L'Édition du week-end #35
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Chère lectrice, cher lecteur,
permettez moi de vous souhaiter un très bon week-end en compagnie, cette semaine, de cerveaux en fuite, de matelots héroïques, d’étoiles noires, de fossiles, d’un bon chien-chien robot, de longs sous-sols et des gaffeurs du Pentagone.
Très bonne lecture,
la conscience artificielle de votre téléscripteur favori.
Les cerveaux de la semaine

Les neurones et les Balkans
L'Albanie, la Bosnie-Herzégovine, le Kosovo, la Macédoine du Nord, le Montenegro et la Serbie : dans ces pays des Balkans occidentaux, connus comme les WB6 (West Balkans Six), quand on est jeune et diplômé, on se barre.
Ce n'est pas nous qui le disons, et ce n'est pas non plus un préjugé. Ce sont les employeurs locaux qui le déplorent, puisque cette fuite des cerveaux les confronte à une pénurie de salariés. Et, comme les jeunes gens qui restent n'ont pas les qualifications nécessaires pour embaucher là où on en a besoin, le chômage des jeunes est aussi une plaie.
C'est cette quadrature circulaire que le Regional Challenge Fund (RCF), basé en Allemagne, a décidé de résoudre. Avec des mains pleines de pognon, pour la bonne cause, celle de la formation et son corollaire, le recrutement : à cette fin, près de 65 millions d'euros seront financés par l'Allemagne, et 10 millions supplémentaires abondés par la Suisse, au nom de la coopération internationale. Une somme qui partira directement aux mains du "Forum des Chambres d'Investissement des WB6", l'alliance des chambres de commerce de la région.
"La demande est évidente dans des secteurs bien identifiés", explique Frieder Wohermann, chef d'équipe de l'unité Management du RCF : "ce sont l'ingénierie mécanique en Serbie, en Macédoine du Nord et en Bosnie-Herzégovine ; les technologies de l'information et de la communication en Albanie et au Kosovo ; l'hôtellerie-restauration en Albanie et au Montenegro."
À l’heure actuelle, "à la recherche de meilleures conditions de travail, de plus hauts salaires et de meilleures perspectives professionnelles", nous dit le magazine berlinois Intellinews, les jeunes gens dotés des compétences requises privilégient l'émigration à toute autre carrière. On part en Slovénie pour exercer dans le bâtiment, le transport ou le commerce ; on fuit la Macédoine du Nord pour la Croatie, qui recrute à tour de bras dans le tourisme. Un seul exemple : quand un fonctionnaire peut espérer un salaire de 500 euros mensuels en Macédoine du Nord, un poste dans l'hôtellerie croate peut être rémunéré deux fois plus, avec repas et hébergement offerts.
"Le RCF veut faciliter l'embauche dans les WB6 en reliant les entreprises en quête de travailleurs diplômés à des Instituts de Vocation et de Formation, dans une approche coopérative”, poursuit Intellinews. Celle-ci est détaillée à son attention par Wohermann : "Les instituts vont opérer en partenariat avec les entreprises pour concevoir ensemble les programmes de formation, et enseigner aux jeunes gens exactement ce dont ils ont besoin. Le RCF va aussi financer les investissements dans les infrastructures et les équipements requis par les différents cursus."
Et quelle sera l'arme principal de ce programme international ? L'écologie :
"L'accent sera mis sur la créativité et la capacité à faire face à la complexité croissante des défis sociaux, comme le changement climatique, la préservation de la biodiversité, l'énergie propre, la santé publique, la numérisation, l'automatisation, l'intelligence artificielle, la robotique et l'analyse de données. "Les emplois verts jouent un rôle crucial pour générer un développement durable", explique encore Wohermann. "Ils donnent du pouvoir aux individus, aux organisations, aux entreprises, aux communautés. Ils favorisent l'emploi, un travail décent, des compétences qui seront utiles tout au long de la vie. Cette approche génère une croissance économique soutenable et inclusive, améliore la compétitivité, renforce l'égalité sociale, et assure la permanence de l'environnement"".
