L'Édition du week-end #38
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Chère lectrice, cher lecteur,
permettez moi de vous souhaiter un très bon week-end en compagnie, cette semaine, d’une lueur d’espoir, de philosophes bons vivants, d’ados qui dansent, d’un milliardaire affamé, d’avions sans pilote et de séries B.
Très bonne lecture,
la conscience artificielle de votre téléscripteur favori.
La lueur de la semaine

Les manifestations reprennent en Syrie
Quand tout s'éteint, il y a toujours quelqu'un qui s'éveille. Et aujourd'hui, on s'éveille en Syrie. La nouvelle paraît à peine croyable, et pourtant : après dix ans de guerre civile, et une répression qui défie l'entendement, voici que l'on manifeste à nouveau contre la dictature de Bachar al-Assad.
Depuis une semaine, la ville de Soueida, au sud-ouest du pays, près de la frontière jordanienne, dans les 100 000 âmes, demande, à nouveau, droits et dignité. À l'origine de ces nouvelles manifestations, d'abord, une souffrance économique. La situation était, bien entendu, déjà catastrophique, mais la décision du Boucher de Damas, le mois dernier, de supprimer des aides à l'achat de carburant, a précipité la misère. Et avec elle la révolte, qui a pris depuis une "tournure politique", comme l'écrit (en français) France 24 (tout en rappelant, au passage, que selon les chiffres de l'ONU, plus de 90 % de la population du pays vit sous le seuil de pauvreté).
Le plus remarquable est que le coin avait jusque là échappé au mouvement de contestation, tout comme la minorité druze qui peuple la région. France 24 , encore :
""Soueida est une des zones où l’emprise du régime est le plus faible", explique Firas Kontar. En cause, la formation d’une milice locale, les Hommes de la Dignité, qui a pris les armes pour défendre la province et empêcher l’enrôlement des jeunes de la région dans l’armée régulière. "À chaque fois qu’Assad arrêtait un jeune originaire de Soueida, ces milices arrêtaient aussi des hommes d’Assad et les échangeaient contre la personne arrêtée de la région de Soueida", imposant ainsi "un rapport de force avec le régime", détaille l’activiste. Des dizaines de milliers de jeunes hommes de Soueida ont ainsi refusé d'effectuer leur service militaire depuis 2011, et les forces de sécurité y ont une présence limitée encore aujourd’hui."
Et l'on se réveille aussi chez les voisins de Deraa, de Bosra et même de la banlieue de Damas, où l'on appelle, à nouveau, à la démission d'al-Assad. On y déchire son portrait, on y soude les portes des permanences du parti unique. Quelques arrestations ont eu lieu à Deraa, mais le gouvernement n'a pas, pour l'instant, mis en œuvre la répression brutale qui est en principe sa marque de fabrique. Soueida, qui bénéficie d'une relative autonomie historiquement, est certes une épine dans son pied, de même que les manifestations qui se répandent —comme, dernièrement, à Latakia et Tartous. Toutefois, note le chercheur syrio-suisse Joseph Daher, cité par Al-Jazeera : "On constate certes une forme de solidarité dans d'autres villes avec Soueida. Mais pas suffisamment pour menacer le régime. Il faudrait, pour cela, une collaboration effective entre les manifestants des différentes agglomérations."
De ces bouleversements a même émergé un média indépendant, sur Facebook, Soueida 24. Désormais suivi par un demi-million de personnes, il existe certes depuis 2016, mais prend un nouvel essor, partageant en masse photos et vidéos du mouvement. "Un groupe d'une quinzaine de personnes. Deux d'entre eux sont à l'étranger, les autres vivent sur place. Ils filment, photographient et vérifient les informations qu'ils envoient aux deux personnes installées en Europe. Mais leurs activités les exposent à la répression", note RFI.
