L'Édition du week-end #34
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Chère lectrice, cher lecteur,
permettez moi de vous souhaiter un très bon week-end en compagnie, cette semaine, de rappeurs russes, d’enseignants canadiens, de doppelgängers, d’esprits animaux, de démons nippons, de femmes et d’un Bulgare inénarrable.
Très bonne lecture,
la conscience artificielle de votre téléscripteur favori.
La morale de la semaine

Le rappeur et les Kirghizes
Les pays d'Asie centrale, c'est-à-dire l'ensemble des nations situées entre la Chine et la Russie, et fortement ancrées dans l'orbite de cette dernière, sont dans la tourmente. Leur situation est particulièrement complexe : longtemps, la Russie a été un soutien économique et, surtout, militaire : l'Organisation du Traité de Sécurité Collective (OTSC), fondée en 2002, regroupe l'Arménie, la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, la Russie et le Tadjikistan autour d'un pacte de sécurité, de lutte contre le crime international et de coopération interarmées.
Mais comme on le sait, l'invasion de l'Ukraine complique les relations entre le Kremlin et ces anciennes républiques soviétiques. D'abord parce que les soldats russes étant sérieusement embourbés actuellement, ils sont peu en mesure d'apporter un quelconque soutien au-delà des autres frontières. Et bien entendu, le parapluie de Moscou implique désormais le risque d'être emporté dans la vague de sanctions économiques et d'opprobre diplomatique qui frappe la Russie depuis l'an dernier. Et puis, le peu de respect affiché pour l'autonomie de ses petits frères et sœurs, ou pour la garantie des frontières, sème le doute jusque dans les régimes les plus en accord avec la politique de Poutine. Bref : les plus ou moins démocratiques républiques d'Asie Centrale doivent apprendre à jouer leur propre partition, sous l'ombre d'une brute qui n'hésite jamais à faire usage de son gourdin, et dont elles ont malgré tout besoin, ne serait-ce que du point de vue économique.
C'est dans ce cadre qu'une série d'annulations de concerts d'artistes russes ont d'abord laissé supposer une prise de distance toujours plus grande vis-à-vis de la Russie. Mais The Diplomat a fait les comptes : pour le média, elles témoignent pour la plupart, en réalité, d'une ingérence des autorités dans la vie culturelle de leur propre pays.
Certes, au Kazakhstan, l'annulation d'un concert de Grigory Leps ressemble aux histoires que l'on apprécie en Occident. Le crooner (qui a quand même, excusez-nous mais il faut bien le dire, une vraie tête de mafieux alcoolique) est un soutien ardent de la guerre criminelle lancée en février 2022, et c'est bien pour cette raison, face aux contestations de la population kazakhe, bruyamment exprimée sur les réseaux sociaux, que sa venue à Almaty a été reportée sine die. Le festival Zahra, qu'il parraine, a subi le même sort : il a tenté de se replier en Azerbaïdjan puis en Ouzbékistan, mais sans succès, toujours face aux contestations publiques.
Cependant, selon les informations de The Diplomat, les autres annulations n'ont pas forcément des raisons aussi nobles : la venue de des rockeurs de Bi-2 à Semei (Kazkhstan) ? Annulée, en raison d'une certaine légèreté dans leur façon de s'acquitter des taxes locales. La prestation du rappeur Morgenshtern (Photo), au festival Alga de Bishkek (Kirghizistan) ? Déprogrammée, à cause d'une enquête internationale sur un possible trafic de stupéfiants. Ce rappeur est d'ailleurs, lui, l'un des critiques publics de Poutine. Pour cela désigné comme "agent de l'étranger", il a quitté la Russie en 2021.
Mais ce n'est sans doute pas la seule raison : cette annulation-là serait plutôt à comprendre dans le cadre "des dynamiques internes du pays, et des efforts de son gouvernement pour légiférer sur la morale".