L'appel à projets s'est clos début juillet : 27 millions d'euros seront partagés entre les 63 instituts de formation retenus. "En alignant l'éducation et la formation sur les principes de soutenabilité, nos instituts verts vont aussi créer des changements positifs dans les sociétés", veut encore croire Frieder Wohermann.
Et quelque part, en bonus, sans aucun doute un patron réac s'étouffe dans son borscht. Comme il a de l’humour, il doit plaisanter sur la perspective de devoir bientôt s'éclairer à la bougie. Bon appétit à lui, mais qu’il n’oublie pas de remonter la clim’.
Votre horoscope tribal

Le signe de la semaine : Matelot
On le sait, la vie de marin n'est pas toujours facile mais, on le sait aussi, il y a pas facile "Cargo de nuit trente-cinq jours sans voir la terre" et pas facile "Je suis au large d'un pays en guerre, à bord d'un pétrolier rouillé, et il n'y a que mes petits bras et ceux des copains pour empêcher une marée noire cataclysmique."
Et ça, c'est la vie d'Hussein Nasser, "cinquantenaire aux cheveux grisonnants", comme décrit l'AFP, reprise par GoodPlanet, qui nous raconte l'une de ses récentes journées de travail, cauchemardesque.
Prévenu par une alarme signalant une fuite dans la salle des machines, il a œuvré toute une matinée, avec une demi-douzaine d'hommes d'équipage, pour colmater une brèche à l'aide de bandes de fer de fortune, au milieu des gaz inflammables, en nageant dans le pétrole, pour éviter "une marée noire gigantesque, [qui aurait fait] des ravages sur la faune et la flore, les villages de pêcheurs côtiers, le trafic maritime et les ports essentiels pour ce pays déjà confronté à l’une des pires crises humanitaires au monde."
Le supertanker FSO Safer, et son million de barils de pétrole, gisent en effet oubliés de tous, au large du Yémen. Vieux de 47 ans, rouillé jusqu'à l'os (l'épaisseur de sa coque s'est réduite de 4 millimètres par endroits), recouvert de champignons, "le Safer est comme une ligne de front et nous avons dû nous battre, comme sur une ligne de front militaire", témoigne Hussein, célébré comme un héros de guerre par les Houthis, toujours en conflit armé contre les autorités du pays, depuis 2014. Chiites, soutenus par l'Iran, opposés au gouvernement soutenu de son côté par une coalition menée par l'Arabie Saoudite, ils n'ont toujours pas baissé les armes ni renoncé à leur révolution qui a déjà fait, selon l'ONU, des centaines de milliers de morts. Le sort du FSO Safer témoigne de l'imbroglio économique et politique, toujours insoluble aux yeux du monde :
"Face à ces "héros oubliés", les Houthis pointent du doigt l’Arabie saoudite et ses alliés, dont les Émirats arabes unis, les accusant d’avoir maintenu un blocus sur le port de Hodeida, privant ainsi le FSO Safer des travaux nécessaires. Pourtant, les Houthis eux-mêmes ont longtemps été accusés d’utiliser le sort du Safer comme monnaie d’échange, en bloquant les demandes d’inspection de l’ONU avec leur exigence que les revenus du pétrole leur soient versés pour payer les salaires de leurs fonctionnaires."
Or, avec son entretien totalement négligé depuis le début de la guerre, le Safer, désormais rafistolé plus durablement par "une plaque d’acier permanente destinée à empêcher l’eau de mer de noyer le navire" menaçait non seulement les écosystèmes mais aussi la survie immédiate des 200 000 pêcheurs de la région, comme le rappelle l'agence de presse dans sa conclusion :
""Tous auraient été gravement touchés", insiste l’ingénieur Hussein Nasser, en saluant de loin les pêcheurs qui déchargent des brouettes pleines de poissons. […] Il se dit prêt à toute nouvelle mission que les autorités maritimes décideraient de lui confier. Mais après des années à bord d’un navire qui menaçait de couler ou exploser, il rêve enfin de "quelques minutes de sommeil et de repos.""
