que le tourisme se porte de mieux en mieux en Albanie, apportant toujours plus de devises dans le pays. Mais c'est aussi, selon le FMI, le reflet d'une balance commerciale en meilleure forme, grâce à une augmentation des exports sur les autres marchés, en partie due aux réformes structurelles engagées par la république balkanique.
Peut-être suffit-il donc de serrer les dents et laisser le mourir le secteur. Après tout, on ne fait pas d'omelettes sans casser des œufs, ni de progrès économiques sans pousser des hommes et des femmes au suicide. Parce que vous comprenez, il faut ce qu'il faut (proverbe aztèque).
Voyeur

Pour vous, c'est le pied. Quoi donc ? Le monde contemporain, ou l'installation Ne pas déranger, que présentera prochainement, à la foire artistique SPRING/BREAK de New York, la plasticienne française Faustine Badrichani ? Eh bien les deux, puisque l'objet de la seconde, c'est de refléter le premier.
Avec un twist : les corps féminins représentés, réduits à de simples sections, à des détails, enfin bref, disons-le, à des morceaux, sont à la fois dessinés "à la Matisse", mais aussi, à leur tour, eux-mêmes scindés en éclats, en brisures, en bouts. "La multiplicité des images reproduit l'expérience contemporaine, voyeuse, qui exhibe à outrance, sans honte, la vie privée des corps, pour faire du commerce ou de la communication", écrit Whitehot Magazine. "Dans les œuvres de Badrichani, il n'y a pas de visages, pas d'identité. L'artiste utilise des parties anonymes de formes tout à fait reconnaissables, propres aux Nus que nous nous envoyons par sexto, ou que nous accumulons sur nos téléphones."
L'érotisme monochrome de Matisse, taillé, réduit, mais aussi multiplié et éclaté sur les parois, sexy pour qui le voudra et simplement beau pour les autres, en sort ainsi, troublant et répugnant, vulgaire et superbe, froid comme un pixel mort mais aussi, et surtout, incontournable et envahissant comme l'imaginaire pornographique et consumériste. Tartuffe aujourd'hui pourrait déplorer : "Cachez ce sein, c'est bon, j'ai eu ma dose là, franchement"… Mais bon, c’est Tartuffe.
Femme
Tiens, les femmes, justement. Au Sierra Leone, un certain nombre d'entre elles s'illustrent, ces temps-ci. Dans la construction, figurez-vous. Et pas de n'importe quel bâtiment.

Le pays fut longtemps martyrisé par une guerre civile bien sale et sanglante, qui a laissé, avec un coup de main du virus Ebola, le système hospitalier dans un rare état de délabrement. Dont témoigne, notamment, le taux de décès des mères lors de l'accouchement : 1 165 pour 100 000 naissances en 2013, et encore 717 pour 100 000 en 2019. Mais l'espoir est revenu quand le gouvernement a signé, avec l'ONG Partners in Health, un partenariat public/privé pour construire une maternité flambant neuve de 166 lits, le Centre Maternel pour l'Excellence, à Koidu, la capitale du district de Kono dans l'est du pays.
C'est l'histoire de ce chantier pas comme les autres que nous raconte aujourd'hui le Guardian. Pas comme les autres, d’abord parce que les histoires de renouveau font souvent défaut ces derniers temps mais, aussi, parce que 60 % des ouvriers au travail sont en réalité des ouvrières. "C'est pour nous, c'est pour les femmes qui accoucheront ici. C'est pour ça qu'on y met tant du nôtre", témoigne l'une d'elle, Hawa Baryoh, 21 ans, employée du service Contrôle Qualité.
Le quotidien britannique a rencontré la directrice du service Santé Reproductive, Maternelle, Néonatale et Adolescente à Partners in Health sur place. Née à Kono, Isata Dumbuya a émigré toute jeune au Royaume-Uni, où elle a appris le métier de sage-femme. Elle est revenue il y a cinq ans. "J'avais encore des liens ici, et je savais qu'il y avait l'un des pires taux de mortalité maternelle au monde. Je l'ai trop entendu. J'avais besoin de faire quelque chose […] Mais quand on s'est habitué à voir les gens mourir de causes évitables, le chagrin finit par passer inaperçu. Je disais : "J'ai besoin que vous soyez en colère, et passionnés, et moi je dois faire tout ce qui est en mon pouvoir pour que ça ne se reproduise plus jamais" […] Dans ma première année, j'ai eu une semaine où 7 femmes sont mortes. J'ai cru que j devenais folle […] Puis on voit les résultats, les petites choses. Ça vous fait avancer et, chaque année, quand tombe le chiffre de la mortalité, qu'il s'améliore, on se dit : "Si on continue, ensemble, on peut y arriver"".
L'affaire n'est pas encore jouée, cependant. Elle craint que dès son ouverture le futur centre de soins se retrouve débordé, car il assurera aussi des services de planning familial. Or, rappelle le journal, "depuis la loi de 2010 sur la gratuité des soins, les médicaments et les consultations ne sont plus à la charge des patientes, quand il s'agit de femmes enceintes, ou allaitantes". On attend 300 visites par jour.
Mais il faut bien commencer quelque part : "la maternité servira aussi de lieu de formation, et développera des programmes d'échange avec les hôpitaux internationaux. "Ce n'est pas seulement une question de santé maternelle et néonatale", rappelle Dumbuya. "Il s'agit aussi de bâtir un espace où des équipes pourront venir de tout le pays pour apprendre, pour développer leurs compétences. Depuis trop longtemps, nous dépendons du personnel étranger.""
Donc, oui : plus de monde à soigner que prévu, ça n’est pas ce qui va faire peur femmes à l'œuvre sur le chantier du futur Centre Maternelle pour l'Excellence, à Koidu, en Sierra Leone.
Mode