"En juillet 2021", explique The Diplomat, "le président Sadyr Japarov a en effet présenté un plan quinquennal pour remédier "à la crise morale et spirituelle du pays". Et en novembre 2022, un projet de loi sur les ONG souhaitait permettre à l'administration de leur retirer leurs agréments, lorsqu'elles "offensent la morale nationale et les sentiments religieux des citoyens". Depuis, les associations de soutien aux droits humains, à l'étranger comme dans le pays, cherchent à empêcher sa promulgation, au nom de la liberté d'expression".
Japarov, qui, par ailleurs, se bat contre son propre parlement pour faire adopter une constitution présidentielle, pour ne pas dire franchement autoritaire, est en fait un obsédé de la morale et du "développement spirituel" de la population, note de son côté Eurasianet, qui a examiné en profondeur le projet.
Étonnamment, le plan de Japarov ne semble pas être juste un concentré réactionnaire : ainsi, une partie concerne le développement chez les enfants d'une "pensée critique", de "compétences en communication et en utilisation des technologies numériques", pour insuffler "créativité" et "indépendance matérielle".
Mais quelles que soient ses intentions réelles, les mesures envisagées révèlent bien le piège de ce genre de désir moralisateur : il repose sur des croyances subjectives, indépendantes de toute rationalité… Et s'infiltre jusque dans l'intimité des familles.
Par exemple, il est question de renforcer l'éducation sexuelle, notamment chez les filles, pour lutter contre les mariages “précoces”. C'est louable, mais comment faire ? "Nous allons apprendre aux parents à parler à leurs enfants, à dire à leurs filles "Tu ne vas pas là" ou "Ne vas pas rencontrer des garçons"", explique en toute franchise le Ministre de l'Éducation. D'une manière générale, l'idée phare est bien d'enrôler les parents pour en faire les relais de la morale étatique, afin de leur apprendre à "éduquer de vrais patriotes", y compris en créant des formations à leur attention, et des événements sportifs dédiés à la transmission des valeurs morales. Le tout avec des objectifs suffisamment vagues (il faut également apprendre aux enfants, toujours selon le projet de loi, à cultiver "un sens du goût et de la beauté" et à percevoir "la grâce et la beauté dans la nature, la vie et la culture"…) pour, au fond, les forcer à faire ce que l'on veut.
"Quelques semaines après la publication de premiers décrets, en janvier dernier", nous dit encore Eurasianet, "la Coalition pour l'Égalité, qui regroupe de nombreux collectifs et associations sous une seule bannière, s'est offusquée d'un projet qui violerait les engagements internationaux du Kirghizistan. Car des concepts vagues, comme la moralité et la spiritualité, particulièrement quand leur est adjoint un parfum national, pourraient mener à la discrimination contre les minorités religieuses, ethniques, ou autres. La Coalition écrivait alors : "Tandis que se développe le pluralisme, ce projet pourrait engendrer un retour en arrière. Comme on le sait, les caractéristiques des sociétés traditionnelles sont l'absence de libertés politiques, des structures sociales fermées sur elles-mêmes, l'autoritarisme et la faible mobilité sociale." Et le triste sort d'une Russie elle-même engoncée dans sa révolution morale est là pour en témoigner.
On peut toujours, malgré tout, écouter Morgenshtern, sur YouTube par exemple. D'après ce que nous comprenons de ses paroles, via les logiciels de traduction automatique, il chante essentiellement son désir de s'enrichir et de baiser "des chiennes". Parfois, pourtant, il a en effet des mots plus… doux, comme dans l'épilogue de son titre "12" :
"Mon petit fils, eh bien oui, ici même, ce matin, le toit a presque été emporté.
Nous avons pensé à coucher ailleurs, puis nous sommes retournés là,
En ce moment nous sommes assis dans la cave
Nous nous sommes préparés un abri anti-bombes, alors, eh bien, chat, ne t'inquiète pas."
Votre horoscope tribal

Le signe de la semaine : Enseignant
Maux de tête en perspective pour les maîtres et maîtresses de l'Ontario, au Canada. En cause : une décision prise la semaine dernière, suivant les recommandations d'un rapport de sa Commission des Droits de la Personne de 2022. Il s'agit de rétablir l'enseignement obligatoire de l'écriture cursive.