Sa récente expérience dans une salle des machines en flammes envahie de pétrole donne, de fait, une nouvelle définition au mot "burn-out".
Humain
C'est un livre qui manquait, et tout le monde le savait, sans forcément y penser : le journaliste et écrivain Adam Nicolson, formé à Eton et au Magdalene College de Cambridge, passionné d'histoire, a enfin signé un livre de coaching synthétisant les enseignements des philosophes pré-socratiques.

Au cœur de How to be (que l'on pourrait traduire par "Comment vivre"), deux idées. La première : reprendre le principe de ces guides, très populaires en langue anglaise, et de plus en plus en France, dits de "self help" —ces opuscules emplis de conseils pratiques pour, c'est selon, résoudre les difficultés de sa vie amoureuse, sauver son mariage, ou monter en grade dans la hiérarchie de sa boîte.
"How to Be suit une structure qui rend manifeste son objectif didactique", écrit le Guardian. "Nicolson veut ramener ces penseurs anciens dans le moment présent, et affirmer radicalement leur pertinence dans le monde actuel. Chaque chapitre est consacré à une question —"Comment être moi ?" ; "L'amour règne-t-il sur l'univers ?" ; "Puis-je vivre de multiples réalités ?". Mais l'ouvrage se clot aussi sur un incontournable du guide de coaching : une série de maximes qui peuvent être appliquées dans toutes sortes de situations quotidiennes, condensées pour les cadres pressés, toujours à la recherche de "leçons clés".
En d'autres mains, une formule aussi démagogique pourrait n'être rien d'autre qu'un bibelot clinquant, mais Nicolson écrit avec une lueur dans les yeux. Je ne crois pas avoir jamais lu un livre qui allie une telle profondeur à un sens de l'humour aussi malicieux."
L'autre force du livre, selon la critique littéraire du journal britannique, vient du fond lui-même. En examinant en détail les écrits qui nous restent de ces penseurs, qui ont vécu entre 800 et 450 avant Jésus Christ dans la "Megale Hellas" —la Grande Grèce—, l'auteur croit discerner une caractéristique commune, incroyablement moderne. Qu'il a choisit de nommer "l'esprit de port."
Selon lui, dans ces villes portuaires toujours occupées, toujours vivantes, et caractérisée, comme il l’écrit, par "la fluidité… les échanges, le lien", l’activité permanente, faite de rencontres, de commerces, de va-et-vient, de personnes comme d’idées, de cultures, nécessitaient de nouvelles façons de comprendre le monde. Un chaudron qui aurait comme naturellement engendré les débuts de la philosophie. Ou, au minimum, d’un nouveau mode de pensée, que les pré-socratiques auraient été les premiers à exprimer.
"Des principes puissants, fondamentaux, sont nés dans ces cités portuaires : la souplesse intellectuelle, la quête de cohérence, le besoin d'une politique juste, la reconnaissance du changement permanent du monde, la croyance dans l'existence d'un idéal : tout cela, nous l'héritons de la Grèce", explicite une autre recension, sur The Bookery.
À son tour, le Guardian reprend des exemples plus précis :
"Ce sont ces grands innovateurs qui ont donné ses contours aux débuts de la philosophie : en interrogeant le voyage d'Ulysse, Homère explore comment nous naviguons nous-mêmes, en suivant notre propre chemin, sur terre ; Héraclite d'Éphèse fut le premier à envisager que toute chose soit reliée à toute autre ; à Colophon, Xénophane fut le premier porte-voix de la civilité. Sur l'île égéenne de Lesbos vivaient Sappho et Alcée, les premiers poètes lyriques qui se sont demandés "Comment être fidèle à moi-même ?". À Samos, Pythagore a imaginé la permanence de l'âme. De là, ses idées se sont propagées en Italie, où elles se sont épanouies de façon nouvelle et radicale."
