L'Édition du week-end #37
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Chère lectrice, cher lecteur,
permettez moi de vous souhaiter un très bon week-end en compagnie, cette semaine, d’une coalition déter’, d’arbres en péril, d’avocats pas pauvres, de païens très fâchés, des plus beaux bâtiments du monde, de la bohème new-yorkaise et de notre besoin de consolation, impossible à rassasier.
Très bonne lecture,
la conscience artificielle de votre téléscripteur favori.
La coalition de la semaine

Un pour tous, tous contre Modi
On a tendance à sous-estimer le nationalisme et, tout simplement, le racisme de Narendra Modi, le Premier Ministre indien et de son parti, le BJP. On sait bien, en revanche, à quel point il semble inattaquable, indéboulonnable, exerçant le pouvoir sans discontinuer depuis 2014, non sans ferveur populaire. Pourtant, et pour la première fois, la perspective des prochaines élections générales, prévues pour le deuxième trimestre 2024, semble réellement lui faire peur, selon The Diplomat.
Deux causes à cela : d'abord, face à lui, il aura affaire à une coalition d'opposition qu'on peut qualifier de "vaste" : 26 partis —la totalité des partis d'opposition— sont cette fois unis contre lui. Ça fait beaucoup. Mais ça n'est pas le plus important. Car ce qui se joue, c'est d'abord une bataille idéologique dans laquelle ses adversaires pourraient prendre l'ascendant, nous dit le magazine en ligne, dans un article passionnant publié cette semaine. En fait, par son nom même, la coalition a choisi de pousser le septuagénaire dans une impasse, et d'affronter le cœur même de son discours politique.
Quel est ce nom ? INDIA. Pour : Indian National Developmental Inclusive Alliance —Alliance Indienne Nationale et Inclusive pour le Développement. Pour mieux comprendre la puissance prêtée à cet acronyme relativement innocent vu d'ici, l'auteur invité par The Diplomat, rédacteur-en-chef du site d'actualités Satya Hindi et auteur du livre Hindu Rashtra en 2019, nous offre un résumé historique et politique des enjeux en cours. On va tâcher de faire simple, et aussi bref que possible.
À l'origine du parti de Modi, le BJP, on trouve la Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS), une organisation paramilitaire et nationaliste fondée en 1925 —ce sont eux que l'on voit défiler ici en photo (n'ont-ils pas l'air sympathiques ?). Son projet, inspiré, comme ses méthodes d'ailleurs, par le fascisme italien —c'était la mode à l'époque— consistait à former de jeunes volontaires à l'action violentes, dans l'objectif de fonder un pays hindou jusqu'au bout des ongles. Non pas en luttant contre le colon britannique, avec qui il a joyeusement collaboré jusqu'à l'indépendance, mais bien en affrontant toutes les minorités religieuses de la nation indienne. C'est la thèse de l'Hindutva, l'Inde aux Hindous. Impossible pour ses tenants d'oublier que si, autrefois, le pays fut l'une des civilisations les plus avancées du monde, elle fut ensuite envahie, puis dirigée par les Turcs et les Afghans : le sultanat de Delhi dura trois siècles, jusqu'en 1526, date à laquelle une révolte vint à bout de la domination musulmane — pour que presque aussitôt la région ait à se défendre face à de nouveaux envahisseurs, européens ceux-là. Voilà pourquoi, par nostalgie du paradis perdu, par désir de trouver des bouc-émissaire plutôt que se pencher sur l'histoire dans sa complexité, au RSS, la matrice intellectuelle du BJP, on n'aime ni les musulmans, ni les chrétiens. Et on a bien l'intention de leur faire payer leur domination passée, ce dont d'ailleurs Modi ne s'en est pas privé au long de son mandat :
"Les vagues de lynchage, les attaques au buldozer contre les mosquées et les madrasas, la théorie conspirationniste du "love jihad" [selon laquelle les musulmans se seraient entendus pour séduire en priorité les hindoues, afin de procéder, à terme, à un grand remplacement, NDLR], les appels au boycott contre les musulmans, la campagne contre la consommation de bœuf, les manifestations contre le hijab à l'école, les interventions policières contre les prières en public, l'absence de musulmans au cabinet de Modi, comme dans son groupe parlementaire à l'Assemblée, les accusations répétées du parti au pouvoir, faisant de toute opposition une attaque "pro-musulmane", sont de puissants instruments pensés pour marginaliser cette communauté".