L'écriture cursive, vous le savez sans doute, c'est tout simplement l'écriture que vous avez apprise à l'école : les lettres liées entre elles, le "a" qui ressemble à un "a", quoi.
Plus clairement : en Ontario, les enfants apprenaient toujours à écrire. Mais l'écriture manuelle n'était plus obligatoire depuis 2006. Ils pouvaient tout à fait seulement apprendre à taper à l'ordinateur. Et à l'ordinateur prendre ensuite, tout au long de leur cursus, les notes des différents cours.
Seulement voilà : entre-temps, toutes les études réalisées sur le sujet démontrent que le résultat n'est pas le même. Que l'on retient et que l'on comprend mieux une leçon si on l'écrit avec sa main plutôt que la saisir au clavier, comme le décrypte CBC, la chaîne publique canadienne :
""Rien ne remplace l'implication du système main-cerveau", affirme Hetty Roessingh, professeure émérite de langage et littérature à l'université de Calgary, en faisant référence aux chemins neuronaux qui se créent lorsque l'on écrit à la main.
Elle estime que c'est une compétence sous-évaluée car le grand public ignore tous les bienfaits qu'elle apporte aux processus cognitifs. Pour elle, la prise de note est l'un des exemples où la cursive est supérieure au clavier : "Celles et ceux qui écrivent facilement et prennent des notes réussissent généralement mieux aux examens que les élèves qui ont recours au clavier pendant le cours. Quand on tape ses notes, on ne fait rien d'autre que les transcrire. Mais si on les prend à la main, on génère du texte, ce qui constitue un véritable avantage procédural"“.
Les élèves peuvent tirer une bonne part de ces bénéfices avec l'écriture manuelle en script, explique encore Lizette Alexander, thérapeute occupationnelle à Toronto […] mais ce n'est pas aussi efficace : "dans les caractères d'imprimerie, le tracé de la lettre peut commencer n'importe où", rappelle-t-elle, remarquant que certains tracés démarrent au sommet, d'autre en bas, et que certains exigent même un mouvement de retour en arrière. "En cursif, à l'inverse, c'est un mouvement constant vers l'avant. Les lettres sont connectées… Il suffit d'intégrer trois mouvements pour l'apprendre".
Dans son expérience, on lui adresse en majorité des enfants chez qui aucun trouble de l'apprentissage n'a été diagnostiqué, mais qui ont malgré tout des difficultés pour les travaux qui font appel au papier et au crayon. "Quand ils écrivent, ils réinventent le tracé à chaque fois. Il n'y a aucune constance. Et l'écriture même devient alors un travail.""
Et les professeurs, dans tout ça ? Pourquoi je vous disais qu'il fallait s'attendre à des maux de tête ?
Eh bien parce que, justement, l'enseignement de l'écriture cursive étant optionnel depuis presque vingt ans, nombre d'entre eux ne maîtrisent tout simplement pas cette compétence. Certaines voix craignent d'ailleurs que, pour cette raison, mais aussi parce qu'il est facile de considérer cette pratique comme dépassée, voire inutile, les cours de cursive soient négligés dans un certain nombre de classes. Mais ce n'est pas l'avis du ministre ontarien de l'Éducation, Stephen Lecce :
"On parle ici d'alphabétisme, on parle de la possibilité de communiquer en ayant confiance en soi. Ça vaut la peine d'investir dans ces domaines. Et si pour cela il nous faut travailler un peu plus dans les prochaines semaines afin de se préparer pour septembre… Je sais que les éducateurs le feront, parce que je sais qu'ils se sentent profondément concernés par la réussite des jeunes gens dans ces compétences fondamentales."
Faire confiance aux profs pour aider leurs élèves… C'est beau comme un gouvernement républicain, d'il y a cent ans.
Nostalgique
Le cinéma muet n'est pas complètement mort. Le faire vivre, c’est même le combat quotidien de Christophe Piette, directeur de la Cinematek à Bruxelles, les “archives royales du film” en Belgique.

Car la Cinematek s'avère, nous dit The World, "le dernier cinéma au monde à proposer des séances régulières de films muets —accompagnées d'un piano "live". Et c'est un succès." Un programme lancé dans les années 1980 et qui ne s'est jamais démenti.