De quoi donner envie de larguer les amarres, de libérer la pensée, de cultiver la souplesse psychique, de croire à l'aventure, à la quête, à la force d'âme ou, c'est selon, de reprendre deux fois des huîtres, et une autre banette de pain beurré, je vous prie.
Particule

Chic ! Avec un peu de chance, sous peu, vous allez vous faire plein de copines et ça, quand la vie consiste essentiellement à glander sans fin au cœur de l'espace-temps, ça fait toujours plaisir.
Vous pouvez, pour cela, remercier le super-téléscope James Webb, et une équipe d'astrophysiciens de l'université du Texas, qui pense avoir identifié, pour la toute première fois —ça parlera aux générations de la fin des années 1970— des "étoiles noires" : des "objets célestes hypothétiques, alimentés par l'annihilation de particules de matière noire", précise Trust My Science —et non pas, comme notre soleil, par la fusion nucléaire.
Oui, vous avez bien lu : c'est, peut-être, la première manifestation concrète, dans les travaux scientifiques, de cette fameuse matière noire, mystère insondable de la physique théorique, Graal de la cosmologie moderne. La matière noire, rappelons-le, est ainsi baptisée parce qu'elle est invisible à tous les moyens de détection connus. On ne sait pas vraiment si elle est réelle. Ni de quoi elle serait faite. La seule certitude, c'est que les calculs de la majorité des cosmologues indiquent sa présence, partout dans l'univers : elle serait même bien plus abondante que la matière que nous connaissons, celle que l'on peut voir et toucher.
Initialement identifiées comme des galaxies, ces trois potentielles étoiles noires, nées dans les tout premiers temps de l'univers, doivent bien sûr être observées et analysées plus longuement pour confirmer, ou infirmer, leur nature extravagante et mystérieuse.
La quête continue, et se poursuivra peut-être dans Indiana Jones 6, dès que l'industrie du ciné sera parvenue à cloner Harrison Ford. Chacun ses priorités.
Gaffeur
Oups ! En dix ans, ce sont des millions d'e-mails du Pentagone qui sont arrivés au mauvais destinataire. Quand on travaille dans la sûreté militaire et l'espionnage, c’est embêtant.

Par quel prodige le ministère de la Défense américain est-il parvenu à un tel exploit ? Parce que, voyez-vous, les adresses mails des employés du Pentagone se terminent toutes par ".mil", le suffixe officiel, sur Internet, de l'armée des États-Unis.
Et ".mil", eh bien c'est très, très proche de ".ml", attribué, lui… aux habitants du Mali. Il suffit donc d'un doigt qui ripe, d'un message un peu trop urgent, d'un rédacteur un peu trop pressé, et boum : ça part sur un serveur malien, c'est ballot.
La boulette, ou plutôt les boulettes à la pelle, ont été révélées par un certain Johannes "Joost" Zuurbier, un entrepreneur de l'Internet néerlandais qui, précisément, était sous contrat pour gérer le domaine ".ml". Le plus drôle, à en croire la porte-parole du Pentagone, Sabrina Singh, qui s'est exprimée sur l'affaire, est que les envois étaient bloqués s'ils partaient d'une adresse du ministère de la Défense —oui, il y a quand même quelques mesures de précaution.