Une histoire de la poche
Il faut cesser de se voiler la face : il y a des gens qui ne se sont jamais demandés pourquoi les vêtements féminins n’ont pas de poches. Heureusement, comme l'écrit Guernica : "Le nouveau livre de Hannah Carlson, Poches, ose poser les questions qui fâchent."
Sous-titré "Une histoire intime de notre façon de garder les choses près de nous", il est en réalité bien plus profond qu'on pourrait le croire et, oui j'assume complètement le jeu de mots. Par exemple :
"Dans un article de 1862, Godey's Lady Book, le magazine le plus populaire de son époque, écrivait que les mains sont "un problème" et que les hommes, en particulier, "ne savent jamais quoi en faire". L'auteur affirmait que, dans les événements sociaux, les femmes avaient "un avantage permanent sur les hommes", car "tenir des accessoires, comme des aiguilles, une pochette ou un éventail" leur permet "de trouver quelque chose de légitime à faire de leurs mains". La nécessité pour une personne de maîtriser ses gestes et ses membres est martelée dans les livres du XIX° siècle —et il est fortement déconseillé d'utiliser ses poches comme refuge, au risque d'afficher publiquement son malaise."
D'autant que vous savez ce que touchent des mains qui sont dans une poche ? À part un chewing-gum ou une patte de lapin ? Eh bien, oui : votre propre corps. Or toucher son propre corps, eh bien, depuis la Renaissance, c'est vilain pas beau. Dans son guide des bonnes manières de 1556, Galateo Giovanni della Casa rappelle ainsi que "il est une attitude indécente qu'adoptent certaines personnes et qui est de, au vu et su de tout le monde, laisser reposer leurs mains sur leur corps, où bon leur plaira."
Vous voyez que, déjà, les poches n'ont plus grand chose d'innocent. Mais le livre, et l'article, évoqueront également la révolution darwinienne, et son ouvrage L'Expression de l'Émotion chez l'Homme et les Animaux de 1872, ou le livre américain pionnier de la sociologie, Le Miroir Social. Ainsi qu’un nombre conséquent de traités de l’étiquette délicieusement rétros, comme Gems of Deportment, qui s’égarait quelque peu, nous semble-t-il : "Darwin a raison", écrivait son autrice, Martha Louise Rayne. "Il y a des moments dans la vie d'un jeune homme où il ne sait pas quoi faire de ses mains, parce qu'il désire, au fond, grimper à un arbre et être un singe." (Je n’ai pas lu le livre de Darwin, mais j’ai comme l’impression qu’elle simplifie un tantinet le propos du scientifique).
Et l'histoire de la poche ne s’arrête pas là, rappelle encore le magazine culturel :
"Il faudra attendre le XX° siècle pour que la pose “Mains dans les poches”, vulgaire, devienne quelque chose d'entièrement différent. Désormais, elle est employée par les urbains chics, mais aussi par les rebelles, par les hors-la-loi et par les stars du hip hop."
Comme le disait une icône de la mode, restée célèbre pour ses pantalons taille haute, et qui fut également je crois Président de la République, "This is not a method. This is a provocation".
Beauté