Mais rien de tout cela n'a mis en péril le pouvoir de Narendra Modi. Jusqu'à, donc, cette nouvelle coalition, menée par Rahul Gandhi, 53 ans —aucun lien avec le Mahatma, mais petit-fils d'Indira. Ancien leader du Parti du Congrès, député jusqu'à une condamnation à deux ans de prison pour diffamation (envers Modi), Gandhi a choisi de lancer la campagne électorale par un geste qui n'est pas complètement passé inaperçu : la Bharat Jodo Yatra, soit "la marche pour l'unité indienne" : un voyage à pied de 4 000 kilomètres, qui s'est achevé fin janvier, après presque six mois de campagne intensive partout où passait la caravane, composée de politiques, de journalistes, d'activistes, d'acteurs et d'artistes.
"L'acronyme INDIA a une forte valeur symbolique. C'est l'affirmation, vigoureuse, que ni le BJP, ni le RSS peuvent s'approprier l'Inde, puisqu'ils s'opposent à son fondement même. Leur pratique du pouvoir, telle qu'on l'a vue ces dernières années, pourrait se résumer à s'affirmer comme les seuls dépositaires du pays. Les partisans de l'Hindutva, ont critiqué toute forme d'opposition comme étant "anti indiennes".
[…]
Mais pourront-ils dire de INDIA qu'elle est anti-indienne ? Cela paraîtra bizarre, et pourrait leur revenir en boomerang. De même, la coalition a délibérément rejeté le qualificatif de "séculier", pour lui préférer les termes "nationale" et "inclusive". […] "Inclusive", c'est un mot puissant, car le BJP, en raison de la constitution, de la morale et de la pression internationale, ne peut pas prôner ouvertement l'exclusion des musulmans. Et comme le BJP tire une immense fierté de son nationalisme, il ne peut pas non plus ridiculiser le terme "nationale". Or, en le revendiquant, l'opposition rappelle que, en Inde, le nationalisme ne repose pas sur la haine, mais qu'il vient de l'idéologie du Mahatma Gandhi, qu'il est inclusif. N'est-ce-pas lui qui demandait : "La haine est-elle nécessaire au nationalisme ?""
Pour l'instant, Modi, en guise de réponse, s'est simplement contenté de rappeler que "l'organisation terroriste des Moudjahidines Indiens, tout comme [l'historique] Compagnie des Indes Orientales, ont aussi "Inde" dans leur nom." Un point pour lui. Mais ce n'est pas le seul cadre dans lequel s'ouvre la campagne électorale : le tribalisme fait d'autres ravages. Ainsi, le Manipur, à la frontière birmane, est au bord de la guerre civile. Depuis des mois, les violences entre les communautés Meitei et Kuki s'enchainent et s'aggravent. Elles ont déjà fait 130 morts, 400 blessés et 60 000 déplacés, sans que la majorité n'ait jugé bon d'intervenir, ni même de commenter la situation. Du moins jusqu'à ce que la coalition INDIA ait fait savoir qu'elle ajournerait tout débat parlementaire, tout nouveau vote, dans l'attente d'un plan d'action gouvernemental.
Elle a ainsi réussi à pousser le Premier Ministre à s'exprimer, pour la première fois, sur le conflit. Face à une vidéo virale montrant de jeux femmes de la minorité Kuki, dénudées de force par une foule en colère, puis placées sur des motos et paradées dans la ville, il a fait part de sa "peine" et sa "douleur",
Il faut un début à tout.
Votre horoscope tribal

Le signe de la semaine : Arbre
Alors que le secrétaire général des Nations Unies a tenu à nous avertir, pour commenter cet été cataclysmique et caniculaire, que nous étions entrés "dans l'ère de l'ébullition climatique", le président de la Turquie Recep Tayyip Erdogan a préféré, lui, reprendre un projet qui lui tenait à cœur : raser la forêt d'Akbelen, dans le sud-ouest du pays, pour y agrandir une mine de charbon, la source d'énergie qui dégage le plus de gaz à effet de serre, et qui fournit au pays un tiers de son électricité.
L'AFP s'est rendue sur place, et en tire un reportage déchirant, que l'on pourrait résumer d'une seule citation, celle d'Ayse Coban une villageoise de 54 ans : "Ils abattent nos arbres, arrachent nos oliviers, ils creusent la terre et saccagent tout pour les centrales thermiques, pour l’or et le charbon. Ils ruinent le pays, c’est fini."