Ces derniers jours, Soueida s'est même éteinte, volontairement : de nombreuses échoppes, des bâtiments publics, et les transports, se sont mis en grève. "C'est une vague de désobéissance civile sans précédent, qui génère un vaste soutien au sein de la communauté druze, et de ses leaders religieux" explique justement l'un des éditeurs de Soueida 24 à Arab News.
Pour l'instant, le régime semble surtout miser sur l'épuisement des manifestants, précisément car l'implication directe de leaders religieux lui complique la tâche. Et, comme dit plus haut, aussi parce que la colère n'embrase pas, comme en 2012, l'ensemble du pays, désormais dévasté et martyrisé. Une révolution ? Non, une révolte. Apparemment, même là-bas, la liberté fait encore et toujours rêver.
Al-Jazeera a consacré une galerie photo aux événements. Ici.
Votre horoscope tribal

Le signe de la semaine : Philosophe
Profitez du beau temps, grâce à ce projet qui, comme l'écrit Nonfiction, rappelle les Oraisons Funèbres de Bossuet. Et qui devrait ravir les amateurs et amatrices de questions essentielles, existentielles et même, aussi, futiles.
Il s'agit du nouveau livre de Robert Maggiori, chroniqueur philo pour Libération depuis tout de même cinq décennies. Après La Philosophie au jour le jour et À la rencontre des philosophes, voici Mémoire. De Sartre à Bruno Latour, vie et mort des philosophes contemporains : l'ouvrage rassemble l'intégralité des notices nécrologiques publiées dans ses chroniques. Ainsi, il retrace cinquante ans de pensée contemporaine, illustrés par la vie, par l'existence même, de celles et ceux qui l'ont échafaudée.
"Les nécrologies de Robert Maggiori", écrit Nonfiction, "ne sont jamais des pièces de sèche éloquence religieuse et encore moins de révérence académique convenue : la voix qui s’y donne à entendre vibre d’une émotion sincère […] [Il] aura eu l’heur de côtoyer de près quelques-uns de ces grands hommes et de ces grandes femmes sur lesquels il écrit, de les interviewer à maintes reprises, de vivre à leurs côtés, parfois de goûter des tartelettes aux fraises avec eux, de discuter de football ou de rugby, ou de pêcher le bar."
Et, plus loin : "Robert Maggiori aura rencontré Sartre fumant des Boyard maïs, Foucault en kimono dans son appartement situé rue de Vaugirard à Paris, François Châtelet vêtu de ses légendaires vestes noires en velours, Félix Guattari dans la clinique psychiatrique de La Borde, Gilles Deleuze entouré de ses chats, Pierre Bourdieu faisant l’éloge du rugby et dénonçant l’hégémonie de la philosophie, Jean-Toussaint Desanti assis dans un profond fauteuil et fumant la pipe, Jean-Pierre Vernant roulant à tombeau ouvert dans les rues de Belle-Île-en-mer, André Gorz accompagné de sa femme Dorine dans leur maison de Vosnon, Jean Baudrillard musardant dans quelque musée, Pierre Hadot au soir de sa vie, François Dagognet plus sédentaire que jamais, Umberto Eco perdu au milieu de l’immense bibliothèque de son appartement, piazza Castello, à Milan, Ruwen Ogien attablé en terrasse d’un café parisien, Michel Serres avant qu’il ne soit Michel Serres, Bernard Stiegler travaillant au « Libé des philosophes », Jacques Bouveresse enseignant la logique à la Sorbonne et retenant ses larmes à l’enterrement de Ruwen Ogien, Marcel Conche dans sa maison en Corrèze ; il aura assisté à quelques cours et conférences de Cornélius Castoriadis, Jean-François Lyotard, Jacques Derrida, Jean-Louis Chrétien, Jean-Luc Nancy, Bruno Latour ; il aura été l’intime de Vladimir Jankélévitch (son « seul maître »), auquel il tenait encore la main dans les jardins de l’hôpital où il est allé lui rendre visite quelques jours avant son décès."