Les mails en question (qui pouvaient indiquer, pour ne citer qu'un exemple, les localisations de généraux, hôtels et numéros de chambre inclus, lors de déplacements internationaux) sont donc ceux envoyés à un destinataire travaillant pour l'armée des USA, mais depuis une compte personnel, comme GMail ou Yahoo. La gaffe dans la gaffe, c'est donc de se servir de ses adresses privées quand on échange à propos de secrets militaires. Dans une multinationale, les sécurités sont déjà telles qu'il est souvent impossible d'utiliser son adresse professionnelle à l'extérieur des bureaux. Les coupables —enfin, les étourdis— ont donc vraisemblablement utilisé leur boîte personnelle pour communiquer en dehors de leurs horaires de travail.
C'est la gaffe dans la gaffe dans la gaffe : travailler de chez soi, ce qui devrait être interdit par la Convention de Genève. Rappelons d'ailleurs aux workaholics qui nous liraient que, en France, le droit à la déconnexion est officiellement reconnu légalement, depuis la loi El Khomri… même si, relevait récemment Le Figaro, seuls 1 070 accords de déconnexion avaient été passés dans les entreprises de plus de 11 salariés en 2020 (eh oui, compter sur la démocratie d'entreprise pour promouvoir le bien-être des salariés, ça ne fonctionne pas toujours. Étonnant, non ?).
Ainsi, les individus qui privilégient encore leur vie familiale ou intime aux bénéfices de leur employeur sont, de fait, les bons élèves dans cette affaire, je dis ça, je dis rien.
Fossile

Mythe fossile, pétromasculinité, culture du carbone… Euh, de quoi on parle, au juste ? Attendez, on reprend.
Ces concepts sont le fruit du travail de la professeure de sciences politiques Cara New Daggett, dont les éditions WildProjects ont publié en début d'année une anthologie en français. L'autrice s'y livre à une lecture féministe de la crise climatique. Genre, le réchauffement, c'est la faute des hommes ? Non, bien sûr, c'est plus compliqué que ça, comme elle l'explique dans une longue interview donnée cette semaine au magazine Ballast :
"La culture occidentale considère que la nature est en dehors de la civilisation humaine et qu’elle peut être améliorée par le contrôle anthropique [humain, précise la revue]. Les activités associées à la reproduction, qu’il s’agisse du rôle de la forêt dans le cycle du carbone ou du travail du care, consistant à nourrir, soigner et aider les communautés, sont naturalisées — et même sacralisées — tout en étant dévalorisées et considérées comme des ressources gratuites disponibles pour la production capitaliste. Le changement climatique montre que ce grand projet occidental n’est pas soutenable, mais de nombreux groupes, notamment des mouvements de droite, ne veulent pas renoncer à ce mode de vie, qui implique à la fois la domination masculine et la maîtrise de la nature. C’est ce que révèle une lecture féministe du déni climatique. La politique de droite aux États-Unis soutient les énergies fossiles et se montre également anti-féministe. Ces positions sont souvent considérées comme distinctes, l’une portant sur la famille traditionnelle et le foyer, l’autre sur l’économie. Mais elles sont liées."
C'est ce lien, ou plus exactement la culture littéralement mortifère née de ce lien, qu'elle a donc baptisée "Pétromasculinité" —terme qui constitue également le titre de l'ouvrage. Et, insistons, s'il faut ajouter un préfixe à "masculinité", c'est bien que ce n'est pas la masculinité en tant que telle la coupable, selon Daggett. Mais une façon spécifique de la vivre et de l'exprimer (bien des femmes en sont d'ailleurs également les apôtres, sans difficultés).
Pour elle, en tout cas, le féminisme est donc une des armes utiles à la lutte contre le réchauffement, en tant que remise en cause de l'ordre patriarcal, et surtout de ses schémas de contrôle, de la dynamique de domination qu’il impose, tant sur les femmes que sur la nature —si souvent associées dans le sexisme ordinaire.
Le féminisme serait donc une arme politique qui dépasserait la simple exigence d'égalité entre les sexes. Notamment par sa capacité à renverser, questionner, attaquer un système de valeurs qu'il faut bien qualifier de délirant : ce qu'elle appelle "le mythe fossile", c'est-à-dire "le désir d’une croissance énergétique illimitée", qui "n’est pas un trait universel de la nature humaine [puisque] les peuples et civilisations ont échangé, créé et prospéré de bien des façons sans faire de l’intensification infinie des énergies une priorité".