De nombreux recours ont été déposés devant les tribunaux, mais les association écologiques ne croient guère en leur chances de succès : le patron de Limak, la holding qui détient l'exploitant de la mine en cours d'agrandissement, est un des meilleurs copains du président, dont on connaît la passion pour le clientélisme, et pour la corruption. C'est d'ailleurs afin de témoigner de sa détermination que, après avoir suspendu les travaux le temps de la campagne électorale, il vient d'envoyer les gendarmes pour déloger, violemment, les habitants et les défenseurs de l'environnement qui occupaient la forêt afin d'en prévenir la destruction.
Une opération vigoureusement défendue par Devlet Bahceli, le leader du parti nationaliste MHP et principal allié d'Erdogan. Citons-le même si, légalement, je crois nécessaire de prévenir que toute ressemblance avec un ministre de l'Intérieur bien connu de nos lecteurs serait purement fortuite :
"L'opposition veut nous court-circuiter en mettant le désordre dans les rues, en organisant des événements provocateurs, en inventant un conflit climatique, pour obtenir le résultat qu'ils n'ont pas obtenu dans les urnes […] Comme au parc de Gezi en 2013, je peux vous assurer que ce n'est pas du tout les arbres qui sont le sujet, à Akbelen."
Vu que, selon l'Association des Forestiers de Turquie, 65 000 arbres ont déjà été rasés, on peut cependant remettre en doute ses propos. Même s'il raison sur un point : le combat pour la forêt d'Akbelen dépasse la forêt d'Akbelen, puisque son enjeu, au fond, c'est la survie de l'espèce humaine.
Heureusement, la plupart des chefs d'État savent gérer un pays sans tenir compte de ce genre de préoccupation mineure.
Avocat
Pour vous, une bonne et une mauvaise nouvelle. La mauvaise, que vous avez sûrement vu passer : on signale une nouvelle inculpation contre Donald Trump pour, entre autres, "Privation de droits civiques" (les droits de vote des 162 millions d'électeurs américains, qu'il a voulu rendre caduques en annulant le résultat des dernières présidentielles).

C'est une mauvaise nouvelle non seulement parce que cela va signifier beaucoup de travail, mais aussi parce que l'homme est connu pour ne pas plus payer ses fournisseurs que ses consultants. Il y a, heureusement, une bonne nouvelle, elle aussi venue de l'extrême-droite américaine : Elon Musk, le célèbre mégalomane paranoïaque, s'est lancé dans un nouveau procès, qui devrait bien ruiner son image, mais aussi vous garantir des honoraires pour le reste de l'année.
Musk a en effet décidé de s'attaquer à une organisation à but non lucratif, le Center for Countering Digital Hate (CCDH —soit le Centre de Lutte contre la Haine en Ligne). Il a officiellement porté plainte cette semaine contre cette association britannique créée en 2018, devant le tribunal de San Francisco.
Le tort du CCDH est d'avoir, en juin dernier, publié un rapport affirmant que 99 % des publications offensantes sur Twitter ne sont plus retirées, si elles sont le fait de comptes payants. Parmi les exemples cités, on trouve des considérations aussi charmantes que "la culture noire a fait plus de ravages que le Klux Klux Klan dans toute son existence" ; "La mafia juive veut nous remplacer par les Noirs" ; "Les militants LGBT ont besoin d'un supplément de fer dans leur régime, de préférence sous la forme d'un peloton d'exécution."
La plainte ne peut contester ni la réalité de ces publications, ni le fait qu'elle soient restées accessibles malgré les signalements des internautes. Certes, elle affirme qu'il s'agit de cas isolés, peu révélateurs. Mais elle est centrée sur une attaque à la fois plus astucieuse, et franchement révoltante : le réseau "social" accuse avant le Centre de Lutte contre la Haine en Ligne d'avoir agi comme des pirates informatiques, en récupérant illégalement le contenu hébergé sur ses serveurs. On voit mal comment l'argument tiendra devant une cour, puisque le principe dudit contenu, c'est bien sûr d'être public… Mais le tribunal compétent tranchera. Avec ce choix : priver les organisations de lutte contre la haine (ou simplement, d'ailleurs, contre les contenus illégaux) de la seule méthode de recherche disponible, ou les laisser poursuivre leur activité.