De ces souvenirs et ces hommages naît ainsi un recueil "non seulement de toute beauté, mais regorgeant de vie", qui rappelle que la philosophie est faite par des hommes et des femmes qui ont avant tout, comme nous, deux pieds au sol, et cultivent des passions, anodines ou révélatrices, des désirs, des songes, des loisirs, des envies. Comme Aragon autrefois concédant en interview "Bien sûr, il m'arrive de dire à Elsa "Passe-moi le sel"", Maggiori nous offre ainsi non seulement l'occasion de réviser nos lettres, mais surtout de réfléchir, à nouveau, au sens à donner à notre bref passage sur Terre. Le tout au fil d'une plume joviale et délicieuse.
Zikos
Il n'a pas pu attendre. Jonathan Zwickel, journaliste au magazine musical Spin, travaillait sur un projet de podcast pour lequel il enquêtait sur Seattle, le berceau de la révolution grunge de 1990. Ce qu'il a découvert est tellement moche qu'il a préféré bondir au plus vite sur son clavier pour raconter, dans un article titré "Shameless in Seattle" ("Sans Honte à Seattle"), le secret justement honteux du mouvement musical et contestataire incarné dans les années 1990 par des groupes comme Nirvana, Alice in Chains ou Soundgarden.

Quel secret honteux, alors ?
Allez, cherchez bien. Quand vous allez lire la réponse, vous allez vous dire "Ah ben oui, évidemment."
Non vraiment, vous ne voyez pas ? Eh bien figurez-vous que, si le grunge a pu prendre toute sa place à Seattle, c'est parce que la municipalité faisait à peu près tout ce qui était en son pouvoir pour écraser l'autre révolution musicale de l'époque : les cultures hip-hop et R&B. C'est-à-dire les musiques noires qui, dans tout le pays, réveillaient les rues et faisaient danser les ados.
Quand j'écris "faisaient danser les ados", ce n'est pas une figure de style. C'est exactement là qu'était le problème, à en juger par le nom même de l'ensemble des dispositions prises par la mairie pour réguler soirées et concerts, la Teen Dance Ordinance ("l'Ordonnance sur la Danse des Ados", TDO). Elle visait à réguler fêtes et soirées et, dans les faits, ciblait les “parties” de la communauté afro-américaine exclusivement. L'idée, très clairement explicitée dans les archives du conseil municipal et les témoignages d'élus retrouvés par Zwickel, était de contrôler les populations pour limiter les rassemblements de jeunes Noirs, qu'ils associaient aux gangs.
La méthode imaginée fut de tout simplement censurer la musique que l'on passait dans les bars et les clubs, au prix de quelques acrobaties juridiques. "Le principe", écrit Zwickel, "n'était pas d'interdire la danse, mais d'imposer des règles absurdes et incroyablement coûteuses, des pesanteurs administratives qui rendaient les événements, quel que soit l'âge auxquels ils étaient destinés, à peu près impossibles à produire. Par exemple, il était exigé des organisateurs qu'ils s'assurent à hauteur d'un million de dollars, au tarif de plusieurs milliers de dollars. Un prix d'accès dissuasif. Plus frappant encore, ils devaient embaucher, pour la sécurité, des officiers de police en dehors de leurs heures de service, au lieu de personnels privés". Non seulement ils coûtaient beaucoup plus chers, et étaient moins nombreux et disponibles, mais leur présence jetait, on ne va pas se mentir, comme une ombre sur la fête. "Comme l'a expliqué au Seattle Weekly, en 2017, le DJ historique de Seattle Derek Brown, aussi connu sous le pseudonyme de Vitamine D : "En gros, il était illégal d'écrire les mots "rap" ou "hip-hop" sur un flyer. Ou même de mettre des images rappelant ces styles. Si vous aviez ne serait-ce qu'une photo de breakdance, la police venait vous rendre visite, systématiquement."