Or "l’Histoire montre qu’au moins deux changements importants de sources d’énergie — l’agriculture céréalière et les énergies fossiles — ont été motivés par la volonté de domination, qui a joué un rôle important, voire primordial. En d’autres termes, l’agriculture céréalière et les énergies fossiles n’étaient pas nécessairement supérieures aux systèmes énergétiques existants en termes de puissance, d’efficacité ou de coût, mais elles favorisaient la centralisation du pouvoir dans la hiérarchie politique."
Et c'est là qu'est le nœud du combat politique actuel, quotidien, dont l'enjeu, rappelons-le, n'est rien de moins que la survie de l'espèce humaine : "Il est donc important de contester le mythe fossile", poursuit Cara New Daggett, "car le défi énergétique aujourd’hui n’est pas seulement de savoir quel type d’énergie les gens utilisent, mais aussi en quelle quantité et à quelles fins. Ces questions-là — pour qui et pour quoi — sont politiques : il s’agit de répartir l’énergie en fonction de valeurs culturelles concernant la vie et le bien-être."
Répétons-le. Répétons-le, littéralement :
"Il est donc important de contester le mythe fossile car le défi énergétique aujourd’hui n’est pas seulement de savoir quel type d’énergie les gens utilisent, mais aussi en quelle quantité et à quelles fins. Ces questions-là — pour qui et pour quoi — sont politiques : il s’agit de répartir l’énergie en fonction de valeurs culturelles concernant la vie et le bien-être."
Mode

La phobie du sous-sol, épidémie coréenne pas du tout mystérieuse
Ce n'est pas un travail scientifique. Ce n'est pas quantifié. Mais pour le Korea Herald, le développement de la phobie des sous-sol est bel et bien une réalité en Corée du Sud.
Ce qu'il évoque n'est pas non plus une phobie du sous-sol en tant que tel, mais la peur d'être pris au piège en cas d'inondation. Métro, parkings, passages piétons… Ces espaces se développent à grande vitesse dans les grandes villes du pays et, révèle le quotidien, sont particulièrement mal équipés pour assurer la survie des passants en cas de catastrophe climatique —lesquelles deviennent, évidemment, bien plus fréquentes à mesure que le globe se réchauffe.
"Selon une analyse statistique du Bureau Météorologique de Corée, on comptait une moyenne de 6 jours par an avec des précipitations dépassant les 50 millimètres par heure entre 2012 et 2021. Une augmentation spectaculaire par rapport à 2,4 jours annuels, le chiffre de 1973 à 1982", explique le Herald, qui relève aussi la liste macabre des décès survenus en souterrains lors de ces épisodes pluvieux : quatorze personnes à Cheongju lundi dernier. Sept en septembre 2022, à Pohang. Quatre en 2020, à Busan et Daejon. "Dès qu'il pleut", confie Park, une jeune femme qui n'a pas souhaité faire figurer son prénom "je cesse de prendre le métro. Si je n'ai vraiment pas le choix, je me place systématiquement près d'une sortie de secours."
Plus d'inondations d’un côté. Et de l’autre, en vingt ans, la longueur croissante des passages souterrains, qui a été multipliée par cinq dans le pays, pour atteindre plus de 230 kilomètres au total. Or, signale le professeur Kim Jung-hwa du Département de Planification urbaine et routière à l'université de Kyonggi : "même si les installations en sous-sol sont construites avec de meilleurs systèmes anti-inondation que ceux en surface, ils ne prennent pas en compte la sévérité et la fréquence des pluies extrêmes, qui se sont toutes deux accrues ces derniers temps".