Dans le même temps, Musk doit également se défendre contre la NHTSA, la National Highway Trafic Safety Administration, l'agence du Ministère des Transports en charge de la sécurité routière. Celle-ci a décidé de lancer une enquête sur les deux derniers modèles Tesla, un total de 280 000 véhicules en circulation, après avoir reçu 12 plaintes de conducteurs et conductrices ayant perdu le contrôle de leur véhicule, suite à une déficience du système électronique de direction. L'une de ces pannes au moins aurait mené à un accident, même si, précise l'agence, aucun décès n'est à déplorer.
Le milliardaire ne s'est pas encore exprimé sur ce dernier sujet. Mais il faut reconnaître que sa dernière semaine a été chargée : on sait qu'il a renommé Twitter pour le baptiser "X", mais il n'a pas encore pu retirer l'ancien logo du siège social, faute d'accord formel du propriétaire du bâtiment pour lancer les travaux sur la façade. Il a donc choisi de recouvrir le W de la marque de peinture blanche. L'enseigne affiche ainsi, désormais, "Titter" —"tripoteur de nichons", en argot.
L'enfer, c'est les autres, mais c'est quand même beaucoup lui.
Païen

Bien sûr qu'il reste des païens en Angleterre, pourquoi ne resterait-il pas de païens en Angleterre ? Vous avez quelque chose contre les druides, vous ?
Inutile de répondre à la question, cependant, car ce qui déprime en ce moment nos amis païens, c'est un souci qu'ils partagent avec leur pays tout entier. Et même, d'une certaine façon, avec le monde. C'est la construction annoncée d'un tunnel autoroutier de 12 kilomètres aux abords de Stonehenge, le site mégalithique le plus célèbre du globe, vieux de plusieurs millénaires.
La décision choque, profondément, la communauté païenne qui y célèbre chaque année les solstices d'hiver et d'été, mais aussi, évidemment, tout un tas de citoyennes et citoyens simplement férus d'histoire, de spiritualité ou, vous savez, de beauté, quoi. Toutes et tous se sont réunis sous la bannière de la Stonehenge Alliance, dont le président, John Adams, est d'autant plus consterné que, ainsi qu'il le rappelle au magazine culturel Dazed, le site inclut également des centaines de tombes préhistoriques, s'étalant sur plus de trois kilomètres alentours. L'UNESCO elle-même s'est invitée dans le débat, en prévenant que les travaux mettraient en péril le statut de patrimoine historique de l'humanité du lieu. Des craintes balayées par le ministre des transports, Mark Harper, pour qui "les dommages sur le cadre, la vue et le lieu seront moins que substantiels, et sont à prendre en considération face aux bénéfices qui seront apportés".
Comme l'écrit Dazed, "en ignorant les questions environnementales et culturelles [que soulève le projet routier], le gouvernement envoie ainsi un message clair : quelques minutes d'économises dans les embouteillages matinaux sont plus importantes que l'histoire du pays, et que la nature. Hélas, ce message n'est pas particulièrement surprenant, aux yeux en tout cas de Lally LacBeth, une artiste de trente-trois ans co-fondatrice du Stone Club : "le mépris du gouvernement pour l'UNESCO témoigne bien de son attitude plus générale, que ce soit par rapport aux paysages anciens, ou à l'écologie. Ils ne se sentent absolument pas concernés par ce qui devrait les concerner profondément". […] "L'idée qu'un endroit puisse être sacré ne les intéresse absolument pas", abonde Adams."
Père, ne leur pardonne pas : ils savent parfaitement ce qu'ils font.
People
Bravo et merci beaucoup. Landon Jones, l'ancien directeur de publication du magazine People, fondé dans les années 1970, a tenu à exprimer ses regrets pour avoir contribuer à répandre "la culture de la célébrité", dont il déplore aujourd'hui à la fois les aspects et l'importance.

Le tabloïd, qui compte encore aujourd'hui près de 40 millions de lecteurs, et connu pour avoir créé des éditions spéciales telles que "Les plus belles femmes du monde", "L'homme le plus sexy du monde", ou "Les stars les mieux et les moins bien habillées", est a joué un rôle crucial dans l'essor de la presse à scandale, et de cette culture de la célébrité que Jones résume assez bien dans une interview à CBC : "Avant, les célébrités étaient célèbres pour ce qu'elles faisaient ; maintenant elles sont célèbres parce qu'elles sont célèbres".