"Piette nous a confié que 80 % des films muets ont été perdus à jamais. À l'époque de leur production, l'industrie ne s'intéressait tout simplement pas à leur conservation. Mais ses prédécesseurs ont pris sur eux de retrouver la totalité de ceux qui restent. Désormais, ce musée du film en possède environ 10 000. "Nous tenions vraiment à les partager avec les plus jeunes, avec celles et ceux qui sont habitués au films les plus récents, et leur montrer d'où venait le cinéma. C'est notre mission. Nous avons une mission : montrer toute l'histoire du cinéma.”"
Dernière diffusion en date : Isn't Life Wonderful. Une production de 1924, signée D. W. Griffith, l'auteur derrière le tristement célèbre (car autant précurseur d’un point de vue technique qu’incroyablement raciste) Birth of a Nation. Griffith semble être capable de plus d'empathie pour la misère des Européens, pourtant, car Isn't life Wonderful raconte l'histoire d'une Polonaise et d'un Polonais "qui tombent amoureux, malgré toutes les difficultés que l'Allemagne a en réserve pour eux au lendemain de la Première Guerre Mondiale”.
Vous pouvez, vous aussi, découvrir ce métrage de deux heures sur YouTube, grâce à la chaîne Hollywood Classics, ici.
Graphiste

Hanson Akatti opère depuis le Ghana, et c'est un coup de cœur pour le site de design It's Nice That qui a souvent bon goût, pas toujours mais souvent, comme ici.
Akatti travaille principalement pour Harmatta Rain, et c'est aussi, d’ailleurs, l'occasion de découvrir ce magazine haut-de-gamme, spécialisé dans la musique africaine contemporaine. Akatti y dessine par exemple de simples vignettes de playlists, et il est fascinant de constater combien une image aussi simple peut être engageant et, d'une certaine manière, dansante et libératrice.
"Je ne savais pas bien par où commencer", explique ce graphiste qui s'est formé seul et en ligne, également auteur de nombreuses pochettes d'albums et affiches de concert pour la scène musicale de son pays. "Tout ce que je savais, c'est que je voulais créer des messages très audacieux, affirmés, en utilisant la couleur. Je voulais refléter le maximalisme esthétique de la génération Z : tout est parti de cette idée".
Son Instagram, aussi, est rempli de photos et de dessins consacrés aux artistes du continent tout entier. Un portail vif et magique vers tout un champ de la création culturelle contemporaine qui a tant de mal à se faire entendre sous nos latitudes.
Doppelgänger
Un doppelgänger, qu'est-ce que c'est ? C'est un être mythologique, qui serait votre exact sosie, en tous points, susceptible de vous harceler ou, surtout, de prendre votre place, de voler votre vie. Si on y croit, c'est terrifiant. Si on n'y croit pas, l'opération Doppelgänger est elle, hélas, bien réelle.

Initiée par "des entités étatiques ou affiliées à l'État russe", selon la ministre des Affaires Étrangères Catherine Colonna, elle consiste à copier un site web en y injectant de fausses informations. Elle a touché en France, notablement, Le Monde, Le Figaro, Le Parisien (Photo), 20 Minutes et même le site du Quai d'Orsay, qui a pu laisser croire quelques minutes que le gouvernement allait lancer une nouvelle taxe pour financer l'effort de guerre ukrainien. Pour The Conversation, Christine Dugoin-Clément en explore la méthode dans tous ses recoins. Comme souvent, la pratique est ancienne, et remonte en l'occurrence à la Guerre Froide, mais le numérique en démultiplie les effets :
"L’étude des cookies utilisés par les Doppelgänger a montré qu’ils employaient un logiciel de suivi de flux et de trafic, Keitaro. Le choix de ce logiciel témoigne de connaissances en marketing et laisse supposer que l’équipe inclut des acteurs familiers des milieux de la publicité. Grâce à ce logiciel, les différents contenus peuvent être suivis comme des campagnes à part entière, laissant supposer que les auteurs des sites ont voulu avoir une vision très précise des performances de ceux-ci (fréquentation, temps passé par les internautes à les consulter, etc.).