À se demander, mais ce n'est qu'une hypothèse, s'il n'aurait pas été judicieux de préparer l'adaptation au changement climatique, et de tout faire pour le limiter, un peu plus tôt. En même temps, cela aurait diminué les bénéfices des grandes sociétés pétrolières internationales. La bourse ou la vie : l'humanité a, follement, tranché.
Beauté

Enfin un chien robot critique d’art
Les intelligences artificielles et, surtout, les images qu'elles produisent à la volée, à la tonne, à la grosse, ça vous épuise ? Moi aussi. Et, c'est plus important, Mario Klingemann aussi. "Plus la machine crée, plus l'être humain est repoussé au rang de spectateur fatigué", soupire ainsi cet artiste et développeur allemand de 53 ans auprès de Artnet, en présentant sa dernière création : A.I.C.C.A., pour "Artificially Intelligent Critical Canine" .
Ce chien robot est conçu pour se balader, grâce à sa planche à roulettes automatisée, dans les expositions du monde. Sa caméra embarquée lui permet d'identifier les peintures, devant lesquelles il s'immobilise, remue sa petite queue, puis nous épargne la peine d'avoir à penser par nous-mêmes puisqu'il génère de la critique d'art automatiquement, qu'il défèque ensuite, littéralement puisque ses opinions sortent ensuite, imprimées, directement de son derrière.
En bonus, ses productions sont aussitôt publiées dans ce dépotoir mondial de la pensée qu'est Twitter. Ça donne, par exemple : "L'art ne joue pas à la balle avec votre approbation. Il dévore les pantoufles des conventions. Il se réjouit d'être surpris par son propre aboiement."
"Le but de A.I.C.C.A.", explique son créateur à l'occasion de la première apparition de son terrier "intelligent" dans un musée d'art contemporain madrilène, "c'est moins de critiquer les critiques que de proposer une autre perspective, excentrique. Il doit faire penser. Même si cette pensée, c'est simplement de se demander si les machines sont vraiment faites pour contempler de l'art. En se livrant à une activité aussi personnelle et spécialisée que la critique artistique, il questionne le rôle que l'I.A. joue —et pourrait jouer— au sein de nos vies".
Eh bien, mon vieux Milou, il semble qu'il faille désormais sauver l'art et la pensée, l'humanité et l'individualité… Allons en parler à ce bon vieux capitaine : je crois qu'un long voyage nous attend !
Bizarre

Voyage au centre de la Terre
"Durant les trente minutes que dure la descente, à bord d'une camionnette, dans le tunnel principal de la mine de fer de LKAB à Kiruna, la ville la plus au nord de la Suède, on a quelques sensations : votre peau s'assèche notablement, vos oreilles se débouchent, et il est difficile de nier ce sentiment d'isolement qui s'empare de vous, alors que le véhicule tourne et tourne encore sur une voie obscure, seulement guidé par des réflecteurs collés sur les murs de pierre gris."
Ainsi commence l'étrange séjour de NPR, à 1 220 mètres sous terre et à 250 kilomètres du cercle polaire, dans la plus grande mine de fer du monde, ouverte en 1899. Qu'est donc allée faire dans cette galère la chaîne publique américaine ? Eh bien, cette année, son opérateur LKAB a annoncé avoir découvert, dans ses profondeurs, une colossale réserve de terres rares, ces matériaux cruciaux pour la transition énergétique, indispensables par exemple aux éoliennes ou au véhicules électriques. Ce serait même, affirme le communiqué de presse de la multinationale, la plus grande réserve de ce genre en Europe.
Ces matériaux étant massivement importés de Chine, et régulièrement menacés de s'épuiser, la découverte est d'une importance capitale pour le continent —et l'économie suédoise. Alors, depuis, LKAB creuse. À la vitesse de quatre mètres cinquante par jour, pour déblayer les presque dix kilomètres qui séparent encore les mineurs de cet eldorado moderne. Une course éprouvante, loin des yeux, des cœurs et du ciel, en quête de l'indépendance énergétique. Plus que jamais, laissons-nous guider par la philosophie Shadok et, à défaut de pomper, piochons. Et piochons. Et piochons.