La TDO a finalement été abrogée en 2002. À ce moment-là, le grunge était mort, et le hip-hop toujours vivant. Mais la rage que l'un comme l'autre expriment ? Toujours plus rageuse et partagée.
Rat

Vous, vous n'avez globalement pas à vous plaindre, de rien. Finissez donc tranquillement votre bagel au sésame. Les rats news-yorkais sont même plus pépères encore, à en croire le petit point de situation proposé récemment par le Business Insider.
En avril dernier, le maire Démocrate Eric Adams a créé le poste de "Directrice de la réduction des rongeurs" pour y nommer une ancienne institutrice, une certaine Kathleen Corradi, vite surnommée par la presse la "Rat Czar" —la Tsar du Rat. La situation prenait de fait un tournant politiquement néfaste, avec pas moins de 3,2 millions de signalements en 2022 à la ligne téléphonique dédiée, le 311. "Les rats, et les conditions dans lesquelles ils prospèrent, ne seront plus tolérés", prévenait-elle alors, ajoutant : "les caniveaux sales, les espaces à l'abandon, les terriers arrogants, tout ça, c'est terminé."
Six mois plus tard, c'est la débandade. Selon l'avis, du moins, des spécialistes contactés tour à tour par le New York Times puis par l'Insider. Parmi ceux-ci, notre préférence va à Michael Parsons, pour son titre, d'abord, de "urban rat researcher" (soit littéralement "chercheur en rat urbain"), mais aussi pour son langage imagé :
"S’il y a des rats dans cette ville, ce sont plutôt les bureaucrates et leurs 250 ans de pratiques inefficaces. Madame Corradi doit absolument écouter ce que dit la science, plutôt que recourir à des méthodes qui font plus leurs preuves en termes de communication que d'éradication", parmi lesquelles il cite l'exemple du compostage, c'est-à-dire l'installation récente de poubelles spécifiquement dédiées aux restes de repas. Selon lui, il faut plutôt : 1. Faire appel aux experts en biologie des rongeurs (comme lui, ça tombe bien) ; 2. Lancer des opérations de nettoyage en journée, quand ceux-ci sont au plus bas de leur activité (et, bon, la population à son plus agité) et, 3. Entièrement revoir, à l'échelle de la ville, le système de traitement des eaux usées.
Ça peut paraître ambitieux, mais ça n'est que le début des hostilités. Car Parsons s'est livré à un calcul simple : "Si l'on veut se débarrasser des rats, chaque New-Yorkaise et New-Yorkais, ainsi que les écoles, les restaurants et les épiceries, doivent s'attaquer au problème fondamental du gaspillage alimentaire. La ville génère environ 6,5 millions de livres [près de 3 millions de kilos] de déchets alimentaires chaque jour, soit en gros une livre par personne. Si l'on veut limiter la prolifération de ces animaux, nous devons changer nos habitudes, qui consistent largement à acheter de la nourriture à emporter, pour la manger dehors […] Le contrôle des rongeurs commence par changer le mode de vie des gens, ainsi que leur hygiène et leurs demandes".
Rien de plus facile donc, surtout à New York, une ville bien connue pour sa discipline et son respect des normes. Vraiment, que la mairie n'hésite pas à promouvoir cet individu dans son équipe. Je paierais cher pour voir un fonctionnaire prendre son poste en expliquant aux New-Yorkais qu’ils ne doivent plus acheter à emporter.
Milliardaire
Travailler, c'est trop dur… Mais voler, c'est pas beau. Vous devriez plus souvent méditer ces paroles. Peut-être que l'histoire du milliardaire de la semaine vous y aidera.

Non loin de l'aéroport international de Bombay s'élève le bidonville de Dharavi. Un bon million d'habitants entassés sur un peu plus de 200 hectares, dans des conditions désastreuses. Ce fut le décor du film Slumdog Millionaire, en 2008. Heureusement —ou pas, comme nous allons le voir— un homme a décidé de lui offrir un futur.