L’intégration à l’opération informationnelle de ces pratiques venues du marketing est loin d’être anodine. En effet, l’un des enjeux des opérations d’influence est de générer une viralité suffisante pour atteindre le public le plus large possible. On constate que cet objectif était particulièrement recherché par les auteurs des Doppelgänger. Les articles contrefaits ont ainsi été largement diffusés sur les réseaux sociaux par l’entremise de nombreux comptes, dont une bonne partie était des faux. Une fois utilisés, la plupart de ces comptes ont été abandonnés par leurs propriétaires, rappelant la destruction de « comptes brûlés ».
[…] Un point également intéressant tient à la réutilisation en Russie de ces contenus. Certains d’entre eux ont été diffusés par des médias russes, qui les présentaient comme de vraies informations parues sur les sites officiels occidentaux visés, et ont enregistré d’importants taux de visite et de lecture.
En effet, il est nécessaire de garder à l’esprit qu’une campagne informationnelle, si elle a une cible initiale, pourra être récupérée et servir à conforter des rhétoriques locales. De tels effets vont au-delà de ceux initialement escomptés sur des publics étrangers".
Comment se protéger ? On ne peut pas, pas vraiment. Sauf en croisant ses sources, systématiquement. Ce que pratiquement personne n'a le temps de faire. La méthode employée par la Russie consiste, essentiellement, à déchirer le tissu social des démocraties, en appuyant sur leurs faiblesses et divisions. Un peu à l'image de l'État Islamique, qui avait théorisé la nécessité, pour lui, de s'attaquer à la "zone grise" de nos pays, celle où les citoyennes et citoyens qui ne partagent pas forcément les mêmes opinions se parlent encore, se confrontent, se respectent.
Garder l'esprit souple et faire preuve de tolérance, voire d'empathie à l'égard de ses adversaires est donc un combat démocratique. Courage.
Bulgare

L'image de la Bulgarie à l'étranger ? C'est pas ça, s'énerve Maxim Behar dans une récente interview à l'agence de presse de Sofia, Novinite.
Plus exactement : "C'est assez dérangeant et, ajouterais-je, nous sommes étonnamment passifs. Je ne me souviens pas d'une seule campagne de qualité pour la Bulgarie en plusieurs années. Nos derniers efforts remontent à pratiquement trente ans. Cela nous rend extrêmement peu compétitifs et inintéressants. C'est désespérant."
L'ancien dirigeant de Icco, un réseau rassemblant 3 000 entreprises de relations publiques dans 70 pays, tape à cœur joie sur l'inaction de ses dirigeants pour promouvoir un pays qui, il est vrai, n'a pas la meilleure réputation du monde. Avez-vous envie de partir en Bulgarie ? D'y installer votre entreprise ? D'y emménager ?
Voilà, exactement.
Heureusement, Behar a une solution : il faudrait créer un "ministère de l'image" pour gérer le "branding"de ce pays, trop souvent perçu à l'ouest comme "un membre assez vague, incompréhensible et plutôt étrange de l'Union Européenne." Il affirme pouvoir suggérer sans délai "une liste de trois personnes talentueuses" pour le job, si le gouvernement le lui demande, tout en déplorant que, depuis qu'il a exprimé cette idée pour la première fois "il y a cinq ans dans Manager Magazine", il n'ait jamais eu la moindre réponse —tout comme lorsqu'il a proposé plus récemment au gouvernement de revendre à l'État, pour un euro symbolique, un slogan qu'il avait auparavant déposé : "Bulgaria —Dream Area" (Que l'on pourrait traduire par" La Bulgarie, un endroit pour rêver", ou "zone à rêves"). À aucun moment il ne suggère qu'il pourrait, par exemple, exercer lui-même ce mandat… mais on sent qu'il y pense très, très fort.