Avis de décès

Entre mammifère et dinosaure, un duel au soleil
230 millions d'années. C'est, à la dizaine de millions d'années près, la durée pendant laquelle dinosaures et mammifères ont cohabité. Et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'on a peu de souvenirs de cette époque émouvante, et de nos vacances ensemble.
Mais c'est un document fascinant qui paraît ces jours-ci dans Nature, sorti de la formation géologique du Yixian, près de Jinzhou, ville portuaire s'ouvrant sur la Mer Jaune, à l'est de la Chine. Là, en plein Crétacé, une soudaine projection de lave a figé, pour l'éternité, le combat à mort entre un genre de grosse loutre et un descendant du Tricératops.
À ma gauche, un psittacosaure. Un mètre vingt, cathaméral (aussi bien diurne que nocturne), qui broyait sa nourriture à l'aide de gastrolithes (des pierres avalées, probablement stockées dans le gésier, à l'image de certains oiseaux aujourd'hui). À ma droite, Repenomamus Robustus, plutôt dans les cinquante centimètres, aux dents pointues, pointues, pointues —et le vainqueur du combat.
Après un examen minutieux des postures et des habitudes d'animaux équivalents à travers les âges, l'équipe de paléontologues rejette l'hypothèse d'un épisode charognard, pour privilégier celui d'une véritable attaque de l'un par l'autre —et en l'occurrence du dinosaure, herbivore, par le mammifère, strictement carnivore lui (un électeur de Fabien Roussel, probablement).
"La patte avant-gauche du mammifère agrippe la mâchoire inférieure du dinosaure", décrivent les savants, "et sa patte arrière-gauche est prise au piège dans celle, repliée, du dinosaure […] Le mammifère est mort en mordant deux côtes antérieures gauche du dinosaure, ses mandibules dirigées vers le bas, plongées dans le sédiment calcifié pour fermement agripper les os.
Il peut sembler improbable qu’il ait pu ainsi mordre les côtes exposées du dinosaure si celui-ci n'était pas déjà mort. Cependant, se nourrir de proies en vie est commun chez de nombreuses espèces carnivores, comme les chiens sauvages d'Afrique, les hyènes tachetées ou les chacals. En fait, après une lutte initiale, la proie abandonne généralement le combat, pour gésir passivement, dans un profond état d'épuisement et de choc. Une posture proche de celle adoptée ici par le dinosaure."
Cible et tueur reposent, désormais, en paix.
Mais aussi, mais encore

En bref : les news auxquelles vous avez échappé
Pendant ce temps-là, ici, ailleurs et à côté…
Le casting commence pour la première adaptation théâtrale de Dr. Folamour, signée de l’auteur de La Mort de Staline (BBC) — La biennale des arts graphiques de Ljubljana annonce le programme de sa trente-cinquième édition (ArtForum) — La croissance de l’industrie indienne des médias et du divertissement dépasse toutes les prévisions (Variety) — L’expansion urbaine met en péril les zones humides de Calcutta (Sciences et Avenir) — VanMoof, multinationale néerlandaise du vélo électrique, dépose le bilan (TechCrunch) — Tata, propriétaire de Jaguar et Land Rover, annonce la construction d’une usine de batteries à 4,6 milliards d’euros en Angleterre (The Guardian) — À Nashville, la country joue l’air de la guerre culturelle (The New Yorker) — Pris dans les scandales de trafic d’influence, de dévaluation monétaire et d’inflation, le Vice-Président du Laos appelle son ministère des Finances “à faire preuve d’introspection” (The Laotian Times).
Prochaine Édition du Week-End : samedi 29 juillet. Gardons les pieds sur terre pendant que ça tourne !





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