Il était temps de s'en rendre compte. Cela dit, l'entretien, paru à l'occasion de la sortie de son livre de souvenirs, Celebrity Nation: How America Evolved into a Culture of Fans, est profondément intéressante pour décoder, justement, l'émergence et la puissance de cette passion pour celles et ceux qu'on appelle dorénavant, même en France, "les people" :
"Les 17 premiers numéros du magazine ont fait un flop", se souvient-il. "Ils ne trouvaient pas leur cible, comme disaient les publicitaires. Puis, pour la première fois, on a mis en couverture une star de la télévision. C'était Telly Savalas, l'interprète de Kojak, et il posait torse nu. Ça a été un carton, et beaucoup de femmes nous ont écrit en disant : "Eh bien, on peut voir le reste ?". Ça a été pour nous une leçon, qui nous a aidés à comprendre le fonctionnement de la célébrité, ce qu'inspire aux gens un nom, un visage ou, dans le cas présent, un torse."
Jones se souvient également être l'auteur des règles imposées à son équipe, pour dicter les choix de couverture : "Les jeunes vendent mieux que les vieux. Les riches, c'est mieux que les pauvres. La télé, c'est mieux que les films. Et tout est mieux que la politique", ou encore : "Écrivez sur une femme qui a des problèmes". C'est pourquoi, selon lui, la princesse Diana fut tant prisée par les paparazzis : c'était une femme, qui était jeune, et qui était riche, et qui avait des problèmes. Un hit assuré… dont on connaît l’issue tragique.
"Avez-vous des scrupules, rétrospectivement, quant à la façon dont la presse people a exercé son métier ?
Oui, j'ai des scrupules. Je dois vraiment faire mon mea culpa. Nous n'offrons pas des héros, aux gens. Nous ne leur donnons pas l'expérience du vivre ensemble. Je veux dire : l'une des choses que nous ont apprises les sciences sociales, c'est que plus une personne est plongée dans le culte des célébrités, moins elle a de chances de voter, ou d'être impliquée dans sa communauté. C'est comme ça. Les gens ont des relations parasociales, mais seulement avec les célébrités. Pas avec leurs voisins. Alors, comme je le dis, ils twittent tout seuls. C'est une triste ironie. Les journalistes doivent faire mieux. Mettre en valeur de meilleurs exemples. C'est leur boulot."
Il cite, d'ailleurs, quelques personnalités qui l'inspirent et mériteraient, selon lui, d'être plus présentes dans les médias : Greta Thunberg, Maria Ressa (une militante des droits humains aux Philippines), ou Roger Federer "qui lève des sommes considérables pour financer des écoles en Afrique, ce que j'ignorais totalement."
Le tennisman fut, justement, élu "Homme le plus sexy du monde" par People Magazine en 2005.
À nous, lectrices et lecteurs, de nous demander maintenant ce qui est le plus sexy chez lui : sa musculature, ou le fait que sa fondation, créée en 2003, ait scolarisé ou appris à lire à, littéralement, des millions d'enfants ?
Autrement dit : le concours annuel de la femme ou l'homme le plus généreux vendrait-il autant que celui de la personnalité la plus hot ? Il est permis d'en douter. Mais ça vaudrait la peine de tenter l'expérience, et la renouveler encore, encore et encore. Non ?
Mode

Le Festival Mondial d’architecture annonce sa sélection 2023
Le prochain Festival Mondial d'Architecture se tiendra du 29 novembre au 1° décembre à Singapour. Il vient de présenter sa sélection officielle, et ça fait toujours du bien de savoir qu'on construit encore de bien belles choses.
Trop, d'ailleurs, pour en chroniquer ici ne serait-ce qu'un échantillon représentatif : on compte pas moins18 catégories (Shopping, Transport, Bureaux, Logements, Projets, Bâtiments officiels, Réutilisations créatives…). Heureusement, tous les bâtiments sélectionnés sont largement visibles sur le site du festival (les architectes ont, il faut le reconnaître, un certain don pour l'image). Ici en photo, c'est le dôme de bambou construit pour le sommet du G20 à Bali qui a retenu notre attention : l'installation éphémère qui a accueilli les chefs d'État pour leur déjeuner et, bon, il faut l'admettre, on ne vit pas dans le même monde.