Car Maxim Behar s'ennuie. C'est assez manifeste, que l'on se plonge plus attentivement dans l'interview ou que l'on visite son site internet, sur lequel il se décrit en toute humilité comme "Expert de référence en relations publiques avec une forte présence dans beaucoup de pays partout dans le monde". Il précise également "voyager souvent", pratiquer "le golf, la batterie, le tennis et le saut en parachute" et vient de signer un livre de recettes seychelloises, "aux ventes phénoménales" —oui, car Behar est aussi Consul Général Honoraire de la République des Seychelles en Bulgarie. Il en faut bien un, sans doute.
Ah, et il est aussi, je cite, (prenez votre respiration) "vice-président du Atlantic Club en Bulgarie, membre du conseil d'administration (et longtemps son président) du Bulgarian Business Leaders Forum, et de dix autres organisations locales et internationales. Il est aussi ambassadeur monde de l'Association Africaine des Relations Publiques et consultant senior international de l'Association Internationale Chinoise des Relations Publiques. Il a été nommé en 2019 Président du Comité Relations Publiques et Médias de la Fédération Mondiale des Consuls. Depuis 2018, il agit en tant que vice-président de la Chambre de Commerce malto-bulgare. Il a aussi été nommé au conseil consultatif du musée mondial des Relations Publiques à New York."
Entre autres, hein. On va arrêter la liste ici, si vous le voulez bien, sans même mentionner ses activités caritatives, sa devise qui, si l'on réfléchit deux minutes, n'a aucun sens ("Si vos rêves ne vous font pas peur, c'est que vous ne rêvez pas assez grand"), ni même l'onglet "Significant Presence" de sa bio, qui s'ouvre ainsi : "À Sofia, en 2011, il était l'un des invités officiels lors d'un petit-déjeuner en présence du Secrétaire Général de l'ONU Ban Ki Moon."
Bref : une fois qu'on a compris à quel genre de cuistre on a affaire, l'interview (non signalée comme telle mais, je le parierais, payée par sa boîte) en devient assez hilarante. Au second degré comme au premier car, il faut lui reconnaître ça, notre "rêveur" a aussi le goût du verbe :
"Il faudrait aussi promouvoir le pays à l'intérieur même du pays. Il y a certes quelques publicités télévisée, naïves et archaïques, pour nous dire à quel point nos montagnes sont hautes et nos plages sont belles, et nous montrer des filles qui suent à grosses gouttes dans les saunas, alors que tout le monde sait très bien ce qu'il faudrait faire pour améliorer nos stations balnéaires, si l'on veut que les touristes arrêtent de les fuir —ce qui arrive assez souvent, d'ailleurs."
Par la présente, je demande donc officiellement au gouvernement bulgare de nommer Maxim au ministère de l'image du pays, ça nous rappellera Jean-Vincent Placé, qui va finir par nous manquer.
Mode

Les monstres nous vont si bien
Les hommes et femmes préhistoriques avaient des obsessions bien connues (la chasse, la cueillette, l'invention du feu), mais aussi la passion de se déguiser en monstres. Ou, plus exactement, en "théranthropes", créatures mi-humaines mi-animales. Une pratique dont on trouve des traces partout dans les chantiers paléoarchéologiques… Et ce littéralement dans le monde entier.
Pour mieux nous faire connaître et comprendre cette tradition plurimillénaire, globale et mystérieuse, le musée de la Préhistoire de Lussac-le-Châteaux unit les compétences du plasticien François Lelong et du chercheur au CNRS Jean-Loïc le Quellec, jusqu'au 30 septembre.
Que nous disent ces usages ancestraux et planétaires ? Représentent-ils des mythes, des éruptions carnavalesques, des danses mystiques, des cérémonies religieuses ? Symbolisent-ils ces visions psychédéliques dans lesquelles un chaman croit se transformer animal ? "Il faut se rendre à l'évidence : les données de l'ethnologie nous montrent qu'en l'absence du témoignage des artistes, le sens exact qu'ils donnaient à leurs œuvres est à jamais perdu", admet le chercheur.
Tout au plus, avec d'infinies précautions, peut-on relever et comparer aussi bien les permanences et les différences, qui à la fois divisent et relient cultures et époques. Ou, le temps d'un songe, voyager dans les temps et les mystères, grâce à l'exposition "Théranthrophes, Mythologies humanimales" dans la commune. de Nouvelle-Aquitaine —ou aux photos relayées par Hominidés, le portail le plus complet, en français, consacré aux "évolutions de l'homme."