Le cinéma peut-il aider les réfugiés ?
Vous avez peut-être appris que la 80° Mostra de Venise se tenait en ce moment-même (le palmarès sera annoncé ce soir), parce qu'on y trouve, en invités, trois réalisateurs accusés de harcèlement sexuel (Luc Besson, Roman Polanski et Woody Allen), un geste qualifié, c’est selon, d'insulte, de provocation ou, au minimum, de maladresse. Ou, peut-être, pour toutes ces belles robes et ces "arrivées stylées". Le magazine de cinéma Variety, lui, a fondu en larmes devant l'un des films en compétition : Green Border, de Agnieszka Holland.
Cette "frontière verte" du titre, c'est l'immense forêt marécageuse qui sépare la Biélorussie de la Pologne, que tentent de traverser réfugiés et exilés pour rejoindre l'Europe. Un piège mortel pour les migrants, né de notre humanité en berne, et des manœuvres des dirigeants russe et biélorusse, qui ont ouvert grand leurs frontières occidentales pour, précisément, compliquer la vie de l'U.E. afin d'éroder son soutien à l'Ukraine, et sont même soupçonnés d'entretenir leur propre filière de passeurs.
C'est sur cet abîme politique que s'est penchée Holland, qui a elle-même fui la Pologne communiste pour la France au début des années 1980. Armée de centaines d'heures de recherche, comprenant des interviews de réfugiés, de garde-frontières, d'habitants, d'activistes et de chercheurs, la réalisatrice a choisi d'alterner les points de vue, racontant son histoire en chapitres, où l'on retrouve une famille de Syriens, une professeure d'anglais afghane, un jeune douanier polonais et un groupe militant. "Autant de vies qui vont entrer en collision autour de la frontière, ce no man's land sinistre où les forces de l’ordre polonaises et biélorusses agissent en toute impunité."
"Comme beaucoup de ses films", note Variety, "Green Border est un cri du cœur, surgi d'une urgence absolument prégnante. Un tentative, dit-elle, de "donner une voix aux sans-voix". Le ton empathique du long-métrage relie non seulement les réfugiés contraints de fuir leur patrie, pour échouer dans les limbes de l'Europe, mais aussi les militants, "criminalisés et accusés par les États", et les garde-frontières, "souvent", insiste-t-elle "non préparés à gérer les situations désespérées auxquelles ils se heurtent". C'est pourquoi elle décrit son film comme une œuvre sur les choix que les individus se retrouvent contraints de faire, face à "des dilemmes impossibles." Le vrai cadre de ce film, ce sont ces ces zones grises existentielles, où les gens ordinaires peuvent être les auteurs d'actes ignobles, et les pesonnes malfaisantes se retrouver à faire le bien. "Où est la frontière entre le bien et le mal ?", demande-t-elle".
Pour les autorités polonaises, qui se sont senties attaquées, la réponse à cette question subtile est toute trouvée : le mal, c'est ce film, que le ministre de la Justice a qualifié, je vous le donne en mille, de "propagande nazie".
En réponse, la réalisatrice lui a adressé un ultimatum. Elle a déjà recruté ses avocats pour porter plainte, mais laisse au ministre une semaine pour s'excuser… Et faire un don de 10 000 dollars à l'association polonaise des enfants de l'Holocauste.
Bizarre

Le cacatoès funèbre vole encore
Le cacatoès funèbre d'Australie —plus sympathiquement appelé, en anglais, "cacatoès lustré" (glossy)— est l'une des espèces animales les plus en danger d'extinction. Mais ses admirateurs, et les zoologistes, célèbrent aujourd'hui un espoir renouvelé pour sa préservation : la découverte de trois nids, pour la première fois en vingt ans, dans la province de Nouvelles Galles du Sud. Une région régulièrement dévastée par les incendies, toujours plus graves et nombreux, au point d'avoir fait partir en fumée la moitié de l'habitat naturel de l'oiseau au plumage plus noir que la nuit. Ce qui, étrangement, a aussi facilité l’heureuse trouvaille.
Il a fallu, pour ce résultat, plus de mille heures de travail citoyen, fourni par une soixantaine de volontaires réunis par le zoologiste Brian Hawkins, sous le nom de "Glossy Squad". Le chercheur qualifie la découverte de "fantastique." "Trois emplacements ont été découverts et, surtout", se félicite-t-il, "les enregistrements sonores témoignent que certains des oiseaux sont très jeunes, ayant tout juste grandi suffisamment pour voler […] Il me semble même qu'on peut précisément identifier le moment où le petit quitte le nid et effectue son premier vol, avec ses parents qui le surveillent, et chantent pour l'encourager. C'est assez merveilleux à entendre", s'émeut Hawkins, qui incite les habitants à poursuivre leur travail de surveillance.
J'en pleurerais, alors qu'il me soit permis de dédier un petit haiku au cacatoès, qu’on veuille le voir funèbre, ou lustré :
Le ciel est beau
Les oiseaux chantent
Pourvu que ça dure
Espionnage