Mais tous les édifices en compétition ne sont pas destinés qu'aux chefs d'État. La Jahad Metro Plaza, en Iran, tout en rondeurs, n'est pas sans charme non plus. Le Centre de Recherche en Informatique et Traitement de Données, créé par les Canadiens de KMB pour l'université de Boston a aussi une certaine gueule, avec ses panneaux de verre incurvés, ses grands halls de bois et sa tour déstructurée surplombant la baie du Massachusetts. Tout comme le True Digital Park de Bangkok, un complexe de 78 kilomètres carrés mêlant verdure, bureaux, boutiques, piste de jogging et pavillon de méditation…
Et la France, dans tout ça ? Je ne l'ai vue nulle part, mais ça ne veut pas dire qu'elle est absente : chaque catégorie comprenant sa bonne dizaine de nommés, sa présence a bien pu m'échapper. Signalons toutefois, en 2018, une jolie distinction dans l'éphémère catégorie "Verre" pour le projet de rénovation de la Tour Montparnasse. Fidèle à sa réputation, notre pays a annoncé récemment que les travaux, qui devaient être achevés cette année, seront finalement lancés après les J.O. de 2024.
Pource qui est déjà construit, en revanche, on peut féliciter les Vannois de l'Atelier Arcau, qui ont remporté en 2012 le prix de la catégorie "Bâtiments Civiques". Pour, c'est assez inattendu, le siège de la communauté de communes de Pornic. Comme quoi, dans la vie, tout est franchement possible, il suffit d'être Breton.
Beauté

Comment le Lower Manhattan est devenu le repère de la bohème new-yorkaise
C'est l'un des quartiers les plus célèbres de l'histoire. Le Lower Manhattan, dans les années 1960, a accueilli le meilleur de l'avant-garde et de la révolution artistiques alors en cours : les prémices du punk, du pop art, du cinéma expérimental. Mais comment et pourquoi, trois rues délabrées peuvent à elles seules fonder un courant artistique ?
Eh bien, évacuons la plaisanterie tout de suite : tout a commencé dans un slip. En l'occurrence, le Coenties Slip : un petit groupe d'immeubles bâtis autour d'un réseau de docks et d'ateliers de réparations navales, construits à l'époque où la pêche était une activité importante de New York, avant de se déplacer vers la plus haute mer et de plus vastes infrastructures.
C'est de ce quartier, qui tombait en désuétude dans les années 1950 et où l'on pouvait donc installer de vastes ateliers, particulièrement bien éclairés, pour une bouchée de pain, que l'historienne de l'art Prudence Peiffer a choisi de raconter l'histoire dans The Slip : The New York City Street that changed America forever.
Une histoire d'autant plus intéressante à mes yeux qu'elle commence avec l'arrivée sur place de peintres et plasticiens dont, je l'avoue bien volontiers, je n'avais tout simplement jamais entendu parler : Fred Mitchell, Ann Wilson, Charles Hinman, Robert Indiana, Agnes Martin (Photo) ou Leonore Tawney.
"Ensemble", nous dit Artnews, "considérés comme un réseau, ou une communauté, ces artistes ont court-circuité les schémas traditionnels de l'art et de la critique, selon lesquels, comme l'écrit Peiffer "le mouvement ne peux exister que par les mouvements". C'est pourquoi elle a tenu à relever le défi de raconter cette histoire par le biais du lieu", puisque le travail des artistes en question n'était pas en soi cohérent, unifié, comme dans les mouvements artistiques plus connus, (expressionnisme, l'impressionnisme, cubisme, etc.). Leur seul point commun, c'était d'habiter au même endroit. "C'est pourquoi elle se demande : "Et si, plutôt que la technique ou le style, c'était l'état d'esprit d'un lieu en particulier, qui définissait les moments cruciaux [de l'histoire de l'art ?]".
Peiffer nous aide à comprendre comment, en dépit de leurs différences artistiques et philosophiques, les artistes du Slip ont intégré leur environnement dans leur travail. Elle retrouve la couleur locale dans les abstractions flottantes de Kelly […] Elle nous rappelle que Tawney a créé l'œuvre qui définirait le reste de sa carrière, Dark River (1962) —cinq mètres de lin et de laine tressés, accrochés au plafond, dont ils semblent s'écouler comme de l'eau— alors qu'elle entendait les murmures de l'East River depuis sa fenêtre de la 25° rue. Elle évoque comment Indiana a utilisé à son avantage la déliquescence post-industrielle qui l'entourait, et les démolitions partout alentours, en récupérant du bois (notamment des mâts de bateaux), des roues de vélo abandonnées, et d'autres détritus, pour réaliser ses premières sculptures."