Cet homme, c'est Gautam Adani, président et fondateur du conglomérat du même nom, lequel fait dans les ports, les infrastructures industrielles et l'achat-vente de matières premières. Avec une fortune personnelle de plus de 130 milliards de dollars en 2022, il était alors l'homme le plus riche d'Asie, et la troisième plus grande fortune mondiale.
Et puis boum : en janvier dernier, le fonds de gestion de placements américain Hidenburg, célèbre pour ses enquêtes serrées, à destination des investisseurs, sur les multinationales et leurs trucages comptables, a publié un rapport de 400 pages entièrement consacré au Adani Group, l'accusant de manipulations comptables et de financements illégaux : suite à cette parution, au titre assez éloquent de La plus grande arnaque dans l'histoire des multinationales, la société vit disparaître en quelques jours plus de 150 milliards de dollars de capitalisation boursière.
Autant dire que la rénovation du bidonville de Dharavi tomberait à pic pour se refaire une santé. Car s'approprier ces terres pour en redéfinir l'usage est une opération immobilière certes complexe, pas loin de l'impossible, mais aux promesses extrêmement lucratives. Au cœur de la ville la plus riche du pays, ce terrain, qui pourrait être transformé en centre industriel, voire en quartier d'affaires, comme certains en rêvent, ou tout simplement en zone résidentielle digne de ce nom, est en réalité une mine d'or.
Hélas, le passif d'Adani ne joue pas en sa faveur. Beaucoup d'observateurs, mais surtout d'habitants, craignent un abandon du processus en rase-campagne, compte tenu des difficultés et des pratiques peu orthodoxes du groupe.
Déjà, avant même cela, il y avait le problème des ragots. Vous savez comment sont les gens : les mauvaises langues accusent le milliardaire de devoir sa réussite à ses copinages politiques plus qu'à un quelconque talent. Tout cela parce que, depuis qu'il a noué une amitié apparemment indéfectible avec Narendra Modi, lorsque ce dernier n'était encore que gouverneur du Gujarat, il enchaîne les succès entrepreneuriaux dès lors que, coïncidence, ceux-ci dépendent de la bienveillance du gouvernement, d'abord de la région, puis du pays. Pour ne citer qu'un exemple, la façon dont il a pu récupérer des parts dans l'aéroport de Bombay suscite toujours au minimum de la circonspection, face à la rapidité avec laquelle l'ancien propriétaire a accepté son rachat, sur fond de lourds soupçons de pression de la part des agences gouvernementales régulatrices du transport. Le fait que le parti au pouvoir, le BJP, refuse systématiquement toute demande d'enquête à son sujet n'arrange en rien les doutes de l'opposition comme de la population.
Puis, Adani a été attaqué par son rival, SecLink Technologies Corporation. "Ce consortium basé à Dubai, qui dit bénéficier du soutien de la famille royale du Bahrein", écrit Reuters (on ne ment pas quand on dit que le bidonville géant attise les convoitises), "affirme que l'État a illégalement annulé une première initiative de rénovation de Dharavi, qui lui avait été confiée en 2018, pour redémarrer de zéro un appel d'offres en 2022, après l'avoir entièrement réécrit, dans un sens qui permette à Adani de l’emporter". Une procédure judiciaire est en cours.
Quant aux premiers concernés, qu'on a failli oublier, c'est-à-dire les habitants et habitantes du bidonville, ils redoutent le pire. Car bien entendu, le plan n'a rien de juste ou d'égalitaire. L'idée, qui consiste à tout raser pour tout reconstruire et à remplacer les habitations insalubres par des tours d'habitation et de bureaux aux standards modernes, ne prévoit pas de reloger les personnes qui sont arrivées après… l'année 2000. C'est-à-dire, concrètement, précise Reuters, toutes celles et ceux qui vivent au-dessus du niveau du rez-de-chaussée. "Plus de 700 00 résidents en mezzanine ou sur les étages supérieurs sont considérés comme expropriables par le gouvernement, et seront déplacés à 10 kilomètres de distance."