Soyons humains : soyons des animaux.
Beauté

Planez grâce à la musique de film
Tiens, faisons un jeu. Si je vous chante : "Tatala, taaaa… Tatalaaa… Tala, TAAA ! Tatala, TATA !", vous me répondez, bien entendu, "Indiana Jones !" et vous avez bien raison, parce que je chante tellement juste que même à l'écrit c'est imparable (ou peut-être grâce à l’indice subtilement caché dans la photo ci-dessus)… mais, aussi, parce que la musique de film nous accompagne plus longtemps, et plus en profondeur, que nous le soupçonnons.
Cela devient en tout cas flagrant à l'écoute de La Grande Évasion, la radio en ligne française intégralement consacrée aux bandes originales, des années 1930 à nos jours. Un délice, parfait pour découvrir des musiques tout comme des films, ou revivre nos plus belles émotions de cinéphiles. Techniquement, c'est aussi un du bonheur : rien d'autre qu'un bouton ÉCOUTER LA RADIO, et c'est parti avec, pour chaque musique, le nom du compositeur ou de la compositrice, celui du réalisateur ou de la réalisatrice, le titre du film, celui du morceau, et l'année de sortie du métrage. Avec une image toujours bien sentie et bien entendu le contrôle du volume et la durée. Un régal, on vous dit !
Tout récemment, son fondateur Olivier Desbrosses était en prime l'invité du podcast musical Dans le Tempo, pour un épisode qui, "de Camille Saint-Saëns à Hans Zimmer", retrace l'histoire de la musique de film, en deux bonnes heures follement érudites et illustrées par des extraits emblématiques des diverses époques mentionnées, de la veine opératique d’avant-guerre aux expérimentations jazzy des années 1970, de l'arrivée du synthétiseur au néo-romantisme de John Williams, en passant par les aventures atonales de La Planète des Singes et les vagues de son plus actuelles, plus adaptées au montage numérique (technique qui, permettant de retravailler un film jusqu'au dernier moment, nécessite des accompagnements musicaux tout aussi faciles à couper et remonter).
Dans l'émission, Olivier Desbrosses était d'ailleurs accompagné de Rafik Djoumi, son partenaire dans un autre podcast, lui aussi consacré à la musique de film : Total Trax. À découvrir également, mais seulement si vous en redemandez, car Total Trax ne fait pas franchement dans le format court. À titre d'exemple, il affichait récemment, et fièrement, cinq épisodes d'une heure trente chacun pour traiter de la collaboration artistique entre Tim Burton et Danny Elfman, film par film et quasiment scène par scène. Réservé aux vrais fondus, donc, notamment de culture populaire. Mais, en attendant, il y a toujours La Grande Évasion pour s'évader, grandement.
Bizarre

Au pays des apparitions
Vraiment comprendre, pour expliquer avec justesse, ce qu'est un "yokai" est une tâche difficile, voire impossible sans une connaissance approfondie de la culture japonaise, ce qui n'est pas ma plus grande force, ne faisons pas semblant.
Mais heureusement, comprendre pleinement la nature de ces créatures imaginaires du folklore japonais n'est pas nécessaire pour apprécier le travail de Utagawa Kuniyoshi, l'artiste du XIX° siècle qu'a choisi de mettre à l'honneur cette semaine le site Japanization.
On va quand même résumer grossièrement : un yokai, c'est un esprit. La manifestation dans notre monde d'une âme en peine, par exemple, voire d'un comportement humain. Leur attitude "varie de l'espièglerie à la malveillance", précise Wikipedia. "Ils symbolisent bien souvent les aspects inavouables de la psyché humaine", abonde Japanization. Et, donc, ils sont à l'honneur de l'art japonais depuis des siècles, et l'une des spécialités de Kunioshy.