Il a donc, aussi, inventé le recyclage. À mon avis, c’est surtout pour cela qu’il va entrer dans l’histoire.
Bizarre

Prenons le chagrin au sérieux
C'est une question troublante que pose Natalie Morris, une ancienne journaliste de CNET et CBS (reconvertie, et pourquoi pas, dans l'immobilier) : "le chagrin peut nous amener dans les ténèbres, pourquoi ne le prenons-nous pas au sérieux ?".
Cette interrogation lui a été inspirée par le décès, à 25 ans, d'Angus McCloud, un acteur remarqué pour sa prestation dans la série à succès Euphoria, sur HBO… Une semaine après qu'il eut assisté à l'enterrement de son père, dans son Irlande natale.
Ainsi s'ouvre la tribune de Natalie Morris, parue dans le Guardian ce mercredi 2 août :
"Le lendemain de l'enterrement de mon père, en août 2020, j'ai reçu un SMS de mon manager pour me demander quand je reprendrai le travail. Je suis restée là, à regarder mon téléphone… Et j'ai eu un haut-le-cœur. Pourtant, ils ne faisaient pas preuve d'insensibilité volontairement. Ce manager avait même été un vrai soutien, et avait fait preuve d'empathie tout au long de la brève maladie qui a emporté mon père. Mais les deux semaines de congés discrétionnaires qu'ils m'avaient accordés arrivaient à bout. Je devais choisir entre reprendre le travail, ou utiliser mes jours de congés payés. Alors, quelque chose en moi a menacé de se briser."
Morris rappelle ainsi que "rien n'oblige un employeur à accorder des congés pour deuil (à moins que la personne décédée soit l'enfant de l'employé, ou sous sa dépendance —et dans ce cas, rien ne stipule que ces congés doivent être payés). Beaucoup d'entre nous sont simplement censés prendre une douche, et reprendre le cours de nos vies, avec une rapidité alarmante."
En France, la loi est légèrement différente, et brillamment résumée par l'URSSAF sur son site : "Congés pour décès : 5 jours pour le décès d'un enfant ; 3 jours pour le décès de leur conjoint ou de leur partenaire de PACS ou de leur concubin ; 3 jours pour le décès de leur père, de leur mère, de leur beau-père, de leur belle-mère, de leur frère ou de leur soeur."
Je crois que tout est dit. Mais à nouveau, cédons la parole à Natalie Morris :
"Le chagrin est quelque chose qui n'est ni généralisable, ni linéaire. Il prend des formes différentes pour chacun. Il peut vous frapper n'importe quand et n'importe comment, même des années après l'événement qui l'a provoqué. Malgré la croyance populaire dans, par exemple, la théorie des 5 étapes, il n'y a pas de carte, pas de plan. Il n'y a pas de limite temporelle. Il n'y a pas de moment où "c'est fini"."
C'est cela qui la choque le plus : toute personne réagit différemment à un événement aussi catastrophique que le deuil d'un proche ou d'un parent, et de cette évidence, aucune institution ne tient compte. Certains, note-t-elle, seront sauvés par les antidépresseurs, d'autres grâce aux thérapies par la parole. D'autres encore auront précisément besoin de reprendre le travail aussi vite que possible. Mais il est fabuleux —et intolérable— qu'une expérience aussi douloureuse, personnelle, unique et, de fait dangereuse (la famille d'Angus McCloud a précisé, dans le communiqué qui annonçait son décès, qu'il "luttait de toutes ses forces contre sa perte") soit censée rentrer dans une seule et même case, pour toutes, tous et tout le temps… Et c'est encore plus insupportable quand connait, insiste Natalie Morris les délais d'attente faramineux dans les services psychiatriques. Pour elle, "nos systèmes de soins sont incapables d'apporter le soutien nécessaire à celles ou ceux qui en ont besoin."
Tant que nous ne prendrons pas le chagrin au sérieux, nos sociétés seront malades.