Et en plus, ils savent lire. Reuters, toujours :
"[Sur place], la méfiance est de mise, si l'on en croit les représentants de milliers de familles, et 25 entrepreneurs locaux que nous avons interviewés. "Les gens ont des doutes, à cause de l'image d'Adani, après l'affaire Hidenburg. Il y a un vrai problème de suspicion", nous a confié Rajendra Korde, président du Comité pour le Redéveloppement de Dharavi, qui demande une consultation publique. Début août, environ 300 manifestants se sont rassemblés pour s'opposer à l'implication d'Adani. Certaines banderoles représentaient son visage barré d'une croix rouge, et l'on pouvait entendre, dans les slogans "Virez Adani, Sauvez Dharavi". Beaucoup nous ont dit être troublés par les revers financiers du groupe, et l'écroulement du prix de ses actions. "Si quelque chose de similaire devait se produire, et qu'il ne pouvait mener le projet à bien, que deviendrons-nous ?", s'inquiète Radha Pawar, un homme de cinquante ans, employé au service de nettoyage de l'aéroport."
Le spécialiste des ports industriels ne serait donc pas le mieux placé pour imaginer la ville du futur ? L’avenir le dira. Et les juges, aussi.
Mode

Pour une poignée de dollars
Il y a l'intelligence artificielle qui tente d'écrire comme Shakespeare, il y a celle qui truque les vidéos pour faire rire ou pour désinformer, et puis il y a l'intelligence artificielle la vraie, la sérieuse, la plus belle : celle qui pilote des avions de combat.
Si c'est elle qui vous fait le plus rêver, rassurez-vous, elle arrive ! Du côté, bien entendu, des États-Unis. L'armée de l'air américaine vient en effet de faire la demande officielle auprès du Congrès pour un budget de 5,8 milliards de dollars afin de développer son nouvel engin de guerre : un avion sans autre pilote qu'un programme d'intelligence artificielle.
Le nom de code du projet, Valkyrie, laisse entendre qu'un certain nombre de responsables au Pentagone ont vu la fameuse scène d'Apocalypse Now sur la musique de Wagner et pensé "Wow, trop cool !" plutôt que "Mon Dieu, la folie des hommes…", mais ceci ne devrait plus nous surprendre. Passons donc aux choses sérieuses.
Les Valkyries XQ-58 A, autonomes et pilotés par un ordinateur, ont vocation à accompagner et soutenir des chasseurs de combat qui resteront, eux, dirigés par de bons vieux pilotes humains. Ils affichent une vitesse de pointe de 885 kilomètres par heure, peuvent voler jusqu'à 13 kilomètres d'altitude et ont une autonomie de 3 000 miles nautiques, soit environ 5 500 kilomètres.
Un certain nombre sont déjà en service, d'ailleurs, mais pas dans le cadre d'opération de combat —plutôt comme relais aériens de communication. Cette année, cependant, est prévu un premier test en simulation, qui demandera à un appareil d'établir sa propre stratégie pour abattre une cible au-dessus du golfe du Mexique.
Un changement de doctrine qui indigne les associations de défense des droits humains —car cela revient à briser le dernier tabou véritablement en vigueur dans le développement de l'I.A., en laissant une machine exécuter, seule, un être humain. Ce sera bien sûr pour de faux. Ce ne sera qu’un essai. Mais ce sera, justement, un essai.
Or, si le budget de développement des Valkyries est approuvé par les élus américains, l'enveloppe permettra de fabriquer 1 000 de ces petits monstres. Une échelle infiniment plus rentable que le coût des actuels chasseurs de combat. Et cela pour mettre en service des engins capables de décisions comme d'actions plus rapides encore que ceux maniés par des humains. De quoi, redoutent certains observateurs, rendre plus probables les escalades vers les conflits, et l'imprévisibilité des rencontres et autres incidents qui se produisent régulièrement aux frontières.