Le repère secret des wombats enfin cartographié
Et puis, toujours en Australie, toujours sur le front animal, et toujours sur ABC d'ailleurs, une autre équipe s'acharne, elle, à préserver le wombat à nez poilu, le plus grand herbivore au monde à vivre sous terre (il peut mesurer jusqu'à un mètre de long et peser ses 35 kilos).
Nous sommes cette fois dans le Queensland, au nord-est du pays. Pour préserver le wombat, il faut évidemment le comprendre, le connaître. C'est pour cela qu'une équipe de techniciens et conservationnistes s'est lancée dans le projet délicieux de cartographier le réseau de terriers de ce marsupial qui, m'apprend Wikipedia au passage, peut mettre jusqu'à deux semaines à digérer ses aliments : un métabolisme ralenti qui l’aide à survivre dans les milieux les plus arides.
Avec l'expansion de l'agriculture et des villes, son habitat s'est réduit à la portion congrue. Dans les années 1980, on ne comptait même plus que 35 d'entre eux. Les efforts de conservation ont pu ramener cette population à un peu plus de 300 spécimens… C'est pourquoi les chercheurs aimeraient les voir étendre son territoire.
D'où ce travail de cartographie souterraine à l'aide d'ondes radios capables de pénétrer le sol —un système et des appareils initialement conçus pour planifier l'installations des réseaux d’eau, de téléphone ou d'énergie— dans lequel s'est lancée la Fondation du Wombat, puisqu'il existe une fondation du wombat. Comprendre comment ces animaux creusent et organisent leur terriers, et quels sont leurs besoins, permettra de leur trouver d'autres espaces appropriés, pour à nouveau les disséminer dans la région, et les rendre moins sensibles au premier choc écologique venu.
Comme disait Clint Eastwood dans une célèbre citation de Le Bon, la Brute et le Truand : "Tu vois, le monde se divise en deux catégories. Ceux qui ont un pistolet chargé, et ceux qui creusent. Toi, tu creuses."
Et moi je suis, fièrement, pour ceux qui creusent.
Mais aussi, mais encore

En bref : les news auxquelles vous avez échappé
Pendant ce temps-là, ici, ailleurs et à côté…
Le premier sommet africain sur le climat débute à Nairobi, alors que le continent le moins responsable du réchauffement s'avère aussi le plus touché (Quartz) — Sur la Lune, après une première balade réussie, le rover indien entre en sommeil (NPR) — La Hongrie a mis en place des listes d'attente secrètes pour gérer ses hôpitaux débordés, après des années de sous-financement (Balkan Insight) — La guerre est une horreur : en Ukraine, les amputations se comptent par dizaines de milliers (Time Magazine) — Les Philippines renoncent à une réforme migratoire, conçue pour lutter contre le trafic d'être humains, mais jugée "coercitive, restrictive et redondante" (The Diplomat) — Un rapport australien confirme que soutenir l'art et la culture n'est pas une dépense, mais un investissement (Limelight Magazine) — Une exposition à Sacramento rappelle qu'avant-guerre, un gouvernement pouvait soutenir l'art même quand il critiquait le capitalisme (Tribune — L.A. Times).
Et sur le Fil du magazine : la politique économique de Joe Biden expliquée par son concepteur, le Guardian en reportage dans une usine de leurres ukrainiens, le top départ de la fashion-week sud-coréenne, une série policière et familiale indienne sur Prime Video, le Laos en quête de touristes, et la BD de la semaine, un chant d’amour au vélo… et à la parfois soutenable légèreté de l’être : cliquez ici pour suivre le fil PostAp !
Prochaine Édition du Week-end : samedi 16 septembre. Gardons les pieds sur Terre pendant que ça tourne.





© *|CURRENT_YEAR|* *|LIST:COMPANY|*. Tous droits réservés.
*|IFNOT:ARCHIVE_PAGE|**|LIST:DESCRIPTION|**|END:IF|*
Vous pouvez renforcer votre soutien, ou vous désabonner, en suivant ce lien.
Nous joindre par courrier :
*|IFNOT:ARCHIVE_PAGE|**|HTML:LIST_ADDRESS_HTML|**|END:IF|*