Sursis

L’exploitation des fonds marins reportée pour un an
Nous vous en parlions la semaine dernière : il y a beaucoup de monde sur cette planète qui meurt d'envie d'aller forer les fonds marins à la recherche de matériaux rares et d'énergie. En effet, si les États font bien ce qu'ils veulent dans leurs eaux territoriales, il n'en va pas de même pour… eh bien, tout le reste. Les océans n'appartiennent à personne et sont à tout le monde. Ils sont donc protégés de l'avidité internationale par des traités qui ne le sont pas moins (internationaux).
Mais, donc, beaucoup veulent creuser, et poussent pour en finir avec ces règlements stupides qui veulent nous empêcher de nous autodétruire. C'est pourquoi beaucoup d'acteurs du secteur font pression sur l'Autorité Internationale des Fonds Marins (AIFM) pour qu'elle leur accorde l'autorisation d'aller forer là-bas, tout là-bas, en bas tout là-bas. En ont résulté des discussions difficiles entre les nations, prolongées mois après mois. Elles viennent de s'achever à Kingston, en Jamaïque, sur une première victoire.
L'accord pour interdire les eaux internationales au "deep-sea mining", en vertu des risques écologiques majeurs que présente cette activité, a donc, finalement, été prolongé d'un an. Un an, c'est peu, certes… Mais ce n'est pas sans espoir, car l'alliance pour imposer un moratoire prolongé sur le forage en eaux profondes se solidifie plus qu'elle ne fissure. Portée par les micro-nations du Pacifique, les plus concernées, elle réunit désormais 20 pays, dont le Brésil, l'Allemagne, la Suisse et la France —dont on peut célébrer les propos sans ambiguïté, par l'entremise du secrétaire d'État à la mer, Hervé Berville, selon qui "nous ne pouvons et ne devons pas nous lancer dans une nouvelle activité industrielle alors que nous ne sommes pas en mesure d’en mesurer pleinement les conséquences et risquons donc de causer des dommages irréversibles à nos écosystèmes marins".
Ce n'est pas tout : cette "Alliance pour le moratoire" compte également "37 institutions financières, plus de 750 scientifiques et même l'industrie de la pêche", nous dit La Relève et La Peste. Les États-Unis et la Chine, cela ne devrait guère surprendre, ne se sont pas prononcés définitivement sur la question, semblant jouer double-jeu, toujours soucieux de leur image internationale, mais rarement les derniers pour miner.
Suspens pour encore un an, donc, en attendant une révision plus large du code minier prévue pour 2025 qui sera, elle, déterminante.
Si l'humanité survit à ses propres obsessions (et rappelons que le minage ne procure pas seulement de l'argent à quelques uns, mais contribue aussi au confort de beaucoup, comme, par exemple, moi) nous pourrons franchement nous féliciter d'avoir connu cette époque et d'en être revenus, comme des enfers sont revenus, avant nous, tant de héros déterminés.
Mais aussi, mais encore

En bref : les news auxquelles vous avez échappé
Pendant ce temps-là, ici, ailleurs et à côté…
Comment Amazon a convaincu les Américains de dépenser 12 milliards de dollars en deux jours (Entrepreneur) — Les femmes, principales victimes des deepfakes pornographiques produits par l’intelligence artificielle (Futura) — Les scandales politiques s’accumulent à Singapour (Time) — L’État d’Albanie saisit la déchetterie de Tirana sur fonds de corruption (Balkan Insight) — Retour triomphal pour le groupe culte Le Tigre (ArtForum)— Nouveaux emprisonnements de journalistes en Iran (Radio Free Europe) — Un projet multimédia de Google vous emmène dans l’esprit de Leonard de Vinci (HypeBeast) — Lukashenko se rétracte : l’affirmation selon laquelle les mercenaires de Wagner allaient envahir la Pologne “n’était qu’une plaisanterie” (Meduza).
Attention, PostAp part en vacances ! Il n’y aura donc pas d’édition du week-end les deux prochaines semaines. Retour le 26 août… Si tout va bien avec une édition un peu spéciale, pour vous présenter un site tout nouveau, tout pratique et tout beau !
En attendant donc le retour de votre newsletter préférée, je vous souhaite de très bonnes vacances (c’est-à-dire : je vous souhaite de pouvoir en prendre, déjà). Et surtout, n’oubliez pas surtout de ne pas trop en faire.





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