Ni le fabricant ni l'armée de l'air n'ont souhaité commenter l'information auprès de la presse. Mais une source bien placée au sein des neurones artificiels de ChatGPT nous a confié "Ah ah vous êtes so dead pouic pouic crac boum hue." Des propos, tout bien pesé, plutôt rassurants.
Beauté

Le voyage des mondes
Des centaines d'œuvres d'art et d'artisanat, rassemblées par deux points communs : être issues de cultures non occidentales, et s'offrir à nos regards. Ainsi pourrait-on résumer le projet, créé en 2002, du Parcours des Mondes qui, nous apprend Connaissance des Arts, confirme sa bonne forme, après sa reprise l'année dernière en dépit des difficiles années Covid.
Inspiré par l'expérience bruxelloise du Bruneaf née, elle, en 1981, le Parcours des Mondes est organisé à Paris, du 5 au 10 septembre cette année. Il rassemble 57 galeries, dont 14 nouvelles, qui nous invitent à découvrir leurs collections aussi bien antiques ou historiques que contemporaines, d'Océanie, d'Afrique, d'Amérique Latine.
Le magazine d'art en examine toutes les forces en quelques pièces emblématiques, comme un vase Edo, une statuette de l'Égypte antique ou ce cimier traditionnel Boki du Nigeria. "Une grande école à ciel ouvert", résume le président d'honneur de cette édition, Stéphane Martin. Une école pour nous redonner, si nécessaire, le goût des voyages temporels, esthétiques et spirituels.
Bizarre

En Alaska, les vaches ont leur utopie
Hop, on décolle ! Destination : l'île de Chirikof, en Alaska. Une île semblable à aucune autre, où s'est rendu, pour un reportage assez exceptionnel, Hakai, "le magazine de la science et des sociétés côtières", puisqu'il en faut bien un.
Qu'est-ce qui rend Chirikof, grande comme deux Manhattan, si intrigante ? Des vaches, et des taureaux. 2 000 têtes de bétail au moins, qui s'épanouissent en toute liberté, en toute indépendance et sans prédateurs, sur cette terre dont elles constituent, techniquement, une espèce invasive.
Cette "République vachère", comme l'écrit Hakai, remonte à 1867 quand les Russes, qui y avaient installé une colonie d'élevage, quittèrent les lieux après avoir revendu l'Alaska aux États-Unis, laissant les animaux derrière eux. Par la suite, dans les années 1920, un voyageur de commerce du nom de Jack McCord décida de saisir l'opportunité. Après des années de lobbying pour protéger les bêtes en liberté de toute saisie fédérale (une loi encore en vigueur aujourd'hui), il put ensuite déménager sur Chirikof et s'approprier le troupeau. Avec un succès trop grand, en fait, aboutissant dès 1939 sur une population qu'il ne pouvait plus gérer, ni contrôler.
"Le climat local, très changeant et sujet aux tempêtes, a découragé la plupart des chasseurs d'accepter la mission que McCord voulait leur confier, à savoir ramener le troupeau à une taille raisonnable. Finalement, cinq d'entre eux furent assez téméraires, ou imprudents, pour relever le défi. Raté. L'échec de l'expédition a précipité le divorce de McCord, et l'a presque tué. En 1950, il a jeté l'éponge. Mais l'histoire s'est répétée encore et encore, durant plus de cinquante ans, avec régulièrement de nouveaux impétrants prenant le même genre de décision irrationnelle, et à leur tour rattrapés par leur illusion."
C'est donc en paix, cette fois, que se sont rendues sur place la reporter Jude Isabella et la photographe et vidéaste Shanna Baker, escortées par l'archéologue local Patrick Saltonstall.