Le site présente et commente quelques-unes de ses plus grandes œuvres représentant des yokai : le gashadokuro, squelette géant composé des ossements de plusieurs humains n'ayant pas été enterrés convenablement, qui cherche à se venger mais que, heureusement, l'on entend venir grâce à ses cliquetis sinistres : l'effrayant fantôme d'Oiwa, une femme défigurée à cause d'une crème empoisonnée offerte par sa rivale, puis éconduite par son époux, qu'elle hantera après sa mort pour le restant de ses jours ; le spectre d'Iabaraki Doji, le guerrier manchot ; et quelques autres, comme Asakura Togo, symbole des révoltes paysannes (il fut exécuté, selon la légende, par le dirigeant du pays pour lui avoir demandé une baisse des taxes sans avoir consulté, au préalable, son gouverneur local).
Le travail du maître est tout simplement sublime. Dérangeant, certes, mais aussi profondément évocateur, et d'une splendide finesse. Allez donc sur le site faire mieux connaissance avec cet auteur de Ukiyo-e, des estampes réalisées, couche après couche, à partir de gravures sur bois. Mais pas après 21 heures, si vous n’aimez pas faire des cauchemars.
La séance de minuit

Bonne route !
Vulture veut soigner votre été et vous propose de le commencer avec toute une série de "girls trip movies", soit les road-movies au féminin, dont le toujours aussi juste Thelma & Louise reste l'archétype fondateur, en plus d’une occasion à ne pas rater de placer une esperluette dans un texte, l’autre grande passion de ma vie, après Maxim Behar évidemment.
"Depuis la comédie dramatique, devenue un classique, qui a défini le genre, jusqu'aux aventures plus récentes et plus grivoises, revisitons les films les plus essentiels du genre. Embarquez votre meilleure copine, attachez vos ceintures et montez à bord", promet le supplément culturel du New York Magazine.
En sélection : Thelma & Louise, donc, mais aussi Romy and Michele’s High School Reunion où, pour une réunion d'anciens élèves, Mira Sorvino et Lisa Kudrow prévoient de se faire passer pour des business women richissimes et louent une Jaguar afin de rejoindre la Californie depuis l'Arizona, Crossroads, avec l'inoxydable Britney Spears, dont les héroïnes "feront face à l'abandon, l'infidélité, le viol et la fausse couche" mais aussi Tammy, avec Melissa McCarthy et Susan Sarandon "une équipée alcoolisée jusqu'aux chutes du Niagara". Sans oublier Plan B qui, sous la forme d'une comédie, dénonce les virulentes attaques des dernières années contre les droits reproductifs ou, tout simplement, Sex and the City 2, "certes bourré de clichés offensants à l'égard du Proche-Orient" mais "triomphal retour en grâce du genre"… Il y en a pour tous les goûts —à condition que le droit des femmes à la liberté et à la joie de vivre ne vous donne pas de hauts-le-cœur puisque, hélas, de nouveau la question se pose, ici comme ailleurs. Raison de plus pour voyager et tracer la route. Sans, n’est-ce-pas, se retourner.
Mais aussi, mais encore

En bref : les news auxquelles vous avez échappé
Pendant ce temps-là, ici, ailleurs et à côté…
Au Brésil, une plante contenant du CBD, sans THC, fait rêver l’industrie pharmaceutique mondiale (Sciences et Avenir) — Dans la presse ukrainienne, portrait d’une juge qui a refusé de collaborer à l’envahisseur jusqu’au bout du bout (Meduza) — Les comptes en banque de Nigel Farage, l’homme qui a inventé le Brexit, bloqués par l’Angleterre en raison de soupçons de collusions avec la Russie (The Times) — L’ONU prépare le premier sommet mondial consacré aux dangers pour la paix posés. par l’Intelligence Artificielle (AP) — Après Wagner, Poutine doit faire face aux blogueurs pro-guerre (Business Insider) — Pour la première fois, on a observé une femelle crocodile se reproduire sans mâle (The Conversation) — Pourquoi les orques se sont subitement mis à couler les bateaux (Techno-Science) — Nike et Martine Rose redéfinissent le style du football féminin (Viacomit).
Pas d’Édition du Week-End samedi prochain 15 juillet. Prochain numéro : le 22 juillet. Excellente fête de la Fédération à vous !





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