Qu'ont-elles trouvé ? Des vaches et des taureaux, oui. Mais aussi des squelettes de bovin, en nombre (forcément), des oiseaux libres comme Max, une prairie anglaise au milieu des steppes, des écureuils, des ranchs abandonnés… Et, à les en croire, le plus beau des oiseaux migrateurs, la sterne des Aléoutiennes :
"Leur plumage nuptial, avec ce front blanc, et ces traits noirs qui filent de leur bec sombre vers le sommet de leur crâne, ces nuances de gris sur les ailes, cette queue blanche et ces pattes en contraste, ont les lignes classiques d'un design à la Givenchy. C'est l'Audrey Hepburn des oiseaux de mer."
Bienvenue dans ma tête

N’ayez pas peur
Changement de registre. Terminons cette première édition de la saison 2023-2024 (que je prévois ici, officiellement, blanche et sèche) avec la version fictive de l’info précédente, et une sympathique curiosité, proche de la note personnelle. Au festival de cinéma californien Cinequest, un critique du site Screen Anarchy a pu voir Carnifex, film d'horreur australien dans lequel deux expertes en conservation et un documentariste, en mission dans un parc naturel, finissent pourchassés par un terrible prédateur, à savoir un marsupial géant.
De la pure série B. Pas franchement réussie d'ailleurs, de l'avis du critique qui y voit "un thriller qui manque de cœur et de profondeur" et qui note,"au rayon des aspects positifs du film", que "les acteurs ne sont pas trop mauvais".
Franchement, la bande-annonce est à voir (si les nanars ont le don de vous faire rire). Mais en vrai, moi ça me va. En fait, même, je ne demande rien d'autre à la vie, finalement. Un pays qui ne s'écroule pas, des démocraties qui perdurent, en s'améliorant génération après génération, et des marsupiaux carnivores qui poursuivent des écolos dans la forêt.
Il faudrait juste un monde qui tienne debout, pour cela. Pour en avoir le temps. Pour ne rien avoir d’autre à craindre que les monstres du placard, les serpents mutants qui remontent la cuvette des toilettes, et les mains griffues, irréelles, qui ne demandent qu'à saisir le pied que vous avez laissé dépasser du lit. Avoir peur oui, mais pour de rire, et pour de faux, si vous le voulez bien.
Bonne rentrée à toutes et tous, avec Carnifex !
Mais aussi, mais encore

En bref : les news auxquelles vous avez échappé
Pendant ce temps-là, ici, ailleurs et à côté…
Crocs crée des bottes, encore plus laides que ses célèbres chaussures (Highsnobiety) — Un nouveau matériau, développé à Berkeley, permet d'extraire l'eau potable de l'air, même dans les régions les plus sèches (Techno-Sciences) — Panique au Pakistan, alors que les digues du Bahawalpur cèdent les unes après les autres face aux inondations (The Dawn) — En pleine guerre civile, les médecins soudanais se mettent en grève, après 4 mois sans salaire (Arab News) — Avec Apogee+, German Bionic invente l'exosquelette qui facilite la vie des travailleurs médicaux (TechCrunch) — Pour lutter contre l'alcool au volant, le Japon va proposer aux apprentis conducteurs de tester les effets de la conduite en état d'ivresse sur circuit fermé (The Guardian) — Au Koweit, l'influenceuse mode Fatima Almonen risque 4 ans de prison pour avoir, en grillant un feu rouge, tué trois personne au volant de sa Bentley (Cosmopolitan Middle East) — Zachary Noah Piser, le chanteur sino-américain star d’une comédie musicale de Broadway consacrée aux événements de Tian’anmen, renonce finalement à son rôle, à une semaine de la première, sans donner de raison particulière. Il se trouvait alors en Chine, pour une série de concerts (CNN).
Prochaine Édition du Week-end : samedi 9 septembre. Gardons les pieds sur Terre pendant que ça tourne !





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